Indications bibliométriques sur l’évolution des mathématiques en France
Piste verte Le 20 février 2010 Voir les commentaires (9)
Introduction
L’utilisation de méthodes bibliométriques pour l’évaluation scientifique est sujet à controverses, en particulier lorsqu’il s’agit d’évaluer des chercheurs dans une discipline comme les mathématiques. Elles présentent, pour l’évaluation individuelle des chercheurs, des défauts qui rendent leur utilisation délicate voire dangereuse (Réf [1]). Pour cette raison, une vaste majorité de mathématiciens (dont l’auteur de cet article) sont opposés à cette utilisation pour l’évaluation individuelle (bien que de telles pratiques soient courantes, et généralement acceptées, dans d’autres disciplines).
On peut par contre être tenté d’utiliser des indicateurs bibliométriques de manière statistique pour étudier, globalement, la production scientifique dans une discipline scientifique, et pour discerner des évolutions tendancielles. C’est ce qu’on se propose de faire ici, bien que cette utilisation même d’outils bibliométriques ne fasse pas consensus - et soit même parfois l’objet de rejets violents - dans la communauté mathématique. La « qualité » d’un article donné ne peut être identifiée avec le journal dans lequel il est publié, pas plus que la « qualité » d’une mathématicienne ne peut se mesurer précisément par les journaux dans lesquels elle publie. Par contre, pour un centre assez gros – a fortiori pour un pays entier – les listes de publications donnent des informations significatives, bien que partielles, sur l’activité scientifique, même si cette information ne peut certainement pas être considérée comme la mesure d’une quelconque « qualité scientifique ». L’avantage évident des données bibliométriques - par rapport aux nombreux autres indicateurs qu’on peut imaginer utiliser - et qu’elles sont centralisées, facilement consultables, et qu’elles exploitent une structuration des revues mathématiques sur laquelle une forme de consensus existe parmi les mathématiciens.
L’objectif de ces quelques pages est de décrire quelques aspects des mathématiques en France, et de leur évolution au cours des dernières décennies, tels qu’on peut les observer à travers le prisme des données
bibliométriques disponibles dans la base de données Math Reviews de l’American Mathematical Society (AMS). On voudrait mettre en évidence de manière quantitative certaines caractéristiques intéressantes des mathématiques par rapport à d’autres disciplines en France, et des mathématiques françaises par rapport au reste du monde.
L’interprétation ou l’utilisation même de données bibliométriques peut mener à débat et ne représente pas une opinion unanime parmi les mathématiciens ; on espère simplement que ce texte pourra contribuer à ce débat en montrant que l’utilisation statistique des données bibliométriques peut conduire à bien autre
chose que le classement de Shangaï. [1]
Origine des données
Les chiffres présentés ici proviennent de publications dans une centaine de journaux de mathématiques pures et appliquées, recensées dans la base de données Mathematical Reviews [2]. Les journaux ont été choisis parmi les plus visibles dans les domaines des mathématiques pures, des mathématiques appliquées, et des probabilités et statistiques, en utilisant comme guide la liste de WoS [3]. L’utilisation de Mathematical Reviews est intéressante en raisons de deux qualités importantes de cette base : elle identifie individuellement les auteurs (distinguant ceux qui ont même nom et initiale, ou qui changent de nom), et elle attribue un code fiable à chaque institution.
Pour certains résultats on a utilisé un indicateur de « production » mathématiques, obtenu comme dans Réf [3]. Chaque journal est affecté d’un coefficient appelé M.C.Q. (Mathematical Citation Quotient) calculé par Mathematical Reviews, qui mesure l’impact en termes de citations par article dans les cinq ans suivant la publication, dans une partie des revues de mathématiques. On calcule pour chaque indice une « valeur » égale au nombre de pages, multiplié par le carré du M.C.Q. 2005 du journal. [4]
Puis la valeur de l’article est partagée entre ses auteurs. Cette formule peut être critiquée - chacun a son idée sur ce que devrait être un indicateur idéal - mais elle a l’avantage d’une certaine simplicité. La pondération par le nombre de page reflète le fait qu’un article long contient parfois plus de résultats, et représente plus de travail, qu’un article court.
