[Rediffusion d’un article publié en 2010]
Calendriers et fractions continues
ou Pourquoi pouvait-on naître un 29 février en l’an 2000 et pas en 1900 ?
Piste bleue Le 21 avril 2022 Voir les commentaires (3)
Ce texte a été écrit à la suite d’une conférence que je fais régulièrement à des classes de collégiens ou lycéens dans le cadre de la fête de la science à Orsay.
Au départ, c’était en 1998 ou 1999, à la radio, des journalistes relataient une grave interrogation des fabricants de calendriers :
Y aurait-il un 29 février en l’an 2000 ?
Certains soutenaient que comme en 1900 ou 1800, cette année ne serait pas bissextile ; d’autres au contraire, affirmaient que 2000 était une année à part...
Mais au fait, pourquoi dit-on année « bissextile » ? et depuis quand ?
Toutes ces questions étaient un très bon prétexte pour se pencher sur l’histoire de notre calendrier et donc, pour la mathématicienne que je suis, d’introduire les fractions continues.
Tous les jeunes qui sont venus au département de mathématique ou que je
suis allée voir dans leur établissement sont arrivés avec une calculette et un crayon et ont fait les calculs que l’on fera plus loin jusqu’au bout. La plupart du temps, ils étaient accompagnés de leur professeur de mathématique, quelquefois ils sont venus aussi avec leur professeur d’histoire qui s’est permis de m’aider à enrichir la partie historique de l’exposé mais a aussi fait comme les autres : il a sorti sa calculette et son crayon et a fait les calculs jusqu’au bout en avouant à la fin que « ce n’était pas si simple quand on n’avait pas fait de maths depuis longtemps »... et je crois que l’ambiance dans la salle a totalement changé.
Les questions que me posent les élèves à l’issue de l’exposé sont toujours de deux sortes : d’une part, ceux qui connaissent déjà un autre calendrier veulent que je leur explique et là je ne sais que conseiller certains livres où cela est assez bien expliqué ; d’autre part, ils veulent en général tout de suite généraliser le développement en fractions continues à d’autres nombres, là c’est pour moi bien plus facile, on introduit certains nombres célèbres tels $\pi$, ${\sqrt 2}$, le nombre d’or ou s’ils sont plus savants $e$, on reprend la calculette et le crayon et on fait des maths...
I - Les différents types de calendriers
De tout temps, les peuples ont eu besoin de se repérer dans le temps,
d’abord en comptant les jours, puis en observant le ciel et plus particulièrement la lune et le soleil.
Les calendriers lunaires
Les premiers calendriers ont d’abord été lunaires. En effet, le cycle de la lune est très facile à observer, on peut
repérer aisément ses changements de phase. (Pleine Lune, Nouvelle Lune, Premier et Dernier Quartier).
De plus, la marche des saisons revient à peu près à 12 lunaisons (ce qui fait 354 jours).
On s’est d’abord servi de calendriers lunaires en Mésopotamie, en Egypte, en Grèce, à Rome, en Chine. Ces calendriers
comportaient 12 mois de 29 ou 30 jours alternés de façon à suivre les lunaisons (un mois lunaire dure à peu près 29,53 jours). A Babylone, quand l’écart
avec les saisons devenait trop génant, le souverain promulguait l’ajout d’un mois supplémentaire.
Actuellement, le calendrier lunaire le plus connu est le calendrier musulman. Il comprend 12 mois de 30 et 29 jours. Le dernier
mois de l’année a une durée variable de 29 ou 30 jours pour mieux s’adapter aux mouvements de la lune (c’est à cause du 29,53
et non 29,5). Dans un cycle de 30 ans, il y a 19 années communes (le dernier mois de l’année a 29 jours) et 11 années abondantes
(le dernier mois de l’année a 30 jours). Tous les ans, les mois reculent par rapport aux saisons (de 10 ou 11 jours), le calendrier musulman ne suit pas du tout les saisons. La correspondance entre le calendrier
musulman et le calendrier grégorien (celui utilisé tous les jours) se reproduit tous les 34 ans.
Les calendriers lunaires conviennent très bien aux peuples nomades et à ceux qui vivent de la mer. Ils posent des problèmes
pour les cultivateurs car ils se décalent par rapport aux saisons.
