Rediffusion d’un article publié en 2010
Les décimales de pi
Piste verte Le 3 juillet 2021 Voir les commentaires (19)Lire l'article en


Connait-on bien les décimales du nombre $\pi$ ?
Est-il difficile de les calculer ?
Est-ce bien utile d’en connaître beaucoup ?
[Rediffusion d’un article publié le 4 mai 2010]
Vous avez sans doute entendu parler du nombre $\pi$ qui intervient dans les formules que l’on apprenait à l’école élémentaire : $2\,\pi\,r$ pour le périmètre du cercle de rayon $r$ et $\pi\,r^2$ pour l’aire délimitée par ce cercle (actuellement cela s’apprend en CM2 pour le périmètre et en 6ième pour l’aire). Je me souviens aussi des valeurs approchées ($3,14$ ou $3,1416$ ou $22/7$) de ce nombre que j’ai apprises au CM1 au cours d’une leçon qui m’a marqué pour la vie. Notre instituteur nous apprit ainsi que le nombre $\pi$ permet de calculer le périmètre de tous les cercles, quel que soit leur rayon, et aussi l’aire des disques qu’ils délimitent.
Le plus impressionnant pour moi fut d’apprendre que ce nombre a une infinité de décimales et que personne ne peut en donner la liste ni la décrire.
Le nombre $1/3$ a une infinité de décimales et ce sont toutes des 3 ; la suite des décimales du nombre
\[{2\over 7}=0,2857\,142857\,142857\dots\]
est facile à décrire : à partir de la cinquième décimale on juxtapose des blocs identiques $142857$. J’ai appris beaucoup plus tard que cette propriété d’être « ultimement périodique » caractérise les développements décimaux des nombres rationnels, les fractions telles que $2/7$, et que $\pi$ n’est pas un nombre rationnel [1].
Un autre nombre dont il est facile de décrire les décimales est le nombre de Champernowne \[0,123456789101112131415161718192021\dots\] Mais ce n’est pas un nombre rationnel, car son développement n’est pas ultimement périodique : il y apparaît des suites arbitrairement longues formées uniquement de zéros...
Dans ce petit article je vais essayer de détruire quelques mythes et parler un peu des décimales de $\pi$. Vous trouverez les $10\,000$ premières à la fin de ce texte.
Naissance des mathématiques européennes : la Grèce
Vers 600 av. J.-C., en Grèce, la démocratie naît dans les cités indépendantes, et, en même temps qu’elle, l’argumentation politique et logique. De la même manière qu’il fallait convaincre ses concitoyens par de solides arguments dans le domaine politique, pour ce qui concernait la science on n’admettait rien sans une démonstration, et c’est toujours le cas pour les mathématiques contemporaines. S’il peut être agréable à un mathématicien de penser que sa discipline est née de la démocratie [2], il est moins glorieux de constater que l’argumentation logique n’a pu se développer que grâce à l’esclavage qui fournissait aux penseurs le temps de penser...
C’est ainsi qu’Euclide publia vers 300 av. J.-C. ses Éléments, dont la proposition 2 du livre XII énonce : « Les cercles sont entr’eux comme les quarrés de leurs diamètres » (traduction de François Peyrard en 1819). En termes modernes, nous dirions que cela signifie que le $\pi$ de $\pi\,r^2$ est bien indépendant du rayon $r$. Vers 250 av. J.-C., Archimède, dans son traité sur La mesure du cercle, démontre que l’aire du disque est la même que celle du triangle rectangle dont un côté de l’angle droit a pour longueur celle de la circonférence et l’autre est égal au rayon du cercle. En termes modernes, il dit que c’est le même nombre $\pi$ qui intervient dans les formules $2\,\pi\,r$ et $\pi\,r^2$. Si tous les gens à qui cela pouvait servir le savaient sans doute depuis longtemps, ce qui est important, c’est qu’une preuve en était donnée.
Comme toujours lorsqu’on parle de nombres et d’histoire des mathématiques, il faut être bien conscient que les Anciens n’avaient pas les mêmes conceptions que nous. La notion de nombre, telle que nous avons commencé à la découvrir à l’école, est très récente. Les Anciens connaissaient les nombres entiers (1, 2, 3 etc.), mais, pour eux, les rapports entre quantités étaient des proportions, et pas des nombres. On vient de voir qu’Euclide ne parle pas de $\pi$, mais du rapport des aires de disques et même pas du rapport de l’aire d’un disque à celle d’un carré !
