J’ai fait 3000 points en jouant à MathOverflow !

Le 11 novembre 2011  - Ecrit par  Alain Valette Voir les commentaires (15)

Le site MathOverflow, que j’abrègerai en MO, vous a été présenté ici par Benoît Kloeckner. C’est un site interactif où l’on peut poser des questions de maths de niveau recherche, et y répondre.

J’ai découvert MO début avril, après qu’un post-doc soit allé y poster (sans m’en parler) la question que nous discutions le jour même, et m’ait apporté le lendemain la solution définitive venue de MO, me frustrant ainsi du plaisir de trouver la solution avec lui. Mes premières impressions de MO s’en sont ressenties !

1) MO est infiniment plus intéressant que FB, mais c’est malgré tout une sorte de réseau social : on peut y voter pour ou contre des questions ou des réponses. En fournissant de « belles » questions ou de « bonnes » réponses, on gagne des points de réputation, qui vous font accéder petit à petit à des outils de modération (100 points : voter contre, 500 points : créer de nouveaux labels de question, 2000 points : éditer les questions ou les réponses d’autrui, etc…).

2) On constate que la plupart des jeunes utilisateurs (doctorants, post-docs…) s’inscrivent à MO sous un pseudo, alors que la plupart des mathématiciens confirmés s’y inscrivent sous leur vrai nom. D’où une certaine impression que MO est un jeu destiné à stimuler les neurones des mathématiciens vieillissants…

3) Pour un sociologue qui voudrait étudier le fonctionnement de la communauté mathématique, MO est probablement un terrain d’études idéal : de parfaits débutants y croisent des sommités (dont au moins 4 médailles Fields), d’une façon complètement égalitaire et collégiale… tant que les règles du jeu sont respectées : civilité bien sûr, mais surtout précision des questions, rigueur des réponses… Les modérateurs traquent impitoyablement les questions qui sont manifestement des problèmes de devoirs, ou celles qui sont considérées d’un niveau trop bas (disons, niveau licence, ou même maîtrise) : il suffit en général de quelques minutes pour que 5 modérateurs votent pour la fermeture de la question.

J’ai été persuadé pendant plusieurs semaines que, si les gens posaient des questions sur MO, c’était avant tout par paresse. Je le crois encore aujourd’hui, mais moins : mon scepticisme quant à l’utilité de MO a commencé à s’atténuer à la mi-mai quand, dans le cadre de ma recherche, je suis tombé sur un problème de théorie des graphes, sujet dont je ne suis pas vraiment spécialiste. Après quelques hésitations, j’ai posé la question sur MO (une certaine condition est-elle toujours satisfaite ?), et je ne l’ai pas regretté, car les votes du public ont montré que la question était non triviale ! Néanmoins, en 48 heures, j’avais d’une part un contre-exemple, d’autre part une condition nécessaire et suffisante maniable pour que la condition qui m’intéressait soit satisfaite. Encouragé par ce premier succès, j’ai posé d’autres questions de théorie des graphes, et ce qui devait arriver arriva : j’ai posé une question sans y réfléchir assez – la réponse était quasiment triviale – et j’ai donc connu le sentiment cuisant de devoir avouer à la Terre entière que j’aurais mieux fait de réfléchir plus…

Cela m’a amené à une réflexion sur le type de questions posées sur MO : je dirais que ce sont celles que, avant Internet, on posait à un ou plusieurs collègues durant une pause-café. Je ne peux m’empêcher d’épiloguer ici sur les changements fondamentaux qu’Internet a induit dans nos comportements : alors que notre voisin de bureau a peut-être la réponse à la question que nous nous posons, nous préférons nous adresser à la planète, et dialoguer avec de parfaits inconnus que nous ne rencontrerons vraisemblablement jamais. Et allonger les pauses, ou changer de marque de café n’y changera rien, car ces nouveaux comportements semblent bien ancrés : si vous vous promenez dans un Département de Maths de nos jours, vous voyez surtout des types silencieux devant un écran d’ordinateur !

