Jean Giraud (première partie)
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Jean Giraud est décédé le 27 mars 2007, à l’âge de soixante-et-onze ans, des suites d’une insuffisance pulmonaire grave, à l’hôpital de la Croix-Rousse à Lyon où il avait été amené en urgence.
Giraud était connu de la communauté mathématique française pour (au moins) trois raisons assez différentes. La plus ancienne est son livre « Non Abelian Cohomology », tiré de sa thèse d’État préparée sous la direction d’Alexandre Grothendieck. Puis il y a eu sa contribution au programme d’étude et de résolution des singularités en toutes caractéristiques, tel qu’il avait été créé par Zariski et profondément modifié par Hironaka. Enfin, Giraud est intervenu sur l’organisation de la recherche mathématique (et même scientifique) en France (et aussi dans d’autres pays) à divers titres : à l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud, au ministère de la Recherche et à l’École Normale Supérieure de Lyon.
Pour toutes ces raisons, et d’autres, Jean Giraud a marqué la mémoire de nombreux mathématiciens. Pourtant, sa disparition n’a suscité presque aucune réaction publique : je n’ai vu que le communiqué envoyé au Monde et au Figaro par l’ENS de Lyon. La SMF ne s’est pas manifestée. C’est pourquoi je remercie chaleureusement la revue « Images des Mathématiques » du CNRS, et en particulier Michèle Audin et Bertrand Rémy, pour la possibilité qu’ils me donnent de payer une dette d’amitié.
Je ne peux que présenter l’excuse habituelle d’incompétence pour les faiblesses du texte qui va suivre. Dans la quête d’informations qui a précédé sa rédaction, j’ai reçu l’aide de Violaine Giraud-Contour et d’Alexandre Giraud (deux de ses enfants), de Michel Demazure, de Bernard Teissier, de Monique Lejeune, de Jose-Manuel Aroca, et de Felipe Cano. J’espère n’avoir pas déformé les faits qu’ils m’ont rapportés, voire les opinions qui coloraient ces faits. Les quelques photos viennent presque toutes des archives familiales. Les insuffisances de ce travail seront peut-être compensées par un projet d’édition de trois cours de troisième cycle de Giraud [1], que nous comptons accompagner d’une notice biographique plus fouillée et d’une notice bibliographique exhaustive.
Une note personnelle : j’ai été un moment l’élève de Giraud ; la relation d’amitié et d’affection qui est venue ensuite en a été marquée et je n’ai jamais réussi (malgré son aide) à le tutoyer ni à l’appeler par son prénom. Pourtant, l’appeler en permanence « Giraud » ou « Jean Giraud » donnerait une allure formelle injustifiée à ce qui va suivre. Je l’appellerai donc JG, en espérant que l’on ne m’en tiendra pas rigueur.
Famille et premières études
JG est né le 2 février 1936 à Lyon cinquième ; puis il a habité à Sathonay-Camp. Il venait d’un milieu modeste. Sa mère était couturière ; elle perdit la vue à la suite d’une hémorragie cérébrale alors que JG avait douze ans. Son père, Georges Giraud, était comptable. Syndicaliste, il était au chômage en 1936 et le resta longtemps. Puis il s’établit comptable à son compte pour des bouchers, charcutiers et autres commerces de bouche à Mâcon dans les années cinquante. Le jour de la Libération, un des chefs de la résistance lyonnaise rendit visite à Georges Giraud ; à cette époque, on lui proposa d’être préfet. Il est décédé en 1973. Les parents Giraud étaient gentils et très ouverts. JG avait un frère, Robert, de trois ans son aîné. Les enfants furent chouchoutés. JG hérita de son père une grande rigueur morale ; sa fille Violaine suggère, pour le comprendre, de lire « Le premier homme » de Camus.
Les premières études se firent dans une école primaire multi-niveaux. « Petite souris grise » (car il était plus petit que ses condisciples et, comme eux, vêtu d’une blouse grise), il attira l’attention de son instituteur, qui le poussa assez tôt à aller étudier chez les Jésuites ; son père l’y envoya, à Lyon, car il voulait le protéger. JG aimait bien les Jésuites mais les trouvait un peu limités, l’endroit ne correspondait pas à ses attentes. Il fut très content d’aller au lycée, bien qu’il ait eu des difficultés au début. Très jeune, il prit l’habitude de traduire du grec le dimanche pour s’occuper. Il eut son bac à seize ans avec mention bien (et son premier vélo au même âge.) Puis il alla en classe préparatoire au Lycée du Parc, à Lyon (où il apprit aussi à nager). Comme il n’avait pas le niveau de ses condisciples, il dût faire trois années de classes préparatoires avant d’intégrer Ulm. Il était nul en chimie [2], mais il devint normalien à l’âge de dix-neuf ans.
