La graphologie scientifique, terrain d’essai statistique pour Emile Borel

Piste verte Le 20 juillet 2014  - Ecrit par  Laurent Mazliak Voir les commentaires (1)

En 1906, le Alfred Binet (1857-1911) publie son ouvrage Les révélations de l’écriture d’après un contrôle scientifique [1]. A sa lecture, Emile Borel, qui commence alors tout juste à s’intéresser au calcul des probabilités, à la statistique et à l’usage qui peut en être fait dans différentes situations, décide de tester les résultats de Binet par ces méthodes. Quelques échanges enflammés s’ensuivirent entre les deux hommes. La graphologie n’est cependant pas un sujet central dans la carrière de Binet psychologue réputé qui a travaillé avec Charcot à la Salpêtrière dans les années 1880 et s’est particulièrement intéressé à la question du développement psychique des enfants.

En 1894, il avait fondé, en compagnie d’Henry Beaunis (1830-1921), l’une des premières revues spécialisées dans son domaine, l’Année Psychologique, et l’État lui avait passé commande en 1904 d’un test d’intelligence pour les enfants, qu’il mit au point avec son collègue Théodore Simon (1872-1961).

Cette échelle de l’intelligence de Binet-Simon fixait des séries de tests cliniques et psycho-sensoriels auxquels les enfants étaient censés répondre à un âge donné pour pouvoir être considérés comme normaux. Binet, dans son approche de l’intelligence enfantine avait mis au point des indicateurs très divers et n’avait pas hésité à faire appel à des disciplines comme la chiromancie, la céphalométrie ou la graphologie.

Depuis la fin du 19ème siècle, l’expertise graphologique a fait une apparition remarquée dans des procès retentissants, au premier rang desquels on trouve les épisodes de l’Affaire Dreyfus [2]. Le fameux bordereau, seule pièce matérielle de l’accusation, avait été examiné par Alphonse Bertillon, chef du service de la police scientifique à la Préfecture de Police de Paris, qui avait échafaudé un système accusatoire à partir de soi-disant expertises graphologiques. Quand, en 1904, le Gouvernement, décidé à liquider l’affaire devant la cour de Cassation, avait ordonné un rapport à Appell, Darboux et Poincaré sur le système de Bertillon, il s’était clairement agi de contrer une fois pour toutes le très bavard fonctionnaire qui s’était autoproclamé graphologue lors du premier procès. Binet était un dreyfusard convaincu, lié à Louis Havet (1849-1925) (auquel il écrivit en août 1899 une lettre pour aider « la cause si belle de Dreyfus » [3]) et à Jules Crépieux-Jamin (1859-1940), un véritable expert graphologue celui-là, qui disculpa formellement Dreyfus de l’écriture du bordereau.

Il est donc raisonnable de croire que Binet n’a pas choisi par hasard de publier un tel livre en une année 1906, qui marque la fin du procès en cassation et la réhabilitation du malheureux capitaine. Or, cette même année voit aussi le début de la parution de la Revue du Mois, fondée par Émile Borel et sa femme Camille Marbo (la fille de Paul Appell). Ce mensuel veut dès son lancement occuper le terrain du débat intellectuel orienté au centre-gauche, face à l’autre grand périodique, la Revue de Métaphysique et de Morale, situé de l’autre côté de l’échiquier politique. Dès le départ, Borel a clairement annoncé le programme qu’il attribuait à son journal :

Le nombre et l’importance des questions qui peuvent être traitées par la méthode scientifique s’accroissent chaque jour. Il nous a semblé qu’on pouvait concevoir une publication dont cette méthode serait le principe, publication n’ayant rien de spécialement technique et prenant comme but essentiel de contribuer au développement des idées générales par l’exposition et l’étude critique des progrès réalisés dans la connaissance des faits et des mouvements d’idées qui en sont la conséquence.

