Faut-il toujours motiver ce que l’on enseigne ?
Regard sur quelques exemples marquants
Piste noire Le 23 mars 2020 Voir les commentaires (2)
« ...mais moi je veux savoir où je vais et dans quel chemin je mets mon premier pas ! »
Des qualités que doit posséder un enseignant, deux au moins sont essentielles : i) maîtriser le savoir qu’il a à transmettre ; ii) le motiver au moment où il le dispense ; c’est une démarche précieuse dans l’enseignement de beaucoup de disciplines, et plus particulièrement celui des mathématiques.
Par motivation, je n’entends pas forcément « utilité » dans telle ou telle situation pratique, comme si c’était pour répondre à la question récurrente de Monsieur ou Madame Chichi :
« Mais à quoi ça sert ? »
Non ! c’est une motivation pour les mathématiques elles-mêmes. Et du côté pédagogique, pour que le savoir puisse être transmis plus facilement aux apprentis.
Les deux exemples qui suivent dont j’ai choisi de parler illustrent mieux cette idée.
1. L’enseignement de la topologie
De mes souvenirs d’étudiant en Licence de Mathématiques à l’Université de Lille, j’en garde un en particulier : la topologie était une unité de valeur (dénommée Unité 1)
réputée difficile d’accès dans le cursus. Je ne me rappelle plus comment on nous y a introduits, mais quand à mon tour j’ai eu à l’enseigner pour la première fois dans la même formation, je me suis bien posé la question de comment j’allais débuter
un cours si difficile sans « braquer » l’assistance : définir une topologie sur un ensemble en larguant brutalement les axiomes habituels ? Introduire d’abord quelques exemples ? Ou...? J’ai finalement opté de le faire en rappelant d’abord tout ce que les étudiants connaissaient sur la droite réelle, et entre autres la valeur absolue $\vert \cdot \vert $ qui leur permet de mesurer la notion de proximité de manière concrète. Ensuite, j’ai poussé un peu plus loin en initiant un « dialogue-interrogatoire » direct sur une situation inspirée par le regard que nous portons sur des objets de la vie quotidienne. Je savais que tout le monde a une idée intuitive de la notion de voisinage sur n’importe quelle portion d’une surface plane. J’en ai dessiné une , j’y ai mis au hasard une dizaine de points représentant des villes et j’ai posé
banalement la question :
— Des deux villes $x$ et $y$, laquelle est la plus voisine de $a$ ?
— La ville $y$, bien sûr ! me répondent-ils de façon affirmée.
— Pour quelle raison ?
— La distance !
— La distance...?
— Oui, la distance. Entre $y$ et $a$, elle est plus petite qu’entre $x$ et $a$.
— Effectivement !
La distance, le mot est lâché !
Nous avons continué le dialogue jusqu’à arriver par nous mettre d’accord sur le fait que si, sur un ensemble quelconque $E$, nous avions une notion de distance, nous aurions une idée de celle de proximité : il y a un moyen de dire quand deux éléments $x,y\in E$ sont proches.
À travers cette même discussion, nous avions aussi mis en évidence (par le simple regard) les propriétés remarquables que possède une distance :
(i) Elle fait intervenir deux points $x$ et $y$ et elle est toujours positive ou nulle. C’est donc une application $d$ de l’ensemble $E\times E$ dans
${\Bbb R}_+$.
(ii) Elle est nulle si, et seulement si, les deux points $x$ et $y$ sont confondus : $d(x,y)=0\Longleftrightarrow x=y$ (séparation).
(iii) La distance de $x$ à $y$ est la même que celle de $y$ à $x$ : $d(x,y)= d(y,x)$ (symétrie).
(iv) En dessinant un triangle, nous voyons que la distance entre
$x$ et $y$ est moindre que la distance entre $x$ et $z$ augmentée de celle entre $z$ et $y$ : $d(x,y)\leq d(x,z)+d(z,y)$ (inégalité du triangle).
Une distance sur un ensemble $E$ est aussi appelée métrique ; on dira alors que le couple $(E,d)$ est un espace métrique.
Sur un espace métrique $(E,d)$, nous avons défini les objets qui suivent.
(a) Une boule ouverte (resp. fermée) de centre $x\in E$ et de rayon $r>0$ est l’ensemble $B(x,r)$
des $y\in E$ tels que $d(x,y)< r$ (resp. $d(x,y) \leq r$). L’égalité $d(x,y)=r$ définit la sphère de centre $x$ et de rayon $r$.
