Il y a cent quarante ans : la mort de Galois
Piste bleue Le 1er avril 2011 Voir les commentaires (18)
Il y a cent quarante ans, au cours des combats de la Commune de Paris, mourait le mathématicien Évariste Galois. Il était âgé de soixante ans.
Par une belle matinée de printemps
Avant de sortir de chez lui ce matin-là 3 avril, Galois avait mis un point final à sa démonstration La partie réelle des zéros de $\Pi$ vaut $1/2$, pouvait-on lire de sa fine écriture en haut de la première page. Il avait plié les quatre feuillets et les avait glissés dans la poche de son uniforme de garde national, sans doute pour le cas où il aurait le temps de relire ses arguments au cours de la journée. Il sortit de chez lui, rue Saint-Sabin [1], et se rendit à la Porte Maillot, où la Commune devait déjà se défendre contre les attaques des Versaillais.
C’est là qu’une balle lui troua le cœur.
L’intrépidité parisienne parut vite aux premières escarmouches. Les journaux bourgeois eux-mêmes regrettaient que tant de courage [de la part des Versaillais] n’eût pas été jeté sur les Prussiens. Sous la panique du 3, il y avait eu des actes héroïques
dit l’historien Lissagaray [2].
Faisons le point...
... sur ce que nous savons aujourd’hui de sa vie. Pour sa première jeunesse, nous renvoyons à cet article.
- Après une mauvaise blessure reçue au cours d’un mauvais duel et qui le tint plusieurs mois entre la vie et la mort au début de 1832, il réussit à publier [3] un article génial et concis, dont certains auteurs pensent qu’il l’avait écrit tout entier au cours de la nuit qui précéda le duel. Nous reviendrons sur cette période et ce texte dans un article ultérieur.
- Sa réputation politique et son caractère difficile l’empêchèrent d’être recruté comme répétiteur à l’École polytechnique. Après plusieurs postes de professeur ou de « régent des études » dans différentes écoles, desquelles il se fit régulièrement renvoyer, il finit par trouver, en 1837, un poste d’astronome-adjoint à l’Observatoire de Paris.
- Il a travaillé comme astronome et il semble qu’il aimait les observations et les étoiles [4]. Il s’est assez bien entendu avec Arago, moins avec Le Verrier, et il supportait Delaunay [5].
Comme nous allons le voir grâce à des archives retrouvées très récemment et encore largement confidentielles, Galois anticipa les travaux de plusieurs illustres mathématiciens et apporta en particulier des contributions éblouissantes à la répartition des nombres premiers.
Une digression : le mystère des nombres premiers
Les nombres premiers sont ceux qui, comme 2, 3, 5, 7 (mais pas 6) sont divisibles seulement par 1 et par eux-mêmes (ce n’est pas le cas de $6=2\times 3$). On sait, depuis la plus haute antiquité, qu’il y a une infinité de tels nombres [6]. Mais alors, comment mettre la main sur tous les nombres premiers ? La première idée semble bien sûr d’essayer d’en écrire une liste la plus longue possible...
Euler calculait sans effort apparent, comme d’autres respirent, ou comme les aigles planent sur le vent.
C’est ainsi qu’Arago parle d’Euler dont l’un des jeux préférés était de calculer des nombres premiers. Toujours plus. Il a produit des tables contenant tous les nombres premiers jusqu’au-delà de $100\,000$. Quel est donc le mystère de cette liste interminable ? N’y aurait-il pas quelque chose comme une formule qui donnerait tous les nombres premiers ? En 1772, Euler s’amuse avec la formule suivante :
\[x^2+x+41.\]
Pour un mathématicien, on peut difficilement rêver d’une formule plus simple... après tout il ne s’agit là que d’un polynôme du second degré. Qu’obtient-on si on évalue ce polynôme pour $x=0,1,2,\ldots$ ? Ni plus ni moins que la suite suivante :
\[41, 43, 47, 53, 61, 71, 83, 97, 113, 131, 151, 173, 197, 223, 251, 281, 313, 247, 383, 421,\]
\[461, 503, 547, 593, 641, 691, 743, 797, 853, 911, 971, 1033, 1097, 1163, 1231, 1301, 1373, 1447, 1523, 1601.\]
Incroyable ! Quand $x$ varie de $0$ à $39$, on obtient une liste de $40$ nombres premiers. Hélas... pour $x=40$, $x^2+x+41=1681=41\times 41$ n’est pas premier.