Les historiens font remonter au XIème siècle (avec le mathématicien persan Omar Al-Khayyam) l’émergence de cette notion de nombre qui n’a été vraiment précisée qu’à la fin du XIXème siècle. En 1509, Luca Pacioli parle encore de la « divine proportion » et pas du « nombre d’or ».
Avant de choisir un nom pour le nombre $\pi$, il faut le considérer comme un nombre... et le choix du nom de $\pi$ n’a été fixé qu’à partir de 1706, date de la parution de A New Introduction to Mathematics de William Jones. Ainsi, par exemple, Leonhard Euler (1707-1783) a utilisé les notations $p$ et $c$ avant de se rallier à $\pi$. Il faut donc prendre avec prudence ce que je vais dire plus loin, en étant conscient des anachronismes qui me facilitent la rédaction !
Les premières approximations de $\pi$
À Babylone, vers 2000 av. J.-C., on utilise la valeur approchée $\displaystyle 3+{1\over 8}=3,125$ qui est obtenue, si l’on en croit la figure dessinée sur une tablette d’argile et divers commentateurs, en disant que le périmètre du cercle est un peu plus grand que celui de l’hexagone régulier inscrit. Ce dernier est égal à 6 fois le rayon : rappelez-vous qu’à l’école vous construisiez cet hexagone en reportant cinq fois avec votre compas le rayon du cercle sur la circonférence et que vous constatiez que la distance entre le premier et le dernier point marqués coïncidait aussi avec ce rayon... si vous aviez été très soigneux ! Avec un compas informatique dont l’écartement des branches reste fixe, c’est plus facile...
En Égypte, le papyrus Rhind (1800 av. J.-C.) donne la valeur
\[
\left({16\over 9}\right)^2={256\over 81}=3,16\dots
\]
En fait, il dit que l’aire du disque s’obtient en prenant le carré des huit neuvièmes du diamètre (ce que les spécialistes nomment la « diminution du neuvième ») et l’illustre, assez mystérieusement, par un octogone inscrit dans un carré. [3].
Les Sulbas sutras (Inde, entre 800 et 200 av. J.-C.) donnent $3,088$ pour le $\pi$ de $\pi\,r^2$ et $3,2$ pour celui de $2\,\pi\,r$. Mais les Sulbas sutras sont un traité d’architecture religieuse qui indique comment édifier des autels grâce à des constructions géométriques et ce n’est qu’une interprétation moderne qui permet d’en tirer ces valeurs approchées de $\pi$, ce qui renvoie à l’anachronisme mentionné ci-dessus.
Dans la Bible, le Premier Livre des Rois décrit le Temple de Salomon et on y trouve (en 1R 7, 23) la description d’un grand bassin de bronze servant aux ablutions rituelles : La mer d’airain coulée par le fondeur Hiram de Tyr « avait 10 coudées de diamètre et elle était de forme circulaire » [...] « et un cordeau de 30 coudées en aurait fait le tour ». Bon prétexte pour se moquer du Dieu des Hébreux et des Chrétiens qui a créé l’univers mais ne sait même pas que $\pi$ n’est pas égal à 3 !
Dès le IIème siècle le rabbin mathématicien Rabbi Nehemiah est conscient de ce problème et il écrit qu’il faut tenir compte de l’épaisseur du bronze et que c’est la circonférence intérieure de la mer d’airain qui mesure 30 coudées... Plus tard, de nombreux numérologues ont tenté de réhabiliter le Dieu de la Bible en faisant des calculs abracadabrants utilisant le fait que les lettres hébraïques servaient aussi à noter les chiffres. Mais, est-ce réhabiliter ce Dieu que de « prouver » qu’il connaît deux ou trois décimales de $\pi$ ? Le plus étonnant, c’est que ce petit jeu continue (proposez « pi bible » à votre moteur de recherche favori et vous verrez !) [4].