Et avant d’aller plus loin, je leur ai indiqué la notion de norme sur un espace vectoriel. Celle-ci permet d’y définir une métrique
mieux adaptée à la structure linéaire :
c’est une application $x\in E\longmapsto \vert \vert x\vert \vert \in {\Bbb R}_+$ telle que : (v) $\vert \vert x\vert \vert =0\Longleftrightarrow x=0$
(propriété de séparation) ; (vi) $\vert \vert \lambda x\vert \vert =\vert \lambda \vert \cdot \vert \vert x\vert \vert $ (propriété d’homogénéité) ; (vii)
$\vert \vert x+y\vert \vert \leq \vert \vert x\vert \vert +\vert \vert y\vert \vert $ (inégalité du triangle).
La métrique associée est donnée par $d(x,y)= \vert \vert x-y\vert \vert $.
Puis les exemples habituels de normes sur $E={\Bbb R}^2$, définies pour $x=(x_1,x_2)$ par :
\[\vert \vert x\vert \vert_2=\sqrt{x_1^2+x_2^2},\hskip1cm \vert \vert x\vert \vert_1=\vert x_1\vert +\vert x_2\vert , \hskip1cm
\vert \vert x\vert \vert_\infty =\max \left\{ \vert x_1\vert ,\vert x_2\vert \right\} .\]
Les métriques correspondantes sont notées respectivement $d_2$, $d_1$ et $d_\infty $. Pour chacune d’elle, j’ai demandé de dessiner la boule unité fermée de centre $0=(0,0)$ et de rayon $r=1$. Ils furent un peu surpris de voir
que les boules $B_1$ de $d_1$ et $B_\infty $ de $d_\infty $ — qui ont la même forme carrée — n’ont rien à voir avec $B_2$, qui est ce qu’on a l’habitude de considérer comme
une « vraie boule » dans la vie ! (Posez la question à quidam : « Laquelle des trois choses dans le dessin ci-dessous est une boule ? » et vous verrez ce que sera sa réponse !)
Leur surprise était encore un peu plus grande lorsque j’ai donné l’exemple (un peu singulier) de la métrique discrète définie (sur n’importe quel ensemble $E$) par $\delta (x,y)=0$ pour $x=y$ et $\delta (x,y)=1$ pour $x\neq y$.
Ils ont pu voir dans ce cas que, pour tout $x\in E$, la boule ouverte $B(x,r)$ est $E$ tout entier lorsque $r>1$ et est réduite à son centre
$\lbrace x\rbrace $ pour $r\leq 1$.
J’avoue qu’à l’époque où j’étais étudiant, j’ai été aussi intrigué lorsque j’ai appris que pour tout point $a$ d’un espace métrique discret $(E,\delta )$, l’ensemble $S=E\setminus \{ a\}$ est une sphère de rayon $1$ et centrée en $a$. Ça m’a un peu bousculé dans mes « croyances » : pour moi, un centre était toujours quelque chose d’unique !
Pour un peu plus sur un espace métrique discret, voir la :
Je reprends...
(b) Un ouvert de $E$ est une partie $U\subset E$ telle que tout
$x\in U$ est centre d’une boule ouverte $B(x,r)$ entièrement contenue dans $U$.
Et à partir de là nous avons pris le temps de démontrer (avec précaution) les deux assertions :
(c) Toute réunion d’ouverts est un ouvert.
(d) Toute intersection finie d’ouverts est un ouvert.
De façon évidente, $E$ est un ouvert. Et la condition (b) est automatiquement satisfaite par la partie vide $\emptyset $. Donc
$\emptyset $ est un ouvert.
Nous sommes donc arrivés naturellement à exhiber les axiomes qui permettent de définir une topologie sur un ensemble $E$ tout à fait quelconque
(de préférence non vide bien sûr !)
sans avoir recours à une métrique. C’est la donnée d’une famille
${\cal T}$ de parties de $E$ appelées ouverts (pour ${\cal T}$) telle que :
1. $\emptyset$ et $E$ sont des ouverts.
2. La réunion d’une famille (quelconque) d’ouverts est un ouvert.
3. L’intersection d’un nombre fini d’ouverts est un ouvert.
Commencer un cours par les espaces métriques pour dégager la définition générale d’une topologie et les reprendre ensuite comme exemples particuliers,
est la meilleure façon de faire pour introduire plus aisément (en troisième année de Licence) les étudiants à ce thème qui leur donne souvent du fil à retordre !