Mais même pour le grand Euler, trouver une formule qui accoucherait de tous les nombres premiers resta un défi insurmontable. En 1751, il écrivait :
Certains mystères échapperont toujours à l’esprit humain. Pour nous en convaincre, il suffit de jeter un œil aux tableaux des nombres premiers, et on verra qu’il n’y règne ni ordre, ni règles.
En 1792, Gauss n’a que quinze ans quand les nombres premiers le fascinent déjà. Et si les dernières pages des cahiers des écoliers sont traditionnellement emplies de tables d’addition et de multiplication, certains des recueils préférés de Gauss étaient quant à eux remplis de tables de logarithmes. La première table de logarithmes date de 1614 et fut établie par le baron écossais Napier, une sorte de magicien mystique dont l’algèbre apocalyptique devait selon lui annoncer le Jugement dernier... Quoiqu’il en soit, l’intérêt des logarithmes ne s’est jamais démenti, y compris pour les marchands et les navigateurs de l’époque, car les logarithmes ont le pouvoir de transformer les multiplications en additions. Armé d’une table de logarithmes, il n’est plus vraiment indispensable de savoir multiplier pour faire des multiplications !
Comme ses prédécesseurs, Gauss échoue à trouver une formule qui donnerait tous les nombres premiers. Du coup, en bon mathématicien, il change de problème ! Il s’intéresse à la question suivante, différente et d’apparence beaucoup plus modeste. Combien y a t-il de nombres premiers plus petits que $100$ ? Que $1\,000$ ? Que $100\,000$ ? Qu’un nombre $x$ quelconque ?
Gauss ressort ses tables de nombres premiers et compte [7]. Par exemple, pour $x=10\,000$, il trouve $1\,229$ nombres premiers et en déduit qu’il y a en moyenne un nombre premier tous les $8{,}1$. Si $x=100\,000$, il trouve environ un nombre premier tous les $10{,}4$. Et ce qu’il remarque, c’est la chose suivante, tout à fait surprenante : chaque fois qu’il multiplie son nombre $x$ par $10$, il semble qu’il faille ajouter $2{,}3$ au rapport entre les nombres premiers et tous les nombres. Pour Gauss, impossible de ne pas voir que derrière tout ça se cache un logarithme.
Depuis Gauss, il est devenu courant de noter $\pi(x)$ le nombre de nombres premiers plus petits que $x$. Même s’il ne s’agissait encore que de considérations numériques et non pas d’une démonstration, en devinant que $\pi(x)$ devait être de l’ordre de $\frac{x}{\log x}$, Gauss venait de lever un coin du voile sur le mystère de la suite infinie apparemment si désordonnée des nombres premiers [8].
Malgré l’importance de sa découverte, Gauss ne pouvait se satisfaire de ne pas avoir une démonstration de son affirmation et tout ce qu’il dit de sa trouvaille fut dissimulé dans cette subtile formule :
Vous n’avez aucune idée de la poésie que recèle une table de logarithmes.
Et maintenant, de l’harmonie
Pour vous expliquer ce que nous avons découvert des mathématiques de l’homme mûr Galois, il faut maintenant faire un détour par la musique.
La musique est le plaisir que connaît l’esprit humain lorsqu’il compte sans le savoir.
Cette citation de Leibniz reprend l’idée du dialogue entre mathématiques et musique [9]. Citons par exemple le compositeur Rameau [10] qui écrivait en 1722 que :
sans tenir compte de toute l’expérience que j’ai pu acquérir dans la musique de par ma si longue association avec elle, je dois avouer que mes idées ne se sont clarifiées qu’avec l’aide des mathématiques.
Quant à Euler, convaincu que les nombres premiers expliquaient la beauté de certaines combinaisons de notes, il aurait voulu faire de la théorie musicale « une partie des mathématiques et déduire de façon ordonnée, à partir de principes corrects, tout ce qui peut rendre plaisants l’association et le mélange de tons. »
Lorsqu’un violoniste fait vibrer l’une des cordes de son instrument, il produit un son d’une très grande richesse : une note fondamentale accompagnée de toutes ses harmoniques. La somme infinie $1+\frac{1}{2}+\frac{1}{3}+\frac{1}{4}+\cdots$ ne pouvait alors manquer d’entrer dans l’histoire sous le nom de « série harmonique ». Bien que progressant très lentement, il était bien connu depuis le XIV° siècle que la somme de cette série finit par s’approcher irrémédiablement de l’infini. À la suite de calculs prodigieux, Euler s’exclama :
Maintenant, de façon des plus inattendues, j’ai trouvé une formule élégante qui dépend de la quadrature du cercle.