Les calendriers luni-solaires
Certains peuples ont tenté d’ajuster leur calendrier lunaire à l’année solaire en rajoutant si nécessaire des mois
supplémentaires. Méton (astronome grec du 5ème siècle avant Jésus-Christ) a remarqué que 19 années solaires
correspondent à 235 mois lunaires. Comme $19\times 12=228$, il faut donc rajouter 7 mois en 19 ans pour mettre en phase le calendrier
lunaire avec l’année solaire.
Actuellement, les juifs utilisent un calendrier luni-solaire.
Pendant longtemps, les hébreux rajoutaient (si nécessaire) un mois supplémentaire avant la fête de Pâque, Pessah, qui doit avoir lieu au
printemps. Ils faisaient cela de façon empirique, ils regardaient si l’orge qui sert à la fête serait mûre pendant le mois
de Nisan (celui de Pessah), sinon ils doublaient ce mois.
En 359 après JC, le calendrier hébraïque est réformé en utilisant le cycle de Méton, de façon à ce que tous les
juifs fêtent Pâque ensemble.
Les calendriers luni-solaires sont en fait très compliqués et ne sont pas bien adaptés aux peuples qui vivent essentiellement
de l’agriculture, par exemple, les semis se font à des dates très précises. Il leur est plus facile de vivre avec un
calendrier solaire.
Les calendriers solaires
Ils sont apparus beaucoup plus tard, pour la simple raison qu’il est plus facile de se rendre compte du cycle lunaire que
de celui des saisons. Les calendriers égyptien et maya sont les plus anciens calendriers solaires connus.
Actuellement nous utilisons un calendrier solaire, c’est le calendrier grégorien.
II - Un rapide aperçu de l’histoire du calendrier grégorien
La terre tourne autour du soleil en à peu près un an. Ce à peu près fait apparaître des
décalages sensibles plus ou moins rapidement.
En Égypte : le calendrier vague
Au départ, les égyptiens avaient un calendrier de 12 mois de 30 jours qui étaient divisés en trois décades.
Très vite, ce peuple qui vivait essentiellement de l’agriculture s’est rendu compte que la crue du Nil se
décalait tous les ans. Ils ont rajouté 5 jours épagomènes (littéralement : "les cinq qui sont
au dessus de l’année") à la fin de leur calendrier.
Beaucoup plus tard, ils se sont rendus compte que leur calendrier n’était pas encore assez précis : une fois
par an, l’étoile Sirius se levait à l’aplomb du soleil levant et cela précédait de peu la crue du Nil.
Ce phénomène se reproduisait tous les 365 jours pendant 3 ans de suite et un jour plus tard l’année
suivante.
L’année est donc trop courte de un quart de jour par an. Cependant, il y eut une très forte opposition des
prêtres en Egypte, les égyptiens ont donc gardé leur calendrier de 365 jours.
On l’appelle le calendrier vague. Le calendrier ne se décalait cependant pas trop car les rois rajoutaient
des jours de fête supplémentaires quand ils estimaient que cela était nécessaire.
A Rome : le calendrier julien
Avant d’inventer le calendrier julien, les romains utilisaient un calendrier luni-solaire : une année de 355 jours, répartie en 12 mois. Tous les deux ans, un mois supplémentaire était ajouté afin d’éviter un trop grand décalage dans les saisons. Cependant, pour allonger leur mandat, certains consuls (ils étaient élus le premier jour de l’année) ont abusé de ce mois supplémentaire, ainsi en 46 avant Jésus-Christ, le calendrier romain avait trois mois d’avance sur le cycle des saisons.
Jules César impose alors un changement de calendrier, il suit les recommandations des astronomes d’Alexandrie et impose un calendrier solaire avec un cycle de 4 ans : 3 années de 365 jours et 1 année de 366 jours.
On notera que le calendrier romain diffère du calendrier égyptien dans le
découpage en mois, il comprend 7 mois de 31 jours, 4 mois de 30 jours et un mois de 28 jours. Ce mois (février)
est plus court et sert au culte des morts.
Il est donc par tradition et aussi par superstition plus court que les autres.
