Intelligence, machines et mathématiques

Le 11 mars 2020  - Ecrit par  Ignasi Belda Voir les commentaires

Cet article a été écrit en partenariat avec L’Institut Henri Poincaré

En 2013, l’Institut Henri Poincaré et Images des Mathématiques avaient uni leurs efforts pour superviser la réédition de la collection Le monde est mathématique, publiée par RBA en partenariat avec Le Monde. En 40 ouvrages, cette collection de qualité, issue d’un projet collectif de mathématiciens espagnols, vise à présenter, à travers une grande variété de points de vue, de multiples facettes des sciences mathématiques, sous un aspect historique, humain, social, technique, culturel ...
Reprise et améliorée au niveau de la forme, cette édition avait été entièrement lue et corrigée par l’équipe d’Images des Mathématiques ; des préfaces et listes bibliographiques rajoutées.

En 2019, cette collection est de nouveau éditée, présentée par Étienne Ghys et distribuée par L’Obs.

Chaque semaine, à l’occasion de la sortie d’un nouveau numéro de la série, un extrait sélectionné sera présenté sur Images des Mathématiques. Il sera également accompagné du sommaire du livre et d’une invitation à prolonger votre lecture.

Extrait du Chapitre 4 - La planification et le raisonnement automatique

Voici des événements qui pourraient survenir n’importe quand :

14 h 32 : Un camion en excès de vitesse se renverse sur une route secondaire. Le
chauffeur reçoit un coup violent à la tête.

14 h 53 : Les pompiers et une ambulance arrivent sur le lieu de l’accident et, en
quelques minutes, ils réussissent à évacuer le chauffeur, inconscient et
ayant une grave fracture du crâne.

15 h 09 : L’ambulance arrive à l’hôpital où le service des urgences décrète la mort
cérébrale du chauffeur.

15 h 28 : On identifie l’homme et on informe sa famille.

16 h 31 : Une fois la famille du défunt arrivée à l’hôpital, une équipe de psychologues
entre en contact avec elle pour lui apporter un réconfort psychologique
et recueillir son consentement pour le don des organes non affectés
par le traumatisme.

16 h 36 : Après une brève discussion, la famille accepte de faire don des reins du
défunt (que nous appellerons dorénavant « le donneur »).

16 h 48 : Une équipe chirurgicale commence l’ablation des reins ainsi que les examens
médicaux. En parallèle, des responsables administratifs de l’hôpital
entreprennent les démarches officielles pour obtenir l’autorisation légale.

17 h 24 : Une fois le prélèvement achevé, on saisit sur ordinateur les données biologiques
du donneur et les caractéristiques des organes.

C’est ainsi que commence une greffe d’organes.

Comment gérer une transplantation

17 h 24 : Immédiatement, le système informatique détermine qui seront les deux receveurs
des reins. Il les informe, puis il réserve et planifie les moyens logistiques nécessaires pour le transport. C’est ainsi qu’une ambulance doit être prête à
porter l’un des reins à l’hôpital d’une ville voisine (30 km) et qu’un avion de
transport médical portera le second dans une ville située à 450 km et qui fait
partie d’une autre organisation autonome de santé. Le transport du second
organe de l’hôpital du donneur jusqu’à l’aéroport le plus proche s’effectuera
en hélicoptère, que le système informatique lui-même affecte automatiquement.
En parallèle, ce système effectue également la majorité des démarches
légales requises par les deux systèmes de santé, celui du donneur et celui du
receveur de la région voisine.

18 h 10 : Début de la première transplantation dans l’hôpital de la ville voisine.

19 h 03 : La seconde transplantation commence dans la ville située à 450 km.

21 h 00 : On administre aux deux receveurs le traitement postopératoire et immunosuppresseur
approprié, et leur état de santé évolue favorablement.

Pour quelles raisons le système espagnol de transplantation d’organes est-il
considéré comme l’un des meilleurs au monde ? Qu’a-t-il de plus que ceux des
pays plus avancés technologiquement et scientifiquement pour que même la
Commission
européenne envisage la possibilité d’étendre ce modèle à tous les pays
de l’Union ? Comme le lecteur l’aura peut-être déjà deviné, le système espagnol de
transplantation repose sur un puissant système d’intelligence artificielle implanté
dans tout le réseau hospitalier du pays, qui non seulement enregistre et prend en
compte les besoins et les caractéristiques de chaque receveur ainsi que l’ensemble
des détails logistiques, mais qui intègre également les règles complexes et fragmentées
de transplantation en vigueur dans le pays.

Ce système intelligent s’appuie sur un système multi-agents. Autrement dit, il
est construit à partir de nombreux systèmes informatiques relativement simples,
mais très spécialisés dans leur domaine, qui forment une intelligence collective
puissante et constituent le meilleur système de transplantation au monde. Un
système de coordination de transplantation possède typiquement une structure à
plusieurs niveaux ; par exemple, à l’échelon national, régional et hospitalier. En
outre, dans le milieu hospitalier, les données des receveurs peuvent être réparties
sur le réseau hospitalier ou être regroupées dans un entrepôt de données (« data
warehouse »
). Il existe pour tout cela un grand nombre d’agents intelligents qui
gèrent les données des receveurs et sont consultés continuellement par d’autres
agents intelligents qui sont activés quand il y a un donneur. Plusieurs acteurs du
système ont en charge les autres aspects organisationnels, comme la planification
et l’allocation de ressources logistiques pour le transport critique des organes, ou
la gestion des procédures administratives requises par les différents systèmes de
santé régionaux.

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Exemple simplifié d’un réseau d’agents responsables de la coordination des transplantations d’organes.

Travailler avec une architecture intelligente multi-agents comme celle-ci comporte
de nombreux avantages, tels que la redondance du système en cas de dysfonctionnement,
car si un agent ou un ensemble d’agents est défaillant, le système peut
s’autoréguler et affecter d’autres agents à la réalisation des tâches nécessaires.
Un autre grand avantage, qui se voit très clairement dans le cas de greffes, est que la
mise en œuvre d’agents relativement simples, mais très spécialisés, permet de
construire un système intelligent capable de résoudre en quelques secondes plusieurs
tâches à la fois complexes, interdisciplinaires et critiques.

[...]

PDF - 1.6 Mo
Sommaire du livre

Pour aller plus loin

Voici quelques billets et articles sur ce sujet :

Post-scriptum :

L’extrait proposé est choisi par le préfacier du livre : Vincent Beffara. Celui-ci répondra aux commentaires éventuels.

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Pour citer cet article :

Ignasi Belda — «Intelligence, machines et mathématiques» — Images des Mathématiques, CNRS, 2020

Crédits image :

Image à la une - Marion Bucciarelli

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