Traduction : Euler venait de réussir à démontrer que [11]
\[1+\frac{1}{2^2}+\frac{1}{3^2}+\frac{1}{4^2}+\cdots= \frac{\pi^2}{6}\]
Que venait donc faire dans cette affaire le fameux nombre $\pi$, rapport de la circonférence sur le diamètre de n’importe quel cercle dessiné dans un plan ? Euler, qui ne tarda pas à soupçonner une grande profondeur dans la découverte qu’il venait de faire, introduisit la notation $\Pi$ pour désigner cette série qu’il calcula sur tous les entiers pairs :
\[\Pi(2k)=1+\frac{1}{2^{2k}}+\frac{1}{3^{2k}}+\frac{1}{4^{2k}}+\cdots+\frac{1}{n^{2k}}+\cdots=\frac{|B_{2k}|(2\pi)^{2k}}{2(2k)!},\]
où $B_{2k}$ sont les fameux (parmi les mathématiciens !) nombres de Bernoulli.
Tous les nombres entiers peuvent se décomposer en produit de nombres premiers. Euler en déduisit une façon d’écrire la série harmonique et ses cousines comme les $\Pi(2k)$ sous forme d’un produit infini. Plus précisément, il démontra la jolie formule suivante [12] :
\[\sum_{n=1}^{\infty} \frac{1}{n^x} = \prod_{p \in \mathcal{P}} \frac{1}{1-p^{-x}},\]
où $x$ est un nombre plus grand que $1$ [13].
Le théorème de la progression arithmétique de Dirichlet
Nous avons vu qu’il y a une infinité de nombres premiers [14]. Certes. Mais comment sont-ils répartis ? Pour préciser cette question, on peut faire quelques remarques simples : par exemple, il n’y a qu’un nombre premier pair (c’est 2), mais il y en a une infinité d’impairs (tous les autres) ; ou encore, il y a une infinité de nombres premiers qui s’écrivent sous la forme $4k+1$ (comme $5=4\times 1+1$, $13=4\times 3+1$ ou encore $29=4\times 7+1$), ce qui se démontre un peu moins facilement que l’infinitude des « nombres-premiers-tout-court », mais encore assez facilement [15].
- Johann Peter Gustav Lejeune Dirichlet (1805-1869)
- Johann Peter Gustav Lejeune Dirichlet (1805-1869)
Le premier résultat inédit obtenu par Galois est ce que l’on appelle aujourd’hui le théorème de la progression arithmétique de Dirichlet.
Ce théorème affirme qu’il y a une infinité de nombres premiers dans toutes les « progressions arithmétiques ». Concrètement : vous partez d’un nombre $a$ et vous commencez à lui ajouter un autre nombre $b$ [16], une fois, puis une autre fois, puis encore une fois, et ainsi de suite, obtenant ainsi les nombres $a, a+b, a+2b, a+3b,\ldots,a+kb,\ldots$ (c’est ce que l’on appelle une progression arithmétique). Eh bien, si $a$ et $b$ n’ont pas de diviseur commun [17], alors il y a une infinité de nombres premiers parmi ces nombres. Le cas des $4k+1$, où $a=1$ et $b=4$, se démontre de façon « élémentaire », c’est-à-dire sans analyse, mais le cas général repose sur une connaissance des groupes et de leurs « caractères ». Galois qui fut l’un des premiers à comprendre l’importance du concept de groupe en mathématiques était bien sûr l’un des meilleurs spécialistes de ces questions.
C’est une sorte de revanche de Galois sur Cauchy, spécialiste et fondateur de cette partie de l’analyse, envers lequel il est resté outré par la façon ignoble dont, pensait-il, Cauchy avait traité son travail [18] : une occasion splendide de faire mieux que « le baron » (comme il l’appelait [19]).