Jules-César (et Sosigène son astronome) réussit à imposer des années de 365 ou 366 jours. Ce jour supplémentaire a été subtilement rajouté au mois de février : par superstition du peuple romain, il ne fallait surtout pas que le mois de février
devienne plus long et donc ce jour suplémentaire est intercalé entre le 23ème et le 24ème jour. Ainsi, on double le sixième jour avant les calendes de mars. Ce qui explique le nom de ces années
plus longues que les autres : bissextile.
Il faut remarquer qu’au temps de Jules-César, les mois ne sont pas découpés en semaines. Les jours particuliers des mois sont les Calendes (le premier jour du mois), les Nones (le 5ème jour du mois sauf pour les mois de mars, mai, juillet et octobre où c’est le 7ème jour) et les Ides qui ont lieu 8 jours après les Nones. Les romains comptaient les jours à l’envers à partir de ces trois jours là. Ainsi le 24 février est le sixième jour avant les Calendes du mois de mars.
Le découpage de l’année en semaines (comme nous le connaissons) se fera plus tard. Pendant les premiers siècles, les chrétiens rythmèrent
la succession des jours du calendrier romain par des semaines de 7 jours, celles-ci sont inspirées du calendrier juif. Progressivement, l’Empire romain adopte le rythme de la semaine et un jour de repos exclusivement consacré à Dieu. En 321, l’empereur Constantin interdit les activités publiques dans les villes le dimanche. Les semaines s’imposent donc et à peu de chose près, nous utilisons le même calendrier qu’à la fin de l’empire romain.
C’est le calendrier julien, il est resté en usage très longtemps. Les russes l’utilisaient encore en 1917.
Il faut quand même remarquer que pendant lontemps, les calendriers étaient juste sculptés sur les monuments (pour être publics). On en trouve sur des pyramides en Égypte, sur le porche de certaines églises. Ce n’est qu’à la fin du XIIIème siècle qu’apparaissent les livres d’heures : en gros, ce sont de bréviaires pour de riches lettrés laïcs. Les calendriers dessinés dedans ne sont pas encore tels que nous les connaissons : les jours sont « numérotés » A, B, ..., G, A, ... à partir du 1er janvier (l’imprimerie n’existant pas encore, cela permettait d’utiliser le livre d’heures toute une vie quand on avait la chance d’en posséder un). Pour connaître la correspondance entre une date et un jour de la semaine, il faut connaître la lettre dominicale de l’année, c’est la lettre du 1er dimanche de janvier (et celle de tous les dimanches pour les années de 365 jours, pour les années bissextiles il faut en changer à la fin du mois de février).
Voici une photo du mois de janvier des « Très Riches Heures du duc de Berry » si vous voulez voir tous les mois, il faut aller sur le site néerlandais de wikipedia.

Au XIVème siècle, les almanachs apparaissent et au XVIème siècle, ils se multiplient avec l’essor de l’imprimerie.
Le calendrier devient de plus en plus accessible et les hommes commencent à savoir se situer dans le temps. Vers 1550, en Allemagne, des calendriers historiques (c’est-à-dire calendriers de l’année en cours) apparaissent. Au XVIIème siècle, le calendrier (sous forme du tableau dont nous avons l’habitude) est utilisé pour organiser l’avenir et au XIXème siècle les agendas se répandent et permettent de prévoir les activités à venir.

L’Église catholique : le calendrier grégorien
À partir du moment où les empereurs romains se convertissent au catholicisme, le pouvoir appartient à l’Église. Comme toutes les civilisations
précédentes, elle veut asseoir son pouvoir en adaptant le calendrier. Une des méthodes les plus efficaces
est de transformer les fêtes déjà existantes en fêtes religieuses. Les romains avaient leurs principales fêtes aux solstices d’hiver (la durée de la nuit de ce jour est la plus longue de l’année) d’été (c’est le jour qui a la nuit la plus courte de l’année) et aux équinoxes (la durée du jour et de la nuit sont égales) de printemps et d’automne. Ainsi, elle place :
— Noël, le 25 décembre, auparavant on fêtait la naissance du soleil invaincu au solstice d’hiver, (qui a lieu effectivement le 25 décembre à l’époque de Jules-César).
— L’annonciation et la fête de l’archange Gabriel, le 25 mars, auparavant on fêtait l’équinoxe de printemps.
— La saint Jean-Baptiste, le 24 juin, auparavant on fêtait le solstice d’été.
— La saint Michel, le 29 septembre, auparavant on fêtait l’équinoxe d’automne.