L’ENS d’Ulm
Entré en 1955 à Ulm, JG y rencontre Michel Demazure et Jean-Louis Verdier, dont il sera proche par la carrière et par l’amitié. Il rencontre aussi Antoine Delzant (qui, après ses débuts avec Grothendieck, deviendra prêtre) ; Georges Duvault (devenu mécanicien et académicien), entré en même temps que JG à Ulm, et qui venait aussi de Lyon ; et son cothurne, le physicien Étienne Guyon, qu’il appréciait (et qui sera directeur d’Ulm en même temps que JG sera directeur de Lyon). Demazure, qui a connu JG à partir de 1955, avait été frappé par son caractère posé ; alors que, selon ses mots, « ils étaient tous excités », JG restait objectif et solide : sur la guerre d’Algérie, tous étaient naïfs politiquement, sauf JG justement. Sa petite amie de l’époque était la mathématicienne Yvette Amice. Ci-dessous, le trombinoscope de la promo Sciences 1955 de la rue d’Ulm.
En première année, les apprentis mathématiciens d’Ulm suivent le cours de Cartan. En deuxième année, ils suivent celui de Godement, avant d’être provisoirement séparés après avoir passé l’agrégation en troisième année. Tous ont été frappés par le cours de Godement sur SL(2, Z) et les fonctions automorphes : mathématiquement, c’était l’époque de Borel et d’Harish-Chandra. Voici ce qu’en dira plus tard Jean Giraud :
« Mon premier intérêt en recherche a été la théorie des formes automorphes sous la conduite de Roger GODEMENT. Pendant son absence passagère, avec Michel DEMAZURE, Jean-Louis VERDIER et quelques autres, alors que nous étions encore élèves de l’ENS, nous avions organisé ce qui fut connu à l’époque comme le Séminaire des orphelins. Mais l’importance de la Géométrie Algébrique dans ce domaine des mathématiques était si évidente à l’époque que nous nous sommes rapidement retrouvés prendre part à la vaste entreprise de rénovation de cette discipline menée par Alexandre GROTHENDIECK. Le goût de ce premier sujet m’est resté et j’ai apporté quelques contributions [8] [17] [18] [3]. »
JG m’a dit plus tard que l’un des aspects de ses études qu’il avait le plus apprécié était le peu de cours qu’il avait dû suivre lorsqu’il était à Ulm : cours difficiles mais sur lesquels les étudiants avaient du temps à revendre pour réfléchir. De plus, il pouvait s’agir de cours sans rapport avec leur orientation personnelle, voire leur future thèse.
Premier foyer
JG rencontre Marie-Claire Beauregardt par l’intermédiaire de Jean-Claude Guérin, sans doute en 1958. (Elle est également née en 1936.) Ils habitent rue Saint-Jacques un appartement offert par les parents de Marie-Claire. Leur fils Armand naît à Paris en 1960. Un deuxième enfant, prématuré, est mort-né, peut-être à cause d’une erreur médicale. Leur fille Violaine naît à Orsay en 1963. En 1965/66, la famille passe une année scolaire aux USA. Dernière enfant de ce couple, Blanche arrive en 1968 dans le trois-pièces d’Orsay.
L’amitié de JG avec Verdier se double d’une amitié de Marie-Claire avec Yvonne Verdier (qui d’ailleurs étaient proches professionnellement), et des enfants : chacun des deux couples a trois enfants, ils partent en vacances ensemble. Les trois premiers enfants de JG gardent le souvenir un peu angoissant d’un père exigeant. JG est alors un père de famille à l’ancienne mode, un peu macho [4].
Grothendieck
Les années soixante furent aussi bien entendu l’après-Weil, époque bientôt dominée par le « couple magique » Serre-Grothendieck. Quand Godement arrête son cours, JG, Demazure, Verdier et (un temps) Delzant deviennent les « orphelins de Godement » et se rattachent à Alexandre Grothendieck. En fait, Demazure avait déjà pris contact avec ce dernier [5] en 1958, ce qui avait peut-être « déclenché le mouvement ». Mais aller vers Grothendieck était naturel, étant donnée l’impression de puissance et de nouveauté qu’il dégageait. D’ailleurs, les patrons parisiens possibles étaient plutôt vieux du fait de la ségrégation Paris-Province par l’âge.
JG, Demazure et Verdier étaient très liés (moins Delzant, déjà tourné vers autre chose) : ce fut la dernière promotion de normaliens à coucher en dortoir en première année, une bande totalement noctambule qui dormait plutôt le jour pour être tranquille. Demazure et JG ont eu une expérience similaire de Grothendieck : ils ont « travaillé sur commande » et pas dans le « Grand Machin » qui l’intéressait. Plus tard, ils ont donc été ménagés par Grothendieck dans son règlement de comptes de « Récoltes et Semailles » [6], comme Raynaud mais contrairement à Deligne, Illusie [7], Verdier etc.