Lorsque Galois a démontré ce théorème en 1837, il en a parlé à son professeur de mathématiques spéciales, Louis Richard, un des mathématiciens avec qui il avait conservé des contacts [20]. Richard, qui connaissait Chasles [21], Chasles en parla à Liouville... et Liouville, qui venait de fonder le Journal de mathématiques [22], était au courant de tout ce qui se passait, fit remarquer à Chasles que le théorème en question venait d’être publié par un jeune mathématicien allemand, du nom de Johann Peter Gustav Lejeune Dirichlet [23] [24]. Louis Richard se fit le porteur de la mauvaise nouvelle, ce qui explique sans doute que le manuscrit de Galois soit resté jusqu’ici dans les archives privées de la famille Richard. Il semble que Galois se soit énervé et ait refusé de lire ce que son « rival » avait innocemment publié. De toute façon, il ne lisait pas l’allemand [25] ; heureusement pour lui en un sens, tant il aurait été furieux de lire l’un des plus grands mathématiciens de l’époque, Jacobi, écrire à propos de ce théorème de la progression arithmétique :
En appliquant les séries de Fourier à la théorie des nombres, Dirichlet a récemment trouvé des résultats atteignant les sommets de la perspicacité humaine.
Terminons par un dernier commentaire. Le manuscrit de Galois contenait également un autre théorème affirmant qu’il existe des progressions arithmétiques aussi longues que souhaitées parmi les nombres premiers. Plus précisément, si vous vous donnez un nombre entier $N$, alors il est possible de trouver deux nombres entiers $a$ et $b$ tels que les nombres $a+kb$ pour $k$ variant de $0$ à $N$ soient tous des nombres premiers. Par exemple $3, 5, 7$ est une progression de longueur $3$ et de raison $2$ ($a=3$ et $b=2$). Autre exemple : $7, 37, 67, 97, 127, 157$ est une progression de longueur $6$ et de raison $30$.
Anticipant Poincaré et ses futures idées sur les systèmes dynamiques et la théorie ergodique, Galois fut capable de démontrer ce théorème pour tout nombre entier $N$, c’est-à-dire quelle que soit la longueur de la progression arithmétique [26].
La répartition des nombres premiers
Il continua à travailler sur les nombres premiers et comprit le lien étroit qui existait entre ces derniers et sa fonction $\Pi$. Des papiers que nous avons pu examiner, il ressort que Galois avait, après 1851, bien avancé dans l’étude de cette fonction [27].
Poursuivi par la malchance, il s’aperçut, lorsque son catalogue d’étoiles lui laissa le temps de rédiger son article et de penser à le publier, que le successeur même de Dirichlet, un certain Riemann lui avait grillé la priorité. Si Galois avait anticipé l’étude de la série de Dirichlet $\Pi$, c’est sous le nom de fonction zêta (la lettre grecque $\zeta$) de Riemann que cette fonction serait désormais connue, suite à l’époustouflant et unique article paru en 1859 de ce dernier autour de la théorie des nombres.
Notons que la nouvelle désolante de la mort de Riemann de tuberculose en 1866 avait incité Galois à se remettre à l’étude de ce que l’on appelait déjà l’hypothèse de Riemann [28], dont il pensait certainement avoir une démonstration au moment de sa mort. Pourquoi tant d’intérêt pour cette fonction zêta, pourrait-on se demander ? De manière imagée, cette fonction est comme un dialogue entre la musique et les mathématiques : si la série harmonique correspond à la vibration d’une corde de violon, la fonction zêta quant à elle résonne comme une symphonie. Plus précisément, ce que Galois et Riemann ont découvert, c’est d’une part que cette fonction est entièrement déterminée par ses zéros (c’est-à-dire les points du plan complexe où elle s’annule) et d’autre part que la connaissance de ces zéros permet de reconstituer complètement la fonction $\pi$ de Gauss. Enfin, grâce à Galois et Riemann, il était désormais possible d’écrire une formule exacte pour cette fonction $\pi$ qui compte le nombre de nombres premiers inférieurs à une certaine grandeur.
Le pas accompli ici par Galois et Riemann était un pas de géant dans la compréhension des nombres premiers. Dans le miroir de la fonction zêta, la répartition des nombres premiers est parfaitement décrite par les zéros de cette fonction, d’où l’intérêt pour cette fameuse hypothèse de Riemann dont Galois avait semble-t-il une démonstration le jour de sa mort. Aujourd’hui encore et malgré les efforts de générations de mathématiciens extrêmement brillants, personne n’a encore été capable de reconstruire cette démonstration.
