Débuter dans le métier d’enseignant-chercheur
Piste verte Le 24 avril 2010 Voir les commentaires (4)
Ce texte a été rédigé à l’occasion d’un témoignage lors de la deuxième édition de la journée d’accueil
des nouveaux maitres de conférences en
mathématiques, le 26 janvier 2007. Il a été remanié pour s’adresser à tout le monde.
L’essentiel des mathématicien-ne-s professionnel-le-s en France travaillent au sein des universités, comme enseignants-chercheurs (le nom est explicite). Le premier grade de ce métier est « Maître de conférences », le grade supérieur étant ensuite « Professeur d’Université ».
Pour nombre de jeunes doctorant-e-s et docteurs, obtenir un poste de maître de conférences, c’est le rêve.
Pour le quidam extérieur au monde de la recherche, un-e maître de conférences,
c’est quelqu’un qui est bien payé-e, pour un métier agréable, et qui n’a pas de chef. Le rêve, non ?
Tout cela étant dit, pourquoi tant de problèmes, si souvent, lorsqu’on débute dans ce métier, qui est, pour résumer, exaltant, mais exigeant, et si difficile...
Présentation
Je suis maîtresse de conférences à Amiens au sein du L.A.M.F.A. (laboratoire amiénois de mathématique fondamentale et appliquée) à l’Université de Picardie Jules Verne, depuis septembre 2004, après une
thèse (doctorat) à l’Université d’Orléans entre 2000 et 2003.
Mon domaine de recherche est la théorie ergodique (i.e. l’étude du comportement statistique des trajectoires d’un système qui évolue de manière chaotique au cours du temps).
Beaucoup de thèmes me sont venus à l’esprit en préparant ce témoignage. J’ai hésité à tous les présenter. Finalement, je parlerai de tout, car ça donnera une bonne image de la façon dont je ressens ce métier... je suis débordée !
L’arrivée au labo
Découvrir un nouveau laboratoire, une nouvelle université, nouveaux locaux, nouvelles personnes, organisations... tout cela prend du temps. Je suis passée d’une UFR (Unité de formation et de recherche) à une faculté ... c’est pareil, il suffit de le comprendre.
Au début, on savoure le fait d’être enfin en C.D.I. Personnellement, mon nombre d’heures de travail hebdomadaires a beaucoup diminué. Je ne travaille plus jamais la nuit... (un peu plus de 45h hebdomadaires environ au début, avant d’être maman, environ 40h maintenant).
Quelque chose de curieux aussi. Avant d’être recruté-e-s, tou-te-s les jeunes doctorant-e-s ont dû ressentir, consciemment ou non, qu’ils étaient considérés
comme de « bons » thésards, ou plus exactement celles et ceux dont les
gens pensent qu’ils peuvent avoir un poste. Après... on est M. ou Mme tout
le monde. Dans un labo, être maître de conférences, c’est bien, mais bon, c’est être comme les autres finalement.
Ce sentiment diffus de déclassement se mélange assez vite à l’euphorie
d’avoir obtenu un poste. Plus personne n’est là pour dire si ce qu’on fait
est bien ou mal, on a un boulot, on travaille.
La présence au labo est un problème pour beaucoup de couples vue
l’absence de procédure de droit pour le rapprochement de conjoints. Je
suis de fait devenue plus tolérante envers les « turbo profs » dont je
fais maintenant malheureusement partie. Toutefois, il me semble que 3 jours
par semaine au labo sont un minimum pour s’impliquer dans la vie de
son labo et de sa fac.
L’enseignement
On en a beaucoup, ça prend énormément de temps. Il faut bien le
préparer, par respect pour les étudiants. Si on a eu un poste, c’est quand
même bien grâce à eux ! Et quand on prépare bien, ils nous le rendent
bien.
Voilà mon expérience dans un petit département de mathématiques.
Ce n’est peut-être pas pareil partout. On n’a pas de décharge
d’enseignement les premières années. Dès le début, on a des
cours magistraux à faire ; c’est super intéressant, je fais deux cours, mais ça prend beaucoup de temps.
Par ailleurs, chez nous, tous les jeunes ont dès le début, presque tous leurs enseignements en Master 1, Master 2, préparation à l’agrégation (c’est-à-dire des enseignements avancés ou très avancés, 4 ou 5 ans après le bac)...
Une collègue qui a débuté avec moi a commencé par un cours en Master 2. Est ce de l’enseignement ou de la recherche ? Pas clair.
En résumé tout cela est dévorant en temps ; le service d’un maître de
conférences est trop gros, pas de doute.
