Applications conformes
Inversez-vous le portrait !
Piste rouge Le 10 mars 2009 Voir les commentaires (12)
Une transformation d’une image est conforme si elle conserve les angles. Nous allons voir que les fonctions simples que vous connaissez, celles que vous trouvez sous les touches de votre calculatrice, la tangente, l’inverse, la mise au carré, l’exponentielle, le logarithme et d’autres, quand on les regarde comme des fonctions complexes et non plus seulement réelles, ont une interprétation comme applications conformes : on peut les visualiser comme déformant des images, et en faisant cela, on fabrique de belles compositions et on apprend également beaucoup sur ces fonctions.
C’est dans une balade visuelle dans les applications conformes que je vous propose de vous emmener. Si vous ne comprenez pas tout, ne vous alarmez pas, ces objets sont délicats et rigides comme des porcelaines. Profitez-en pour apprécier la beauté picturale que ces fonctions recèlent, ce qui j’espère est suffisant pour qu’elles méritent votre respect. Sachez que pour passer du statut d’amateur d’art à celui d’artiste (une applet est proposée en références), il faudra, comme dans toute activité qui vaut vraiment le coup, se concentrer, chercher, trébucher souvent, mais progresser finalement. J’espère que vous apprécierez la balade et qu’elle vous motivera pour en savoir plus sur l’analyse complexe.
Application conforme
Une application est une transformation, à un point de départ, on associe un point d’arrivée. Les mathématiciens appellent point à peu près n’importe quoi, mais dans cette balade, nous regarderons les points du plan, la petite tache que votre stylo fait sur la feuille posée sur votre table en donne une bonne idée. En dessinant sur votre feuille, vous donnez à chacun de ces points une couleur et tous ensemble ils forment une image. Quand on applique une transformation à cette image, chacun des points colorés est envoyé à un autre endroit de la feuille, en donnant une autre image. Bien sûr, si on fait n’importe quoi, cette image sera brouillée, et on ne va regarder que les applications continues, c’est-à-dire celles qui déforment sans « déchirer » l’image : un trait de crayon dans l’image de départ sera envoyé sur un trait dans l’image d’arrivée, il n’aura pas forcément la même allure, mais on pourra toujours le tracer sans lever le crayon.
Mais même en ne regardant que les applications continues, souvent on ne reconnait pas du tout le dessin de départ, il est tellement déformé que plus rien n’est lisible.
Les mathématiciens aiment à créer de nouveaux mots pour les objets qu’ils inventent (ou découvrent ?) et pour les règles avec lesquelles ils jouent. Le grec et le latin sont la base des mots sérieux qui vous assureront la considération de votre belle-mère. Le mot con-forme vient du latin et signifie « qui préserve la forme ». La condition que les mathématiciens ont trouvée pour, selon eux, préserver la forme est de préserver les angles. C’est-à-dire que si on a deux chemins qui se croisent avec un certain angle dans l’image de départ, les deux chemins dans l’image d’arrivée, après déformation, se croiseront toujours avec le même angle.
Complexes et similitudes
- L’image d’une horloge pavant le plan
- Le centre de l’horloge est le point zéro, les heures sont sur le cercle de rayon 1. Le nombre 1 correspond à 3h, -1 à 9h, l’axe réel est l’horizontale du milieu tandis que sur l’axe vertical, les nombres imaginaires $i$ et $-i$ sont à midi et 6h. On « pave » le plan avec cette horloge en répétant cette image comme pour un carrelage.
Pour décrire ces applications conformes, il nous faut un tournevis bien pratique dans la boîte à outils du mathématiciens : les nombres complexes.
Le « plan complexe » est en fait très simple et les nombres imaginaires ne sont pas moins réels que ceux de « la droite réelle » des nombres de tous les jours qui mesurent des longueurs ou le solde des comptes en banque.