Le travail scientifique de Borel est à cet instant dans une phase tout à fait singulière. L’année précédente il a commencé à se passionner pour le calcul des probabilités [4]. Cette discipline l’intéressait en effet à plusieurs titres. D’abord, elle était l’occasion d’utiliser des mathématiques toutes récentes dont Borel avait été un des principaux artisans comme la mesure des ensembles et l’intégrale de Lebesgue. Par ailleurs, elle fournissait une approche singulière du problème de l’existence de certains objets mathématiques. Depuis plusieurs années, Borel était préoccupé par le réalisme de certaines situations mathématiques, par exemple la structure continue de l’ensemble des nombres réels. Or, Borel démontra que l’approche probabiliste permettait de justifier mathématiquement l’existence de certains nombres réels vérifiant des propriétés spécifiques. Cette approche culmina en 1908 quand il définit la notion de nombre normal dans son éblouissant article sur les probabilités dénombrables au Circolo di Palermo. Enfin, et peut-être avant tout, le calcul des probabilités s’avérait aussi un outil capital à disposition de tout citoyen désirant analyser rationnellement les situations faisant intervenir du risque et de l’incertitude. Dès sa création, la Revue du Mois va devenir le lieu privilégié où Borel va exposer ses idées sur ces questions dans de multiples articles qui constitueront l’essentiel de son livre Le Hasard dont la première des nombreuses éditions date de 1914.

Borel est de ce fait particulièrement à l’affût dans les premiers mois d’existence de son journal de tout sujet pour l’étude duquel la méthode scientifique privilégiée reposerait sur le calcul des probabilités, et la lecture du livre de Binet va lui en fournir un très joli exemple. La démarche de Binet entendait en effet fonder la valeur scientifique de la graphologie [5] sur une étude statistique de la fiabilité de ses résultats. Il proposait des lettres ou des enveloppes à un nombre suffisant d’experts et avait réuni des conclusions tirées de l’observation de l’écriture des expéditeurs, concernant leur âge, leur sexe, leur intelligence. Puis il avait comparé ces résultats à la distribution qui résulterait d’une réponse aléatoire aux questions posées. L’originalité de cette démarche consistait donc à fonder la scientificité de la graphologie non sur sa valeur de certitude, mais sur sa fiabilité plus grande que le simple hasard.

Après avoir lu le livre, Borel écrivit à Binet le 24 juin 1906, sous le prétexte initial de lui proposer de collaborer par un article à la Revue du Mois. Il mentionnait que l’objectif que Binet s’était fixé dans son livre était en parfaite adéquation avec le programme de la revue mais ne cachait pas un certain scepticisme quant à ses conclusions qui lui semblaient hâtives. « C’est évidemment un peu mieux que le hasard, mais ce n’est pas brillant » comme il l’écrivit quelques semaines plus tard dans sa recension des Révélations de l’écriture. Borel s’adressait à Binet dans l’idée d’utiliser les données que ce dernier avait collectées avec ses collaborateurs. Il désirait poursuivre des recherches et préciser les conclusions par une utilisation plus fine de techniques statistiques. Borel se plaçait là dans le sillage de l’idée laplacienne que la fiabilité d’un témoignage augmente par l’accroissement du nombre des témoins, tout en restant bien plus prudent que son illustre prédécesseur quant aux conclusions à tirer des calculs. Borel écrivait :

Tout n’est pas faux dans les calculs de Laplace. Seulement, il convient de les appliquer à des jugements simples et non à cette chose infiniment complexe qui est l’acquittement ou la condamnation d’un accusé. J’ai souvent réfléchi à ces questions, mais je ne voyais pas de moyen pratique de les aborder expérimentalement. Je me demande s’il ne serait pas possible d’utiliser dans ce but certains des nombreux faits que vos collaborateurs et vous avez observés.