Les rapports entre Grothendieck et ses thésards étaient extraordinairement directs, c’étaient des têtes-à-tête. Le disciple héritait d’une tâche définie et les échanges directs avec le maître se cantonnaient à cet aspect. Grothendieck n’avait d’ailleurs pas la même attitude avec ses disciples non français (Artin, Mumford [8]... ), auxquels il laissait plus d’autonomie. Cette attitude est à la fois confirmée et partiellement expliquée par certains passages de la correspondance Grothendieck Serre éditée par la SMF : voir en particulier la lettre de Grothendieck à Cartan, p. 121, et la lettre de Serre à Grothendieck, p. 124. D’un autre côté, les déjeuners à la cantine lors des séminaires à l’IHES et les retours en train vers Paris le soir étaient l’occasion de discussions vives et informelles entre Serre et Grothendieck, pendant lesquelles les autres participants (ou plutôt spectateurs) avaient l’impression de voir les idées se former directement sous leurs yeux. L’image de cette époque qu’a retenue JG (qui avait une passion pour les débats d’idée) est que Serre incarnait la lumière, la limpidité, et Grothendieck le foisonnement, la générosité.
Voici ce que dit (en 1994) Giraud de son travail mathématique de l’époque :
« Ma contribution au programme de GROTHENDIECK a porté sur l’utilisation des catégories en Géométrie Algébrique dont j’ai donné quelques exemples dans une conférence invitée au Congrès International des Mathématiciens en 1970 [10]. Après avoir mis au point dans [3] les fondements de la méthode de la descente, qui est universellement utilisée, j’ai donné une caractérisation intrinsèque des topos (ou catégories de faisceaux d’ensembles) assez surprenante à l’époque et dont les catégoriciens ont mis plusieurs années à mettre au point, sous l’impulsion de F. LAWVERE, une version abstraite. Ce résultat et la mise au point de la notion de site qui l’accompagnait ont été incorporés dans « Théorie des topos et cohomologie étale des schémas », universellement connu sous le nom de SGA4. À l’époque, on négligeait de publier de courts articles pour se consacrer à un travail d’envergure, souvent collectif, présenté sous forme achevée. C’est ainsi que mon travail principal de cette époque et qui porte sur la cohomologie non abélienne n’a fait l’objet que de deux notes aux Comptes Rendus [4] [5] en attendant la parution, en fait assez tardive, d’un ouvrage de référence [11]. »
« Cet ouvrage écrit dans le style plutôt indigeste de l’époque contenait entre autres quelques notions nouvelles importantes, et bien sûr enseignait la manière de les manier. En particulier, la notion de champ et celle, plus spécifique, de gerbe, qui permettaient de définir et étudier la cohomologie non abélienne de degré 2 dans le cadre des topos lequel unifie et généralise à la fois la notion d’espace topologique et celle de groupe opérant sur un ensemble. La partie cohomologique a servi de base, ou du moins de guide, aux travaux ultérieurs de DUSKIN, DOUAI ou BREEN cependant que l’usage des champs et des gerbes se révèle incontournable dans les problèmes de modules depuis les travaux anciens de GROTHENDIECK ou DELIGNE jusqu’à ceux, plus récents de LAUMON ou BRYLINSKI. »
Malgré sa profonde admiration pour Grothendieck [9], JG ne conserva pas un très bon souvenir de son travail mathématique de l’époque. Il considérait « Cohomologie non abélienne » comme une « œuvre de commande » et il eut vite envie d’échapper à « cette façon de faire des maths » (selon ses propres termes). Cependant il garda un vif intérêt pour ce domaine, y compris pour les développements qu’y apportèrent les logiciens (développements qu’il suivait de près et qui l’impressionnèrent par les difficiles résultats obtenus).
Réciproquement, voici deux types de jugement portés sur la contribution de Giraud. D’abord, comme on l’a dit plus haut, Grothendieck ne l’éreinta pas dans « Récoltes et Semailles » et même il eut quelques mots plutôt appréciateurs à son égard (surtout d’ailleurs sur le plan moral et éthique). Je n’ai pas retrouvé les passages concernés, mais je me rappelle très nettement que, me sachant élève de Giraud, Grothendieck m’a exprimé son estime et sa sympathie pour celui-ci. D’autre part, le gros livre sur la cohomologie non abélienne paru chez Springer est devenu célèbre. Avec le mémoire SMF sur la théorie de la descente, ils sont toujours en usage chez les spécialistes (des problèmes de modules, d’homotopie... ) qui leur reconnaissent, parmi d’autres, une qualité caractéristique et devenue plus rare : le soin et la rigueur extrêmes des constructions et des démonstrations, même lorsqu’elles sont longues et fastidieuses et que l’on est intuitivement convaincu du résultat [10].