En effet, un point du plan, c’est bien concret, c’est la tache qu’a laissé votre stylo sur votre feuille. Pour se repérer dans le plan, pour connaitre « l’adresse » d’un point, par exemple la maison de Mère Grand sur le plan de la ville, Descartes nous dit qu’on a besoin de mettre une grille sur la carte, avec des lignes horizontales et des lignes verticales numérotées. Alors, la donnée d’une ligne et d’une colonne, que les mathématiciens notent $(x,y)$, nous permet de savoir où Mère Grand habite. On appelle ces nombres les coordonnées cartésiennes du point. On voit ce point comme un nombre complexe quand
- au lieu de ses coordonnées cartésiennes $(x,y)$ dans un repère, on écrit $x+i\,y\in\mathbb{C}$,
- ou bien au lieu de ses coordonnées polaires $(r,\theta)$, définissant le point par la distance $r$ et l’angle $\theta$ avec lequel il est vu depuis l’origine, on écrit $r\,e^{i\,\theta}\in\mathbb{C}$ (et on lit « r exponentielle de i théta »).
On choisit la paramétrisation des angles par la longueur du bout de cercle qui part de la demi-droite horizontale jusqu’à la direction souhaitée. On appelle cette mesure d’angle les radians. Ainsi, le nombre 1, qui est sur l’horizontale, a un angle de 0, ce qu’on écrit $1=e^0$. Son opposé, $-1$, est de l’autre côté du cercle. Le cercle entier a comme longueur $2\pi$, donc sa moitié a pour longueur $\pi$ et on écrit $-1=e^{i\,\pi}$. Je trouve personnellement que c’est une des plus élégantes des formules mathématiques. Le fameux nombre imaginaire $i$ est placé à angle droit, sur la verticale au-dessus de l’origine. Il faut donc ¼ de cercle pour y arriver depuis le point 1, ce qu’on écrit $i=e^{i\,\pi/2}$.
Nous verrons que les formules pour passer de l’écriture $x+iy$ à l’écriture $r\,e^{i\,\theta}$ font justement appel à des fonctions holomorphes, l’exponentielle et le logarithme.
Noter $x+iy$ plutôt que $(x,y)$, ce n’est pas qu’un changement de notation, on passe d’un point géométrique à un nombre algébrique qu’on peut manipuler. Tout comme les vecteurs du plan, on peut bien sûr ajouter ces nombres complexes, ce qu’on nomme les translations, mais on peut également les multiplier :
- la multiplication par un nombre réel $r$ revient à gonfler l’image si $r>1$, et à la dégonfler si $r<1$. On appelle ce changement d’échelle une homothétie de centre l’origine $O$ et de rapport $r$.
- la multiplication par un point du cercle $e^{i\theta}$ (on dit aussi « unitaire ») correspond à tourner l’image par une rotation de centre $O$ et d’angle $\theta$.
Par exemple, la multiplication par $-1=e^{i\,\pi}$ fait faire un demi-tour, on se retrouve la tête en bas, c’est la symétrie centrale ; la multiplication par $i=e^{i\,\pi/2}$ fait tourner d’un quart de tour, en particulier $i\times i= -1$, donc $i=\sqrt{-1}$ est une racine carrée de $-1$, ce qui n’est bien sûr pas possible avec des nombres réels, d’où le nom de nombre imaginaire qui lui fait mauvaise presse. Mais $\sqrt{2}$ était lui aussi un nombre imaginaire pour les pythagoriciens pour qui seuls les rationnels existaient. Et les nombres qui ne sont solution d’aucune équation polynomiale ont mis du temps à se faire une place au soleil alors qu’ils sont les plus nombreux ! L’histoire des mathématiques, c’est une suite de problèmes impossibles résolus par des objets qui n’existaient pas avant d’en avoir besoin. Il faut toujours du temps pour que ces objets soient acceptés sérieusement pour ce qu’ils sont et non comme un simple tour de passe passe.
Enfin, la multiplication par un nombre complexe quelconque $z=r\,e^{i\theta}$ correspond à une similitude, composée d’une homothétie et d’une rotation.
En pensant les points du plan comme des nombres complexes qui s’ajoutent et se multiplient, on a donc unifié, dans les mêmes objets, des points et des transformations de ces points.
Les similitudes sont clairement des transformations conformes. Un dessin dans le plan peut être transformé par similitude, on obtient un dessin décalé, d’une échelle différente et tourné d’un certain angle.