Archimède et ses successeurs
L’idée d’Archimède est d’encadrer un cercle donné entre des polygones réguliers inscrits et circonscrits, dont il augmente le nombre des côtés : petit à petit ces polygones viennent se coller à la circonférence, et à la limite ils coïncident avec le cercle. Il suffit de calculer les périmètres, ou les aires, de ces polygones pour obtenir des valeurs approchées de $\pi$. Pour démontrer que l’aire du disque est $\pi\,r^2$ (attention à l’anachronisme !), Archimède part de carrés inscrits et circonscrits dont il double successivement le nombre des côtés. Mais pour les calculs approchés, il part des hexagones réguliers inscrits et circonscrits (j’ai rappelé plus haut que le côté de l’hexagone inscrit est égal au rayon du cercle, et il n’est pas trop difficile de calculer celui de l’hexagone circonscrit), puis il double le nombre des côtés 4 fois de suite, obtenant successivement des polygones à 12, puis 24, 48 et enfin 96 côtés. C’est, bien sûr, en imagination qu’il fait cela : le théorème de Pythagore lui permet de calculer, à partir du périmètre du polygone de départ, le périmètre du polygone obtenu en doublant le nombre des sommets ; et cela en n’utilisant que des additions, des multiplications et des extractions de racine carrée, opérations qu’il sait exécuter. Il en conclut que $\pi$ est compris entre $\displaystyle {223\over 71}=3,1408\dots$ et $\displaystyle {22\over 7}=3,1428\dots$.
Cette méthode a longtemps été la seule connue pour approcher $\pi$, et elle a été presque universellement utilisée : En 263 le mathématicien chinois Liu Hui obtient les 5 premières décimales de $\pi$ avec des polygones à 3 072 côtés. Il faut cependant noter qu’il commence par démontrer que l’aire du disque est égale au produit de la demi-circonférence par le rayon du cercle de façon un peu différente d’Archimède, en majorant l’aire du disque plus finement que par l’aire des polygones circonscrits. Pour son algorithme de calcul, il part aussi de l’hexagone, mais sa majoration plus précise lui permet de limiter le nombre des côtés des polygones considérés [5].
Vers 1450, Al Kashi, mathématicien persan, obtient 16 décimales exactes de $2\,\pi$ grâce à des polygones à environ 800 000 côtés ; en 1593, aux Pays-Bas, Adriaen Von Rooman calcule 15 décimales (avec environ 1 million de côtés) ; la palme revient à Ludolff van Ceulen (Ludolph de Cologne ; en Allemagne on nomme encore parfois $\pi$ le « nombre de Ludolph ») qui, en 1609, obtient 34 décimales de $\pi$ (son calcul correspond à des polygones à plus de 500 milliards de côtés !) et, à sa demande, ces décimales sont gravées sur sa tombe à Leyde...
Ces exemples, qui passent sous silence bien d’autres travaux, montrent bien que cette méthode n’est pas très efficace pour calculer un grand nombre de décimales de $\pi$ : 3 000 côtés pour 5 décimales, 1 million de côtés pour 15 décimales...
Les formules analytiques
Avec le XVIIIème siècle et le calcul différentiel de Newton et Leibniz, le calcul de $\pi$ se dégage de la géométrie et utilise des formules analytiques, trop techniques pour être développées ici. Donnons juste un exemple : le quart du nombre $\pi$ est égal à la somme infinie
\[{\pi \over 4}=1-{1\over 3}+{1\over 5}-{1\over 7}+{1\over 9}-{1\over 11}+{1\over 13}-\cdots\]
où l’on ajoute les inverses des nombres entiers de 4 en 4 à partir de 1 (les $4\,n+1$) et retranche les inverses des nombres entiers de 4 en 4 à partir de 3 (les $4\,n+3$). Un grand progrès de cette époque, en Europe, est de considérer de telles sommes d’une infinité de termes et de leur donner un sens. Cela permit au mathématicien mulhousien (donc suisse...) Johann Lambert [6] de démontrer en 1761 que $\pi$ n’est pas un nombre rationnel (c’est-à-dire que ce n’est pas le quotient de deux nombres entiers, comme $\displaystyle {22\over 7}$) et, par conséquent, que la suite de ses décimales ne présente pas de périodicité.
Cependant, trois siècles auparavant, en Inde, le mathématicien Madhava (1380-1420) savait déjà travailler avec des sommes infinies et avait ainsi obtenu 11 décimales exactes de $\pi$. La chasse aux décimales de $\pi$ était ouverte !