Pour en finir avec ses mathématiques, signalons aussi que Galois avait continué à penser aux « groupes résolubles » et qu’il pestait tout ce qu’il savait parce que le jeune Camille Jordan [29] s’en occupait désormais lui aussi.
Sur quelques-unes de ses activités et opinions...
- À titre de transition, signalons son irritation de l’émergence, parmi les mathématiciens, de ce que l’on peut appeler (en termes anachroniques) le « syndrome d’Abel » et selon lequel un mathématicien ne serait productif que jeune, voire très jeune (comme Abel, mort à 26 ans),
Et que saurait-on de mes travaux si j’avais été tué dans ce duel ?
écrivit-il un jour à Louis Richard. Dans un de ses cahiers, on trouve une note, datant vraisemblablement du début de 1871 [30] dans laquelle il revient sur ce sujet en argumentant que Charles Hermite par exemple, qui atteint la cinquantaine, a certainement encore de beaux théorèmes devant lui [31].
- Si la plupart des fils de la bourgeoisie, de ces polytechniciens qui avaient été d’ardents révolutionnaires pendant les années 1830, voire jusqu’en février 1848, s’étaient rangés, ce ne fut pas son cas [32]. Il participa à la révolution de juin 1848 (et échappa à la terrible répression qui s’ensuivit, notamment dans le quartier ouvrier où il habitait, en se réfugiant à l’Observatoire), on le vit à nouveau sur les barricades en 1851.
- Ces pointes de son activité politique expliquent, avec le travail d’observation astronomique, l’irrégularité de ce que nous avons retrouvé de son travail. Mais elles ne doivent pas masquer que son activité militante a été constante, participant à plusieurs clubs, assez proche de l’Internationale.
- Fin mars 1871, il fut élu à la Commune dans son arrondissement [33].
- Il continuait à participer à la Garde Nationale, et a participé à la défense de Paris, ce dont son âge aurait pu le dispenser... et ce qui lui coûta, prématurément, la vie.
... et sur sa fin
Tué, avec beaucoup d’autres, à la Porte Maillot, il fut emporté, avec les autres cadavres, pour être exposé à l’hospice Beaujon, rue du Faubourg-Saint-Honoré. C’est lors de ce transport qu’il fut reconnu par un jeune professeur de mathématiques qui revenait de faire son cours au lycée Louis-Le-Grand, Gaston Darboux, un des successeurs de Louis Richard. Il fut ainsi identifié comme Évariste Galois, astronome et mathématicien [34]. Darboux récupéra aussi les documents que contenaient les poches de Galois, la démonstration trouée notamment.
Lissagaray raconte dans son livre les obsèques des cent cinq morts enterrés au Père-Lachaise le 6 avril, parmi lesquels Évariste Galois.
Nous remercions chaleureusement Chantal Bosse de nous avoir dessiné le portrait d’Évariste Galois à 60 ans.
Nous (AA et MA) assumons complètement la responsabilité du contenu de cet article que le comité de rédaction d’Images des mathématiques découvre en même temps que les lecteurs.
Nous remercions les membres de la rédaction d’Images des mathématiques de nous avoir fait confiance quant à l’écriture de cet article dont peu connaissaient l’existence et aucun le sujet, et en particulier à Vincent Borelli et à l’équipe Actualité d’avoir bien voulu nous céder « à l’aveugle » la une du site en cette date fatidique. Nous nous excusons auprès des relecteurs de ne pas leur avoir laissé une chance de relire cet article avant sa publication. Il leur reste une chance de laisser leurs commentaires sur le forum de discussion de l’article...
Notes
[1] Il est curieux de remarquer que c’est dans un immeuble construit au début du vingtième siècle à l’emplacement même de celui où avait habité Galois que vécut le mathématicien Henri Lebesgue.
[2] Prosper-Olivier Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, Éditions La Découverte, page 205-206. Sur les mathématiciens et la Commune de Paris, voir aussi cet article (noter que la participation de Galois nous avait échappé, la découverte des nouvelles archives étant plus que récente).
