Les Formes qui se déforment

Le 20 mars 2020  - Ecrit par  Vicente Muñoz Voir les commentaires (1)

Cet article a été écrit en partenariat avec L’Institut Henri Poincaré


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En 2013, l’Institut Henri Poincaré et Images des Mathématiques avaient uni leurs efforts pour superviser la réédition de la collection Le monde est mathématique, publiée par RBA en partenariat avec Le Monde. En 40 ouvrages, cette collection de qualité, issue d’un projet collectif de mathématiciens espagnols, vise à présenter, à travers une grande variété de points de vue, de multiples facettes des sciences mathématiques, sous un aspect historique, humain, social, technique, culturel ...
Reprise et améliorée au niveau de la forme, cette édition avait été entièrement lue et corrigée par l’équipe d’Images des Mathématiques ; des préfaces et listes bibliographiques rajoutées.

En 2019, cette collection est de nouveau éditée, présentée par Étienne Ghys et distribuée par L’Obs.

Chaque semaine, à l’occasion de la sortie d’un nouveau numéro de la série, un extrait sélectionné sera présenté sur Images des Mathématiques. Il sera également accompagné du sommaire du livre et d’une invitation à prolonger votre lecture.

La forme de l’Univers

Déterminer la forme de notre petite planète n’ayant vraiment pas été une mince
affaire, le lecteur imagine finalement bien que nous aborderons notre immense
Univers avec une certaine prudence. Quelle forme a en réalité l’Univers ? Voilà
une question à laquelle il n’est pas aisé de répondre. L’homme l’a longtemps perçu
comme un espace s’étendant dans trois directions à l’infini et au centre duquel
la Terre était située. Quelques siècles plus tard, on développa une théorie (bien
plus intéressante que celle concernant la sphéricité de la Terre) selon laquelle la
Terre ne se trouvait plus au centre de l’Univers, mais tournait autour du Soleil,
qui ne se trouvait pas lui-même au centre de l’Univers : il ne serait plus qu’une
étoile campée au sein d’une galaxie de taille moyenne, et plongée dans un Univers
qui n’aurait finalement pas de centre. Nous, humains vivant dans cet immense
espace, saurons-nous, en observant autour de nous, définir d’une façon intelligente
la forme de l’Univers ?

[...]

Il nous semble, où que l’on se trouve dans l’espace et en regardant autour de
nous, que les trois axes des coordonnées s’étendent à l’infini. Nous pourrions donc
en conclure que l’Univers est un espace cartésien. Toutefois, cela reviendrait à dire
que la Terre est plate uniquement parce qu’il est possible de dessiner deux axes sur
le sol. Ne reproduisons pas les mêmes erreurs !

L’Univers pourrait être l’équivalent d’une sphère, mais en dimension 3 (nous
l’appellerons une hypersphère, bien que les mathématiciens la nomment 3-sphère).
Il est difficile de se la représenter ; peut-être parce que les hyperpommes n’existent
pas. Si l’Univers se « courbait », on pourrait alors en faire le tour : un hypothétique
trajet en ligne droite passerait par un point antipodal (quel élément extraordinaire
se trouverait aux hyperantipodes ?) et reviendrait, en décrivant une grande courbe.
Ce fut le mathématicien allemand Bernhard Riemann qui le premier formula cette
thèse, en 1854.

En réalité, l’environnement que nous percevons est tout à fait restreint.
Peut-
être avons-nous l’impression concrète d’observer, avec nos télescopes, de
lointaines galaxies, mais, en réalité, la portion d’espace observable est infime comparée
aux dimensions globales du cosmos. Ainsi, la seule conclusion que nous
pouvons tirer est que notre Univers est « localement équivalent à l’espace cartésien
tridimensionnel ».

Partons du principe qu’il est possible de placer localement des coordonnées
dans n’importe quelle autre partie de l’Univers. Plusieurs postulats de la physique
vérifient cette propriété. Le premier d’entre eux affirme que les équations de la
physique ne doivent pas dépendre du point où l’on se trouve ou de la position dans
laquelle on se trouve (principe de cohérence). Le second postulat est un principe
de relativité (formulé d’une manière plus élaborée dans la théorie de la relativité
générale d’Albert Einstein), qui énonce qu’il n’existe pas de repère ou de système
de coordonnées privilégié.

Une variété est un espace qui peut être « localement » vu comme l’espace cartésien.
Donc n’importe quel point peut être indifféremment défini par des coordonnées.
Le mot variété vient du fait que cet espace a des directions « variées ».