La recension du livre de Binet par Borel parut sur sept pages dans la livraison de la Revue du Mois du 10 août 1906. Borel en profita pour lancer lui même quelques expériences de contrôle des déductions du psychologue et se faire sa propre opinion sur le rôle que doit jouer, même inconsciemment, le contenu du texte écrit dans les déductions des graphologues. Il proposa à ses lecteurs de répondre à deux expériences très simples, reproduites à partir du livre de Binet (en demandant instamment à ceux qui auraient déjà connaissance du livre de ne pas répondre). La première expérience consistait à déterminer les sexes de quatre personnes ayant écrit l’adresse de Binet sur une enveloppe. La deuxième présentait douze petits extraits de lettres reçues par Binet, dont six écrites par des hommes « supérieurs » et six autres par des hommes « simplement intelligents ou médiocres » ; l’expérience revenait alors à indiquer lesquels des six textes étaient ceux d’hommes « supérieurs ». Borel demandait à ses lecteurs de lui envoyer leurs déductions à son adresse personnelle d’été à Saint-Paul-des-Fonts - si possible avant le 20 août, ajoutait-il, pour les avoir en main à son retour à Paris.

Les résultats de l’expérience furent en effet proposés rapidement par Borel dès la livraison de septembre 1906. Il avait obtenu 41 réponses de lecteurs. Cela peut paraître un nombre assez faible mais il excédait en fait de beaucoup le nombre de graphologues mobilisés dans les expériences de Binet.

Pour la première expérience, Borel se contente en gros d’en donner les résultats bruts avec très peu de commentaires. Car ce sont les réponses à la deuxième expérience qui lui semblent plus importantes. On peut comprendre en effet qu’un critère qui prétend calibrer l’intelligence de quelqu’un au vu de son écriture soit porteur de plus de conséquences lourdes que la détermination du sexe qui peut être objectivement réglée par un moyen très simple.

Borel expose les réponses qu’il a obtenues en donnant, pour chaque texte, le nombre de voix l’attribuant à « un homme supérieur », et classe les textes en fonction de leur rang relatif. Le résultat est sans appel pour lui puisque le taux d’erreur individuel (correspondant au fait de classer parmi les six « hommes supérieurs » un homme « médiocre ») était d’environ $26\%$. Il est même encore bien moindre si on regarde les résultats dans leur ensemble en appliquant un principe de majorité puisque cinq hommes « supérieurs » sur six obtiennent au moins - et souvent bien plus que - la majorité absolue. De quelque façon qu’on le considère, il s’agit d’un résultat sensiblement meilleur que celui obtenu par les graphologues mobilisés par Binet pour ses expériences. Ce dernier, comme l’écrivait Borel avec une pointe d’ironie, aurait certainement qualifié ces résultats de remarquables. Cette attitude moqueuse envers les graphologues se lit aussi dans la citation quelque peu complaisante d’un correspondant, « mathématicien allemand des plus distingués », qui écrivait avoir obtenu un jour pour l’analyse de sa propre écriture par un graphologue : Dame américaine, d’intelligence légère et de mœurs légères.

Borel concluait donc de ce contrôle mené avec l’aide de la méthode scientifique que les affirmations, même prudentes, de Binet sur la reconnaissance de l’intelligence d’une personne à travers l’écriture étaient pour le moins sujettes à caution, tant il semblait difficile, voire impossible, de faire abstraction du contenu du texte examiné. Et il en profitait pour souligner le danger qu’il percevait dans l’appel à de soi-disant experts graphologues lors de procès judiciaires, remarque où il semble difficile de ne pas lire en filigrane une allusion aux péripéties de l’Affaire Dreyfus.

