Du côté des lettres : Comment le régime de Pétain a mis en péril le service méridien de l’Observatoire de Paris
Piste verte Le 28 janvier 2023 Voir les commentaires
Depuis longtemps, les correspondances alimentent le travail des historiens. Dans cette série « Du côté des lettres » nous proposerons périodiquement la lecture commentée d’une lettre autour des mathématiques.
Cet article décrit l’anéantissement presque total d’un service fondamental de l’Observatoire, par l’application des lois raciales et contre le travail féminin.
La lettre
La lettre dont je propose l’analyse est envoyée le 21 novembre 1941 par le directeur de l’Observatoire de Paris Ernest Esclangon (1876-1954) [1] au ministre de l’Éducation nationale Jérôme Carcopino [2]. Elle décrit l’anéantissement presque total d’un service fondamental de l’Observatoire, le service méridien, à la suite du licenciement de personnels-clefs par l’application des lois raciales et contre le travail féminin promulguées par le régime de Pétain dès octobre 1940.
Transcription de la lettre
21 novembre 1941
Monsieur le MINISTRE de l’EDUCATION NATIONALE
Les services méridiens de l’Observatoire ont été gravement atteints par des mises récentes à la retraite ; M. Lambert astronome titulaire chef de service, comme israélite ; Madame Chandon, astronome adjoint chef de service adjoint ; Mlle Penel assistante.
Les cas de M. Lambert et de Mme Chandon ont fait l’objet de propositions particulières actuellement en cours d’examen.
Quant à Mlle PENEL elle était chargée de calculs spéciaux dont certains relatifs au Service de l’Heure et qui restent en souffrance ; ce qui comporte de graves inconvénients, ces calculs devant être faits au jour le jour pour la détermination de l’heure.
En conséquence, je demanderai que, à titre temporaire, Mlle PENEL puisse être employée comme auxiliaire jusqu’à ce que un remplaçant dans son poste d’assistant ait pu être nommé.
L’indemnité attribuée à Mlle Penel pourrait être prélevée sur le traitement disponible par suite de sa mise à la retraite.
Le Directeur de l’Observatoire de Paris
Je commencerai par exposer ce qu’est le service méridien, suivront un focus sur les protagonistes et l’examen des suites données à la demande d’Esclangon. Je tenterai de montrer que l’idéologie prévaut sur le pragmatisme et que le gouvernement de Pétain, qui prétend lutter contre le chômage masculin, met à terre un maillon essentiel dans l’accomplissement d’une mission de l’Observatoire aux répercussions françaises et internationales.
Les services méridiens de l’Observatoire
L’une des principales tâches de l’Observatoire est la détermination et la transmission de l’heure. À cette fin, la marche des horloges est contrôlée par le passage au méridien de Paris d’étoiles de référence. Celui-ci est observé quotidiennement à l’aide d’une lunette méridienne ou d’un cercle méridien.
- Cliché de Gaëtan Blum (1876-1945), “Cercle méridien de Prin de l’Observatoire de Paris (titre forgé)”
La position des étoiles de repère doit également être vérifiée systématiquement. Les observations sont alors réduites [3] par un calculateur ou une calculatrice avant d’être portées dans un catalogue [4]. Ce temps sidéral est ensuite converti en temps moyen (celui qui règle nos vies).
L’heure de temps moyen ainsi établie est transmise par deux canaux principaux : la TSF à partir de la tour Eiffel (depuis 1910) et l’horloge parlante (créée par le rédacteur de la lettre Ernest Esclangon en 1933).
En 1919, l’Observatoire de Paris a été à l’initiative du Bureau international de l’heure (BIH) chargé d’établir un temps universel coordonné. En raison de sa genèse, le nouvel organisme transnational, sis à Paris, a adopté pour directeur celui de l’Observatoire, et le service méridien de l’Observatoire contribue grandement au BIH. Une notice scientifique, publiée en 1940 dans l’Annuaire du Bureau des longitudes par l’astronome Armand Lambert (par ailleurs cité dans la lettre), expose en détail et nous permet de comprendre les procédures complexes de détermination du temps et les instruments utilisés [5]. À l’origine, le BIH établissait une heure demi-définitive reposant uniquement sur les observations méridiennes de l’Observatoire de Paris. Mais à partir de 1929, une heure définitive est compilée en tenant compte des données envoyées par d’autres observatoires dont le nombre s’accroit au fil du temps (on en compte 20 en 1940). Le modèle mathématique repose alors sur la construction d’un « observatoire moyen » virtuel dont l’heure résulte d’une moyenne coefficientée des heures déduites des services méridiens de tous les observatoires réels impliqués. La figure ci-dessous, extraite de la notice d’Armand Lambert, donne l’exemple de la procédure permettant de passer des observations méridiennes parisiennes à l’heure extrapolée en tenant compte des données de trois autres observatoires.