La grande fête religieuse de Pâques est une fête mobile qui a lieu au printemps, un dimanche, pendant la
période de pleine lune qui suit l’équinoxe de printemps. Il est donc très important de connaître de façon précise la date de l’équinoxe de printemps.
En 325, l’équinoxe de printemps a lieu le 21 mars au lieu du 25 mars, le concile de Nicée fixe donc définitivement la date de l’équinoxe de
printemps au 21 mars. Il faut quand même noter qu’il y a un décalage de 3 ou 4 jours avec l’équinoxe fixée
par Jules-César et Sosigène. Les pères de l’Église expliquent que c’est Sosigène qui s’est trompé.
Mais en 1582, soit 1257 ans après, l’équinoxe de printemps a lieu le 11 mars, il s’est donc produit un décalage de 10 jours en 1257 ans. Pour éviter que cela ne se reproduise, le pape
Grégoire XIII impose donc un rattrapage du calendrier, l’année 1582 n’a que 355 jours et à Rome, le lendemain du jeudi 4
octobre fut le vendredi 15 octobre. Il décide aussi de supprimer 3 jours en 400 ans donc de supprimer le
caractère bissextil des années multiples de 100 et non multiples de 400. Ainsi 1600 et 2000 sont bissextiles alors que 1700, 1800 et
1900 ne le sont pas.
C’est le calendrier grégorien que nous utilisons encore.
Le calendrier grégorien a été très progressivement adopté par presque tous les pays. En France (qui à l’époque ne comprend pas encore le Nord, la Lorraine, l’Alsace, la Franche-Comté, la Savoie et le Comté de Nice), sous Henri III, le lendemain du dimanche 9 décembre 1582 est le lundi 20 décembre 1582. L’URSS a par exemple abandonné le calendrier julien pour le calendrier grégorien en 1918.
III - Retrouvons mathématiquement tous ces résultats empiriques
On va voir maintenant que si on connaît de façon précise la durée d’une année, on peut faire tous les
calculs pour constater que le calendrier grégorien (obtenu par tâtonnements successifs) est finalement très précis.
Il existe plusieurs façons de définir une année, si vous voulez en savoir plus, allez lire l’article où Étienne Ghys nous présente ses vœux.
Ici, on va prendre la durée qui s’écoule entre deux équinoxes de printemps et on dira que
la terre tourne
autour du soleil en :
365 jours 5 heures 48 minutes et 46 secondes ou en 365,24220 jours.
On va maintenant chercher les meilleures fractions rationnelles (des nombres de la forme ${p\over q}$ où $p$ et
$q$ sont des entiers) qui approchent 365,24220.
Bien entendu la première fraction qui vient à l’esprit c’est 365 =${365\over 1}$. C’est le calendrier vague des
égyptiens.
En fait pour que les calculs soient plus faciles, on va chercher des fractions de la forme $365+{p\over q}$
où $p$ et $q$ sont des entiers et $p$ est plus petit que $q$.
On peut le faire avec le développement décimal des nombres. Mais d’abord ce n’est pas une méthode très
précise, vous la connaissez déjà et j’ai envie de vous raconter un peu des maths que je fais. On va donc utiliser le
développement en fractions continues des nombres. C’est une méthode très ancienne, Euclide la connaissait
déjà, il a par exemple calculé comme cela de très bonnes approximations du nombre $\pi $. Elle n’est pas très compliquée, on peut l’utiliser par exemple pour faire des calculs sur
machine, car le développement en fractions continues d’un nombre prend autant de place que le développement décimal dans un ordinateur.
Comment s’y prend-t-on ?
On cherche donc une fraction qui approche très bien 365,24220. On la veut sous la forme $365+{1\over p}$.
On remarque que :
\[365+{1\over 5}<365,24220<365+{1\over 4},\]
On a même mieux :
\[365,24220=
365+{1\over 4+\dots\dots}.\]
On retient $365+{1\over 4}$ c’est le calendrier julien : une année bissextile toutes les 4 années.
Maintenant, on recommence avec le petit reste qui est apparu. On cherche une fraction de la forme $4+{1\over p}$
qui approche très bien $4+ \dots\dots$.