Second foyer
À la fin des années soixante, JG habite, avec sa femme Marie-Claire et leurs trois enfants, à Orsay ; ils sont en rapport avec le foyer Grothendieck à Massy ; c’est vrai avant, puis encore après, le « départ en vrille » de Grothendieck.
En 1970, JG rencontre Josiane Coyac [11]. Leur fils Alexandre naît en 1974. JG devient alors un père de nouvelle génération, s’occupant plus des enfants [12]. Le nouveau foyer s’installe à Chilly-Mazarin, puis à Palaiseau. Les rapports avec le foyer Grothendieck continuent-ils ? Celui-ci est parti au printemps 1973 de Massy à Fontenay-aux-Roses pour vivre en communauté (Germinal). Avant ce départ, il y avait des réunions de Survivre & Vivre chez Grothendieck à Massy mais je n’y ai jamais vu JG, alors qu’y assistaient pas mal de mathématiciens [13]. Jean et Josiane se sépareront en 1982.
Singularités
« Mais, dès 1966, tout en terminant la mise au point du livre [11], je m’étais tourné vers les problèmes de désingularisation. Depuis lors, mis à part divers travaux [14] portant sur les modules des variétés abéliennes, la théorie des intersections ou les surfaces d’HILBERT-BLUMENTHAL, l’essentiel de mon activité de recherche a porté sur la désingularisation des espaces algébriques ou analytiques. »
L’article d’Hironaka contenant la preuve de la désingularisation des variétés algébriques en caractéristique nulle (plus de deux cents pages aux Annals of Mathematics) est paru en 1964 et lui vaudra la médaille Fields en 1970. Mais Hironaka a fait des exposés à l’IHES depuis 1962 et il y a eu une forte influence réciproque avec le programme de Grothendieck. Dans une direction, c’est sur la suggestion de Grothendieck et de Serre qu’Hironaka a cherché à rendre sa preuve plus fonctorielle en la formulant dans le cadre des schémas (qui lui a de plus facilité la formulation de la récurrence). Réciproquement, l’usage systématique de l’algèbre commutative dans l’étude des singularités depuis Zariski a été porté à un niveau supérieur par Hironaka et a pénétré les EGA (calcul différentiel, anneaux excellents, japonais... ). Parmi les élèves directs de Grothendieck, JG semble le seul a avoir été séduit par cette nouvelle musique [15]. Il y a certainement trouvé l’occasion de changer de « façon de faire des maths ».
Selon Bernard Teissier, JG était alors le seul mathématicien en France à s’intéresser à la résolution des singularités. Il y avait trois physiciens : Dimitri Fotiadi (Centre de physique théorique de l’X), Jean Lascoux, Frédéric Pham (alors physicien au CEA), qui s’intéressaient à la monodromie et aussi aux travaux d’Hironaka [16].
Recruté à Orsay en 1966 (comme « Chargé d’Enseignement » ; il y devint maître de conférences l’année suivante, puis professeur à partir de 1969), JG donna un cours sur le travail d’Hironaka. À peu près à la même époque, Samuel menait un séminaire sur l’équisingularité selon Zariski et Zariski et Hironaka eux-mêmes donnèrent des cours et des conférences sur le sujet. Ainsi se forma un groupe de mathématiciens un peu plus jeunes, dont Monique Lejeune et Bernard Teissier, que JG a probablement dû pas mal soutenir à l’époque. Par exemple, vers 1965, Serre pensait qu’il n’y aurait jamais trois thèses dans ce domaine. JG les a sans doute aussi aidés vis-à-vis du CNRS. (Comme la géométrie algébrique réelle ou les équations différentielles, certains sujets ont eu du mal à soutenir la compétition avec le « mainstream » !)
En juin-juillet 1968 eut lieu une école d’été en Finlande où Hironaka exposa ses méthodes, mais JG n’y assistait pas. Lejeune et Teissier sont allés à Harvard pour rédiger le travail d’Hironaka en géométrie analytique complexe. En rentrant, vers 1971-72, ils ont fait un séminaire à l’X, où venait JG. Puis, sans s’éloigner d’Hironaka, ils ont développé d’autres thèmes de recherche qui leur étaient propres. Hironaka confia alors cette tâche aux Espagnols (j’y reviendrai plus loin, dans la deuxième partie de ce texte).