À compter de 1922, le BIH publie tous les deux mois un Bulletin horaire communicant au monde les heures demi-définitive et définitive. Pendant la guerre, la périodicité se limite à trois numéros par an.
Les protagonistes de l’affaire et les nouvelles lois de Vichy sur le travail
L’auteur de la lettre, Ernest Esclangon, directeur de l’Observatoire de Paris depuis 1929, est issu d’un milieu modeste. Il est entré à l’ENS en 1895, a obtenu une agrégation de mathématiques en 1898 et a débuté en astronomie à l’observatoire de Bordeaux. Il a soutenu en 1904 une thèse de mathématiques sur les fonctions quasi périodiques avec une application à la météorologie [6]. Pendant la Première Guerre mondiale, il s’est illustré par ses travaux de balistique. Avant de diriger l’Observatoire de Paris, il a été à la tête de celui de Strasbourg, nommé à la chaire d’astronomie de cette université hautement symbolique au lendemain de la guerre. Élu à l’Académie des sciences en 1929, en même temps qu’il était nommé professeur à la faculté des sciences de la Sorbonne, il est devenu membre du Bureau des longitudes en 1932. C’est donc un éminent personnage de la science française qui écrit au ministre.
Qu’en est-il de ses relations avec le régime qui se met en place à l’été 1940 ? Elles transparaissent en filigrane à travers les archives institutionnelles que nous avons consultées sans être réellement explicitées : Esclangon entend faire fonctionner l’institution dont il a la responsabilité, sans rébellion, mais en protégeant les personnels victimes de mesures iniques. Cette manière d’exercer une tutelle est loin d’être généralement partagée comme nous le verrons par la suite dans le cas de l’observatoire de Lyon [7] .
Rédigée en novembre 1941, la lettre est adressée au ministre de l’Éducation nationale du gouvernement de Pétain. Le ministère a vu se succéder plusieurs titulaires du portefeuille. En novembre 1941, il s’agit de Jérôme Carcopino qui applique scrupuleusement les lois édictées à Vichy [8] . En avril 1942, il est remplacé par Abel Bonnard (1883-1968) qui fera partie de la garde rapprochée pétainiste jusqu’à Sigmaringen [9] . Condamné à mort par contumace à la libération, Bonnard mourra en exil en Espagne [10] .
Les personnels du service méridien dont il est question dans la lettre, Armand Lambert, Edmée Chandon et Marie-Louise Penel, occupent trois niveaux de la hiérarchie de l’Observatoire. Le premier, Armand Lambert (1880-1944) est chef du service méridien depuis 1929. Il est entré à l’Observatoire en 1906, titulaire d’une agrégation de mathématiques (1905). Un an plus tard, il a soutenu une thèse de mathématiques « sur le développement de la fonction perturbatrice des planètes » [11]. Il a ensuite gravi tous les échelons : astronome adjoint en 1908, astronome titulaire en 1930. Lors de la débâcle de 1939, il a assuré l’intérim à la direction de l’Observatoire, Esclangon et une partie du personnel s’étant repliés sur l’observatoire de Bordeaux. C’est un astronome reconnu dans la communauté nationale et internationale, pressenti pour l’Académie des sciences et la direction future de l’Observatoire.
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Bureau international de l’heure (BIH) : salle d’enregistrement de la tour de l’est avec son antenne de réception des signaux horaires.
De gauche à droite : MM. Lambert (assis) , Bernier, Colnel (titre forgé) ; MM. Bernier et Colnel sont des techniciens radiotélégraphistes. L’antenne octogonale est aujourd’hui un élément patrimonial de décoration de la bibliothèque de l’Observatoire.
