A voté !
Le 19 juin 2009 Voir les commentaires (3)
Plusieurs millions d’électeurs ont eu l’occasion d’exprimer leurs suffrages
en France comme ailleurs, au mois de juin à
l’occasion des élections pour le Parlement Européen.
Le principe du vote universel étant acquis, peu
de gens se sont demandés si les résultats du scrutin sont réellement
en conformité avec les préférences exprimées. Et c’est d’autant mieux
car tout système de vote démocratique a des failles.
Parmi les premiers à avoir analysé cette question dans une perspective
mathématique, et totalement objective,
se compte le Marquis Nicolas de Condorcet qui, en 1785, publia l’un de ses
principaux travaux sur ce sujet
[1].
Cet essai explore l’intransitivité possible de la
majorité [2], c’est-à-dire que, lors d’une
élection, il est possible qu’une majorité
préfère A à B, qu’une autre majorité préfère
B à C, et qu’une troisième majorité préfère C à A... Les décisions prises
à une majorité populaire par ce mode de scrutin peuvent donc être
incohérentes.
Considérons par exemple un groupe de
50 votants ayant le choix entre trois propositions A, B et C.
Les préférences se répartissent ainsi (en notant A > B, le fait
que A est préféré à B) :
- 20 votants préfèrent : A > B > C
- 12 votants préfèrent : B > C > A
- 2 votants préfèrent : B > A > C
- 8 votants préfèrent : C > A > B
- 8 votants préfèrent : C > B > A
Donc :
- 28 préfèrent A > B contre 22 pour B > A
- 34 préfèrent B > C contre 16 pour C > B
- 28 préfèrent C > A contre 22 pour A > C
Ce qui conduit à la contradiction A > B > C > A.
Bien que ce paradoxe ne mette en cause que la
cohérence de certains systèmes de vote, quelques deux cents ans après,
le théorème d’impossibilité d’Arrow affirmera que le problème
est bien inhérent à la démocratie. Si Condorcet observait que les
systèmes de vote les plus simples engendrent des
contradictions, Arrow démontre en 1951 qu’en effet il n’existe pas
de système cohérent, hormis celui où la fonction de choix social
coïnciderait avec les choix d’un seul individu, parfois nommé dictateur.
Pour énoncer ce théorème (qui, avec d’autres contributions importantes en sciences économiques lui ont valu le prix Nobel d’économie en 1972)
on utilisera un peu de mathématiques qui nous
permettront surtout de bien comprendre ses hypothèses,
dont on peut penser qu’elle soient
assez raisonnables...
Le but du jeu est de classer en ordre des propositions,
en se basant sur les préférences individuelles. Les
préférences individuelles correspondent à des relations d’ordre
$r_1,r_2,\ldots, r_n$ sur l’ensemble $P$ des propositions
soumises au vote et la fonction de choix social $r$, ou le classement final,
est une fonction $f(r_1,r_2,\ldots,r_n)$ qui est également un
ordre sur $P$.
Voici maintenant les hypothèses sur cette fonction :
-
Universalité
Chaque préférence possible doit pouvoir être prise en compte,
c’est-à-dire que toute relation d’ordre sur $P$ peut apparaitre
comme un $r_j$ dans les arguments de $f$. -
Principe de Pareto
Si une préférence fait l’unanimité alors
elle doit se retrouver dans le classement final, et donc si
$x,y$ sont des propositions telles que pour toute relation d’ordre $r_j$
$x -
Indépendance
Si les préférences changent sauf pour deux
propositions alors ces deux propositions seront dans la même relation
d’ordre qu’avant, pour éviter la manipulation.
Donc, si $x$r'_1,r'_2,\ldots, r'_n$ sont d’autres relations d’ordre
telles que $xpar rapport au nouveau classement final $r'=f(r'_1,r'_2,\ldots,r'_n)$. -
Absence d’un dictateur
Personne ne peut imposer son avis si tous les autres sont d’avis contraire. Donc si $x
relations $r_j$ sauf peut-être une, on ne peut pas avoir
$y
Le théorème d’Arrow s’énonce alors comme suit :
Pour une discussion mathématique plus approfondie de ce résultat voir
par exemple cet article.
Le preuve n’est nullement compliquée et on peut la trouver soit dans
l’article ci-dessus, ici
ou dans le livre de Earl Hunt
[3]
(en anglais).
Notes
[1] Essai sur l’application de l’analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix
[2] Connue aujourd’hui sous le nom de
paradoxe de Condorcet
[3] The Mathematics of Behavior, Cambridge University Press, 2007
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Pour citer cet article :
Louis Funar — «A voté !» — Images des Mathématiques, CNRS, 2009
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