Fonctions holomorphes
On a dit que le mot con-forme vient du latin, mais en grec cela donne holo-morphe. Les fonctions holomorphes, que nous allons définir, sont en particulier conformes presque tout le temps :
une fonction holomorphe (mais on dit aussi analytique, ou développable en série entière, ou dérivable complexe suivant le contexte) est une fonction qui est localement une similitude, c’est-à-dire que son rapport de « zoom » et l’angle de rotation changent en fonction de l’endroit où on est. Dit autrement, une telle fonction s’écrit, autour d’un point $z_0$, $f(z)=a\,(z-z_0)+b+o(z-z_0)$ et on appelle $a=f'(z_0)$ la dérivée et $b=f(z_0)$ la valeur de $f$ en $z_0$ ; le $o(z-z_0)$ dit simplement que c’est « à peu de choses près » vrai autour de $z_0$.
La dérivée est le facteur de zoom de cette transformation. C’est donc une transformation conforme partout où la dérivée est non nulle. En un zéro de la dérivée, par contre, nous verrons qu’il se passe des choses étranges et les angles en particulier n’y sont pas respectés, une fonction holomorphe est conforme sauf là où sa dérivée s’annule.
Revenons sur la similitude $z\mapsto P+\lambda (z-P)$ de centre $P\in\mathbb{C}$ et de facteur $\lambda\in\mathbb{C}$, c’est une fonction holomorphe de dérivée constante $\lambda$.
Polynômes
Après les similitudes les polynômes, en particulier les monômes $z\mapsto z^k$ sont les fonctions holomorphes les plus simples.
Vous avez compris ce que signifie multiplier $z$ par $a=r\, e^{i\,\theta}$, c’est lui appliquer une similitude de rapport $a$. De même, calculer $z^2$, c’est appliquer à $z$ une similitude de rapport $z$ ! Le rapport de la similitude dépend du point où on se trouve. On envoie ainsi $z=r\, e^{i\,\theta}$ sur $z^2=(r\, e^{i\,\theta})\times(r\, e^{i\,\theta})=r^2\, e^{2\,i\,\theta}$ car l’exponentielle transforme la multiplication en addition : $e^a\times e^b=e^{a+b}$. Le module $r$ est donc mis au carré (s’il était plus petit que $1$, il devient encore plus petit, s’il était plus grand, il devient encore plus grand), et l’argument $\theta$ est doublé. De même, $z^k=r^k\, e^{k\,i\,\theta}$.
Un problème pour représenter ces fonctions comme déformant une image du plan est qu’une fonction holomorphe, en général, envoie plusieurs points au même endroit, on dit qu’elle n’est pas injective. Pour le monôme $z^k$ par exemple $k$ points différents sont envoyés sur la même valeur. De quelle couleur peindre un point $f(z)$ s’il est l’image $f(z)=f(z')$ de deux points différents $z\not = z'$ ?
Si on considère le plan pavé par l’image d’une horloge, sa mise au carré est :
Vous voyez que le disque central est envoyé sur lui-même mais chaque point (sauf zéro) est recouvert deux fois, ce qui rend l’image floue. Par exemple +1 (à 3h) et -1 (à 9h) sont envoyés sur +1 (à droite de l’image au milieu), $+i$ (midi) et $-i$ (6h) sont envoyés sur -1 (à gauche au milieu). Vous voyez aussi que les angles au centre sont doublés : la fonction n’est pas conforme à cet endroit-là, les six heures de l’après-midi, tout comme les six heures de la matinée, font toutes deux le tour complet du cadran.
Pour avoir une application injective, on peut se restreindre par exemple soit au demi-plan de parties réelles positives soit à l’autre demi-plan des parties réelles négatives
En prenant de la distance, le même effet opère sur le plan entier.
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Image réciproque
Pour ne pas se retrouver avec plusieurs points envoyés au même endroit, on peut plutôt considérer non pas l’image directe par une application mais plutôt ce qu’on va appeler son image réciproque :
- L’image d’une horloge pavant le plan
- Le centre de l’horloge est le point zéro, les heures sont sur le cercle de rayon 1. Le nombre 1 correspond à 3h, -1 à 9h, l’axe réel est l’horizontale du milieu tandis que sur l’axe vertical, les nombres imaginaires $i$ et $-i$ sont à midi et 6h. On « pave » le plan avec cette horloge en répétant cette image comme pour un carrelage.
On place l’image non pas dans l’espace de départ mais plutôt dans l’espace d’arrivée et on colore le point $z$ par la couleur du point $f(z)$. Il y a donc, pour tout point $z$, un unique point $f(z)$ qui lui est associé (c’est la définition d’une fonction). Pour la mise au carré on obtient donc le couple d’une nouvelle image envoyée sur l’image de départ.