Binet écrivit une lettre contestant ces conclusions. Borel la publia en même temps que sa réponse dans le numéro de novembre 1906. Pour Binet, l’échantillon des répondants était a priori contestable car leur sincérité ne pouvait être prouvée. Par ailleurs, Borel n’avait proposé que 12 textes au lieu des 72 présentés par Binet. Enfin, contrairement aux affirmations de Borel, Binet soutenait que le groupe des graphologues avait majoritairement obtenu une erreur inférieure à celle des lecteurs de la Revue du Mois. La réponse de Borel ne manqua pas d’habileté. Ne cédant rien sur le fond, il reconnaissait ne pas avoir fait une expérience de contrôle absolument similaire à l’expérience initiale de Binet, pour d’évidentes raisons pratiques. Mais il se déclarait convaincu que les résultats n’auraient pas été très différents avec une expérience plus poussée et qu’ils seraient venus appuyer sa conviction que le contenu du texte jouait un rôle fondamental dans les conclusions des graphologues. Il ajoutait d’ailleurs que cela ne diminuait en rien leur mérite quand ils aboutissaient à une analyse juste.

Nous l’avons vu, pour l’interprétation des résultats de son enquête, Borel avait envisagé de considérer les avis exprimés par une majorité de personnes interrogées. La validation de cette méthode (appelée par lui « méthode des majorités ») permettant de jauger un jugement collectif intrigua Binet au point qu’il suggéra à Borel de préciser ses idées dans une étude qui serait publiée dans l’Année Psychologique en 1908. La question fondamentale que posait Borel était de savoir si le calcul des probabilités pouvait être utile, suivant les cas, pour justifier ou contester l’opinion émise par les majorités.

Comme il n’est pas admissible, disait Borel, que ce soit un principe de majorité pur et simple qui détermine la vérité, il est nécessaire de faire une distinction entre la « vérité absolue » et une « vérité relative » qui, seule, peut être recherchée. La vérité relative est le jugement qu’on peut émettre en fonction de l’information tronquée que l’on possède sur la situation, et donc la seule qu’on puisse en pratique atteindre. Borel insiste sur le fait que la nature de cette vérité, contrairement à son degré de vérité, ne change pas s’il y a une seule ou plusieurs personnes qui émettent un avis. Plus précisément, le fait qu’elle soit collective ne permet en aucun cas de prétendre s’être mieux approché de la vérité absolue. Un exemple évident et extrême l’illustre : si on demande de déterminer l’âge du capitaine d’un bateau en connaissant la hauteur du grand mât, mille personnes ne répondront pas mieux qu’une seule. Par contre, dans certains cas l’interrogation d’un certain nombre de personnes permet d’attribuer un coefficient de probabilité à un jugement, et cela fournit une mesure de la confiance qu’on peut accorder à la proposition en question. Borel cite l’exemple des usages du langage : savoir si l’on dit un automobile ou une automobile (en 1908 il s’agit encore d’un mot relativement nouveau). L’interrogation d’un certain nombre d’individus fournit une estimation statistique sur le genre du mot [6]. Gardant peut-être en tête l’objection que Binet avait soulevée sur son expérience de l’été 1906, Borel fait des commentaires judicieux sur la nécessité de représentativité de l’échantillon : il est important que l’échantillon de personnes interrogées soit choisi raisonnablement à l’image de la société quant à certaines propriétés caractéristiques telles l’âge, le niveau d’études ou le lieu d’habitation. Cette précaution est classique aujourd’hui mais n’était pas encore une évidence dans un moment où la théorie statistique sur ces questions était balbutiante.

Borel dans son article affirmait que la sensibilité individuelle était l’objet de la plupart des travaux des psychologues utilisant, à plus ou moins bon escient, des techniques relevant du calcul des probabilités. Or, selon lui, il était important que la recherche de cette sensibilité individuelle soit remplacée par celle d’une « sensibilité collective ». Cette dernière est exprimée par une distribution de probabilités sous forme d’un tableau indiquant qu’à tel type de réponse correspond tel pourcentage d’individus. Si par exemple, dit Borel, on examine l’accroissement minimum de masse qu’un individu particulier peut observer par rapport à un poids $P$ inconnu (disons 1 kilo), on pourra être conduit à considérer qu’il est de 50g si la personne observée n’arrive pas à distinguer un poids de 950g et le poids de référence, alors qu’il sait le faire avec le poids de 960g. C’est là un cas de sensibilité individuelle. Mais si l’on construit une expérience plus fine en faisant comparer par 1000 observateurs des poids allant de 900 à 1100 grammes à ce poids, leurs réponses fournissent une distribution de probabilités permettant de préciser les choses. Plus exactement, cette distribution nous permet de distinguer les erreurs fortuites de celles qui relèveraient d’une cause pour laquelle l’opinion d’une majorité correspondrait, comme l’écrit Borel, à une réalité.