L’inconvénient de cet indicateur est qu’il représente les différentes sous-disciplines de manière déséquilibrée. Les journaux de mathématiques appliquées et de statistiques tendent à avoir un M.C.Q. relativement faible. Cette sous-pondération peut être corrigée pour des études plus fines (Réf [2]) mais elle n’a pas nécessairement une grande importance ici. D’autres indicateurs pourraient bien entendu être employés, on a choisi ici de privilégier la simplicité en n’en utilisant qu’un seul. Mais les résultats obtenus avec d’autres indicateurs (faisant par exemple intervenir l’Impact Factor à cinq ans en complément ou en remplacement du M.C.Q.) sont similaires. [5]
Les données concernent la période 1984-2006, en effet Mathematical Reviews ne recense l’affiliation des auteurs des articles que depuis 1984. Pour ce qui concerne les variations temporelles, on a regroupé les années en quatre périodes de six ans (sauf la première, de cinq ans) ce qui permet de présenter des tableaux plus lisibles. L’attributions des articles à diverses sous-disciplines est faite (de manière inévitablement imparfaite) en utilisant le code M.S.C. principaux attribués aux articles. [6]
A partir de la liste de tous les articles publiés dans les journaux considérés, on obtient une liste de 60560 auteurs. Parmi eux, 32575 ont écrit au moins deux articles, ils forment une sous-population de « mathématiciens actifs » qui nous intéresse plus particulièrement. Pour ces auteurs nous disposons de la date de la première et de la dernière publication (jusqu’en 2006 inclus). Les affiliations successives de ces auteurs sont reconstruites en extrapolant à partir de celles indiquées pour les articles qu’ils ont publié dans la période (dans la liste des journaux que l’on considère).
Tous les chiffres présentés ici doivent être pris comme des indications, plus que comme des données absolument exactes. Les mesures faites dépendent d’un traitement des données qui introduit nécessairement un peu d’arbitraire (et quelques erreurs) dans des informations qui peuvent elle-même être imparfaites.
On pourra consulter Réf [2] pour plus de détails sur les données utilisées ici.
Les mathématiques françaises dans le monde
Premier constat : du point de vue de l’indicateur choisi, les mathématiques françaises se portent plutôt bien : la part des auteurs dont l’affiliation est en France, parmi l’ensemble des articles publiés dans les journaux considérés ici, est passée 10,4% à 12,7% du total. La part des mathématiques françaises, indiquée dans la table 1, varie largement entre les disciplines. Mais elle est élevée dans des domaines relevant tant des mathématiques pures que des mathématiques appliquées, voire des relations avec d’autres disciplines comme la physique.
Période | ||||
---|---|---|---|---|
Discipline | 1984-88 | 1989-94 | 1995-2000 | 2001-06 |
Algèbre | 9.6 | 6.6 | 7.9 | 9.8 |
Analyse | 5.2 | 7.6 | 5.8 | 5.9 |
Systèmes dynamiques | [7] | 7.2 | 21.2 | |
Géom. Algébrique | 12.3 | 11.6 | 12.6 | 12.0 |
Géom. Différentielle | 14.2 | 14.0 | 13.3 | 13.4 |
Numérique | 4.7 | 4.7 | 6.4 | 7.9 |
EDP | 14.7 | 14.6 | 15.2 | 17.6 |
Physique | 7.1 | 13.2 | 20.0 | 19.8 |
Proba-Stat | 9.9 | 10.6 | 16.2 | 15.6 |
Topologie | 9.1 | 10.3 | 10.8 | 11.4 |
Divers | 4.9 | 5.0 | 5.7 | 6.8 |
Total | 10.4 | 10.8 | 11.4 | 12.7 |
Il est à noter que la part qui est indiquée ici est peut-être légèrement minorée, pour des raisons méthodologiques. En effet le poids des journaux français (où la part des articles ayant un auteur en France est généralement un peu supérieure à la moyenne) peut être un peu minoré par le M.C.Q., d’une part en raison du choix des journaux dont la bibliographie est prise en compte (car Mathematical Reviews reste une base de données américaine), d’autre part parce qu’ils publient généralement plus d’articles en français que la moyenne, et qu’il semble que les articles en français tendent à être moins cités, toutes choses égales par ailleurs, que ceux en anglais.