Remarquez la duplication : les points $z$ et $-z$ sont colorés de la même manière car ils sont envoyés tous deux sur la même image $z^2$. Copier un point en deux endroits différents est beaucoup plus lisible que d’envoyer deux points de couleurs différentes au même endroit ! Remarquez que l’image réciproque n’est toujours pas conforme à l’origine, les angles y sont maintenant divisés par deux, deux tours d’horloge (2x12h) tiennent autour de l’origine.
De même, le monôme d’ordre $k$ envoie $k$ points différents sur la même image et son image réciproque duplique donc $k$ fois chaque point.
On comprend de nombreuses informations concernant l’application conforme en visualisant l’image réciproque d’un dessin. Comme le facteur de zoom de l’image directe est la dérivée de la fonction, c’est donc son inverse en ce qui concerne l’image réciproque, car l’inverse d’une similitude de rapport $a$ est une similitude de rapport $1/a$. Ce qui est géométriquement clair, s’explique aussi par une formule impressionnante :
$(f^{-1})' = \frac{1}{f' \circ f^{-1}}$.
Ce qui saute aux yeux en particulier sont les endroits où la dérivée s’annule car le facteur de zoom devient alors infini, tout y est grotesque, très gros et dupliqué un certain nombre de fois.
Avec un peu d’habitude, on remarque également quand la dérivée est réelle positive, c’est là où l’image ne subit qu’un grossissement mais pas de rotation, et quand la dérivée est réelle négative, là où l’image est « la tête en bas ».
Vous avez sûrement déjà entendu parler de la plupart des fonctions holomorphes, les polynômes, les fonctions circulaires (sinus, cosinus, tangente), les fractions, l’exponentielle et le logarithme, mais seulement comme fonctions réelles. Elles ont en fait un sens complexe, une continuation analytique que vous pouvez visualiser. Mais si vous les regardez seulement sur la droite réelle (allant horizontalement du milieu gauche au milieu droit), vous vous apercevez que l’image est seulement « tête en haut » (là où la fonction est croissante) ou « tête en bas » (là où la fonction est décroissante), jamais penchée sur le côté. Car la dérivée d’une fonction réelle est une fonction réelle. Analyser les images sur cet axe réel peut vous aider à comprendre la fonction réelle et, par exemple, esquisser son graphe ou situer les points d’inflexion (là où le zoom est minimum ou maximum).
Inversion, pôles
Les zéros de la dérivée ne sont pas les seuls problèmes qui peuvent arriver à une fonction complexe. Elle peut aussi avoir des pôles :
On dit que l’inversion $z\mapsto 1/z$ possède un pôle simple en l’origine. À quoi ressemble-t-elle ? L’inversion échange l’intérieur et l’extérieur du disque unité : elle envoie $z=r\,e^{i\,\theta}$ sur $\frac 1z=\frac 1r\,e^{-i\,\theta}$. Si bien que les points à l’extérieur du disque unité ($r>1$) se retrouvent maintenant à l’intérieur ($\frac 1r<1$) et vice-versa.
C’est un cas particulier de transformation de Möbius $z \mapsto \frac{az+b}{cz+d}$ avec ici $a=0$, $b=1$, $c=0$ et $d=1$, mais généralement quatre nombres complexes tels que $ad - bc \neq 0$ ; elles envoient cercles et droites sur cercles et droites. En particulier les horizontales et verticales deviennent ici des cercles passant par zéro.
Comme les zéros, les pôles peuvent ne pas être simples mais d’ordre plus élevé. Ces transformations sont conformes mais ne sont pas des transformations de Möbius : les cercles ne sont généralement plus conservés qu’au niveau infinitésimal, des petits cercles sont envoyés sur de petits cercles. On peut voir un pôle double comme la limite quand deux pôles simples se rapprochent.
Logarithme et exponentielle
- L’image réciproque par le logarithme est l’image directe par l’exponentielle. Remarquez les invariances par homothétie et rotation qui correspondent aux invariances par translations horizontales, resp. verticales du réseau.
- L’image réciproque par l’exponentielle est l’image directe par le logarithme log(z). Remarquez que le disque unité déroulé se répète verticalement.