La chasse aux décimales (un petit aperçu)
Jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, les calculs sont exécutés à la main : William Shanks passa 20 ans de sa vie à calculer, pour publier enfin en 1874, les 707 premières décimales de $\pi$. Avec un tel nombre de décimales on peut envisager de chercher des régularités : on constate que tous les chiffres de 0 à 9 sont bien représentés avec une fréquence d’environ 1/10, sauf le 7 qui est moins fréquent. Il s’ensuivit 70 ans de spéculations oiseuses sur cette rareté du 7... jusqu’au calcul par D. F. Ferguson en 1946 des 710 premières décimales de $\pi$ : les décimales données par Shanks étaient fausses à partir de la 528ième !
À partir de 1946 les calculs sont faits à la machine, machines mécaniques de bureau (1120 décimales en 1948), puis ordinateurs (2037 décimales en 1949). Les progrès deviennent alors plus rapides : en 1973 Jean Guilloud et Martine Bouyer publient un million de décimales de $\pi$ sous la forme d’un livre de 450 pages. En 1989 le milliard de décimales est atteint par les frères David et Gregory Chudnovsky qui se livrent à une course effrénée avec Yasumada Kanada qui finit par les battre avec 1200 milliards de décimales en 2002.
Les deux derniers records datent de 2009 : En avril Daisuke Takahashi, de l’Université Tsukuba, obtient 2600 milliards de décimales, et en décembre Fabrice Bellard en obtient 2700 milliards. Un livre standard de la collection Bouquins (Robert Laffont) a une épaisseur de 2,7 cm et possède environ 1000 pages contenant chacune environ 50 lignes d’environ 70 caractères (y compris les espaces), soit environ 3,5 millions de signes. Si l’on imprimait dans la collection Bouquins le record de 1989 des frères Chudnovsky il faudrait 289 volumes ; et pour chacun des records de 2009 il faudrait 20 kilomètres de rayonnage !
Pourquoi ces calculs ?
Il est clair que personne n’a besoin de connaitre $\pi$ avec une telle précision, que ce soit l’astronome pour établir l’heure d’une prochaine éclipse ou le fabricant de boîtes de conserve pour calculer le diamètre d’une boîte d’un litre ou le poids de métal nécessaire.
Une première motivation est l’étude de la répartition des chiffres dans la suite des décimales de $\pi$. La plupart des mathématiciens pensent que ces décimales sont réparties « au hasard » : ce n’est, bien sûr, pas un véritable hasard qu’on attend, puisque $\pi$ a une définition bien précise, mais une bonne répartition doublée d’inattendu, ce qui ressemble au hasard... Chaque auteur d’un nouveau record prend soin de vérifier que la fréquence d’apparition de chaque chiffre est proche de 1/10, que celle de chaque groupe de 2 chiffres est proche de 1/100, etc. Vous pouvez vérifier que votre date de naissance apparaît dans les décimales de $\pi$ sur ce site où vous pourrez voir que la date de naissance de Napoléon Bonaparte (15081769) se trouve de la $189\, 028\, 007$ième décimale à la $189\, 028\, 014$ième, et où vous trouverez beaucoup d’autres renseignements plus intéressants ! D’autres, comme les frères Chudnovsky, espèrent trouver des régularités, des motifs... En fait, cela n’a qu’une signification limitée, puisqu’on ne connaît qu’une partie finie de la suite infinie des décimales de $\pi$, c’est-à-dire 0% de ces décimales !
Une motivation plus sérieuse pour cette recherche a été de tester la fiabilité et la rapidité des ordinateurs et d’en tirer éventuellement des arguments publicitaires. Par exemple, David Bailey, qui participa à la chasse aux décimales, détecta ainsi en 1988 un bogue dans le superordinateur Cray-2. Dans son annonce de record, Takahashi insiste sur les performances du nouveau superordinateur parallèle de l’université de Tsukuba qui lui a permis de faire le calcul en seulement 70 heures.