Une autre remarque intéressante est que le poids moyen des articles (pondérés comme expliqué plus haut) publiés par les auteur dont l’affiliation est en France, parmi ceux qui apparaissent dans la liste définie plus haut, est supérieur à celui de n’importe quel autre pays. Les mathématiciens installés en France représentaient 4,17% de la liste restreinte des « mathématiciens actifs » dans la période 1984-88 (769 sur un total de 18431), et 7,73% à la fin (2231 sur un total de 28852).
Répartition géographique
La répartition géographique de la recherche mathématique en France a considérablement évolué au cours des dernières années. On présente dans le tableau 2 la part, dans la production nationale mesurée par l’indice indiqué plus haut, des institutions dont la part totale sur la période 1984-2006 est la plus importante.
Donner des chiffres absolus de production mathématique n’est pas très significatif, puisque ça conduit implicitement à comparer des centres de taille très différente. Nous incluons donc un indicateur, égal, pour chaque période et pour chaque centre, au nombre de mathématiciens présents dans notre base ayant leur affiliation dans l’université concernée.
[8]
Période | ||||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Institution | 1984-88 | 1989-94 | 1995-2000 | 2001-06 | ||||
Part | Auteurs | Part | Auteurs | Part | Auteurs | Part | Auteurs | |
Bordeaux | 2.26 | 26 | 1.62 | 47 | 3.10 | 73 | 4.09 | 88 |
Cergy | 0.24 | 3 | 1.55 | 20 | 3.63 | 32 | ||
Dijon | 1.63 | 13 | 0.67 | 18 | 1.66 | 25 | 1.55 | 28 |
ENS Paris | 5.85 | 34 | 3.45 | 56 | 4.71 | 76 | 4.22 | 75 |
ENS Lyon | 1.40 | 18 | 3.22 | 41 | 3.40 | 41 | ||
Grenoble | 2.73 | 25 | 3.19 | 46 | 3.06 | 61 | 3.27 | 71 |
IHES | 6.75 | 25 | 7.45 | 28 | 1.59 | 25 | 1.25 | 22 |
Lille | 1.68 | 26 | 0.89 | 30 | 1.46 | 75 | 1.92 | 95 |
Nancy | 2.08 | 13 | 1.58 | 25 | 1.34 | 37 | 1.58 | 52 |
Nice | 2.58 | 25 | 1.38 | 42 | 1.95 | 51 | 1.68 | 63 |
Paris 11 | 16.66 | 93 | 20.74 | 150 | 13.64 | 165 | 11.80 | 170 |
Paris 13 | 0.77 | 11 | 1.19 | 20 | 2.36 | 39 | 4.94 | 49 |
Paris 6 | 12.22 | 108 | 11.60 | 169 | 12.44 | 208 | 8.93 | 209 |
Paris 7 | 10.19 | 42 | 6.00 | 68 | 6.07 | 81 | 3.39 | 76 |
Paris 9 | 3.28 | 17 | 3.73 | 38 | 1.99 | 48 | 1.30 | 36 |
Polytechnique | 8.54 | 56 | 7.57 | 74 | 4.93 | 91 | 3.54 | 93 |
Rennes | 1.20 | 17 | 2.18 | 40 | 2.84 | 63 | 2.35 | 73 |
Strasbourg | 3.29 | 24 | 2.45 | 37 | 2.95 | 62 | 1.90 | 54 |
Toulouse 3 | 0.73 | 13 | 5.23 | 37 | 4.69 | 90 | 5.60 | 121 |
Une remarque s’impose : les mathématiques françaises se sont « déconcentrées ». Dans la première période, quelques grands centres, essentiellement parisiens, se partagent la part du lion dans la production nationale. Dans la dernière période, de nouveaux centres ont émergé, en particulier en province et en périphérie de la région parisienne, comme l’ENS de Lyon ou Cergy. Ces centres ont aujourd’hui une production suffisante pour avoir une forte visibilité à l’échelle non seulement française mais internationale. La continuation et l’amélioration de l’excellence française en mathématiques provient donc non seulement du maintien des grands centres historiques mais aussi de l’émergence de centres dans lesquels une recherche de haut niveau se développe.
