La Créativité en mathématiques

Le 4 décembre 2019  - Ecrit par  Miquel Albertí Voir les commentaires (1)

Cet article a été écrit en partenariat avec L’Institut Henri Poincaré


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En 2013, l’Institut Henri Poincaré et Images des Mathématiques avaient uni leurs efforts pour superviser la réédition de la collection Le monde est mathématique, publiée par RBA en partenariat avec Le Monde. En 40 ouvrages, cette collection de qualité, issue d’un projet collectif de mathématiciens espagnols, vise à présenter, à travers une grande variété de points de vue, de multiples facettes des sciences mathématiques, sous un aspect historique, humain, social, technique, culturel ...
Reprise et améliorée au niveau de la forme, cette édition avait été entièrement lue et corrigée par l’équipe d’Images des Mathématiques ; des préfaces et listes bibliographiques rajoutées.

En 2019, cette collection est de nouveau éditée, présentée par Étienne Ghys et distribuée par L’Obs.

Chaque semaine, à l’occasion de la sortie d’un nouveau numéro de la série, un extrait sélectionné sera présenté sur Images des Mathématiques. Il sera également accompagné du sommaire du livre et d’une invitation à prolonger votre lecture.

Apprendre à se tromper pour avancer

Préface d’Aurélien Alvarez, enseignant-chercheur à l’université d’Orléans

« La possibilité même de la science mathématique semble une contradiction
insoluble. Si cette science n’est déductive qu’en apparence, d’où lui vient cette parfaite
rigueur que personne ne songe à mettre en doute ? Si, au contraire, toutes les
propositions qu’elle énonce peuvent se tirer les unes des autres par les règles de la
logique formelle, comment la mathématique ne se réduit-elle pas à une immense
tautologie ? Le syllogisme ne peut rien nous apprendre d’essentiellement nouveau
et, si tout devait sortir du principe d’identité, tout devrait pouvoir s’y ramener. »

Henri Poincaré a écrit ces quelques phrases en introduction du chapitre premier
intitulé Sur la nature du raisonnement mathématique, dans l’un de ses ouvrages qui fut
parmi les plus commentés, La Science et l’Hypothèse. Dans le livre que vous tenez
à présent dans vos mains, Miquel Albertí reprend ces questions à son compte et
tente d’y apporter quelques éléments de réponse, notamment à la lumière de son
expérience personnelle. La thèse de l’auteur est claire : tout le monde peut créer
des mathématiques. Pour cela, il faut apprendre à formuler mathématiquement des
questions que l’on se pose spontanément dans la vie de tous les jours. Mais ce n’est
pas tout...

Quelles sont les caractéristiques de la créativité mathématique ? Question
difficile… Certainement, il est souhaitable de ne jamais manquer d’avoir de nouvelles
idées suggérant telle ou telle nouvelle façon d’aborder un même problème. Et
comment ne pas manquer de telles bonnes idées ? Eh bien, ça s’apprend ! Eh oui,
rares sont les génies n’ayant reçu strictement aucune éducation mathématique.
Même si l’on n’insiste pas toujours suffisamment sur les bancs de l’école et de
l’université, il faut également apprendre à sécher devant un problème : se tromper,
passer des heures à tourner autour d’une question pour se l’approprier et la penser
soi-même, sont bien souvent des moments extrêmement formateurs.

Malheureusement, la plupart du temps, ce que l’on présente aux étudiants
masque complètement tout le travail de recherche qui a été nécessaire pour en
arriver là : plus aucune trace de tâtonnements, d’égarements. Au contraire, les
cours sont en général présentés d’une manière aussi harmonieuse que possible,
les concepts sont soigneusement introduits les uns après les autres, de sorte que les
démonstrations s’enchaînent sans la moindre anicroche.

Et pourtant, que de créativité a été nécessaire pour en arriver là. Bien souvent des
siècles d’effort pour arriver à mettre au point le bon langage qui permettra de formuler
précisément la question, de la résoudre et d’ouvrir la porte vers bien d’autres
interrogations nouvelles. C’est ainsi qu’avancent les sciences mathématiques : en
repensant un problème, on le place dans un cadre nouveau qui permet d’envisager
bien d’autres questions. Et c’est ce qui permet ensuite d’enseigner si facilement des
concepts qui ont eu tant de mal à émerger tant ils pouvaient sembler contradictoires
au début, impossibles, absurdes. Les exemples sont nombreux : les nombres irrationnels,
les nombres complexes, les géométries non euclidiennes, etc. Ce livre revient
sur un certain nombre de ces exemples célèbres.