Comme on peut le lire dans la lettre, Lambert a été mis à la retraite comme « israélite ». En effet, le régime de Pétain est à l’origine de deux textes principaux sur le statut des Juifs : celui du 3 octobre 1940 et celui du 2 juin 1941. L’une des mesures principales est l’interdiction professionnelle qui s’applique notamment à la fonction publique, touchant environ 3000 personnes, l’administration de l’Éducation nationale se distinguant par sa promptitude à générer des notes de service explicatives [12] . Le service méridien de l’Observatoire de Paris ne constitue donc aucunement une exception.
Descendant d’une famille implantée en France depuis le début du XIXe siècle, Armand Lambert est juif pratiquant, petit-fils de rabbin. Dès le premier statut, il perd sa charge de cours à la Sorbonne et son poste d’astronome à l’Observatoire (19 décembre 1940). Mais les fonctionnaires de Vichy n’ont pas tout de suite mesuré que le BIH était sous la tutelle de l’Union astronomique internationale (UAI). Lambert continue donc à travailler pour le BIH, un salaire lui étant versé par l’UAI. Toutefois, il ne peut plus légalement assurer le rôle de chef de service et doit travailler en solitaire. La fonction qu’il occupait précédemment à l’Observatoire est dévolue à Nicolas Stoyko (1894-1976) arrivé en 1924.
Edmée Chandon et Marie-Louise Penel sont confrontées à une autre loi du gouvernement de Vichy. Fidèle à sa devise « Travail, Famille, Patrie », le gouvernement du vieux maréchal s’attaque aussi au travail féminin par la loi du 11 octobre 1940 qui entend cantonner les femmes à leurs rôles d’épouse et de mère. La loi interdit de recruter des femmes mariées dans la fonction publique et met à la retraite d’office celles qui ont plus de cinquante ans. C’est le cas, entre autres, d’Edmée Chandon et de Marie-Louise Penel [13] .
Pour Images des mathématiques, j’ai déjà évoqué la figure de l’astronome adjointe Edmée Chandon (1885-1944) [14] . Entrée à l’Observatoire en 1908, elle a très vite été affectée au service méridien où elle collabore avec Armand Lambert. Celui-ci a, du reste, figuré, aux côtés d’Esclangon, dans le jury de la thèse d’Edmée Chandon « Recherches sur les marées de la Mer Rouge et du Golfe de Suez », soutenue en 1930. Elle seconde aussi le directeur de l’Observatoire au BIH, prenant en charge les mesures de hauteur d’étoiles et la diffusion de l’heure par TSF. Devenue spécialiste d’un nouvel instrument de hauteur, l’astrolabe à prisme, elle a piloté à l’Observatoire les deux Opérations mondiales des longitudes de 1926 et 1933 [15] . Ses publications abondantes dans les périodiques spécialisés ou les Comptes rendus de l’Académie des sciences rendent compte de son inlassable activité [16] .
Marie-Louise Penel (1878-1976), fille de François Penel (X1860) attaché au service géodésique de l’armée et infirmière de la Croix-Rouge pendant la Première Guerre mondiale, a rejoint l’Observatoire en 1919, à titre d’auxiliaire. Elle a été nommée assistante en 1928. Le Rapport annuel sur l’état de l’Observatoire de Paris pour l’année 1939 [17] nous donne de précieuses informations sur les tâches qu’elle accomplit : relevé des bandes du chronographe [18] , calculs de réduction, vérification et transcription du catalogue d’étoiles de repère, comparaison des chronomètres de temps sidéral et de temps moyen.
Comme nous l’avons dit plus haut, tous les directeurs d’observatoires n’adoptent pas la même attitude qu’Esclangon face aux ordres du gouvernement de Pétain concernant leur personnel féminin contraint à la retraite. Ainsi de Jean Dufay, directeur de l’observatoire de Lyon, qui rédige une note en réponse à la demande de dérogation de l’astronome Calixtina Bac (1881-1962) : « Si [...] Mlle Bac est mise à la retraite le 31 juillet prochain, je l’autoriserai très volontiers à achever les travaux qu’elle a à cœur de terminer elle-même. De tels calculs conviennent tout à fait à occuper les loisirs d’un fonctionnaire retraité. Il ne semble donc pas que les motifs invoqués par Mlle BAC justifient une dérogation à l’application de la loi. » [19]
Quelle est la suite donnée à la démarche du directeur ?