On peut voir dans cette extension une conséquence de la politique résolue menée au sein de la communauté mathématique française (en particulier par le CNRS) pour développer tous les centres, en particulier en favorisant la mobilité. On reviendra sur ce point plus bas.
Le même phénomène est visible dans le tableau 3. On y donne l’évolution, au cours de nos quatre périodes, de la part des 10 principales institutions (du point de vue de la production dans la période considérée). La part des dix premières institutions décroît fortement, alors que la part de celles qui ne sont pas même dans les quarante premières augmente nettement, passant de 3% à plus de 9% de la production nationale.
Période | |||||
---|---|---|---|---|---|
Groupe | 1984-88 | 1989-94 | 1995-2000 | 2001-06 | |
1-10 | 72.7 | 71.4 | 58.8 | 53.5 | |
11-20 | 15.0 | 13.8 | 18.3 | 20.7 | |
21-40 | 9.3 | 9.6 | 15.1 | 16.5 | |
41- | 3.0 | 5.2 | 7.7 | 9.3 |
Une autre remarque importante se dégage de ces données : l’absence criante des grandes écoles d’ingénieurs, à l’exception de l’Ecole Polytechnique. Alors que les instituts de technologie étrangers (M.I.T., Caltech, E.T.H., etc) se distinguent par une recherche d’excellence en mathématiques pures et appliquées, les grandes écoles françaises (sauf, encore une fois, l’Ecole Polytechnique) n’apparaissent presque pas dans la production mathématique française, mesurée de manière bibliométrique. Quelques unes disposent d’équipes de très bon niveau, mais spécialisées dans des domaines très spécifiques, et avec une production scientifique qui ne leur permet pas (du moins d’après nos critères) de s’approcher des moins visibles des universités. De manière regrettable, l’excellence française en mathématiques ne profite guère aux futurs ingénieurs (sauf indirectement pendant leur passage en classes préparatoire).
Formation et mobilité
Intéressons-nous maintenant à un autre élément clé de la recherche mathématique : où sont formés les jeunes chercheurs. Les données dans ce domaine sont plus difficiles à obtenir que pour la production scientifique, telle qu’elle peut être évaluée par les articles publiés. Nous avons considéré seulement les mathématiciens qui ont publié au moins deux articles dans notre liste d’une centaine de journaux, entre 1984 et 2006. Pour tous ces mathématiciens nous disposons de la date de leur première publication [9] que nous identifions à sa « naissance » mathématique, mais nous connaissons son affiliation uniquement pour les années où il a publié un article dans l’un des journaux de notre liste restreinte, après 1984. Nous attribuons une « première affiliation » à une auteure lorsque sa première affiliation connue est au plus 3 ans après sa « naissance ». Cette affiliation ne correspond donc pas nécessairement au lieu où elle a effectué sa thèse, mais dans l’indicateur dans son ensemble donne une idée statistiquement valable de l’endroit où sont formés les jeunes mathématicien(ne)s, qu’il s’agisse de thèses ou de post-docs.