Mais, pour être plus élémentaire, je vais aussi parler de la « motivation » à travers un exemple un peu plus simple, et qui a sûrement marqué
(mathématiquement) la scolarité de chacun d’entre nous :
2. Le logarithme
J’ai découvert cette fonction en Sixième Année Sciences Maths (appellation au Maroc de la Terminale C). Pour nous (mes camarades de classe et moi),
c’était un nouvel objet, qui n’avait rien à voir avec ceux que nous connaissions déjà : les fonctions affines,
les fonctions polynômes, les fractions rationnelles, et même les fonctions $\sin $, $\cos $ et leurs cousines. La fonction logarithme, c’était un peu plus de transcendance, de mystère, de magie... Nous la percevions comme
une perle de l’analyse tellement nous
l’attendions (dans les premiers mois de l’année scolaire) avec une impatience nourrie de ce que nous en
racontaient nos ainés un an auparavant. Notre professeur de mathématiques nous l’a définie par cette fameuse phrase :
Le logarithme népérien est la primitive qui s’annule en $1$ de la fonction ${1\over x}$, en nous expliquant que c’est pour pallier la non validité de la formule :
\[\text{Primitive de}(x^n)={1\over {n+1}}x^{n+1}\]
pour $n=-1$ (exactement comme on peut le lire ci-dessous).
Dans beaucoup de manuels récents (peut-être tous !) de Terminale (c’est ce qui figure aussi dans les programmes officiels), elle
est définie comme la réciproque de la fonction exponentielle. Mais pour introduire
cette dernière, on fait admettre aux élèves l’existence de l’unique solution valant $1$ en $0$ de l’équation différentielle $y'=y$. Personnellement, je trouve que ni
cette méthode ni celle qu’on m’a apprise n’amènent le logarithme de façon naturelle.
Une bonne motivation devrait passer par sa propriété
fondamentale : transformer la multiplication
en l’addition. Une de ses premières applications est la « réalisation physique » de la multiplication des nombres réels : elle est à la base, par exemple,
de la règle à calcul (ceux qui ont eu l’occasion d’en faire usage en ont certainement apprécié la portée, même si peut-être ils ne voient pas ce qu’il y a derrière).
Il y a une méthode assez
élémentaire (certainement bien connue de beaucoup de gens mais passée tout le temps sous silence) pour faire cela : introduire, avec motivation, le logarithme (et donc aussi l’exponentielle). Celle-ci
ne demande pas (à des élèves de Terminale) d’admettre un théorème aussi « fort » que celui de l’existence et l’unicité
des solutions des équations différentielles même les plus simples. Et en plus de cela, elle impose, sans autre choix, la formule
habituelle :
\[\ell n(x)=\int_1^x{{dt}\over t}.\]
Et son grand avantage est qu’elle peut être menée sous forme d’exercice pour
obliger les élèves à s’impliquer.
2.1. Motivation
L’addition de deux nombres réels $x\geq 0$ et $y\geq 0$ est facile à réaliser physiquement
en partant du fait qu’ils peuvent toujours être représentés par les longueurs de deux segments d’une droite.
Regardons sur le dessin qui suit comment on réalise la somme $x+y$ et la différence $y-x$.
Dans ce dessin, on a opéré en supposant bien sûr $x\geq 0$, $y\geq 0$ et $y\geq x$. Cela n’a pas d’importance : tous les autres cas s’y ramènent.
2.2. Question naturelle : Comment réaliser physiquement la multiplication $xy$ de deux nombres
réels $x$ et $y$ (qu’on peut supposer, sans aucune perte de généralité, strictement positifs) ?
Bien sûr, il est possible de concevoir un instrument à cet effet basé sur la construction géométrique ci-dessous
(simple application du théorème de Thalès). Toutefois, son utilisation
ne sera pas si immédiate que celle qui consiste à mettre bout à bout deux segments sur une même droite pour effectuer une addition.