Une application très importante en analyse complexe et en cartographie est la transformation des coordonnées cartésiennes $(x,y)$’ en coordonnées polaires $(r,\theta)$. Cette transformation est réalisée par le couple de fonctions logarithme/exponentielle réciproques l’une de l’autre ($\log(\exp(z))=z$). En effet,
$\log(r\,e^{i\theta})=\log(r)+i\theta$ transforme $(r,\theta)$ en $(x=\log(r), y=\theta)$ et $\exp(x+i\,y)=\exp(x)\,e^{i\, y}$ transforme $(x,y)$ en $(r=exp(x),\theta=y)$. En images, le logarithme déroule les cercles centrés en l’origine en droites verticales et des rayons en droites horizontales. L’exponentielle au contraire, enroule les droites verticales (rouges) en cercles concentriques et les droites horizontales (vertes) en rayons passant par l’origine. Remarquez que le logarithme va vers l’infini en zéro mais beaucoup plus lentement que l’inversion.
En changeant le pas du réseau, on obtient des variations en spirales du plus bel effet. Comme les pôles et les zéros, on peut les ajouter.
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Si vous explorez vous-même ces contrées, attention au hors piste avant de vous laisser ensorceler par les spirales, sachez que, bien pire que la non conformité vous guette, la terrible discontinuité : le logarithme n’est pas une fonction de $\mathbb{C}$ dans $\mathbb{C}$ comme les autres ! En effet, comme la racine carrée et d’autres prétendues fonctions, elle ne montre qu’une face de ses nombreux visages, seulement deux pour la racine carrée, mais une infinité pour le traitre logarithme ! Son espace d’arrivée n’est pas le calme plan complexe des dessins d’enfants, mais un revêtement à plusieurs feuillets ! Vous apercevrez une de ses déterminations, vous la suivrez dans le plan, par continuation analytique, croyant tout comprendre et soudainement, quand vous croirez le saisir, il se dérobera à vos regards pour sauter à une autre détermination, un autre feuillet... Ces fonctions là ne vivent pas dans le même plan que nous... Pour les amadouer, il faut se plier à leurs dimensions, faire correspondre leur périodicité à la périodicité de votre pavage. Pour comprendre les facéties du logarithme, étudions sa réciproque, la bonne exponentielle, une fonction sans problème à première vue... quoique, en la regardant de plus près, elle cache une périodicité. En effet, une fois qu’on a fait le tour du cercle, on se retrouve au même point, donc $e^{2i\pi}=1$. Mais alors, quelle est l’image réciproque de 1, zéro comme on l’a dit au départ, ou bien $2i\pi$ ? Les deux mon général, nous revoilà avec les indéterminées qui nous avaient fait préférer l’image réciproque à l’image directe, c’est bien là le problème du logarithme : le logarithme d’un nombre complexe n’est défini qu’à un multiple entier de $2i\pi$. Pour que votre pavage par une image ait l’air continu, il faut donc que la répétition dans le sens vertical soit un diviseur de $2i\pi$ sinon il y aura forcément une coupure. Concrètement, si vous avez une image de départ de format 320x240 pixels par exemple, une fonction dont l’image réciproque vous paraitra visuellement pas moins continue que votre pavage de départ est $\log(z)\times k\times(240/320+\ell\,i)/(2\,\pi)$ avec $k>0$ et $\ell$ des entiers paramétrant le nombre de quartiers et la courbure de votre spirale logarithmique.
Rayon de convergence
- La fonction tangente a un pôle simple tous les k π/2. Elle a une singularité essentielle en l’infini.
Attention : hors piste !!
Les fonctions conformes peuvent s’écrire, hors de leurs singularités, comme la limite d’une suite de polynômes de degrés de plus en plus grands ; on dit qu’elles sont développables en série entière. Ce n’est pas banal qu’une somme infinie de nombres donne un résultat fini ! Pourtant, ça arrive, vous avez sûrement entendu parler du paradoxe d’Achille et de la tortue qui dit qu’Achille ne rattrapera jamais la tortue car il faut d’abord qu’il fasse la moitié du chemin, puis la moitié de cette moitié etc, donc une infinité de longueurs, donc une longueur infinie, si bien que le mouvement est impossible ! Il a fallu beaucoup de courage aux mathématiciens pour se persuader qu’une infinité de nombres de plus en plus petits pouvaient quand-même se sommer en une longueur finie, dit en formule, $\frac 12+\frac 14+\cdots=\sum_{k=1}^\infty\frac 1{2^k}=1$.