Période de « naissance » | ||||
---|---|---|---|---|
Institution | 1984-88 | 1989-94 | 1995-2000 | 2001-06 |
Bordeaux | 0.9 | 3.4 | 2.3 | 1.5 |
ENS Paris | 9.6 | 5.2 | 4.0 | 5.9 |
ENS Cachan | 0.9 | 0.9 | 1.4 | 2.5 |
ENS Lyon | 2.6 | 3.2 | 3.4 | |
Besançon | 3.4 | 1.1 | 0.5 | |
Grenoble | 0.9 | 1.7 | 2.6 | 2.5 |
Lille | 2.6 | 0.9 | 1.4 | 0.5 |
Lyon 1 | 1.8 | 0.9 | 1.7 | 1.5 |
Nancy | 2.2 | 1.1 | 2.5 | |
Nice | 3.5 | 2.6 | 2.6 | 3.4 |
Paris 11 | 12.3 | 9.9 | 11.2 | 8.9 |
Paris 13 | 2.6 | 2.3 | 1.0 | |
Paris 6 | 22.8 | 9.9 | 10.0 | 9.4 |
Paris 7 | 6.1 | 3.4 | 2.3 | 2.5 |
Paris 9 | 0.9 | 6.5 | 2.6 | 0.5 |
Polytechnique | 7.0 | 5.6 | 4.6 | 4.4 |
Rennes | 2.6 | 1.7 | 3.0 |
Les résultats apparaissent dans le tableau 4. Précisons encore une fois qu’il ne s’agit pas de savoir où sont formés les doctorants en mathématiques, mais bien de la petite proportion de ceux qui deviennent par la suite des mathématiciens assez confirmés pour publier au moins deux articles dans un journal de haut niveau. Le même phénomène que dans le tableau 2 est visible : on passe d’une configuration concentrée, où la formation se fait dans quelques centres surtout parisiens, à une situation beaucoup plus ouverte. Il y a d’ailleurs une forte corrélation entre la production scientifique indiquée dans le tableau 2 et la formation des futurs chercheurs, mais avec quelques écarts notables.
Un second élément clé dans le fonctionnement de l’école mathématique française est le fort degré de mobilité des mathématiciens. On montre dans le tableau 5 le nombre moyen d’affiliations qu’ont eu précédemment les mathématiciens installé en France dans notre liste restreinte et dont la première publication date de plus de 4 ans (resp. 9 ans, 19 ans). L’évolution temporelle n’est pas entièrement fiable du fait d’effets de bords (c’est pourquoi les années 1984-1993 ne sont pas indiquées). Mais la direction générale est claire : le degré de mobilité est important, et en augmentation nette sur la période. Il faut noter que le degré de mobilité calculé de cette manière en France est élevé par rapport à la moyenne mondiale. (Il est comparable aux Etats-Unis, généralement plus faible ailleurs.) On voit là encore l’effet de l’action structurante menée au cours des dernières décennies, en particulier par le CNRS, pour favoriser les recrutements externes dans les universités.
Age | |||
---|---|---|---|
Année | > 4 ans | >9 ans | >19 ans |
1994 | 1.521 | 1.536 | 1.364 |
1995 | 1.578 | 1.615 | 1.417 |
1996 | 1.612 | 1.661 | 1.484 |
1997 | 1.659 | 1.720 | 1.518 |
1998 | 1.687 | 1.762 | 1.601 |
1999 | 1.735 | 1.806 | 1.674 |
2000 | 1.756 | 1.848 | 1.727 |
2001 | 1.815 | 1.901 | 1.818 |
2002 | 1.869 | 1.949 | 1.861 |
2003 | 1.895 | 1.974 | 1.948 |
2004 | 1.936 | 2.010 | 2.048 |
2005 | 2.022 | 2.085 | 2.176 |
2006 | 2.175 | 2.294 | 2.419 |
Un dernier élément important est le degré d’ouverture et l’attractivité des mathématiques françaises. On en donne une indication dans le tableau 6, qui indique le nombre de mathématiciens actifs en France qui ont été « formés » pendant chaque période dans différents pays (dans le sens qui est expliqué plus haut) et le tableau 7, qui indique le nombre de mathématiciens « formés » en France pendant chaque période et actifs dans d’autres pays. [10]
Période | ||||
---|---|---|---|---|
Région de formation | 1984-88 | 1989-94 | 1995-2000 | 2001-06 |
Allemagne | 7 | 12 | 15 | |
Australie | 1 | 4 | ||
Brésil | 1 | 1 | 2 | 6 |
Canada | 1 | 2 | 6 | 6 |
Chine | 2 | 3 | 5 | |
Espagne | 1 | 10 | ||
Etats-Unis | 7 | 19 | 31 | 41 |
France | 123 | 305 | 586 | 711 |
Grande-Bretagne | 5 | 9 | 12 | |
Inde | 1 | |||
Israël | 2 | 5 | ||
Italie | 4 | 6 | 10 | |
Russie | 2 | |||
Suisse | 1 | 10 | 16 | |
Autres | 6 | 18 | 36 |
Période | ||||
---|---|---|---|---|
Pays d’exercice | 1984-88 | 1989-94 | 1995-2000 | 2001-06 |
Allemagne | 2 | 12 | 18 | |
Australie | 1 | |||
Brésil | 2 | 2 | 2 | |
Canada | 2 | 1 | 11 | |
Espagne | 1 | 3 | 4 | 7 |
Etats-Unis | 2 | 15 | 21 | 45 |
Grande-Bretagne | 2 | 7 | 10 | |
Israël | 1 | 2 | ||
Italie | 3 | 3 | 11 | |
Japon | 4 | |||
Suisse | 1 | 2 | 7 | |
Autres | 1 | 3 | 8 | 25 |
Deux faits marquants émergent de ce tableau, qui sont d’ailleurs vrais de manière plus générale au niveau international (voir Réf [2]), où des indicateurs un peu différents sont utilisés).