Mais on peut aussi se ramener à ce qu’on sait faire déjà, c’est-à-dire l’addition. Cela signifie trouver une manière de transformer l’opération
produit $xy$ de deux nombres $x$ et $y$ en celle d’une somme $x'+y'$ de deux autres nombres $x'$ et $y'$. C’est ce qui motive
l’introduction de notre fameuse :
2.3. Fonction Logarithme
Il s’agit d’abord de trouver une bijection $\varphi $ entre l’ensemble ${\Bbb R}_+^\ast $ des réels strictement positifs
et celui ${\Bbb R}$ de tous les réels. Ensuite, on demandera à cette bijection de « transformer la multiplication en l’addition », c’est-à-dire
$\varphi $ doit vérifier la relation fondamentale :
\[\varphi (xy)=\varphi (x)+\varphi (y).\]
pour tous $x,y\in {\Bbb R}_+^\ast $.
Tant qu’à faire, exigeons un peu plus : $\varphi $ dérivable et à dérivée continue strictement positive.
Alors peut-on trouver
une telle bijection $\varphi $ ?
Si elle existe, la bijection inverse $\psi :{\Bbb R}\longrightarrow {\Bbb R}_+^\ast $
sera aussi dérivable et vérifiera la relation (fondamentale comme l’est celle de $\varphi $) :
\[\psi(x+y)=\psi (x)\psi (y).\]
On peut remarquer que, par la relation fondamentale (transformant l’opération de multiplication
en celle de l’addition), on a :
\[\varphi (1)=\varphi (1\times 1)=\varphi (1)+\varphi (1)=2\varphi (1),\]
ce qui implique $\varphi (1)=0$. Cette condition supplémentaire nous permettra de fixer avec plus de précision
la fonction $\varphi $ qu’on cherche parmi tous les candidats qui se présenteront.
2.4. La dérivée de $\varphi $
On a fait l’hypothèse que $\varphi $ est dérivable et à dérivée $f$ strictement positive.
On a
donc une application $f:{\Bbb R}_+^\ast \longrightarrow {\Bbb R}_+^\ast $. Dans la relation fondamentale,
on garde $x$ constant et on dérive par rapport à $y$. Ce qui donne $xf(xy)=f(y)$ pour tous $x,y\in {\Bbb R}_+^\ast $. D’où, , en prenant $y=1$ : $xf(x)=f(1)$.
Donc $f$ est nécessairement de la forme :
\[f(x)={\kappa \over x} \]
où $\kappa $ (valeur de $f$ au point $1$) est une constante réelle strictement positive. Reste donc à déterminer la fonction (ou les fonctions) $\varphi $
à partir de sa dérivée $f$.
2.5. Le Logarithme
Nous venons de voir que la fonction qu’on cherche $\varphi :{\Bbb R}_+^\ast \longrightarrow {\Bbb R}$ avec les propriétés requises a
pour dérivée une fonction $f:{\Bbb R}_+^\ast \longrightarrow {\Bbb R}$ de la forme $f(x)={\kappa \over x}$ où $\kappa $ est une constante
strictement positive. Pour retrouver $\varphi $, il suffit alors de prendre la primitive de $f$ qui s’annule au point $1$ (cette condition
doit être satisfaite car prescrite par la relation fondamentale comme on l’a déjà fait remarquer).
Ceci impose :
\[\varphi_\kappa (x)=\int_1^x{{\kappa dt}\over t}.\]
Nous avons donc une famille (paramétrée par la constante $\kappa \in {\Bbb R}_+^\ast $) de fonctions répondant à la question.
Chacune d’elles vérifie la relation fondamentale. En effet, si on dérive la fonction :
\[\Phi_k(x,y)=\varphi_\kappa (xy)-\varphi_\kappa (x)-\varphi_\kappa (y)\]
par rapport
à $x$ (en gardant $y$ constant), on obtient :
\[y\varphi_\kappa'(xy)-\varphi_\kappa'(x)=y{\kappa \over {xy}}-{\kappa \over x}=0.\]
La quantité $\varphi_\kappa (xy)-\varphi_\kappa (x)-\varphi_\kappa (y)$
ne dépend donc pas de $x$. Comme elle est symétrique en $x$ et $y$, le même calcul montre qu’elle ne dépend pas non plus de $y$ ; elle est en fait
constante ; mais comme elle est nulle pour $x=y=1$, on a $\varphi_\kappa (xy)=\varphi_\kappa (x)+\varphi_\kappa (y)$ pour tous $x,y\in {\Bbb R}_+^\ast $.