Mais le plus important est que, pour passer d’un million à plus d’un milliard de décimales, il ne suffit pas de faire travailler plus longtemps un plus gros ordinateur et de compter sur le progrès de la technologie qui miniaturise les composants électroniques et augmente leur rapidité. Il faut faire des progrès en informatique théorique et en mathématiques : On calcule généralement $\pi$ comme une somme de termes qui sont des quotients de produits de très grands nombres entiers, et chaque terme doit être calculé avec une précision au moins égale à la précision cherchée pour $\pi$. Cela nécessite des mémoires énormes, mais aussi des méthodes rapides pour multiplier ou diviser de très grands nombres entiers : l’ordinateur n’utilise pas le procédé que nous avons appris à l’école mais des algorithmes régulièrement améliorés par les mathématiciens et les informaticiens. Il est, pour le moins, ridicule d’écrire « on n’a plus besoin de mathématiciens maintenant qu’on a des ordinateurs » (citation libre extraite du livre La Défaite de Platon, publié par un ancien ministre [7] en charge de la recherche scientifique ; je ne peux fournir la citation exacte car j’ai mis à la poubelle ce livre où j’espérais apprendre un peu d’histoire des sciences). C’est grâce à l’amélioration de ces algorithmes que Fabrice Bellard a pu établir son record annoncé le 31 décembre 2009 en utilisant un PC de « moins de 2000 euros » qui a calculé pendant 131 jours.
On lira avec intérêt les annonces officielles des derniers records de Kanada (ici), Takahashi (là) et Bellard (et là). Et pour se tenir au courant de la course aux décimales, il suffit de demander « pi record » à un moteur de recherche.
Ce qui est réjouissant, c’est l’interaction entre l’informatique et les mathématiques : par exemple, l’informatique a permis d’accélérer la poursuite de l’étude des systèmes dynamiques qu’Henri Poincaré n’avait pu développer, faute de moyens de calcul (et cela fournit en plus les magnifiques images d’ensembles fractals que tout le monde peut admirer maintenant) [8] ; mais, réciproquement, les informaticiens demandent aux mathématiciens de nouveaux résultats en algèbre, arithmétique, logique et combinatoire…
Notons enfin que les algorithmes de multiplication rapide ne servent pas seulement à calculer des décimales inutiles, mais qu’ils ont des applications importantes dans le traitement d’images. En particulier, sans le travail effectué pour cette chasse au record, nous n’aurions pas de machines à IRM dans nos hôpitaux.
Pour en savoir plus
On pourra lire le joli livre de Jean-Paul Delahaye Le fascinant nombre pi (Belin, 2001) qui m’a appris beaucoup de choses et que j’ai beaucoup utilisé pour écrire cet article. Un peu plus technique, le numéro Spécial $\pi$ du Petit Archimède ne doit plus se trouver actuellement que dans les CDI des Lycées et Collèges ou dans quelques bibliothèques universitaires. Le site internet pi314 donne beaucoup de renseignements, mais prend peu de précautions dans les interprétations historiques. Et, de toute façon, votre moteur de recherche vous donnera énormément d’adresses si vous lui soumettez la requête « pi » et, par exemple, les $10\, 000 $ décimales qui suivent :
Merci à l’équipe d’Images des Maths dont les remarques m’ont obligé à améliorer considérablement la rédaction de mon premier projet et à me documenter plus sérieusement. Merci aussi à Etienne Ghys pour la figure réalisée avec un compas informatique...
Notes
[1] On voit bien pourquoi le développement décimal d’un nombre rationnel est ultimement périodique : si vous posez, comme à l’école, la division de 2 par 7, dans la colonne de gauche, sous le dividende, où vous écrivez les restes successifs des divisions partielles, il ne peut y avoir que les chiffres de 1 à 6, car vous savez que la division ne tombe pas juste et que le reste doit être plus petit que 7. Nécessairement, au bout d’au plus 6 divisions, le même reste apparaît, et alors les opérations se reproduisent à l’identique. Démontrer la réciproque (si le développement est ultimement périodique, c’est celui d’un nombre rationnel) est plus délicat et nécessite de maîtriser la technique des sommes infinies.
Regardons le développement décimal de la racine carrée de 2 :
\[\sqrt{2}=1,414\,213\,562\,373\,095\,048\,801\,688\,724\,209\dots\]
On ne voit apparaître aucune périodicité dans ces 30 premières décimales, mais cela ne fournit pas une preuve de l’irrationalité de $\sqrt{2}$, seulement du fait que, si $\sqrt{2}$ était rationnel, son dénominateur serait supérieur à 10.