[3] dans les Annales de Gergonne
[4] Il devait aussi aimer marcher dans Paris : la rue Saint-Sabin, dans le onzième arrondissement, est un peu éloignée de l’Observatoire pour quelqu’un faisant des observations la nuit.
[5] Les astronomes François Arago, Urbain Le Verrier (le découvreur de Neptune) et Charles Delaunay ont été directeurs de l’Observatoire à l’époque de Galois. Le Verrier s’est très mal entendu avec tout le personnel de l’Observatoire, et il fut démis de son poste de directeur après la démission de quinze astronomes (dont Galois).
[6] Nous ne résistons pas au plaisir d’inclure une démonstration de ce fait, démonstration par l’absurde, dans laquelle on suppose que le contraire de ce que l’on veut démontrer est vrai, et on en déduit une absurdité — dans le cas qui nous occupe, on suppose qu’il n’y a qu’un nombre fini de nombres premiers. On écrit ces nombres : $2, 3, 5, 7, 11,\ldots,N$ (comme ils sont supposés en nombre fini, il y en a un qui est le plus grand de tous, on l’appelle $N$). On les multiplie tous, c’est-à-dire qu’on calcule le produit $2\times 3\times 5\times 7\times 11\times\cdots\times N$. Et puis, on ajoute $1$. On a ainsi fabriqué un assez grand nombre,
\[A=2\times 3\times 5\times 7\times 11\times\cdots\times N+1.\]
Nous l’appelons « $A$ », comme absurde, car il l’est, en effet, absurde : à cause du $+1$, il n’est divisible ni par $2$, ni par $3$, ni par aucun des nombres premiers de notre liste, donc par aucun nombre premier puisque notre liste était exhaustive. Cette absurdité finit notre démonstration.
[7] Âgé de près de 70 ans, dans une lettre à Encke, Gauss avouera avoir établi au cours de sa vie une liste des nombres premiers jusqu’à $3\,000\,000$.
[8] Outre les travaux de Galois, il faut noter ceux du mathématicien russe Tchebychev sur la fonction $\pi(x)$, dès 1848.
[9] Ce dialogue est bien connu depuis le temps où Pythagore frappait d’un marteau une urne remplie d’eau pour en laisser s’échapper une note qui sonnait à l’octave lorsque l’urne n’était plus que moitié remplie. Chaque fois qu’une quantité d’eau était retirée dans des proportions entières, c’est une harmonique de la note initiale qui était entendue. Pythagore venait d’entendre une musique harmonieuse dans les fractions $1, \frac{1}{2}, \frac{1}{3}, \frac{1}{4} \ldots$ : la musique des sphères était née et n’en finirait pas d’émerveiller le monde pendant longtemps.
[10] Jean-Philippe Rameau (1683-1764).
[11] un problème célèbre connu sous le nom de « problème de Bâle »
[12] Dans son livre Introductio in Analysin Infinitorum, publié en 1748.
[13] Si l’on fait tendre $x$ vers $1$ et si l’on utilise le fait que la série harmonique diverge, on retrouve (et ça n’avait pas échappé à Euler) ainsi que l’ensemble $\mathcal{P}$ des nombres premiers est infini.
[14] déjà au moins deux fois dans cet article
[15] C’est un petit peu plus délicat, on peut sauter cette note ! On commence par démontrer que les diviseurs premiers de $(n!)^2+1$ sont tous, à la fois plus grands que $n$ et de la forme $4k+1$. On commence avec $n=5$, alors $(5!)^2+1=120^2+1=14\,401$ est un nombre premier plus grand que $5$ de la forme $4k+1$, puis $(14401!)^2+1$ (que nous ne calculons pas) a un diviseur premier encore plus grand et de la bonne forme, et l’on construit ainsi de suite une infinité de tels nombres premiers.
[16] qu’on appelle la raison
[17] Sinon, tous les nombres de la progression arithmétique sont divisibles par ce diviseur commun et il n’y a pas de nombre premier dans la progression arithmétique (ou il n’y en a qu’un, si $a$ est premier).
[18] Sur ce point, voir l’article déjà cité. Sur la réputation de Cauchy « réactionnaire », voir aussi ce billet.
[19] Par exemple, dans une lettre à Richard de février 1835 (archives privées de la famille Richard).