Si l’on excepte l’exposé à Bourbaki [17] en février 1967, il n’y a aucune publication de JG sur les singularités avant 1972. Pourtant il revendique un intérêt actif pour ce problème depuis 1966 : nous devons sans doute relier ce fait à la phrase déjà citée « À l’époque, on négligeait de publier de courts articles pour se consacrer à un travail d’envergure, souvent collectif, présenté sous forme achevée. »
La première trace écrite de son intérêt pour cette question [18] est le cours de troisième cycle à Orsay « Étude locale des singularités » [13], professé en 1971-72, que JG présente ainsi :
« Outre les mémoires originaux publiés à ce jour, en particulier ceux de Hironaka et la thèse de Bennett, il s’inspire d’un preprint de Hironaka : « Bimeromorphic smoothing of a complex-analytic space » et d’une partie du manuscrit d’un ouvrage en préparation de M. Lejeune, H. Hironaka et B. Teissier sur la résolution des singularités d’un espace analytique. Cette édition [du cours de 1971-1972] a été révisée à l’automne 1972 après que j’ai eu connaissance d’un preprint de Tadao Oda sur le groupe que Hironaka attache à tout point d’un espace projectif pour tenter d’appréhender les phénomènes spéciaux à la caractéristique positive. »
« Le sujet du cours est l’étude du comportement par éclatement permis [...] des invariants introduits par Hironaka et Bennett. On n’y retrouvera pas des résultats nouveaux, mais des démonstrations nouvelles et par certains côtés plus simples du critère de platitude normale de Hironaka et surtout du critère numérique de Bennett. »
À la fin des années soixante, Hironaka voulait étendre son résultat au cas analytique complexe. Il suggéra au groupe présent en Finlande de s’attaquer à un point de blocage : avoir un théorème de continuité du contact maximal. C’est ainsi que Monique Lejeune et Bernard Teissier s’étaient lancés dans la rédaction de « Quelques calculs utiles à la résolution des singularités », sans doute l’ouvrage en préparation auquel JG fait allusion. Il est d’ailleurs probable que le travail de Lejeune et Teissier a été autant influencé par JG que le cours de ce dernier par leur travail. En fin de compte ils ne poursuivirent pas dans cette voie ; il fut donné aux Espagnols d’aider Hironaka à venir à bout de cette tâche, nous en reparlerons.
Le Congrès international des mathématiciens tenu à Nice en 1970 donne une idée claire de l’état de la désingularisation à ce moment. Citons d’une part, l’allocution de Grothendieck présentant la Médaille Fields attribuée à Hironaka pour son article de 1964 :
« [...] Contrairement à ce qui était l’impression générale chez les géomètres algébristes avant qu’on ne dispose du théorème de Hironaka, celui-ci n’est pas un résultat tout platonique, qui sonnerait seulement une justification après-coup d’un point de vue en géométrie algébrique (celui où les variétés sont plongées à tout prix dans l’espace projectif) qui est désormais dépassé. C’est au contraire aujourd’hui un outil d’une très grande puissance, sans doute le plus puissant dont nous disposions, pour l’étude des variétés algébriques ou analytiques (en caractéristique zéro pour le moment). »
D’autre part, la conférence de Hironaka (rangée dans la partie « D. Analyse » des Actes du Congrès... ), intitulée « Desingularization of complex-analytic varieties », contient la déclaration suivante :
« Several years ago a proof was given for the resolution of singularities of an arbitrary algebraic variety over a field of characteristic zero [...] As was pointed out there, it was readily modified to give desingularizations of complex-analytic varieties [subject to some conditions]. [...] For the case of a general complex-analytic variety, however, we must go back to the essentials of the proof of desingularization in the algebraic case, and then develop a new technique to globalize the basic ideas found there. »
Cette déclaration est suivie plus loin d’un énoncé :
Il fallut à Hironaka plus de dix ans et l’aide de plusieurs mathématiciens de premier plan pour venir à bout de la démonstration de ce théorème.
Le cours de JG à Orsay comporte une mise à plat de techniques algébriques qui permettaient de simplifier la démonstration d’Hironaka, et permettraient peut-être de l’étendre au cas analytique... et surtout plus tard à la caractéristique positive : graduations, filtrations, fonction de Hilbert-Samuel (tout cela figure maintenant dans l’Algèbre Commutative de Bourbaki) et surtout, dès la troisième partie, une première étude du calcul différentiel en caractéristique p > 0. D’ailleurs le « Groupe de travail sur les singularités » animé par JG au début des années soixante-dix (et qui se tenait le samedi matin à Orsay, ce qui serait difficile aujourd’hui !) tournait très largement autour du calcul différentiel en caractéristique positive. Le style de JG dans ce cours, dans sa direction du groupe de travail et dans ceux de ses articles auxquels j’ai cru comprendre quelque chose, me fait irrésistiblement penser au dicton « Un bon artisan a de bons outils » et, plus spécifiquement aux phrases de Weil (Œuvres, [1940d]*) :
« Pour moi, [...] mon instinct va à réduire cet attirail à un nombre aussi petit que possible d’outils grossiers mais robustes dont le mode d’emploi tienne en quelques règles simples ; une fois ce résultat atteint, l’algébriste en moi peut reprendre le dessus. »
J’espère que cette comparaison n’est pas trop réductrice. On sent toutefois nettement ce souci de préparer de bons outils en vue d’une tâche qui s’annonçait difficile et de longue haleine.