La personne sur laquelle nous avons le moins d’informations est Marie-Louise Penel. Âgée de 62 ans en 1940, elle n’a pas retrouvé de poste à l’Observatoire après la guerre. Pour elle, la mise à la retraite d’office fut définitive.
Le 17 octobre 1941, Edmée Chandon avait adressé une lettre aux services de l’Éducation nationale pour tenter de les faire fléchir. Elle évoquait sa situation personnelle difficile (une mère hémiplégique à charge).
La lettre portait une note manuscrite « M. Émile Picard, de l’Académie française, Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, appelle l’attention de Monsieur le Secrétaire d’État à l’Éducation nationale sur la requête de Mme Chandon.
Les beaux travaux dont Mme Chandon est l’auteur, tant en mécanique céleste, qu’en astronomie d’observation, justifieraient grandement la mesure bienveillante qui est sollicitée. »
Émile Picard fait référence aux travaux théoriques d’Edmée Chandon sur la libration physique de la Lune et à ses observations quotidiennes aux instruments méridiens.
Mais les démarches épistolaires conjuguées de Picard et d’Esclangon restent lettre morte puisqu’un courrier du directeur de l’Enseignement supérieur du 16 janvier 1942 stipule sans motiver la mesure « J’ai l’honneur de vous informer qu’il m’est impossible de revenir sur ma décision et d’envisager le maintien en fonction de Mme CHANDON. » Esclangon parvient toutefois à réintégrer Edmée Chandon en 1943 [20] . Elle est décédée à son domicile, 38 avenue de l’Observatoire, le 8 mars 1944, dans des circonstances qui ne sont pas précisées dans l’acte de décès.
Le premier « statut des juifs » du 3 octobre 1940 prévoyait des dérogations au cas par cas pour « services exceptionnels rendus à l’Etat français dans les domaines scientifique, littéraire et artistique. » Armand Lambert n’a pas bénéficié d’une telle dérogation. Mais, comme nous l’avons vu plus haut, il continue à assurer ses fonctions internationales pour le BIH, dans le cadre de l’UAI. La situation change avec le durcissement du régime. Le commissariat général aux questions juives, dirigé à sa création en 1941 par Xavier Vallat (1891-1972) jugé trop « modéré » par les nazis, est passé en mai 1942 aux mains de Louis Darquier de Pellepoix (1897-1980) dont le nom est associé à la rafle du Vél d’Hiv.
Lorsqu’Ernest Esclangon rappelle que « La section de Paris est entièrement privée de tout [astronome] titulaire » (5 décembre 1942), le ministère publie deux vacances de postes destinées à compenser le décès de Charles Nordmann (1881-1940) et le départ normal à la retraite de Gaston Fayet (1874-1967) mais ne mentionne pas le remplacement du troisième poste, celui d’Armand Lambert. Le 20 mai 1943, Ernest Esclangon récidive : « Il ne reste aucun astronome titulaire, de position [21] , à l’Observatoire ».
La réponse n’est pas du tout celle qu’il attend puisque le 21 mai 1943, le directeur de l’Enseignement supérieur lui écrit qu’il a été informé par le Commissaire général aux questions juives qu’Armand Lambert aurait été nommé « directeur-adjoint au Bureau international de l’heure (poste dépendant du ministère de l’Éducation nationale) et pourvu d’une indemnité de 500 frs par mois ». On ne peut qu’être ahuri.e si ce n’est étonné.e de la méconnaissance totale par la tutelle des statuts et du fonctionnement d’un organisme (le BIH) qui existe depuis un quart de siècle. Ernest Esclangon répond dès le 25 mai et précise que le BIH est sous la responsabilité de l’UAI, que Lambert n’en a jamais été directeur-adjoint, qu’il touche effectivement 500 francs mensuels « en dehors du Budget de l’État français » et qu’Esclangon lui a demandé de continuer son œuvre au BIH « étant donnée sa longue expérience et l’importance des services qu’il rend ». La lettre suivante est datée du 24 août 1943. Esclangon y informe le ministère que Lambert a été arrêté et qu’il « n’est pas actuellement remplaçable ». En dépit des interventions de nombreuses figures importantes de la communauté savante [22] , il est déporté à Auschwitz dès le 2 septembre où il meurt le 15 août 1944. L’Observatoire qui ignore sa fin tragique le réintègre en 1945. Son décès ne sera connu qu’en 1946 [23] .