Quand en plus on ne fait pas que de l’enseignement, c’est parfois la
catastrophe. Exemple : vous avez un invité pour faire de la recherche. Vous
travaillez toute la journée avec lui, entre deux cours, et le soir à la maison
il y a un bébé, donc on ne peut pas préparer ses cours. Donc on bâcle,
et les étudiants le sentent bien. J’ai été assez malheureuse de ça.
Un jour, une étudiante, catastrophée, me dit : « Madame, là, on ne
voit vraiment pas ce que vous êtes en train de faire... »
C’est le début qui est très difficile. Maintenant, c’est la troisième
année, ça va... un peu mieux.
La recherche
Je trouve cela difficile. Ce que je vais dire est un peu délicat, je ne sais
pas qui exactement cela concerne parmi les jeunes maîtres de conférences. Donc je vais vous donner mon opinion, décrire la façon dont je ressens les choses.
La difficulté ne vient pas (seulement) du manque de temps. C’est plus compliqué. Nous
l’avons testé avec d’autres jeunes maitres de conférences pendant les
grèves contre le CPE (Contrat première embauche). Un mois sans cours au printemps 2006, ça ne suffit pas à faire des
théorèmes...
Pour moi, soutenir sa thèse signifie que l’on est apte à faire de la
recherche. Quelques années plus tard, soutenir une Habilitation à diriger des recherches (HdR) signifie qu’on est apte à diriger des recherches de jeunes apprentis chercheurs. Entre les deux, on doit devenir apte à mener des recherches de manière autonome. Mais l’autonomie n’est pas facile à acquérir. Certains maîtres de conférences devraient pouvoir faire de la recherche toute leur carrière sans nécessairement être ni autonomes ni honteux. Ce n’est pas du tout déshonorant, tout le monde ne peut pas être professeur d’Université.
A la sortie de ma thèse, mon sujet de thèse était fermé, bouclé. Et je n’ai pas du tout travaillé avec ma directrice de thèse après ma thèse. C’est sain, en un sens.
Mais je trouve très difficile de trouver des questions qui soient à la fois pertinentes, accessibles et rigolotes. Et ce n’est pas une question de temps, vraiment.
Alors on cherche des questions. On ne publie pas. Et la pression monte...
Quand je suis arrivée à Amiens, un membre de mon équipe venait de
soutenir une HdR en quatre ans ! Au secours. Autre chose ; ne pas regarder les pages web des collègues hyperactifs, ça démoralise. Je n’arrive pas à m’en empêcher, il faut vraiment éviter. Et puis être conscient que les gens moins actifs n’ont pas de page web...
Le problème, aussi, c’est que les publications sont devenues quasiment le seul signe objectif qu’on travaille. Et pas seulement vis-à-vis des autres, mais aussi vis-à-vis de soi ! Pourtant, je sais bien que dans les publications il y a à boire et à manger, des gens qui publient parfois n’importe quoi. Il ne faut pas trop céder à la pression de publier à tout crin. Cela dit, de ce côté là je suis tranquille, je n’ai le temps de rien écrire !
Pour se revaloriser un peu, il y a tout de même d’autres signes du fait
qu’on travaille. La PEDR (prime de recherche), les délégations et CRCT (congés sabbatiques), projets ANR...
Quelques solutions d’urgence face à ces difficultés dans la recherche.
- Discuter dans son labo, même s’il n’y a pas de collaboration
immédiate en vue. Ca peut venir plus tard. - Essayer de travailler le plus possible avec d’autres collègues. Ne pas travailler seul-e.
- Les projets ANR (financés par l’agence nationale de la recherche)
pour jeunes chercheuses et chercheurs regonflent le moral et aident à
trouver de bonnes questions. - Le rôle des Professeurs d’Université dans les labos. Ils devraient être conscients des difficultés des jeunes, et aider ceux qui ne sont pas autonomes à trouver des questions. C’est dommage d’arrêter la recherche lorsqu’on est capable de travailler mais qu’on ne sait pas quoi chercher. Il faut demander de l’aide quand on est un peu perdu, en difficulté, oser dire qu’on n’y arrive pas. Les interlocuteurs peuvent être surpris de la franchise, mais jamais étonnés, c’est très courant. Et les passages à vide sont momentanés. Alors discuter avec un prof qui a du recul, ça aide.