[20] Au dix-neuvième siècle, il était encore possible, et courant, que les mathématiciens travaillassent seuls, il n’y avait pas de séminaires et peu de lieux de rencontre.
[21] On sait que Louis Richard suivit, lorsque celui-ci y fut nommé en 1846, le cours de géométrie de Chasles à la Sorbonne, mais les deux hommes se connaissaient depuis longtemps. Sur Michel Chasles en 1871, nous renvoyons à cet article.
[22] Joseph Liouville (1809-1882) et ses mathématiques mériteraient un article sur ce site. En attendant, un lien Wikipédia. Sur les journaux mathématiques à cette époque, voir cet article.
[23] Dirichlet, né en 1805, avait 32 ans lorsqu’il publia Beweis eines Satzes über die arithmetische Progression dans les mémoires de l’Académie royale des sciences de Prusse en 1837. Cette année-là, Galois avait 26 ans.
[24] Mentionnons également que depuis ce travail de Dirichlet, il est devenu traditionnel en théorie analytique des nombres de noter $s$ la variable complexe.
[25] On apprenait plus le latin et le grec que l’allemand en France à l’époque où cette histoire se passe (voir les bulletins scolaires de Galois dans le précédent article) et les mathématiciens avaient souvent du mal à communiquer avec leurs collègues allemands.
[26] Et pourtant, concrètement, la plus longue suite connue de nos jours est seulement de longueur 26 et a été trouvée le 12 avril 2010 par Benoît Perichon et PrimeGrid :
\[43\,142\,746\,595\,714\,191 + k 23\,681\,770 \times 223\,092\,870.\]
où $k$ varie de $0$ à $25$. Il est remarquable de penser que ce théorème ait dormi si longtemps dans des archives, alors même qu’il fut complètement redécouvert en 2004 par Green et Tao, ce dernier ayant été récompensé d’une médaille Fields en 2006 en bonne partie pour la démonstration de ce théorème.
[27] Une note technique et que l’on peut sauter. Il avait montré que $\Pi$ se prolonge en une fonction méromorphe sur $\mathbf{C}$ avec un pôle simple en $1$, identifié une partie des points de $\mathbf{C}$ où cette fonction s’annule (les entiers pairs négatifs) et établi une sorte de relation fonctionnelle qu’elle satisfait.
[28] L’état des feuillets déchirés et maculés de sang ne permet pas de déterminer quelle était la démonstration de Galois. Sur ce point, le plus probable est que sa démonstration était incomplète. Rappelons ce qu’a dit André Weil, qui en était un grand spécialiste, de l’hypothèse de Riemann, en 1979 (dans une interview à Pour la science) :
Or l’hypothèse de Riemann n’est pas un point isolé des mathématiques, mais au contraire, constitue un verrou de la théorie des nombres. Pour la démontrer, il faudrait d’abord mieux connaître, et par conséquent faire progresser la théorie des nombres.
[29] La relation entre la « résolubilité » des équations et la théorie des groupes est au cœur de ce que l’on appelle maintenant la théorie de Galois (voir cet article). Camille Jordan, qui avait 33 ans en 1871, était lui aussi un spécialiste de théorie des groupes.
[30] Outre l’indication donnée par l’âge d’Hermite, il y est aussi question des difficultés à se nourrir pendant le siège de Paris par les Prussiens.
[31] Remarque prophétique... Charles Hermite a en effet démontré la transcendance de $e$ en 1873, à l’âge de 51 ans.
[32] Sur cette question et sur les relations entre la Commune de Paris et les scientifiques, et notamment les membres de l’Académie des sciences, nous nous permettons de faire un peu de publicité (anticipée) pour le feuilleton publié par l’une d’entre nous, Mai quai Conti.
[33] Voir les résultats des élections dans le Journal officiel de la Commune.
[34] Gaston Darboux, qui avait alors 28 ans, était encore professeur de lycée. Outre ses archives mal connues, notons qu’il a laissé une correspondance, notamment avec Houël, dans laquelle on trouve beaucoup d’informations intéressantes sur les publications mathématiques... et sur la vie en général, en particulier pendant la Commune de Paris.
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Pour citer cet article :
Aurélien Alvarez, Michèle Audin — «Il y a cent quarante ans : la mort de Galois» — Images des Mathématiques, CNRS, 2011
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le 7 mai 2018 à 05:20, par Pierre Lescanne