Conclusion
Les échanges de correspondance entre le directeur de l’Observatoire et le ministère montrent que celui-ci ne se soucie pas du tout de la poursuite des travaux astronomiques, même lorsqu’ils s’inscrivent dans une entreprise d’intérêt national et international. L’antisémitisme et la lutte contre le travail féminin l’emportent sur toute autre considération. L’argument affiché pour justifier les lois du 3 octobre et 11 octobre 1940, à savoir le combat contre le chômage masculin, est totalement fallacieux. Ni Armand Lambert, ni Edmée Chandon, ni Marie-Louise Penel ne sont remplacés.
Si le service méridien réussit à assurer une mince part de ses fonctions, c’est grâce au dévouement d’Armand Lambert, qui demeure à Paris même lorsqu’Esclangon lui conseille de se mettre à l’abri des persécutions en province. Il est également probable qu’Edmée Chandon ait continué à venir à l’Observatoire, mais je ne dispose pas de sources le prouvant. De 1940 à 1947, l’Observatoire parvient à déterminer l’heure demi-définitive mais renonce à publier l’heure définitive. La raison majeure réside dans les communications coupées avec les observatoires fournissant leurs données. Mais la réduction comme peau de chagrin de l’équipe méridienne de l’Observatoire décrite dans la lettre d’Esclangon est aussi un motif important de la suspension des opérations. Des militants du premier cercle pétainiste prenant les rênes du ministère de l’Éducation nationale et du commissariat national aux questions juives en 1942, la situation s’envenime. L’acharnement manifesté contre Armand Lambert à compter de mai 1943 en atteste, conduisant à son assassinat.
Le service méridien de l’Observatoire et le BIH peineront à se remettre de ces années noires. Comme indiqué plus haut, ce n’est qu’en 1947 que l’Observatoire sera de nouveau en mesure de fournir l’heure définitive. Plusieurs mois seront également nécessaires pour combler le retard accumulé dans les calculs à la suite du départ de Marie-Louise Penel.
Après la guerre, pour justifier la suspension d’une partie des missions, les institutions (Observatoire et BIH) mettent en avant les difficultés de communications mais elles passent sous silence l’impact des régimes politiques et les drames humains sous-jacents. Il appartient aux historien.ne.s de combler ce manque. Les correspondances, dont seule une petite part a été exploitée, nous y aident grandement.
Remerciements : les lectures attentives de Caroline Ehrhardt et Hélène Gispert et leurs pertinentes suggestions ont considérablement amélioré la version initiale de cet article.
Grand merci aux relecteurs Jean Aymes, Mario et Sébastien Perrono pour leurs remarques stimulantes, ainsi qu’à Carole Gaboriau et Maï Sauvageot pour la mise en page et le suivi de l’édition.
Article édité par Caroline Ehrhardt et Hélène Gispert
Notes
[1] Détenue dans le fonds Ernest Esclangon 02 AO de l’Observatoire de Paris-Meudon. Je remercie chaleureusement Frédéric Soulu de me l’avoir communiquée. Sauf mention contraire, les autres courriers mentionnés dans l’article proviennent du même fonds.
[2] Ernest Esclangon s’adresse à Jérôme Carcopino (1881-1970) au titre de « ministre ». En réalité, en 1941, le ministère de l’éducation nationale est devenue secrétariat d’État. Historien de la Rome antique, professeur à la Sorbonne, Jérôme Carcopino dirige également l’ENS de 1940 à 1942.
[3] Réduire signifie déterminer les coordonnées de l’étoile dans le repère choisi.
[4] Il s’agit alors du Fundamental Katalog 3, publié en 1937. Chaque observatoire tente de l’enrichir par l’observation de nouvelles étoiles ou une plus grande précision pour celles qui sont déjà observées. Les FK ont été supplantés dans les années 1990 par le Catalogue Hipparcos, du nom de la mission spatiale dont les données sont issues.