Il y a quelques jours, j’ai atteint 3000 points de réputation : pour cela, j’ai posé 7 questions et répondu à 79 (on voit le côté addictif du réseau social). Trois mille points, c’est un cap sur MO : cela vous donne le pouvoir de voter pour la fermeture d’une question que vous estimez mauvaise, ou triviale, ou « homework ». Tout en savourant ce pouvoir tout neuf, je me pose encore bien des questions sur MO : jeu ou outil ? Quand je réponds à une question, c’est très souvent mon côté « prof » qui ressort : mais n’est-ce pas du temps perdu ? Ne ferais-je pas mieux de penser à mes articles, puisque c’est de mes publications que dépendent mes subsides de recherches ? D’autre part, mon dernier article a profité d’une question posée sur MO (j’ai donc dû résoudre ce problème tout neuf : comment faire référence à MO ?), donc MO est aussi un auxiliaire de recherche… Pas simple, tout ça ! « The times, they are a-changing… »

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Pour citer cet article :

Alain Valette — «J’ai fait 3000 points en jouant à MathOverflow !» — Images des Mathématiques, CNRS, 2011

Commentaire sur l'article

  • J’ai fait 3000 points en jouant à MathOverflow !

    le 11 novembre 2011 à 10:37, par Maxime Bourrigan

    Signalons aux lecteurs non chercheurs qu’il existe un site semblable à MathOverflow où les questions de maths de tout niveau (et pas simplement niveau recherche) sont acceptées : il s’agit de Math StackExchange http://math.stackexchange.com/

    (En fait, StackExchange est un ensemble de plusieurs - 71 au moment où j’écris - tels sites de questions/réponses sur des sujets variés, de l’informatique et la physique jusqu’à la linguistique, la science-fiction, la cuisine et les armes à feu... géré par une entreprise et dont les créateurs de MathOverflow se sont inspirés pour créer leur site)

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    • J’ai fait 3000 points en jouant à MathOverflow !

      le 11 novembre 2011 à 13:11, par Jill-Jênn

      Il faut impérativement demander la création d’une version francophone de Mathematics Stack Exchange, afin que les plus jeunes puissent en profiter (Kangourou, olympiades, etc.) :)

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  • J’ai fait 3000 points en jouant à MathOverflow !

    le 11 novembre 2011 à 14:34, par Martin Andler

    Ca fait un certain temps qu’Animath (www.animath.fr) réfléchit à un tel site. Mathematics Overflow et Mathematics Stack Exchange fournissent d’excellents modèles. Nous allons y travailler. Et toutes les bonnes volontés sont bienvenues !

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  • J’ai fait 3000 points en jouant à MathOverflow !

    le 11 novembre 2011 à 14:37, par Thomas Sauvaget

    Quelques petits commentaires :

    1) je suis surpris de votre point n°2, j’ai l’impression (peut-être fausse ?) qu’au contraire un nombre important de doctorants et postdocs utilisent leur vrai nom afin d’essayer de se faire remarquer par la qualité de leur questions et réponses. Et inversement, certains mathématiciens bien établis qui n’aiment pas beaucoup l’aspect « score » du site y contribuent sous pseudonyme.

    2) malgré l’aspect puéril ou addictif des « scores », il y a une vraie plus-value à fréquenter un tel « lieu de pause-café », il est même arrivé des situations impossibles ailleurs, comme ceci. Et concernant l’aspect perte de temps, un utilisateur très actif du site, Greg Kuperberg, a pu écrire que « putting a lot of time into MathOverflow is the noblest kind of procrastination »

    3) il faut aussi mentionner http://meta.mathoverflow.net/ qui est la partie du site où sont discutés tous les divers aspects administratifs (amélioration de la rédaction d’une question avant de la poster, discussion sur l’interdiction de tel ou tel type de comportement, etc.)