Et il y a une version conforme de cette formule ! C’est $\sum_{k=1}^\infty\frac {z^k}{2^k}=\frac z{2-z}$, où on retrouve l’égalité du dessus pour $z=1$.
- L’image réciproque par la série de Taylor de log(1/(1-z)) à l’ordre 7 en zéro
- c’est-à-dire par le polynôme $z+z^2/2+z^3/3+z^4/4+z^5/5+z^6/6+z^7/7$
Attention cependant, toutes les longueurs, même tendant vers 0 ne se somment pas toujours ! Essayez pour voir $\sum_{k=1}^\infty\frac 1k$, vous verrez qu’elle tend vers l’infini. Et elle a elle aussi son pendant conforme :
$\sum_{k=1}^\infty\frac {z^k}{k}=\log\frac 1{1-z}$, qui n’est pas définie pour $z=1$ où la fonction a une singularité, mais qui se somme bien pour $|z|<1$. Par contre, le terme général $z^k/k$ tend vers l’infini dès que $|z|>1$, par exemple pour $z=2$, $2^4/4=4$, $2^8/8=32$, donc la somme a encore moins de chance d’être bien définie.
En effet, ces équations entre des fonctions complexes et leur séries de Taylor ne sont pas tout le temps vraies ! Ces séries ne convergent pas pour n’importe quel nombre complexe $z$, elles admettent un rayon de convergence, autour d’un point où c’est vrai, il y a toujours un petit disque dans lequel c’est encore vrai. La comparaison des images réciproques de la fonction tangente et de sa série de Taylor, tronquée à un certain ordre, permet de comprendre visuellement cette notion par leurs images réciproques. Les deux images sont très proches à l’intérieur d’un disque, qui va s’agrandir à mesure que le degré de la série augmente, et sa limite touchera les deux pôles en $\pm\pi/2$ qui sont à gauche et à droite de part et d’autre de l’origine. Vous reconnaissez dans l’image réciproque par la tangente un pôle en ces deux points.
Singularité essentielle
Attention : hors piste !!
Les fonctions analytiques souffrent encore d’autres types de singularités. La singularité essentielle $z\mapsto e^{1/z}$ par exemple est nulle pour $z=0^-$ (c’est comme ça qu’on appelle zéro quand on l’approche par la gauche), avec accumulation de zéros, et indéterminée pour $z=0^+$ (zéro mais vu de la droite) avec accumulation de pôles.
Vous pouvez voir l’accumulation de zéros en « zoomant » sur la singularité et plus vous vous rapprochez, plus vous voyez, sur la gauche de la singularité, des pointes vertes pointant vers le bord déplié du cadran. Pour ce qui est de l’accumulation des pôles... on ne voit pas grand chose d’autre qu’un amas grisâtre (et un joli effet de moire quand on se rapproche, une pépite à sérieusement raffiner si on veut la monter en bijou) !
Références
- Vous pouvez jouer avec cette application en utilisant vos propres images fixes en utilisant cette applet.
- Si vous avez une webcam quicktime (sous macosX par exemple), vous pourrez également déformer les images provenant en direct de votre webcam avec l’applet webcam conforme. Vous pouvez utiliser cette applet lors de vos cours ou de journées portes ouvertes si vous êtes un enseignant.
- Si vous avez aimé, vous adorerez le DVD « Dimensions » de Jos Leys, Étienne Ghys et Aurélien Alvarez, dont les chapitres 5 et 6 en particulier illuminent ce que vous venez de lire.
A voir, également :
- Analyse Complexe de Michèle Audin, Université Louis Pasteur, Strasbourg.
- Visual Complex Analysis de Tristan Needham, Université de San Francisco en Californie.
- H. Cartan Théorie élémentaire des fonctions analytiques d’une ou plusieurs variables complexes, Enseignement des sciences, Hermann, Paris, 1961.
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Pour citer cet article :
Christian Mercat — «Applications conformes» — Images des Mathématiques, CNRS, 2009
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le 28 avril 2010 à 18:47, par Christian Mercat