[6] Au sujet de la thèse de Esclangon, on pourra lire l’intéressant rapport de thèse de Paul Painlevé publié dans Hélène Gispert, La France mathématique de la IIIe République avant la grande guerre, Société mathématique de France, p. 274.
[7] Pour une analyse plus générale, voir Nicolas Chevassus-au-Louis, Savants sous l’Occupation. Enquête sur la vie scientifique française entre 1940 et 1944, Paris, Seuil, 2004.
[8] Voir Stéphanie Corcy-Debray, Jérôme Carcopino, un historien à Vichy, L’Harmattan, 2001.
[9] À la suite de la libération de Paris en août 1944, les nazis somment Pétain, Laval et les hommes les plus impliqués dans la politique de collaboration de partir pour le château allemand de Sigmaringen. Le gouvernement de Pétain et Laval se mue en une « Commission gouvernementale française pour la défense des intérêts nationaux ». Les troupes alliées s’emparent du lieu en avril 1945.
[10] Sur le régime de Pétain, voir l’ensemble des travaux de Laurent Joly et, en particulier, L’État contre les juifs. Vichy, les nazis et la persécution antisémite (1940-1944), Édition revue et mise à jour, Paris, Flammarion/Champs histoire, 2020 (1re éd. 2018), 372 p.
[11] Sur les thèses de mathématiques dont le sujet est l’astronomie voir Juliette Leloup, L’entre-deux guerres mathématique à travers les thèses soutenues en France, Thèse de doctorat, Université Pierre et Marie Curie, 2009.
[12] Voir, par exemple, Tal Bruttmann, « La mise en œuvre du statut des Juifs du 3 octobre 1940 » dans Archives Juives, 2008/1, vol. 41, p. 11-24.
[13] La mesure touche d’autres femmes de l’Observatoire qui ne font pas partie du service méridien, comme la calculatrice Madeleine Saint-Paul (1887-1973), par exemple.
[15] Ces deux opérations internationales visaient à déterminer d’éventuelles variations des longitudes au cours du temps.
[16] La dernière, parue en 1941, est une note présentée par Ernest Esclangon sur ses recherches théoriques.
[18] Ici, le chronographe est un appareil électrique enregistreur du passage d’une étoile au méridien.
[19] Citée par Yves Gomas dans sa thèse Jean Dufay (1896-1977), professeur, astrophysicien et directeur d’observatoires, Université de Lyon, 2017, p. 155. Calixtina Bac obtiendra sa réintégration en 1945 et prendra sa retraite, de son plein gré, en 1947. Il n’est pas simple d’analyser l’attitude de Jean Dufay vis-à-vis des autorités pétainistes. A la page 154 de sa thèse, Yves Gomas évoque le cas de l’astronome juive Marie Bloch (1902-1979) congédiée de l’observatoire de Lyon dès le premier statut des juifs du 3 octobre 1940. Dufay demande une dérogation pour conserver sa collaboratrice, mais il se plie aux injonctions du recteur qui rejette la requête. Marie Bloch quitte son poste le 19 décembre 1940.
[20] Les pièces du fonds Esclangon ne permettent pas de déterminer si elle reprend son poste à titre bénévole ou si l’Observatoire la rémunère.
[21] Dans sa lettre, Esclangon distingue l’astronomie de position et l’astronomie physique, pour laquelle il dispose de personnels.
[22] L’inventaire du fonds Armand Lambert de l’Observatoire de Paris comporte la mention suivante : « Le général PERRIER, membre de l’Académie des sciences, adresse en vain une protestation, signée par tous les membres de l’Académie des sciences, au maréchal Pétain et à la délégation française près la commission d’armistice de Wiesbaden. » Georges Perrier (1872-1946), directeur du Service géographique de l’armée, est aussi membre correspondant du Bureau des longitudes.
[23] Il sera annoncé à la communauté astronomique par le Bulletin horaire de janvier-avril 1946 du BIH.
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Pour citer cet article :
Colette Le Lay — «Du côté des lettres : Comment le régime de Pétain a mis en péril le service méridien de l’Observatoire de Paris» — Images des Mathématiques, CNRS, 2023
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