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    • J’ai fait 3000 points en jouant à MathOverflow !

      le 11 novembre 2011 à 22:48, par Alain Valette

      Merci à Thomas pour sa contribution. La situation de MO qu’il cite est évidemment « MathOverflow at its best » : c’est vrai qu’on ne voit pas tous les jours un point d’histoire des maths réglé par une personne qui a fait l’histoire, à savoir John Tate himself ! Mais ce genre de situation est trop rare.

      J’ai pris grand plaisir à lire l’article d’Erica Klarreich, que je ne connaissais pas. Je constate que je ne suis pas le seul à comparer les questions de MO à celles des pauses-café ! (ou thé). Je me permets de citer in extenso la phrase de Greg Kuperberg, car elle est intéressante :

      « MathOverflow has quickly become one of the most important websites for professional mathematicians on the internet, » says Greg Kuperberg, a mathematician at the University of California, Davis, who had initially dismissed MathOverflow as « too Twitter-like. » « I used to spend a lot of my time kibitzing on blogs, but not in a way that made me all that happy in the long run, because it was just procrastination, » he says. « Whereas putting a lot of time into MathOverflow is the noblest kind of procrastination. »

      C’est bien là le problème : MO est une façon de procrastiner, c’est-à-dire de remettre au lendemain des tâches moins intéressantes/amusantes, mais peut-être plus importantes/utiles.

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    • J’ai fait 3000 points en jouant à MathOverflow !

      le 11 novembre 2011 à 22:59, par Alain Valette

      Merci à Thomas pour sa contribution. La question de MO qu’il mentionne est évidemment « MathOverflow at its best » : Ce n’est pas tous les jours qu’on voit un point d’histoire des maths réglé par une des personnes qui ont fait l’histoire, à savoir John Tate himself ! Mais ce genre de cas est trop rare...

      J’ai pris grand plaisir à lire l’article d’Erica Klarreich, que je ne connaissais pas. Je ne suis donc pas le premier à prendre les questions de MO pour des questions de pause-café ! (ou thé). Je me permets de citer toute la phrase de Greg Kuperberg, car elle est intéressante :

      « MathOverflow has quickly become one of the most important websites for professional mathematicians on the internet, » says Greg Kuperberg, a mathematician at the University of California, Davis, who had initially dismissed MathOverflow as « too Twitter-like. » « I used to spend a lot of my time kibitzing on blogs, but not in a way that made me all that happy in the long run, because it was just procrastination, » he says. « Whereas putting a lot of time into MathOverflow is the noblest kind of procrastination. »

      C’est bien là le problème : MO nous fait procrastiner, c-à-d. remettre au lendemain des tâches certes moins intéressantes/amusantes, mais peut-être plus utiles/importantes.

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      • J’ai fait 3000 points en jouant à MathOverflow !

        le 11 novembre 2011 à 23:04, par Alain Valette

        Ma réponse a été postée 2 fois, suite à ce qui ressemblait à une interruption de connexion.

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  • Women in Mathoverflow

    le 11 novembre 2011 à 16:10, par Barbara Schapira

    Quelques liens :
    http://ilaba.wordpress.com/2011/03/28/why-im-not-on-mathoverflow

    http://meta.mathoverflow.net/discussion/985/woman-in-mathoverflow/

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    • Women in Mathoverflow

      le 11 novembre 2011 à 23:07, par Alain Valette

      Merci à Barbara d’attirer mon attention sur une situation dont je n’étais pas conscient (en effet, les gens qui s’expriment sur MO sous leur nom réel, sont presque exclusivement des hommes).

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  • J’ai fait 3000 points en jouant à MathOverflow !

    le 11 novembre 2011 à 22:05, par leonard

    Je suis beaucoup moins sceptique qu’Alain sur l’utilité de MOF.

    Il y a bien sûr un petit côté réseau social et un risque addictif évident.

    A Poitiers, dont le département de Maths est connu pour sa convivialité légendaire, il y a une vraie salle de café (la Cafèt), très confortable, très fréquentée par les collègues. On se déplace dans les bureaux des collègues pour poser les questions auxquelles on n’a pas de réponses. Cependant comme dans la plupart des département du monde, toutes les spécialités ne sont pas représentées, toutes les expertises ne sont pas présentes.