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Une variété de dimension 2 est une surface. Il est possible de placer des coordonnées $(x, y)$ dans le voisinage d’un point.

Le problème peut alors être étudié sous l’angle des mathématiques. Quels sont
les espaces de dimension 3 ? Comment les identifier et les construire ? Lequel
d’entre eux est notre Univers ?

Les mathématiques auxquelles nous devons faire appel sont extrêmement complexes
dans la mesure où elles traitent d’un problème à ce jour non résolu et sur
lequel de nombreux spécialistes ont travaillé et travaillent encore. Les résultats partiels
obtenus sont toutefois d’un grand intérêt scientifique. Simplifions le problème
grâce à quelques hypothèses concernant l’Univers :

  • L’espace n’a certainement aucune limite ; il ne se termine jamais.
    Il est donc illimité.
  • Une autre hypothèse, plus discutable, mais néanmoins raisonnable, suppose
    que l’Univers n’est pas infini. Il pourrait donc être un espace fini, mais illimité
    (comme l’est la Terre). D’un point de vue philosophique, cette thèse est
    défendable puisqu’elle renvoie aux paradoxes de l’infinitude, dans le cas où
    l’Univers serait composé d’une quantité infinie de matière. Néanmoins, ces
    arguments sont faibles. Nous devrons pourtant en tenir compte, car une découverte
    ultérieure pourrait nous obliger à envisager une hypothèse de ce
    type. Nous verrons plus loin comment les caractères « illimités » et « finis »
    peuvent être rendus compatibles.
  • On suppose généralement que la matière est distribuée à peu près équitablement
    dans l’Univers. La distribution des galaxies paraît en effet plus ou moins
    uniforme. Cela a un impact sur la géométrie de l’espace, puisque celui-ci
    devient homogène, c’est-à-dire que la géométrie est (presque) la même partout.
    Cette hypothèse se fonde sur l’exploration de l’Univers observable et est
    compatible avec d’autres théories, comme celle du Big Bang.

Trouver les 3-variétés qui vérifient ces trois propriétés est plus aisé que de relever
toutes les 3-variétés. Il s’agit d’un problème qui, à ce jour, n’a pas été entièrement
résolu. Certes, les scientifiques sont en mesure d’accompagner le développement
mathématique d’expériences cosmologiques (qui consistent à capter les radiations
cosmiques) qui permettent de faire avancer les recherches. Pourtant, rien n’est encore établi.

Nous allons à présent pénétrer dans un monde fait de mathématiques, de topologie
et de géométrie. Nous montrerons à quel point il est difficile d’appréhender la
forme globale des espaces autant que de comprendre la façon dont la forme locale
et la forme globale (la géométrie et la topologie) sont intimement liées. Nous étudierons
les découvertes mathématiques de ces 150 dernières années sur les variétés
pour ensuite nous attaquer au problème qui nous intéresse.

Nous nous intéresserons aux surfaces afin de nous familiariser petit à petit avec
la topologie et la géométrie des variétés. Nous aurons pour compagnons de charmants personnages : les habitants de Flatland, héros d’une histoire de passage à une dimension supérieure qui nous aidera à approfondir notre connaissance de la réalité, en faisant toujours preuve d’esprit critique.

[...]

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Sommaire du livre.

Pour aller plus loin

Voici quelques articles sur ce sujet :

Post-scriptum :

L’extrait proposé est choisi par le préfacier du livre : Patrick Popescu-Pampu. Celui-ci répondra aux commentaires éventuels.

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Pour citer cet article :

Vicente Muñoz — «Les Formes qui se déforment» — Images des Mathématiques, CNRS, 2020

Commentaire sur l'article

  • Les Formes qui se déforment

    le 31 janvier 2015 à 01:36, par bayéma

    Je n’ai pas lu le livre, j’ai juste consulté le sommaire.

    Je note d’emblée une absence dans ce livre qui prétend s’intituler « les formes qui se déforment » celle des nœuds non alternés qui sont les supports de pratiques (accessibles à tout le monde, pour peu qu’on soit un peu curieu.se, et qu’on aime dessiner) de métamorphoses (les isotopies) infinies, variées et surprenantes. 2 pages seulement et encore, chirurgicales...

    Cette absence me paraît symptomatique d’une résistance « algébriste » ou « politiquement correcte », ou encore « dédaigneuse » (bien dans le ton de ce que le paléontologue jousse appelait l’« algébrose » de notre époque) de ce que les nœuds peuvent offrir en tant qu’expérience ludique et cognitive.

    josef bayéma, plasticien, guadeloupe.

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