- Le nombre de déplacements entre pays est relativement faible, du moins parmi les mathématiciens qu’on considère. La grande majorité reste dans le pays où ils ont été formés (sauf parfois pour des périodes courtes à l’étranger).
- Les échanges sont remarquablement symétriques : loin de faire apparaître un « brain drain » qui favorise certains pays au dépends d’autres, les tableaux montrent plutôt des échanges assez équilibrés.
Le second point est d’ailleurs complété par d’autres données plus fines (non présentées ici, voir Réf [2]) qui indiquent que les échanges entre pays sont assez équilibrés aussi du point de vue de la productivité scientifique (poids total moyen des articles publiés par an) des chercheurs.
Dans l’ensemble, l’école mathématique française paraît bien implantée dans un réseau d’échanges internationaux ; elle forme des mathématiciens qui peuvent ensuite être actifs à l’étranger, mais garde aussi une attractivité remarquable (au vu des différentiels de salaires avec certains autres pays) pour les mathématiciens actifs formés à l’étranger.
Références
[1] Robert Adler, John Ewing, Peter Taylor, Citation Statistics. également publié dans Statist. Sci. Volume 24, Number 1 (2009), 1-14.
[2] Pierre Dubois, Jean-Charles Rochet, and Jean-Marc Schlenker, What does it take to be a good mathematician, en préparation, 2009.
[3] Jean-Marc Schlenker, Les enjeux de la bibliométrie pour les mathématiques, Gazette des mathématiciens 115, 1/2008, pp 73-79, 2008.
Remerciements
Les résultats présentées ici n’ont pu être obtenus que grâce à l’autorisation donnée par Mathematical Reviews d’utiliser leur base mathscinet de manière non standard ; nous leur en sommes reconnaissant. Le traitement des données a été réalisé dans le cadre d’un projet en collaboration avec Pierre Dubois et Jean-Charles Rochet, qui ont donc une grande part dans le travail qui a permis l’obtention des résultats, et dans les analyses présentées ici. [11]
Merci aussi à Etienne Ghys et à Fabrice Planchon, ainsi qu’à de nombreux autres relecteurs d’Images des Mathématiques, pour des remarques utiles sur des versions préliminaires de ce texte.
Notes
[1] Il me semble en fait qu’une familiarité minimale des mathématiciens avec certains outils bibliométriques pourrait leur être extrêmement utile, en particulier dans le contexte d’échanges dans des conseils interdisciplinaires (par exemple dans les universités) où les arguments quantitatifs risquent de devenir de plus en plus courants.
[2] Cette base de données est éditée par l’American Mathematical Society, elle est très largement utilisée par les mathématiciens comme outil de recherche et de référence bibliographique.
[3] WoS, pour Web of Science, est une base de données bibliographique largement utilisée dans l’ensemble des disciplines scientifiques (mais assez peu en mathématiques) y compris à des fins d’évaluation. Elle a été utilisée pour déterminer une liste de journaux parce lors de la mise au point des données utilisées ici Math Reviews ne fournissait pas encore de liste (ordonnée par MCQ) de journaux comme c’est le cas aujourd’hui.