Enfin, les mathématiques s’inscrivent généralement dans un contexte socioculturel
bien précis. Ce qui est parfois un frein à la créativité : il faut alors réapprendre
à regarder les choses avec des yeux d’enfants pour ne pas manquer de passer
à côté d’une nouvelle idée. Mais le contexte est souvent un excellent stimulant
pour le progrès des sciences et des mathématiques en particulier. Impossible de
faire la liste de toutes les questions mathématiques que l’on se pose aujourd’hui et
qui ont été stimulées par des problématiques venant de l’informatique, de la biologie,
de la médecine, etc. Encore plus longue est certainement la liste des questions
qui ont passionné nos prédécesseurs et qui aujourd’hui nous semblent complètement
sans intérêt...

Ainsi vont les sciences mathématiques, en se frayant de nouveaux chemins tous
les jours : elles sont comme un arbre dont certaines branches poussent et engendrent
sans cesse de nouvelles branches, alors que d’autres meurent peu à peu, avant que
quelqu’un ne leur redonne vie... ou pas. Le processus créatif est d’une immense
complexité et d’une infinie richesse !

Extrait du chapitre 1 - Les piliers de la création mathématique

L’idée géniale

Prenons deux points $P$ et $Q$, et un segment $s$, comme on le voit sur cette figure.
On veut aller de P à Q en passant par un point de s. Quel point de s détermine le
trajet le plus court ?

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Pour résoudre le problème, imaginons le segment s comme si c’était un miroir.
Traçons le reflet de $Q$ par rapport à lui et appelons-le $Q’$. Traçons le segment qui
unit $P$ à $Q’$ et qui coupe $s$ en un point $X$ :

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Le segment $PQ’$ détermine le chemin le plus court entre $P$ et $Q’$, et son intersection
avec $s$, le point $X$, est celui par où il faut passer pour le parcourir. À présent,
il ne reste plus qu’à employer à nouveau la symétrie en reflétant le segment $XQ’$.
On obtient ainsi la solution, la ligne brisée $PXQ$, de longueur identique à celle du
segment $PQ’$ :

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Par conséquent, le chemin le plus court pour aller de $P$ à $Q$ en passant par $s$
consiste à se diriger vers le point $X$.

L’idée précédente, basée sur la symétrie, est-elle une idée géniale ? N’importe
quelle idée efficace nous venant à l’esprit peut mériter cette considération. Néanmoins,
et c’est l’un des points cruciaux de cet ouvrage, engendrer des idées géniales,
c’est-à-dire la création mathématique, peut s’apprendre.

Un exposé argumenté et logique de cette résolution se base sur le fait que la
symétrie conserve les distances et que le segment est la ligne la plus courte en deux
points du plan. Il est même possible que la solution paraisse simple une fois développée,
mais difficilement imaginable pour quelqu’un qui est confronté à ce problème
pour la première fois. Nous sommes devant un exemple de créativité. La logique, en
elle-même, ne mène pas au résultat. Elle s’obtient grâce à la perspicacité d’imaginer
des lignes supplémentaires non tracées sur la figure de l’énoncé et de créer avec elles
des relations entre les différents éléments de la figure. La logique permet de nombreuses
actions, mais ne procure pas d’arguments pour choisir l’action appropriée.

Cette capacité créative en mathématiques n’est pas universelle, pas plus que ne
l’est la créativité artistique, musicale, architecturale ou scientifique. Mais c’est ce que
tant de gens ont appelé une « idée géniale », une sorte d’astuce ou d’illumination
subite et magique qui ne figurait pas dans les données ni dans l’énoncé du problème
et à laquelle le contexte dans lequel elle a surgi permettait difficilement de penser.

Les idées géniales existent, mais elles ne sont pas réservées aux génies et tous
les problèmes ne sont pas résolus avec elles. Comme nous le verrons plus loin, sa
production est le fruit du travail intense et continu, ainsi que de la recherche de
relations entre les éléments d’un problème. Parmi les rapports quasiment innombrables
qui peuvent être exprimés entre les données ou les éléments d’un problème,
comment choisir celle ou une de celles qui le résolvent ? C’est dans le choix des
« bonnes possibilités » que réside, justement, la créativité mathématique.

[...]

<doc

PDF - 2.3 Mo
Sommaire du livre
Post-scriptum :

L’extrait proposé est choisi par le préfacier du livre : Aurélien Alvarez. Celui-ci répondra aux commentaires éventuels.

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Pour citer cet article :

Miquel Albertí — «La Créativité en mathématiques » — Images des Mathématiques, CNRS, 2019

Crédits image :

Image à la une - Marion Bucciarelli

Commentaire sur l'article

  • La Créativité en mathématiques

    le 20 août 2013 à 11:39, par Audibert

    Dans le livre N°17 Polya est judicieusement cité ;en particulier son livre « Comment poser et résoudre un problème » . Toutefois un autre ouvrage de Polya me paraît plus riche sans être beaucoup plus difficile à lire .Il s’agit de :G. Polya Les mathématiques et le raisonnement « plausible » 1958 Gauthier-Villard. Dans ce livre au chapitre de l’induction en géométrie dans l’espace est analysé le superbe et gentil problème « En combien de régions l’espace est-il divisé par 5 plans ? »

    Répondre à ce message

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