Le monde est mathématique
L’harmonie est numérique
Le 30 octobre 2019 Voir les commentaires (1)
Cet article a été écrit en partenariat avec L’Institut Henri Poincaré
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En 2013, l’Institut Henri Poincaré et Images des Mathématiques avaient uni leurs efforts pour superviser la réédition de la collection Le monde est mathématique, publiée par RBA en partenariat avec Le Monde. En 40 ouvrages, cette collection de qualité, issue d’un projet collectif de mathématiciens espagnols, vise à présenter, à travers une grande variété de points de vue, de multiples facettes des sciences mathématiques, sous un aspect historique, humain, social, technique, culturel ...
Reprise et améliorée au niveau de la forme, cette édition avait été entièrement lue et corrigée par l’équipe d’Images des Mathématiques ; des préfaces et listes bibliographiques rajoutées.
En 2019, cette collection est de nouveau éditée, présentée par Étienne Ghys et distribuée par L’Obs.
Chaque semaine, à l’occasion de la sortie d’un nouveau numéro de la série, un extrait sélectionné sera présenté sur Images des Mathématiques. Il sera également accompagné du sommaire du livre et d’une invitation à prolonger votre lecture.
Extrait du Chapitre 1 – En tendant la corde
(...)
La gamme pythagoricienne
Les pythagoriciens organisèrent leurs gammes en se basant sur de simples rapports numériques entre les différents sons. Ainsi, la gamme pythagoricienne se structure sur deux intervalles : l’octave, qui présente un rapport de fréquences entre les notes de 2/1, et la quinte, avec un rapport de fréquences 3/2. Les pythagoriciens obtinrent divers sons de la gamme en enchaînant les quintes, faisant donc appel à « la réduction à l’octave » pour situer ces notes au rang souhaité.
Prenons le do comme exemple. On calcule d’abord le rapport de la première quinte ascendante pour obtenir le sol. Un nouvel enchaînement nous mène à un ré, pour continuer par un la, un mi et enfin un si. En prenant alors une quinte descendante depuis le do initial, on obtient le fa. Nous avons ainsi les sept sons de la gamme :
Si l’on poursuit par l’enchaînement des quintes, on peut atteindre les douze sons de « l’échelle chromatique », qui forme ce que l’on nomme le « cercle de
quintes » :
sol $\flat$ ←ré $\flat$←la $\flat$ ←mi $\flat$ ←si$\flat$ ←fa←do→sol→ré→la→mi→si→fa$ \sharp$
où les symboles bémol ( $ \flat$ ) et dièse ( $ \sharp$ ) désignent des ajustements d’un demi-ton
respectivement inférieur et supérieur.
Une fois les douze notes obtenues au moyen d’enchaînements successifs de quintes, il suffira alors de situer les sons de la même gamme au niveau d’une seule octave grâce au procédé de réduction à l’octave.
En calculant
Nous allons à présent déterminer l’accord de chaque note par enchaînements de quintes et « réductions à l’octave » (c’est-à-dire en divisant ou en multipliant par 2), de sorte que, rappelons-le, la valeur de leurs fréquences relatives se trouve toujours entre 1 (le rapport qui concerne le do lui-même) et 2 (le rapport qu’entretient le do avec le do de la gamme suivante).
On détermine d’abord le sol, qui est à une quinte du do :
\[\text{sol} =\frac{3}{2}.\]
Puis le ré, à une quinte du sol (en multipliant par 3/2) mais il faut « réduire d’une octave » (en multipliant par 1/2) :
\[ \text{ré} = \text{sol} × \frac{3}{2} × \frac{1}{2} = \frac{3}{2} × \frac{3}{2} × \frac{1}{2} = \frac{9}{8}.\]
La distance de do à ré s’appelle un « ton », et, comme on peut s’y attendre, elle équivaut à deux demi-tons.
Ensuite le la, à une quinte du ré :
\[ \text{la} = {ré} × \frac{3}{2} = \frac{9}{8} × \frac{3}{2} = \frac{27}{16}.\]
Le mi, à une quinte du la, mais il faut réduire d’une octave :
\[ \text{mi} = \text{la} × \frac{3}{2} × \frac{1}{2} = 2\frac{27}{16} × \frac{3}{2} × \frac{1}{2} = \frac{81}{64}.\]
La gamme est complétée par le si, à une quinte du mi, et le fa, une quinte sous le do et en montant d’une octave (en multipliant par 2).
En résumé, et en prenant le do avec une valeur normalisée à 1 :
Ce procédé peut se poursuivre pour déterminer les accords des touches noires ou bémols, en descendant par quintes depuis le fa :
Le comma pythagoricien
En montant une quinte de si, on arrive au fa $\sharp$, qui devrait être le même son que le sol $ \flat$ en atteignant l’autre extrême, après avoir fait les réductions à l’octave correspondante. Mais ces deux sons ne sont pas exactement identiques : la différence entre le fa $\sharp$ et le sol $ \flat$ se nomme « comma pythagoricien ». De la même manière, après avoir fait les réductions à l’octave correspondante, les sons terminaux fa $\sharp$ -ré $\flat$ ne se trouvent pas à la distance d’une quinte juste, mais ils forment un intervalle qui diffère de celle-ci par un comma pythagoricien. Cette quinte légèrement plus petite s’appelle « quinte du loup ».
L’assemblage du cycle des quintes comprend l’enchaînement de douze quintes pour arriver à une note qui est « presque » la même que celle du début, mais à une distance de sept octaves :
Le comma pythagoricien est ce « presque ».On peut calculer sa valeur (appelons-la CP) en partant d’une fréquence $f$ et en comparant l’enchaînement de douze quintes, depuis $f$, avec l’enchaînement de sept octaves :
\[ CP=\frac{f\times\Big(\frac{3}{2}\Big)^{12}}{f\times2^7} = 1,013643265.\]
La différence est alors d’un peu plus de 1 % d’une octave ou équivaut presque à un quart de demi-ton. Cette différence est due au fait que le calcul de la fraction qui définit la quinte est incompatible avec l’octave, comme on le voit aisément.
Pour cela, voyons s’il existe deux exposants quels qu’ils soient, $p$ et $q$, qui nous permettent de « marier » les deux fractions :
\[ \Big(\frac{3}{2}\Big)^p=2^q\]
donc
\[ \frac{3^p}{2^p} = 2^q\]
donc
\[3^p=2^q\times2^p\]
donc
\[3^p=2^{q+p}.\]
On déduit de la dernière expression qu’on pourrait aussi bien trouver un nombre qui soit à la fois puissance de 2 et de 3. Néanmoins, et vu que 2 comme 3 sont des nombres premiers, cela contredirait le théorème fondamental de l’arithmétique, selon lequel tout entier positif a une seule représentation comme produit de nombres premiers. Ce théorème, postulé par Euclide, fut complètement démontré pour la première fois par Carl Friedrich Gauss. Il s’ensuit que les intervalles de quintes et d’octaves définis par les pythagoriciens n’iront jamais de pair, ou, ce qui revient au même, qu’il n’y a pas d’échelle chromatique sans comma pythagoricien pour inévitable acolyte.
L’extrait proposé est choisi par le préfacier du livre : Sylvie Benzoni. Celle-ci répondra aux commentaires éventuels.
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Pour citer cet article :
Javier Arbonés Pablo Milrud — «L’harmonie est numérique» — Images des Mathématiques, CNRS, 2019
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L’harmonie est numérique
le 20 août 2013 à 12:03, par Audibert