On peut cependant démontrer assez simplement que $\sqrt{2}$ n’est pas
rationnel : Si $\sqrt{2}$ était rationnel, il s’écrirait sous la forme « irréductible » $\displaystyle\sqrt{2}= {a\over b}$, où $a$ et $b$ sont des nombres entiers positifs sans facteur commun. En élevant chaque membre de l’égalité au carré on obtient $\displaystyle 2={a^2\over b^2}$. Comme $\displaystyle{a^2\over b^2}$ est encore une fraction irréductible, c’est que $b^2=1$ et $a^2=2$. Mais le carré d’un nombre entier ne peut pas être égal à $2$ (les carrés des nombres entiers sont $1,\,4,\,9,\,16,\dots$), donc on aboutirait à une contradiction. Ainsi nous avons démontré l’irrationalité de $\sqrt{2}$. En fait, cette argumentation démontre l’irrationalité de $\sqrt{n}$ pour tout nombre entier $n$ qui n’est pas un carré.
[2] C’est la thèse défendue notamment par l’historien et helléniste Jean-Pierre Vernant (1914-2007), Professeur au Collège de France. Les historiens actuels sont plus prudents : ils constatent la concomitance de l’apparition de la démocratie et de la démonstration mathématique en Grèce, mais ils hésitent à affirmer un lien de cause à effet. Il faut aussi remarquer qu’il ne s’agit ici que de la naissance des mathématiques en Europe, et que le souci de démontrer existait sans doute déjà en Orient, par exemple en Mésopotamie.
[3] ce qui fournirait plutôt $\displaystyle {28\over 9}={252\over 81}=3,11\dots$ que $\displaystyle {256\over 81}$.
C’est l’aire de l’octogone obtenu en remplissant les angles rentrants de la croix suisse : si la croix suisse est formée de 5 carrés de côté 1, on la transforme en octogone en remplissant les angles rentrants par 4 demi-carrés. L’octogone a donc une aire égale à 7 et il approche un disque de diamètre 3, de sorte que 7 est proche de $\pi\,(3/2)^2$, donc $\pi$ proche de ${28\over 9}$. Mais il est peut-être téméraire d’en conclure qu’en Égypte, pour obtenir une « belle formule », on a remplacé le $9\times 7=63$ par $64=8^2$.
[4] En tant que mathématicien et catholique, c’est avec un grand plaisir que je constate que $\pi$ suffit à démontrer que la Bible n’est pas la Parole de Dieu et à en exclure toute lecture fondamentaliste. Dans ce même ordre d’idées, le christianisme n’aime pas être classé comme une « religion du Livre » (comme on le voit trop souvent dans les médias, parfois dans la bouche de philosophes ou de sociologues), car, comme son nom l’indique, il est fondé sur la personne du Christ ; personne dont, par ailleurs, il n’existe aucune preuve scientifique de l’existence).
[5] On pense que Liu Hui ne connaissait pas le travail d’Archimède. Leurs argumentations sont de natures très différentes : Archimède raisonne par l’absurde en démontrant que l’aire du disque ne peut être ni plus petite, ni plus grande que celle du triangle rectangle considéré, alors que Liu Hui utilise une argumentation directe : en langage moderne, l’aire des polygones inscrits est égale au produit de leur demi-périmètre par le rayon du cercle circonscrit et cela se conserve par passage à la limite. Le travail de Liu Hui montre que, contrairement à ce que l’on croit souvent, les mathématiques de la Chine ancienne comportent des démonstrations. Enfin, le calcul des 5 premières décimales n’est peut-être pas dû à Liu Hui lui-même (dont on est sûr qu’il a obtenu 3,14), mais à un commentateur postérieur.
[6] Johann Lambert (1728-1777) est plus connu comme géomètre, inventeur de la « projection Lambert » utilisée pour les cartes de l’IGN. Adoptée par les artilleurs en 1914 car elle conserve les angles, contrairement à la projection Bonne des cartes d’état-major du XIXème siècle, elle est actuellement la projection légale en France et dans une bonne partie de l’Europe et elle est compatible avec le système GPS.
[7] Influent, mais pas encore ministre lors de la parution de ce livre.
[8] On peut lire à ce sujet l’article de Michèle Audin sur Fatou.
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Pour citer cet article :
François Gramain — «Les décimales de pi» — Images des Mathématiques, CNRS, 2021
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le 1er décembre 2011 à 15:20, par Marc JAMBON