Pour terminer son étude, Borel regardait en détail les résultats d’une expérience sur les physionomies d’enfants que Binet avait menée quelques années plus tôt. Dans cette expérience, il s’agissait de soumettre séparément 40 photographies d’enfants à 20 observateurs, en leur demandant de dire si l’enfant était normal ou arriéré. Borel comparait les résultats expérimentaux obtenus avec ceux qu’on obtiendrait en tirant à pile ou face la réponse de chaque observateur face à chacune des photos. Et il affirmait que c’est de ce type de comparaisons, plus ou moins fines, qu’on peut tirer des enseignements. Borel, pédagogue, présente ses calculs très soigneusement. Il souligne notamment la très grande rareté de certaines configurations comme le fait d’obtenir des majorités à plus de 14 voix sur 20. Ces constatations permettaient de ranger les résultats en plusieurs catégories, et notamment de dégager un ensemble de résultats douteux où les réponses ne diffèrent pas sensiblement de ce que le hasard aurait pu donner. Borel remarquait par exemple qu’on avait obtenu 5 fois l’unanimité des 20 personnes (et qui plus est, signalait Borel, dans le sens de la vérité correspondant au statut de l’enfant considéré), alors qu’à un tirage à pile ou face la probabilité d’une unanimité était de un millionième. Borel se gardait bien de tirer des conclusions qualitatives hâtives de ses observations. Il savait bien que Laplace et surtout Poisson s’y étaient dangereusement aventurés au début du 19ème siècle quand ils avaient essayé de fournir des recettes pour jauger de la sévérité respective de deux tribunaux en France à partir de l’examen statistique des peines prononcées. Leur tentative maladroite avait mis le feu aux poudres à l’académie des sciences en 1837 et fait déclarer à John Stuart Mill que l’application du calcul des probabilités aux questions sociales était le « scandale des mathématiques ». Néanmoins, Borel mettait déjà en avant ce qu’il appellerait beaucoup plus tard la loi unique du hasard, à savoir que celui qui veut se comporter rationnellement face à un événement de probabilité très petite doit considérer cet événement comme impossible. Ce qu’il désirait mettre en relief ainsi, c’est avant tout que l’observation d’un grand écart entre les données de l’expérience et les résultats théoriques d’un tirage au hasard des réponses pouvait être vu comme le marqueur objectif d’une cause à déterminer par des études plus poussées. Le calcul des probabilités devenait ainsi l’outil scientifique adéquat pour inciter à rechercher la nature de la cause en question.

À partir de 1906, Borel se fit le grand avocat de l’usage du hasard quantifié dans de multiples domaines sociaux où le risque peut intervenir et où le calcul des probabilités permet d’étudier le problème en examinant la situation d’un grand nombre d’individus. Dans les échanges qu’il eut avec Binet, il avait avant tout trouvé un bel exemple pour développer sa réflexion autour de cette thématique [7]. Les probabilités permettent pour Borel d’apporter la seule réponse valable scientifiquement à des situations ambiguës telle que le paradoxe de Zénon sur le nombre de grains qu’un ensemble de grains de blé doit contenir pour être qualifié de tas, sujet sur lequel Borel écrivit un magnifique article dans sa revue. Elles sont donc pour Borel, qui ne cessera d’en promouvoir l’enseignement et l’utilisation dans un environnement français peu favorable, la partie des mathématiques la plus utile pour l’analyse sociale. La suite de sa carrière lui donna amplement l’occasion de mettre en pratique ses idées et de permettre l’émergence en France d’une statistique probabiliste à travers la création d’institutions d’enseignement (Institut de Statistiques de l’Université de Paris en 1922) et de recherche (Institut Henri Poincaré en 1928) [8].