La première contribution essentielle de Giraud à la désingularisation est son article paru en 1974 aux Mathematische Zeitschrift « Sur la théorie du contact maximal », dont il rend compte ainsi :
« En 1973, j’ai montré comment faire un usage systématique du calcul différentiel pour établir une théorie différentielle du contact maximal, qui est à la base de la récurrence sur la dimension. [...] L’approche différentielle donne tout de suite des propriétés valables dans un voisinage, alors que l’approche initiale de HIRONAKA ne donnait d’information qu’en un seul point. Ce dernier a d’ailleurs fait usage de cette approche dans les rédactions les plus récentes de la désingularisation en géométrie analytique complexe. »
Ces résultats sur le contact maximal, obtenus en caractéristique nulle, furent bientôt suivis d’autres en caractéristique positive, confirmant l’intérêt de cette approche, en particulier de la remarque capitale sur les « propriétés valables dans un voisinage » ; nous en reparlerons plus loin (voir la deuxième partie de ce texte).
Il faut signaler ici un autre aspect du travail de Giraud en caractéristique nulle : la recherche d’un algorithme constructif de désingularisation. JG donna plusieurs cours ou exposés sur le sujet. Il influença en particulier les recherches d’Orlando Villamayor qui décrivit un tel algorithme dans deux importants articles parus aux Annales de l’ENS en 1989 et 1992.
L’École Normale Supérieure de Saint-Cloud
Avant de poursuivre sur la désingularisation, je voudrais parler de l’arrivée de JG à Saint-Cloud. Selon son CV, il y fut nommé Maître de Conférences en 1968/69. Il y était responsable du Département de Mathématiques (alors que quasi-simultanément son ami Jean-Louis Verdier était responsable du Département de Mathématiques d’Ulm). Ici mon récit sera plus personnel : je l’ai connu lors de mon oral d’algèbre, où il m’avait posé un exercice de géométrie algébrique (déguisé bien entendu). Il me parla de l’ensemble des polynômes de la forme AF + BG (où A et B étaient fixés) ; avec mon snobisme adolescent, je le repris en parlant d’idéal engendré. Je me souviens de son sourire légèrement ironique mais indulgent lorsqu’il me répondit « si vous voulez »... et surtout lorsque j’eus l’impudence de dire « la notion d’idéal n’est pas au programme » et qu’il eut beau jeu de me répondre « Ah, mais c’est vous qui avez parlé d’idéal ! » Il n’y avait pas de chimie au concours de Saint-Cloud, ce qui en rehaussait le charme [19]. Ma faible note à l’écrit de physique et ma note misérable au TP de physique à l’oral ne m’empêchèrent pas d’intégrer. Avec des principes extrêmement fermes, JG était capable de souplesse et de pragmatisme dans les rapports humains, pédagogiques, sociaux, politiques ; toutes qualités qui compteront lors de son passage au ministère.
À Saint-Cloud, nous avions des tapirs mémorables [20] : Berliocchi, Mignotte, Langevin, Mneimné, Fathi [21]... et une secrétaire non moins mémorable, Monique Brillant. Les promotions étaient petites : quinze matheux. L’empreinte de la personnalité de JG était d’autant plus forte. Après la réunion de rentrée [22], le premier conseil qu’il nous donna fut d’aller visiter la bibliothèque. Bien que logée dans une petite pièce, elle était (selon mon souvenir) assez riche pour nous avoir donné des années de rêve. Le bureau de JG était un réduit minuscule et le mur derrière lui était tapissé de ses livres de maths : les EGA, plus généralement les publications de l’IHES, les SGA et de nombreux autres séminaires, de Cartan (Henri) à Artin (Michael) en passant par Weil et Mumford. Pour les autres livres, je ne m’en souviens pas, bien que j’aie eu bien plus tard l’occasion de revoir sa bibliothèque, laquelle était riche et variée.