[4] Cette utilisation du carré du MCQ peut paraître étonnante ; elle permet de donner aux différents journaux une pondération comparable à celle que leur accorderaient intuitivement une partie des mathématiciens. Ainsi le MCQ le plus grand (pour les Publications Mathématiques de l’IHES) est de 2.7, alors qu’un « bon » journal comme J. Funct. Anal. a un MCQ de l’ordre de 1, d’où un ratio des carrés qui est de l’ordre de 7. Les MCQ les plus faibles parmi les journaux considérés sont de l’ordre de 0,3, il « pèsent » donc un peu plus de 1/100 des journaux principaux. Cette pondération a pour conséquence de donner un rôle prépondérant aux quelques journaux les plus visibles (au sens du MCQ) et donc de limiter dans une certaine mesure l’importance de la taille des centres. Elle a par contre l’inconvénient de donner un poids important à certains articles, d’où une variation relativement grande dans l’indicateur des petits laboratoires.
[5] Quand on modifie les critères utilisés, on voit généralement très peu de différences sur les résultats. Une exception : si on utilise par exemple le MCQ au lieu de son carré, on « favorise » les « gros » départements au dépens de ceux plus petits mais très « actifs ». De même, utiliser l’Impact Factor au lieu du MCQ tend à favoriser (relativement) les départements ayant une forte spécialisation en mathématiques appliquées.
[6] A titre d’exemple, la catégorie « Géométrie Différentielle » correspond aux codes MSC 51-XX, 52-XX, 53-XX, 32-XX et 58-XX. De manière plus générale, les attributions sont faites comme suit.
| Domaine| Codes MSC |
|Algebre |06,08,20,18,15,16,17|
|GeomAlg |11,12,13,14|
|GeomDiff |51,52,53,32,58|
|Topologie |19,54,55,57,22|
|Analyse |26,28,30,41,42,43,46,47,33,34,39,40|
|EDP |31,35,44,45,49|
|SysDyn |37|
|Physique |70,74,76,78,80,81,82,83,85,86|
|Numerique |65|
|ProbaStats |60,62|
|Divers |00,01,97,03,05,68,90,91,92,93,94|
[7] Les systèmes dynamiques ne deviennent une catégorie dans la classification MSC, qui rest ré-évaluée régulièrement, qu’à partir de notre 3ème période.
[8] Il s’agit donc de ceux qui ont publié, au cours de la période 1984-2006, au moins deux articles dans notre liste de référence. Les attributions d’affiliations sont faite
en interpolant à partir des affiliations connues par des publications dans les journaux de notre liste.
[9] Dans n’importe quel journal, pas nécessairement de notre liste restreinte. Cette date a été récupérée, via le code auteur, dans la base de données Math. Reviews, indépendamment de la liste des articles publiés dans les journaux considérés dans l’étude.
[10] Le nombre de personnes apparaissant dans le tableau 6 (2040) est plus faible que l’effectif total des mathématiciens sur des postes universitaires ou de recherche en France (qu’on peut estimer à 3500 environ), puisqu’on considère seulement ceux ayant publié deux articles au moins dans notre liste restreinte, et parmi eux ceux dont la « première affiliation » est identifiée, au sens défini plus haut, le tout seulement à partir de 1984.
[11] Les lecteurs désirant plus d’informations sur les données sont invités à me contacter.
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Pour citer cet article :
Jean-Marc Schlenker — «Indications bibliométriques sur l’évolution des mathématiques en France» — Images des Mathématiques, CNRS, 2010
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le 27 février 2010 à 19:46, par Jean-Paul Allouche
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le 28 février 2010 à 12:41, par Jean-Marc Schlenker
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le 1er mars 2010 à 21:22, par Pierre Colmez
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le 3 mars 2010 à 17:18, par Thierry Bouche
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le 4 mars 2010 à 07:27, par Jean-Marc Schlenker
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le 4 mars 2010 à 17:31, par Thierry Bouche
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le 4 mars 2010 à 21:39, par Jean-Marc Schlenker
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le 3 mars 2010 à 17:34, par Thierry Bouche
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le 1er mars 2010 à 21:48, par Jean-Marc Schlenker