Post-scriptum :

L’auteur remercie chaleureusement l’équipe d’Histoire des Mathématiques, et tout spécialement Sébastien Gauthier, pour avoir accueilli cet article sur le site. En outre, les échanges avec Valentin et Vincent Borrelli, relecteurs de versions antérieures, que je remercie de même, ont permis un certain nombre d’améliorations intéressantes.

Article édité par Hélène Gispert

Notes

[1Le présent article est une version abrégée de Laurent MAZLIAK. La graphologie d’Alfred Binet, terrain d’entraînement d’Emile Borel, statisticien en devenir. Recherches&Educations, 6 (2012), 241-253.

[2Sur ce sujet, on pourra consulter

Laurent ROLLET. Des mathématiciens dans l’affaire Dreyfus ? Autoforgerie, bertillonnage et calcul des probabilités. Images des Mathématiques (2010).

Roger MANSUY et Laurent MAZLIAK. L’analyse graphologique controversée d’Alphonse Bertillon dans l’affaire Dreyfus. Polémiques et réflexions autour de la figure de l’expert. in Pierre PIAZZA (éd.). Aux origines de la police scientifique. Alphonse Bertillon (1853-1914), précurseur de la science du crime, Karthala (2011).

[3La lettre d’Alfred Binet se trouve dans le volume
Alexandre KLEIN (éd.) Correspondance d’Alfred Binet, Volume 2 – L’émergence de la psychologie scientifique (1884-1911), Nancy, Presses Universitaires de Nancy (p.243).

[4Le tournant probabiliste de Borel est l’objet de l’étude
Antonin DURAND and Laurent MAZLIAK. Volterra’s Prolusione as a source of Borel’s interest for probability. Centaurus, 53 (2011), 306-333.

[5Il va sans dire que notre intention n’est en rien ici de prendre parti sur le fait de savoir ou non si le qualificatif scientifique est ou non légitime quand il s’agit de la graphologie. Cette question, on le sait, est toujours très discutée aujourd’hui.

[6Un relecteur m’a fait justement observer qu’on imite de nos jours une telle démarche quand on interroge Google sur l’orthographe d’un mot (par exemple un nom propre, notamment dans une translitération) et qu’on compare le nombre de résultats obtenus.

[7A ma connaissance, la relation entre les deux hommes n’alla d’ailleurs pas plus loin que l’article de 1908 (Binet devait mourir peu après en 1911).

[8On trouvera des détails sur ces questions dans CATELLIER, Rémi, and Laurent MAZLIAK. The Emergence of French Probabilistic Statistics. Borel and the Institut Henri Poincaré around the 1920s. Revue d’Histoire des Mathématiques 18 (2012), 271-335.

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Pour citer cet article :

Laurent Mazliak — «La graphologie scientifique, terrain d’essai statistique pour Emile Borel» — Images des Mathématiques, CNRS, 2014

Crédits image :

Image à la une - Portrait d’Alfred Binet © Société Binet-Simon

Commentaire sur l'article

  • L’ancêtre des détecteurs de la triche de Poutine ?

    le 21 juillet 2014 à 19:28, par Herve5

    Je ne m’attendais pas à ce que l’on puisse remonter aussi loin dans le temps sur la réflexion statistique autour des élections !
    Ainsi voici l’un des ancêtres de l’article ici même d’Etienne Ghys sur la détection statistique du bourrage des urnes, et l’on pourrait aussi suggérer au sérieux Klimek de mentionner Borel dans ses références ;-)

    Répondre à ce message

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