Nous devions suivre les cours d’Orsay, mais le cours le plus extraordinaire que j’aie suivi dans ma vie fut donné par JG lui-même aux élèves de première année dans la minuscule bibliothèque. Nous étions tous assis, y compris lui, et chacun de nous passait à son tour au tableau et tâchait de répondre à ses questions. Il nous fit découvrir ainsi toute la théorie du groupe fondamental et du revêtement universel. J’étais alors un pur algébriste (ou pire) et l’intérêt de la chose me passa au-dessus de la tête ; je ne sais pas ce qu’il en était de mes camarades. Mais c’était un plaisir sans limites de réfléchir sous la stimulation d’un tel maître. Et il m’a fallu plusieurs décennies pour comprendre en quoi c’était en effet une initiation fondamentale que nous recevions ; et encore quelques années de plus pour en voir la cohérence avec l’itinéraire mathématique de JG.
Bibliographie citée par Giraud
Je reproduis ici verbatim la partie nécessaire de la bibliographie attachée par Giraud à la lettre dont j’ai extrait les citations.
[3] Méthode de la descente, Mém. Soc. Math. France, No 2, (1964)
[4] Cohomologie non abélienne, C.R.Ac.Sc., 260, p. 2392-2394 (1965)
[5] Cohomologie non abélienne, C.R.Ac.Sc., 260, p. 2666-2668 (1965)
[8] Remarque sur une formule de SHIMURA-TANIYAMA, Inventiones math., 231-236 (1968)
[10] Utilisation des catégories en géométrie algébrique, Actes, Congrès intern. math., 1970. Tome 1, p. 313-317
[11] Cohomologie non abélienne, Grundlehren des Math. Wiss., Bd. 179, Springer-Verlag, (1971)
[13] Étude locale des singularités, Cours de troisième cycle, Publications math. d’Orsay, No 26 (1972)
[17] Modules des variétés abéliennes et variétés de Shimura, Séminaire sur les groupes réductifs et les formes automorphes, Publ. Univ. Paris VII (1977)
[18] Surfaces d’Hilbert-Blumenthal, in Surfaces Algébriques, Sém. Géom. Alg. d’Orsay 1976-78, Lecture Notes in math., 868 (1981)
La rédaction d’Images des maths et l’auteur remercient pour leur relecture attentive,
les relecteurs suivants : Gregoire Dubost, Jacques Lafontaine, Thierry Barbot et Laurent Bétermin.
Notes
[1] Il s’agit de « Surfaces de Riemann compactes », « Étude locale des singularités » et « Géométrie algébrique élémentaire », tous trois parus aux Publications Mathématiques d’Orsay. Les deux premiers sont des cours à Orsay, le dernier a sans doute été conçu comme un cours aux agrégatifs de Saint-Cloud.
[2] JG m’a dit un jour que le principal intérêt de l’oral des concours des ENS était de permettre de repérer et repêcher les candidats un peu atypiques que l’écrit avait pu défavoriser. Si le candidat était brillant en maths, le jury faisait le nécessaire pour l’admettre quelles que fussent ses autres notes.
[3] Cette citation, comme les suivantes, est extraite d’une analyse par Giraud lui-même de ses travaux scientifiques, attachée à sa lettre de candidature au poste de directeur de l’ENS de Lyon. Les références bibliographiques nécessaires sont reproduites à la fin de ce texte.
[4] Josiane, sa seconde femme (voir « Second foyer ») dira plus tard à leur fils Alexandre que JG n’était pas intéressé par les enfants avant que ceux-ci parlent ; en tout cas, il s’est occupé plus activement d’Alexandre quand ce dernier a commencé à parler.
[5] Demazure avait commencé à travailler sur les groupes algébriques avec Serre, qui l’avait envoyé à Grothendieck.
[6] Voici deux citations issues de « Récoltes et Semailles » sur ce point ; la première :
Je suis d’autant plus heureux, dans cette circonstance un peu particulière, de l’amical concours de Jean Giraud, qui a aussi pris sur son temps un mois ou deux pour faire une lecture minutieuse du volumineux manuscrit, dont il a fait un rapport circonstancié et chaleureux.
(Section. 8.5 Maître et élèves. Note (19) Jésus et les douze apôtres ; p.161 du pdf) et la seconde :
J’ai été un peu hâtif ici, en faisant mine de mettre tous mes élèves dans le même sac avec le plus brillant d’entre eux. D’avance, je fais mes excuses à tous ceux parmi eux qui ne se sentent pas flattés de se trouver en si brillante compagnie ! Je suis heureux en tous cas de me rappeler de Giraud, se tapant le travail (qui lui tombait dessus à l’improviste) de lire la thèse de Contou-Carrère, dans des dispositions de « service », c’est sûr, vis-à-vis de Contou-Carrère et de moi tout au moins, et peut-être aussi vis-à-vis de la communauté mathématique ; voir à ce sujet le dernier alinéa de la note « jésus et les douze apôtres »
(Section 18.5.9.7. Note (*) à la fin de la Note 176_6 (p. 886 du pdf).