- Réactualiser son CV et projet de recherches chaque année est un moyen de voir que notre maturité scientifique avance régulièrement, même sans articles. Envoyer son dossier tout le temps pour postuler pour différentes choses : primes (PEDR), congés sabbatiques (délégation au CNRS)... Ne pas se demander si on a des chances ou pas. Surtout pas d’autocensure, filles y compris : j’ai eu la PEDR (prime d’encadrement doctoral et de recherche) à la deuxième demande, en rentrant de 5 mois de congé maternité ; je n’avais donc pas avancé beaucoup !
- Lorsqu’on est actif au sein de son labo, le regard positif des autres collègues actifs, profs ou Mdc (maître de conférences) dynamiques, directeur de labo, est aussi un signe valorisant. Cela peut être une bonne raison de s’investir pour les autres...
Autres tâches
En vrac, voici ce que j’ai pu faire. Je suis membre de la commission de
spécialistes (commission chargée du recrutement de nouveaux collègues),
j’ai relu et évalué des articles soumis pour publication dans des journaux mathématiques.
Je participe à la préparation du nouveau plan quadriennal d’enseignement (tous les 4 ans, on doit réviser les maquettes des diplômes proposées à l’Université), j’encadre des mémoires de maîtrise (travaux d’initiation à la recherche, à Bac+4) (très mal payés dans notre service d’enseignement),
je participe à la diffusion des sciences au grand public (exposés dans les lycées en particulier) j’ai été co-organisatrice du séminaire de théorie ergodique pendant deux ans, j’ai organisé des journées de conférences dans le cadre du projet ANR (projet collectif de travail financé par l’Agence Nationale de la Recherche) dont je fais partie (réserver des chambres d’hôtel... passionnant !), je suis membre de la SMF (Société Mathématique de France), j’ai refusé de me présenter pour être élue au conseil d’administration de la SMF, mon premier « non, je n’ai pas le temps », je ne suis pas encore syndiquée, mais ça
va venir bientôt, j’étais volontaire pour participer au forum de l’étudiant à Amiens ...
Je vous donne la vision d’un labo de taille moyenne, au sein d’une faculté de taille moyenne (c’est surtout ça que je connais, je viens d’Orléans, je suis à Amiens). La vie du labo, de la fac, c’est crucial ! Surtout dans les petites ou moyennes structures. Et ce sont malheureusement souvent les mêmes qui font tout. Il n’y a pas les bons en recherche d’un côté, les administratifs de l’autre et ceux qui s’investissent dans l’enseignement d’un troisième. Ce sont souvent les mêmes qui se sentent concernés par les différents aspects de leur métier, qui sont actifs en recherche- ou essaient de l’être, enseignent bien - ou essaient, s’investissent dans la gestion collective du labo ou de la fac, les différents conseils, font de la vulgarisation scientifique...
Diffusion des sciences au grand public
Lâchez-vous, faites vous plaisir, inventez...
C’est un domaine dans lequel vous obtiendrez avec un investissement modeste
une reconnaissance énorme, et beaucoup de plaisir, de découvertes, et des
réflexions intéressantes sur notre métier.
Voici à titre d’exemple deux projets auxquels j’ai contribué : Enigmath
et un « catalogue » d’exposés grand public à destination
des lycées picards.
Ne vous faites pas imposer des projets qui ne vous plaisent pas, mais
participez, aidez...
Dans certains gros labos parisiens, le nombre de participants à la fête
de la Science est ridiculement bas, une vingtaine à peine pour des centaines
de permanents. Cela devient alors une corvée très
lourde pour celles et ceux qui participent. Alors que lorsque les volontaires
sont suffisants, cela n’occupe qu’un faible nombre de journées dans
l’année.
En guise de conclusion
Lorsque je suis arrivée à Amiens, un jeune collègue m’a dit pour me
rassurer que pour lui, enfin, au début de la troisième année, ça commençait à aller mieux. C’est vrai aussi pour moi...
Cette année, enfin, j’enseigne bien sans y passer trop de temps. J’ai de
nouveau des travaux de recherche en cours, même s’ils n’avancent pas
vite. J’ai également des questions en réserve, ça donne enfin le
moral. J’ai un peu plus de temps. Du coup, je m’engage dans plus de choses. Plus on en fait, plus on a envie d’en faire ! Je suis toujours débordée, mais ce
n’est plus subi, c’est de bon cœur.
La suite
Comme il y aurait encore beaucoup à dire, deux articles suivront, « le métier de maître de conférences, 5 ans après », et « maitresse de conférences ».
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Pour citer cet article :
Barbara Schapira — «Débuter dans le métier d’enseignant-chercheur» — Images des Mathématiques, CNRS, 2010
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Commentaire sur l'article
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