On appelle logarithme népérien la fonction $\ell n:x\in {\Bbb R}_+^\ast \longmapsto \ell n(x)\in {\Bbb R}$ donnée par l’intégrale :
\[\ell n(x)= \varphi_1(x)=\int_1^x{{dt}\over t}.\]
La fonction logarithme $\ell n$ réalise un isomorphisme du groupe multiplicatif $({\Bbb R}_+^\ast ,\cdot )$
sur le groupe additif $({\Bbb R},+)$. Son inverse ${\Bbb R} \longrightarrow {\Bbb R}_+^\ast $ est donc aussi un isomorphisme de groupes. Il
transforme
l’addition des nombres réels en leur multiplication. C’est la fonction :
4. Épilogue
4.1. Ce que nous avons dit au sujet des difficultés de l’enseignement de la topologie à la section 1, nous pourrions aussi le dire au sujet d’autres thèmes
des mathématiques. Par exemple, pour commencer un cours de probabilités en Licence 3 : faut-il le faire en définissant de façon générale la notion de tribu puis celle
de probabilité par les axiomes de Kolmogorov ou introduire d’abord quelques exemples élémentaires d’épreuves aléatoires qui mèneront de façon naturelle aux définitions abstraites ? De toute évidence, et vu tout ce que je viens de raconter, pour moi la réponse est claire : on commence par expliquer, à travers des exemples, ce que sont les épreuves aléatoires. C’est ce que j’ai toujours fait à chaque fois que j’ai
eu à dispenser un tel enseignement et ça a toujours marché !
4.2. Entre les fonctions exponentielle et logarithme je ne saurais dire laquelle des deux est apparue la première historiquement. C’est une question à
poser à un spécialiste de l’histoire des mathématiques mais on peut déjà trouver quelques éléments de réponse
ici ou là par exemple.
Pour moi, cet aspect historique importe peu. Je dis simplement que pour dispenser des leçons sur ces thèmes, il est utile de le faire avec motivation auprès des apprentis.
Je pense que la démarche que j’ai exposée va dans ce sens. C’est un point de vue que j’ai acquis par
une longue expérience d’enseignant. Il est personnel, bien entendu. Mais j’y tiens et si j’avais encore l’opportunité
d’enseigner ce genre de choses, je le ferais exactement de cette manière, indépendamment de toute consigne (qu’elle soit officielle ou pas) !
4.3. D’ailleurs, c’est à peu près la manière dont les mathématiciens mènent leur recherche. Et je les prends à témoin : ils peuvent confirmer ou infirmer cela. Arriver à l’énoncé
d’un théorème est une escalade : c’est un exemple sur lequel on
constate une propriété ; puis après on se demande si d’autres du même type la possèdent, et si ceux-là même ne constituent
pas une classe, qu’on élargit de plus en plus, pour arriver finalement à une situation générale. Et le théorème naît ! Dans leurs conversations, il n’est pas rare
d’entendre des mathématiciens dire : « Il a été d’abord démontré dans tel ou tel cas ; ensuite il a été généralisé
à... puis quelqu’un a donné une classe où il reste vrai... que tel autre a encore étendue à...! »
C’est toujours du cas particulier au cas général qu’on arrive à dégager les idées, les comprendre...
les mettre à l’œuvre, pour aboutir à des théories très générales. Alors pourquoi commencer un cours par ces dernières au risque de braquer les apprentis ?
Dans ma vie d’enseignant-chercheur, les mathématiciens que j’ai le plus souvent côtoyés avaient la lucidité de toujours vouloir
l’exemple précéder l’abstraction. Je me rappelle
que quand il m’arrivait de leur dire que je pensais avoir un résultat en théorie des feuilletages, ils me demandaient : « Ça donne quoi sur
le feuilletage par points ? Comment peut-on voir ça concrètement sur le feuilletage linéaire du tore ? » (C’est celui du dessin ci-dessous.) Leurs questions n’étaient
nullement du pinaillage, elles avaient un sens profond et un intérêt fondamental.
« Je préfère apprendre les maths par les exemples et la philosophie à travers la littérature ! »
Merci à Clément Caubel et Jean-Louis Poss d’avoir accepté de faire la relecture de cet article. Leurs remarques m’ont permis d’en améliorer la présentation.
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Pour citer cet article :
Aziz El Kacimi — «Faut-il toujours motiver ce que l’on enseigne ?» — Images des Mathématiques, CNRS, 2020
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