[7] JG fut affecté par la manière dont Grothendieck avait traité ses anciens compagnons ; il disait par exemple qu’Illusie, avec sa gentillesse naturelle, ne pouvait pas comprendre une telle attitude.
[8] Artin et Mumford étaient en réalité des élèves de Zariski, mais on peut les considérer comme des disciples de Grothendieck.
[9] Admiration doublée, je crois, d’affection : c’est ce qu’il m’a semblé quand, quelques années plus tard, JG me demandait des nouvelles de celui-ci alors que, membre du groupe « Survivre et Vivre », puis emporté par le mouvement des communautés, je fus pendant une époque proche de A. G. dont c’est bien l’évolution personnelle (et non seulement mathématique) qui l’intéressait.
[10] Visiblement, à l’intérieur de la géométrie algébrique, la théorie des champs et de l’homotopie supérieure souffrent plus que d’autres de ce handicap, au point que les experts ont des inquiétudes sur la correction de nombreux résultats publiés ; et que certains comptent sur l’automatisation des démonstrations pour dépasser cette situation.
[11] La séparation de Jean et Marie-Claire a lieu en 1970, le divorce aura lieu en 1974, mais il n’y aura pas de second mariage.
[12] Cette évolution s’accentuera encore dans le troisième foyer, fondé à Lyon dans les années quatre-vingt-dix.
[13] Grothendieck avait créé avec Chevalley, Samuel et des mathématiciens nord-américains (canadiens je crois) le groupe « Survivre ». Au début, l’idéologie en était strictement anti-militariste ; puis elle prit une coloration écologiste prononcée avant d’englober (sous l’influence de mai 68) des thèmes révolutionnaires plus généraux. Le changement de nom en « Survivre et Vivre » reflète cet élargissement de perspective, qui aboutit au départ de la « vieille génération » plus réformiste (dont les fondateurs) et au départ de Grothendieck en communauté.
[14] Je ne reparlerai pas dans ce texte de ces »divers travaux« ; j’espère que la future notice biographique sera plus complète sur ce point. (Note de J.S.)
[15] La nouvelle musique comporte des harmonies algorithmiques : les « bases standard » de Hironaka sont connues en algorithmique algébrique sous le nom de « bases de Gröbner » et elles servent en géométrie algébrique effective. Grothendieck, qui n’aimait pas la théorie de l’élimination, n’a guère été influencé par cet aspect. Au contraire, JG se rapprochera de Abhyankar, le plus algorithmicien de tous les maîtres de la désingularisation.
[16] Je ne suis pas très au courant de cette tendance, mais je crois que l’on peut en trouver une explication dans le deuxième volume du livre d’Arnold « Singularités des applications différentiables » où le comportement asymptotique de certaines intégrales oscillantes dépendant de paramètres est directement lié à la désingularisation des hypersurfaces.
[17] JG a présenté au total trois exposés au séminaire Bourbaki : « Groupe de Picard, anneaux factoriels (d’après Grothendieck) » et « Analysis situs (d’après Grothendieck) », tous deux en 1962/63 ; et « Résolution des singularités » (d’après Hironaka)« , dont il s’agit ici. Il ne m’a jamais parlé de ses rapports avec Bourbaki et je ne sais donc rien à ce sujet. Mais, selon son fils Alexandre, »il avait beaucoup d’admiration pour le travail fait par Bourbaki depuis sa création : le côté anonyme, collectif et la grande rigueur de tout remettre à plat, très nécessaire à l’époque. L’humour et l’autodérision lui plaisaient aussi."
[18] Selon Monique Lejeune, JG a donné un cours sur la désingularisation entre 1966 et 1968, mais je n’en ai pas retrouvé trace (ou bien je n’ai pas su le reconnaître).
[19] Mais pas toutefois au niveau du charme de l’ENSAE où il n’y avait même pas de physique !
[20] On appelait « tapirs » les assistants dans les Écoles Normales Supérieures, en particulier les préparateurs à l’agrégation.
[21] J’espère ne pas emmêler les années dans ces souvenirs qui ne datent pas d’hier.
[22] JG eut une autre occasion de se moquer de moi : après qu’il nous eût décrit le cursus normal d’un Cloutier, qui impliquait le passage de l’agrégation, je déclarai que j’avais eu suffisamment de concours et de taupinage pour la vie et ne passerais jamais l’agrégation. Il me répondit en souriant « On verra ».
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Pour citer cet article :
Jacques Sauloy — «Jean Giraud (première partie)» — Images des Mathématiques, CNRS, 2013
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