On a :
\[4+{1\over \dots }< 4+ \dots\dots\ <4+{1\over \dots }.\]
Et donc en faisant attention au sens des inégalités, on obtient :
\[365+\frac{1}{4+\frac{1}{ 7}}<365,24220<365+\frac{1}{4+\frac{1}{ 8}}.\]
C’est la même chose que :
\[
365+{7\over 29}<365,24220<365+{8\over 33}.
\]
Il n’est pas difficile de voir que 365,24220 est plus proche de $365+{8\over 33}$ que de $365+{7\over 29}$, on va donc garder l’approximation $365+{8\over 33}$.
Vérifions maintenant que la fraction $365+{8\over 33}$ donne le calendrier grégorien.
On sait que le calendrier grégorien est basé sur un cycle de 400 ans. On va donc comparer le nombre de jours qui se sont passés en 400 ans avec celui obtenu avec cette fraction.
On remarque $400=4(33\times 3+1)$.
Ainsi, si l’année dure $365+{8\over 33}$ jours, alors en 400 ans, il s’est écoulé
$(365+{8\over 33})\times 400=365\times 400+3\times 32+{32\over 33}$ jours, ce qui est très proche de $ 365\times 400+97$ jours.
En 400 ans, le calendrier grégorien compte $365\times 400+97$ jours.
Enfin, pendant ce temps, il se sera écoulé :
\[365,24220\times 400=365\times 400+ \dots\dots\mbox{ jours}.\]
C’est presque le bon nombre de jours et on obtient bien le calendrier grégorien une année de 365 jours, tous les 4 ans
une année bissextile et on en supprime 3 tous les 400 ans.
Mais, il faut encore supprimer une année bissextile tous les 5000 ans environ. On le voit par exemple en comptant le
nombre de jours qui se sont écoulés en 10000 ans.
\[365,24220\times 10000=3652422,0 \mbox{ jours et }
(365+{8\over 33})\times 10000=3652424,24 \mbox{ jours.}\]
Entre l’an 2001 et l’an 12000, il y aura 3650000+(2500-1)-75=3652424 jours dans le calendrier grégorien, donc 2 jours de trop.
Cependant le temps de rotation de la
terre autour du soleil n’est pas constant. (La terre met en gros 5 secondes de moins pour tourner autour du soleil qu’il y a 1000 ans.)
Le calendrier grégorien est donc, à l’échelle humaine et historique, bien assez précis.
IV - Développements en fractions continues de quelques nombres célèbres
Développement en fractions continues de $\pi$
Une calculatrice donne comme valeur approchée : \[\pi=3,141592654\dots\]
On fait le même genre de calculs que ceux que l’on vient de faire pour 365,2422, on trouve
\[\pi= 3+{1\over 7+{1\over 15+{1\over 1+{1\over 293+\dots}}}}\]
Ce qui donne les approximations rationnelles suivantes :
$\bullet$ $3$ c’est l’approximation des cantonniers quand ils comptent le nombre de plants à acheter pour faire le tour d’un massif rond dont ils connaissent le diamètre.
$\bullet$ $3+{1\over 7}={22\over 7} $ et ${22\over 7}\simeq \underline{3,14}285\dots.$ C’est l’approximation connue des écoliers quand les calculettes n’existaient pas.
$\bullet$ $ 3+{1\over 7+{1\over 15}}={333\over 106}$ et ${333\over 106}\simeq \underline{3,1415}094\dots.$
$\bullet$ $3+{1\over 7+{1\over 15+{1\over 1}}}={355\over 113}$ et ${355\over 113}\simeq \underline{3,141592}92\dots.$
$\bullet$ $ 3+{1\over 7+{1\over 15+{1\over 1+{1\over 293}}}}={103993\over 33102}$ et ${103993\over 33102}\simeq\underline{3,14159265}39\dots$
Ainsi, en 5 étapes, on obtient les 9 premiers chiffres significatifs de $\pi$.
Développement en fractions continues du nombre d’or
Dans un carré d’aire 1, on découpe un grand rectangle, un petit rectangle et un petit carré comme sur le dessin.
On cherche $x$ tel que le rapport des largeurs et des longueurs des rectangles soient égaux. Ce nombre $x$ est appelé nombre d’or.