    Il y a un an j’ai posé une question très technique sur MOF. J’ai douté de la pertinence de ce lieu pour ce genre de question. Et pourtant j’ai très vite eu des réponses et un joli contre-exemple.

    Dans l’autre sens j’ai pu répondre à une question dont la réponse fait certainement partie du folklore des mathématiciens d’un certain âge. Etudiant, j’avais beaucoup galéré pour rassembler une réponse dans les diverses indications éparpillées dans la littérature. Ca m’a fait plaisir de transmettre ce savoir.

    De part le monde les mathématiciens, doctorants ou professionnels, ne vivent pas tous dans de grandes universités où ils sont sûrs de trouver un expert dans chaque domaine. Je vois MOF comme un grand progrès de démocratisation des mathématiques.

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    • J’ai fait 3000 points en jouant à MathOverflow !

      le 11 novembre 2011 à 22:15, par leonard

      J’ai oublié de signer : Paul Broussous

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  • J’ai fait 3000 points en jouant à MathOverflow !

    le 11 novembre 2011 à 23:36, par Alain Valette

    Cher Paul,

    A Neuchâtel, le Département de Maths est deux fois plus petit qu’à Poitiers, la salle à café (« le saloon ») est parfaitement conviviale et bien fréquentée par les jeunes, mais je constate qu’on n’y parle quasiment pas de maths - et je le déplore. Je vous félicite d’avoir su maintenir avec vos collègues, jeunes et moins jeunes, une saine ambiance d’émulation.

    Ce que je regrette avec MO, c’est que les choses deviennent trop faciles : jadis, nous avions seulement notre matière grise, nos collègues sur place et l’e-mail pour demander des infos à des collègues à distance. Puis se sont ajoutés ces outils extraordinaires que sont Google et MathSciNet, qui nous fournissent les références pertinentes en un clic. Avez-vous remarqué le nombre de questions sur MO ou l’auteur n’a même pas pris la peine de googler ? Régulièrement, il leur aurait suffi de consulter Wikipedia pour avoir la réponse ! Je termine par une question : démocratisation, ou nivellement par le bas ?

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  • J’ai fait 3000 points en jouant à MathOverflow !

    le 12 novembre 2011 à 07:48, par Bruno Duchesne

    Cher Alain,

    J’ai une question une petite question un peu annexe concernant la phrase : Si vous vous promenez dans un Département de Maths de nos jours, vous voyez surtout des types silencieux devant un écran d’ordinateur !

    C’est une remarque que je m’étais déjà faite. Surtout que les ordinateurs sont des outils très pratiques pour communiquer, rédiger des notes ou articles et faire des recherches bibliographiques mais ce n’est pas l’ordinateur qui fait des maths. C’est devant un tableau, une feuille de papier ou le regarde dans le vide que l’on peut réfléchir.

    Qu’en était-il avant ? Quelle était la vie dans les départements de maths ? Les bureaux étaient-ils remplis de gens discutant de maths ou voyait-on des personnes silencieuses devant des piles d’articles et de livres ?

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  • J’ai fait 3000 points en jouant à MathOverflow !

    le 12 novembre 2011 à 08:32, par Alain Valette

    Cher Bruno,

    Merci pour la question. Il y a toujours eu, dans l’existence des chercheurs en maths, de nécessaires moments d’intense réflexion solitaire. Mais les départements de maths que j’ai fréquentés dans les années 1980 avaient aussi un côté « ruche » qui me semble avoir disparu. Il faut dire qu’on était probablement moins bouffé à l’époque par les tâches administratives. Je ne sais pas ce qu’en pensent les collègues de ma génération, c-à-d. ceux qui ont eu une vie avant Internet.

    PS : Encore bravo pour ta thèse !

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    • J’ai fait 3000 points en jouant à MathOverflow !

      le 12 novembre 2011 à 19:41, par Bruno Duchesne

      Merci pour cette réponse.

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