La concurrence des anciens
Le 19 décembre 2008 Voir les commentaires (1)
Dans son billet du 10 décembre, Étienne Ghys expliquait les limites du « facteur d’impact » pour évaluer les journaux mathématiques, en particulier le temps (beaucoup plus long que les deux années utilisée pour calculer cet indice) pendant lequel les articles mathématiques sont lus, exploités et cités. Pour insister sur ce point, laissez-moi vous raconter une anecdote vécue récemment.
Il y a quelques mois, je me suis intéressé à une question de mathématiques qui me semblait jolie et naturelle. J’y réfléchis un peu, je cherchai un peu sur MathSciNet [1] si la réponse avait été publiée quelque part. Je fus assez content de ne rien y trouver : la question semblait nouvelle, et je m’y attelai un peu plus sérieusement.
Au bout d’un moment, doutant malgré tout que personne n’ait eu l’idée de se poser cette question avant moi, je me replongeai dans la bibliographie. Et là, de fil en aiguille, en remontant le temps au gré des citations trouvées dans des livres et des articles traitant de sujets proches, je finis par en trouver la réponse, écrite noir sur blanc.
Jusque là, rien de surprenant : ce n’est pas la première fois qu’une question que j’aime bien se révèle déjà résolue. La particularité est que celle-ci l’avait été 136 ans avant que je me la pose ! La réponse se trouvait en effet dans un article de Camille Jordan, publié dans le Journal de mathématiques pures et appliquées en 1872. Cet exemplaire de l’article n’avait jamais été consulté : il m’a fallu en couper les pages. [2]
Si un jour j’arrive à ajouter un résultat intéressant à celui de Jordan, et qu’il donne lieu à une publication, la bibliographie remontera donc jusqu’au dix-neuvième siècle. [3] Cette citation n’aura, par contre, pas beaucoup d’influence sur la carrière de ce très éminent mathématicien.
Notes
[1] un site très utile qui décrit la presque totalité des articles de recherche en mathématiques pures écrits depuis quelques dizaines d’années
[2] Pas de vandalisme là-dedans : les vieux ouvrages étaient imprimés sur de grandes feuilles qui étaient ensuite pliées et reliées entre elle ; pour les ouvrir il fallait donc couper les pages le long des pliures.
[3] Ce qui améliorerai nettement mon record actuel : le plus vieil article que j’ai cité dans mes travaux date de 1921.
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Pour citer cet article :
Benoît Kloeckner — «La concurrence des anciens» — Images des Mathématiques, CNRS, 2008
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Commentaire sur l'article
La concurrence des anciens
le 12 janvier 2009 à 18:49, par Thierry Bouche