On veut donc :
\[{{1\over x}\over 1}={1-{1\over x}\over{1\over x}}(=x-1),\] c’est-à-dire ${1\over x}=x-1,$
donc :
\[x=1+{1\over x}=1+{1\over 1+{1\over x}}=1+{1\over 1+{1\over 1+{1\over x}}}
=\dots=1+{1\over 1+{1\over 1+{1\over 1+{1\over 1+\dots}}}}\simeq 1,618 033 989\dots\]
On retrouve ce nombre un peu partout, en architecture, en biologie, en dessin, en mathématique..., par exemple dans un problème célèbre de prolifération des lapins dû au mathématicien italien Léonard de Pise dit FIBONACCI (1175 - 1240) :
« Combien de couples de lapins obtiendrons-nous à la fin de chaque mois si commençant avec un couple, chaque couple produit chaque mois un nouveau couple, lequel devient productif au second mois de son existence ? »
La suite des fractions qui approchent le nombre d’or est alors :
\[1, 2,{3\over 2}, {5\over 3}, {8\over 5}, {13\over8}, {21\over 13}, {34\over 21},\dots\]
Pour en savoir bien plus sur le nombre d’or, vous pouvez aller lire l’article de Pierre de la Harpe.
Développement en fractions continues de $\sqrt {2}$
On peut définir ce nombre comme la longueur du côté d’un carré d’aire 2. Une valeur approchée de $\sqrt{2}$ très précise est par exemple : \[1,41421356237309048801688724209698078569671875376948073176679737990732478\dots\] Dans la suite on se contentera de la valeur approchée suivante : \[\sqrt {2}=1,414213\dots=1+0,414213\dots\]
Alors
\[0,414213\dots={1\over 2,414213\dots}={1\over 2+ 0,414213\dots} ={1\over 2+ {1\over 2+ 0,414213\dots}}=\dots={1\over 2+{1\over 2+ {1\over 2+{1\over 2+{1\over 2+ {1\over 2+ \dots}}}}}}.\]
Ainsi on obtient \[\sqrt {2}=1+{1\over 2+{1\over 2+ {1\over 2+{1\over 2+{1\over 2+ {1\over 2+ \dots}}}}}}.\]
V - Allons voir plus loin
On peut développer en fractions continues n’importe quel nombre réel : disons qu’il s’appelle $x$.
On cherche l’entier $a_{0}$ tel que $x$ s’écrit $a_{0}+x_{0}$ avec $x_{0}$ compris entre 0 et 1.
Le but de la manœuvre est de réussir à écrire $x$ sous la forme \[x=a_{0}+{1\over a_{1}+{1\over a_{2}+{1\over a_{3}+...}}}.\]
Pour calculer les nombres entiers $a_{1},$ $a_{2}$, $a_{3}$,... qui vont apparaître, on fait la manipulation suivante (c’est exactement celle qu’on a faite avec la calculette avant) :
— On calcule ${1\over x_{0}}$ (c’est un nombre réel plus grand que 1).
— On l’écrit sous la forme partie entière + partie décimale : ${1\over x_{0}}=a_{1}+x_{1}.$
— On a alors : $x_{0}={1\over a_{1}+x_{1}}$ et donc $x=a_{0}+{1\over a_{1}+x_{1}}$.
On peut voir $x_{1}$ comme un petit reste : un nombre entre 0 et 1 avec lequel on peut recommencer.
Donc on calcule ${1\over x_{1}}$ (c’est un nombre réel plus grand que 1).
On l’écrit sous la forme partie entière + partie décimale : ${1\over x_{1}}=a_{2}+x_{2}.$
On a alors : $x_{1}={1\over a_{2}+x_{2}}$ et donc $x=a_{0}+{1\over a_{1}+{1\over a_{2}+x_{2}}}$.
On peut voir $x_{2}$ comme un petit reste : un nombre entre 0 et 1 avec lequel on peut recommencer...
Et on peut recommencer...
... à l’étape $n$, on trouve \[x=a_{0}+{1\over a_{1}+{1\over a_{2}+{1\over a_{3}+{1\over\ddots+{1\over a_{n}+x_{n}}}}}}.\]
Remarque : Je n’ai pas été précise, il se peut qu’à une étape, disons l’étape $n$, on ne puisse pas calculer ${1\over x_{n}}$ car $x_{n}$ est nul. Ce n’est pas grave, mais c’est tout à fait normal, c’est juste le signe que le nombre dont on est parti est rationnel (donc dès le départ une fraction).
