Jusqu’à ce que l’algèbre nous sépare
Le 25 octobre 2013 Voir les commentaires
Cet article a été écrit en partenariat avec L’Institut Henri Poincaré
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En 2013, l’Institut Henri Poincaré et Images des Mathématiques avaient uni leurs efforts pour superviser la réédition de la collection Le monde est mathématique, publiée par RBA en partenariat avec Le Monde. En 40 ouvrages, cette collection de qualité, issue d’un projet collectif de mathématiciens espagnols, vise à présenter, à travers une grande variété de points de vue, de multiples facettes des sciences mathématiques, sous un aspect historique, humain, social, technique, culturel ...
Reprise et améliorée au niveau de la forme, cette édition avait été entièrement lue et corrigée par l’équipe d’Images des Mathématiques ; des préfaces et listes bibliographiques rajoutées.
En 2019, cette collection est de nouveau éditée, présentée par Étienne Ghys et distribuée par L’Obs.
Chaque semaine, à l’occasion de la sortie d’un nouveau numéro de la série, un extrait sélectionné sera présenté sur Images des Mathématiques. Il sera également accompagné du sommaire du livre et d’une invitation à prolonger votre lecture.
Introduction
New York, 1941. Il est minuit dans le siècle. Mais à l’ombre de la statue de la Liberté,
deux juifs français extraordinaires poursuivent leurs recherches. André Weil,
fondateur du groupe Bourbaki, va révolutionner les mathématiques en découvrant
la pierre de Rosette qui permettra de déchiffrer certains des mystères les plus épais
de la théorie des nombres. Tandis que Weil navigue dans ces eaux de la pensée,
Claude Lévi-Strauss, grâce à la méthode structuraliste, brise le mythe de l’anthropologue
explorateur en quête d’aventures. Tous les deux en exil, leur rencontre est
un tête-à-tête entre deux intelligences. À cette époque, Lévi-Strauss rédige sa thèse
sur les structures élémentaires de la parenté : tout se déroulait comme il l’avait
prévu, jusqu’à ce qu’il analyse les mariages de la tribu des Murngin, régis par des
normes si complexes qu’elles balayèrent les techniques d’études connues.
Cet ouvrage relate la manière dont Weil résolut le problème qui empêchait
Lévi-
Strauss de dormir au moyen de la théorie des groupes, une branche des mathématiques
née un siècle auparavant pour comprendre les équations algébriques.
Un groupe est un ensemble doté d’une opération qui, étant donné deux éléments,
en associe un troisième, de sorte que certaines conditions soient vérifiées.
Les nombres expriment des quantités ; les groupes mesurent la symétrie. Aussi, il ne
faut pas s’étonner qu’on les trouve non seulement dans les mathématiques, mais
également dans la nature. Si Henri Poincaré affirmait en 1881 que « les mathématiques
ne sont qu’une histoire de groupes », aujourd’hui nous pourrions aller plus
loin et dire que les cristaux de quartz ou les atomes d’hydrogène sont eux aussi
régis par un groupe. Nous allons voir qu’il en va de même pour l’harmonie musicale
ou les systèmes de protection de données qui nous permettent d’effectuer des
transactions bancaires sécurisées.
Dès le début, il m’a semblé évident que l’histoire de la collaboration entre Weil
et Lévi-Strauss ne pouvait être relatée que sous la forme d’un dialogue. Mais cela
représentait un inconvénient manifeste : l’action se situant dans le New York des
années quarante, il faudrait occulter tous les événements qui se produiraient plus
tard. C’est alors que je me rappelai une belle tradition juive que la fille de Weil
cite dans un récent portrait de famille ; celle du compagnon d’études avec lequel
les morts continuent d’apprendre dans l’au-delà. Claude Lévi-Strauss, décédé en
octobre 2009, serait le compagnon qu’André Weil avait attendu depuis sa mort,
onze ans auparavant. En tout état de cause, il faut préciser une chose : je ne voudrais
pas que quiconque se méprenne et voie dans cette construction en dialogue un
masque de la fiction. Hormis de rares exceptions, les propos des protagonistes sont
tirés de l’abondante bibliographie que le lecteur trouvera à la fin de ce livre. Seule la
patience avec laquelle Weil se livre à certaines explications est invraisemblable pour
ceux qui ont eu la chance de le connaître.
L’origine de Jusqu’à ce que l’algèbre nous sépare est la conférence que j’ai donnée en
août 2010 à l’université internationale Menéndez-Pelayo, dans le cadre de cette « fascinante académie de la Renaissance » qu’est l’école d’été Ortega y Gasset. Il m’est
impossible de laisser la parole à nos héros sans exprimer au préalable ma gratitude aux
organisateurs de ce séminaire, ainsi qu’aux personnes qui m’ont consacré leur temps
pendant que j’écrivais : Giuseppe Ancona, Olivier Benoist, Gustavo Ochoa, Guillermo
Rey, Roberto Rubio et Lucas Sánchez Sampedro. Grâce à eux, cet ouvrage
atteint un peu mieux son objectif : proposer au grand public une approche de la
théorie des groupes, à travers les œuvres d’André Weil et de Claude Lévi-Strauss.
Pour aller plus loin
Voici quelques billets et articles sur ce sujet :
- Hommage à Claude Lévi-Strauss (billet).
- Le rang des courbes elliptiques (piste noire).
- Un peu de géométrie des groupes ( hors-piste ).
L’extrait proposé est choisi par le préfacier du livre : Julien Melleray. Celui-ci répondra aux commentaires éventuels.
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Pour citer cet article :
Javier Fresán — « Jusqu’à ce que l’algèbre nous sépare» — Images des Mathématiques, CNRS, 2013
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