La manipulation que l’on vient de faire (ou celle qu’on a faite avec la calculette avant) est ce qu’on appelle l’algorithme des fractions continues. Elle est
très puissante car l’erreur commise entre un réel et son approximation par un rationnel est la plus petite possible parmi toutes les
façons d’approcher un réel par un rationnel.
Regardons l’exemple de $\pi$ pour voir ce qui ce passe. On se donne une borne entière, pour fixer les idées, prenons 1000. Si maintenant on cherche la fraction rationnelle dont le dénominateur ne dépasse pas 1000 et qui est la plus proche de $\pi$, on trouve ${355\over 113}$, c’est une des approximations que l’on a obtenue en développant $\pi$ en fractions continues. Alors, l’écart entre $\pi$ et cette aproximation est $\vert\pi-{355\over 113}\vert\sim 0,0000003$ qui est plus petit que ${1\over 1000000}={1\over 1000^2}$, donc au moins les 5 premières décimales de $\pi$ et de son approximation sont les mêmes (en fait ici les 6 premières décimales de $\pi$ et de ${355\over 113}$ coïncident).
À titre de comparaison, si on approche $\pi$ par le début de son développement décimal $3,141={3141\over1000}$, alors l’écart entre $\pi$ et son approximation est en gros de 0,0006 et donc de l’ordre de ${1\over 1000}$. Pour avoir une approximation de $\pi$ avec les développements décimaux avec la précision obtenue à l’aide de ${355\over 113}$, il faut approcher $\pi $ par $3,141592={3141592\over1000000}$. Clairement, la fraction ${355\over 113}$ est bien plus économique que ${3141529\over 1000000}$.
Ce que je viens d’expliquer pour $\pi$ et la borne 1000 est vrai pour n’importe quel nombre $x$ et n’importe quelle borne $Q$ : la fraction rationnelle la plus proche de $x$ qui a un dénominateur plus petit que $Q$ est une des fractions obtenues en développant $x$ en fractions continues. Cette fraction approche $x$ avec une précision de ${1\over Q^2}$.
L’usage de cet algorithme est très ancien, des mathématiciens indiens l’utilisent dès le VIème siècle. Il apparaît en Europe au milieu du XVIème siècle.
La terminologie française est la transformation de la terminologie latine introduite par John Wallis en 1655, « Nempe si unitati adjungatur fractio, quae denominatorem habeat continue fractum. » On aurait pu faire comme les
anglo-saxons qui disent « continued fractions » et parler de « fractions continuées », mais cet usage ne s’est absolument pas imposé. Christaan Huygens découvre à peu près à la même époque que les fractions continues sont l’outil idéal pour déterminer le nombre de dents que doivent contenir les roues des engrenages dans l’horlogerie.
Il n’est pas difficile de se convaincre que si on fait une erreur dans la saisie du nombre $x$ quand on le rentre dans la calculatrice, on obtient un développement en fractions continues très différent de celui attendu. Par exemple si au lieu de taper 0,123456789 qui a pour développement en fractions continues \[{1\over 8+{1\over 9+{1\over 1+{1\over135665+\cdots}}}},\]
on tape 0,1234566789, on trouve \[{1\over 8+{1\over 9+{1\over 1+{1\over1369+{1\over 2+\cdots}}}}}.\]
Les erreurs se propagent comme ici très vite. Alors si on veut des résultats valables en général, il vaut mieux montrer des résultats statistiques pour cet algorithme. La première question qu’on se pose en mathématique (ou en physique) est la suivante : si on prend un point $x$ au hasard dans l’intervalle $[0,1]$, les restes $x_n$ (qui apparaissent à chaque étape de l’algorithme) se répartissent-ils aussi au hasard dans l’intervalle $[0,1]$ ?
Les mathématiciens savent depuis très longtemps, en fait depuis Gauss (1777-1855) que les $x_{n}$ vont se répartir suivant la mesure invariante et ici suivant la mesure de Gauss (celle qui a pour densité la fonction définie par $h(x)={1\over \ln 2}{1\over 1+x}$).
Cette fonction $h$ a le graphe suivant :
En mathématique, la donnée d’une transformation (ici on transforme $x_{1}$ en $x_{2}$ et on parle de la « transformation de Gauss ») et de sa mesure invariante est ce qu’on appelle un système dynamique (mesuré). Les propriétés de la transformation de Gauss sont étudiées depuis fort longtemps. Vers 1930, Alexandre Khintchine et Paul Lévy ont beaucoup étudié les propriétés statistiques de cette transformation.
Actuellement, la transformation de Gauss sert beaucoup comme système dynamique test. On ne sait certes pas tout sur cette transformation, mais souvent on peut espérer tester des conjectures sur les systèmes dynamiques sur cette transformation. En effet, avec elle, les calculs sont relativement abordables à la main ou à l’aide d’un ordinateur. Cette transformation a une autre utilité : quand on sait faire une démonstration pour elle, on aura été obligé de déployer des techniques telles qu’ensuite on sera capable de faire la même démonstration pour une classe bien plus grande de systèmes dynamiques.
Pour généraliser encore, je vais maintenant présenter une question encore ouverte dans un sujet de recherche assez voisin : l’approximation simultanée.
On cherche à approcher en même temps deux nombres disons qu’ils s’appellent $x$ et $y$ par des fractions. C’est-à-dire, on cherche des fractions ${p\over q}$ et ${r\over q}$ avec le même dénominateur (=$q$) qui vont approcher de mieux en mieux $x$ et $y$.
Ce problème n’est pas sorti tout droit de l’imagination d’un mathématicien qui a envie de généraliser au cas de deux nombres ce qu’il sait faire pour un seul. On peut déjà voir apparaître ce problème en se posant la question suivante sur les calendriers :
comment faire un calendrier luni-solaire précis. Il faudra savoir approcher simultanément le mois lunaire 29,53 jours et l’année solaire 365,24220 par des fractions et c’est bien plus compliqué qu’avec un seul nombre.
Un algorithme analogue à celui des fractions continues a été proposé par Jacobi dans la première partie du XIXème siècle.
L’étude de cet algorithme était le sujet de doctorat d’Oscar Perron, sa thèse a été publiée en 1907. Depuis les travaux de Fritz Schweiger, en 1973, on sait qu’il existe une mesure analogue à la mesure de Gauss. J’ai contribué à l’étude des propriétés de sa densité (l’analogue de la fonction $h(x)={1\over \ln 2}{1\over 1+x}$ pour l’algorithme des fractions continues) dans mon travail de thèse en 1994. On connaît suffisamment de propriétés de cette densité pour pouvoir montrer des propriétés très fines et très difficiles de l’algorithme de Jacobi-Perron (cf l’article que j’ai écrit avec Yves Guivarc’h en 2001). Par contre, on ne connaît absolument pas de formule exacte pour cette fonction. À l’aide de calculs sur ordinateurs, on sait juste donner une allure de son graphe, c’est ce qu’ont fait dans leur mémoire de M1 (initiation à la recherche, 4ème année d’université) Pierre Lofredi et Jean-Baptiste Midez, deux étudiants de Pierre Arnoux en mai 2009. Voilà l’allure qu’ils ont obtenue :

Quelques références
A. Shimony, Le Trou dans le Calendrier, le Pommier, nouvelle édition 2006, (un roman facile à lire avec deux annexes sur l’astronomie).
S. Baussier, M. Angeli, Petite Histoire du Temps, SYROS jeunesse, 2002, (explique rapidement les différents calendriers utilisés
actuellement, s’adresse à des collégiens).
P. Couderc, Le Calendrier, Que sais-je ?, n. 203, PUF, 1946.
J. de Bourgoing, Le Calendrier Maître du Temps ? Découvertes Gallimard, n. 400, 2000, (le plus attrayant).
P. de La Cotardière, Le Monde du Temps, Circonflexe, 1997, (le plus facile).
H. M. Enzensberger, Le Démon des Maths, Editions du Seuil, Métailié Paris, 1997, (un roman où on apprend plein de choses sur les maths, en particulier sur les lapins de Fibbonacci, le nombre d’or et la suite 1,1,2,3,5,8,13,21,34,...)
J. Lefort, La Saga des Calendriers, Belin, Pour la Science, 1998, (beaucoup plus difficile).
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Pour citer cet article :
Anne Broise — «Calendriers et fractions continues» — Images des Mathématiques, CNRS, 2022
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