Les mathématiques appliquées au cœur de la finance
Le 15 octobre 2004 Voir les commentaires (2)
Au cours des trois dernières décennies, les outils mathématiques sont devenus déterminants en finance. Ils ont initialement contribué avec Black-Scholes à l’explosion des activités de marché et aujourd’hui, la demande en profils hautement techniques reste importante, malgré les crises financières. Nous dressons un portrait succinct des connexions entre finance et mathématiques appliquées.
Depuis une trentaine ans, le paysage financier a été profondément modifié par l’apparition de marchés et produits nouveaux. Ce bouleversement fait suite à une volonté accrue de déréglementation dans les années 70, rendant volatiles les taux d’intérêt et instables les taux de change. Des marchés organisés ont alors vu le jour et ont permis à des intervenants comme les entreprises industrielles et commerciales, les compagnies d’assurance et les banques d’intervenir massivement sur un marché unique et liquide. Suite au premier de ces marchés à Chicago en 1973, la France a emboîté le pas, en créant le MATIF en 1985 (Marché à Terme International de France) puis le MONEP en 1987 (Marché des Options Négociables). Le développement spectaculaire de ces activités a été rendu possible grâce aux progrès technologiques, mais aussi grâce aux outils théoriques qui ont permis de valoriser les nouveaux produits financiers. Aujourd’hui, les ingénieurs des départements de recherche et développement des institutions financières manipulent au quotidien une large palette d’outils des mathématiques appliquées : nous en proposons un rapide survol, en partant des probabilités (mouvement brownien, calcul stochastique, méthodes de simulation de type Monte-Carlo...) pour aller vers la statistique (estimations de paramètres...), tout en passant par l’analyse numérique (équations aux dérivées partielles linéaires ou non-linéaires et leur résolution numérique, problèmes inverses ...).
APPROCHE PAR GESTION DYNAMIQUE DE PORTEFEUILLE
L’option d’achat (ou Call) est un des produits financiers les plus utilisés : à travers cet exemple simple, nous allons dégager les messages fondamentaux de la finance de marché.
Tout d’abord, ce contrat confère à son acheteur le droit (mais pas l’obligation) d’acheter un actif risqué à un cours $K$ fixé à la signature du contrat ($K$ est appelé prix d’exercice), à la date future $T$ appelé échéance. L’actif risqué peut être une action, une obligation, un taux de change ou encore une matière première... Notons $S_t$ son cours à l’instant $t$. L’acheteur du contrat aura en gain en $T$ égal à $(S_T-K)_+$ (où $x_+$ désigne la partie positive de $x$) : en échange, il versera aujourd’hui une prime $C_0$ au vendeur de l’option.
Pour déterminer le montant de cette prime, Black et Scholes d’une part, Merton d’autre part, jettent en 1973 les bases modernes de l’évaluation d’instruments financiers, en s’appuyant sur une gestion dynamique de portefeuille. Précisément, le vendeur de l’option va rechercher une stratégie qui, partant d’une richesse initiale $C_0$, lui permettra d’atteindre la richesse terminale souhaitée $(S_T(\omega)-K)_+$ à la date $T$, de sorte à honorer son engagement envers l’acheteur, et cela dans tous les scénarios $\omega$ d’évolution du marché.
Nous allons voir qu’il existe une solution unique à ce problème de cible aléatoire, explicite et de surcroît facile à calculer : ce miracle a été le coup de détonateur pour l’explosion des marchés d’options.
Notons $V_t$ la valeur de ce portefeuille dynamique, investi d’une part en actifs risqués (en nombre $\delta_t$, soit pour un montant $\delta_t S_t$) et d’autre part en placement sans risque (rémunération au taux d’intérêt $r_t$ supposé déterministe pour simplifier, soit pour un montant $V_t-\delta_t S_t$). Lorsqu’on traduit que les variations de la valeur du portefeuille sont uniquement dus à celles des actifs (autrement dit, sont exclus l’apport extérieur d’argent ou une consommation), on obtient une première équation, dite d’ autofinancement, décrivant la variation infinitésimale de la valeur du portefeuille :
\[\begin{equation}
dV_t=r_t(V_t-\delta_t S_t)dt+\delta_t dS_t, \label{equation_1}
\end{equation}\]
avec $V_0=C_0$. Ainsi, pour valoriser l’option d’achat, il s’agit de trouver le coût initial $V_0$ et la stratégie $\delta_t$, qui permettent d’obtenir $V_T(\omega)=(S_T(\omega)-K)_+$ dans tous les scénarios de marché.
MODÉLISATION À L’AIDE DU MOUVEMENT BROWNIEN
Pour aller au bout du raisonnement, la modélisation stochastique de l’actif risqué doit être précisée. Pour cela, il est naturel de décomposer le rendement instantané $\frac{dS_t}{S_t}$ de l’actif comme la superposition d’une tendance locale $\mu_t dt$ et d’un bruit. Samuelson (1960), puis Black, Scholes et Merton (1973) proposent une modélisation de ce dernier à l’aide d’un mouvement brownien $W_t$, ce qui conduit à une dynamique infinitésimale du type
\[\begin{equation}
\frac{dS_t}{S_t}=\mu_t dt+\sigma(t,S_t) dW_t. \label{equation_2}
\end{equation}\]
L’amplitude locale du bruit est donné par la fonction $\sigma(t,x)>0$, appelée volatilité : elle joue un rôle fondamental comme nous le verrons par la suite. Donner un sens rigoureux au terme de droite de l’équation $\ref{equation_2}$ n’est pas simple : le premier terme est une intégrale de Lebesgue-Stieljes, mais le second est de nature différente car $W_t$ n’est pas à variation bornée. Notons qu’en revanche, il est à variation quadratique finie : les sommes $\sum_i(W_{t_{i+1}}-W_{t_{i}})^2$ convergent vers $t$ pour un pas de subdivision de l’intervalle $[0,t]$ tendant vers 0.
MOUVEMENT BROWNIEN
Définition.
Le mouvement brownien est un processus gaussien, à accroissements indépendants, stationnaires : son accroissement $W_t-W_s$ ($s$ strictement inférieur à $t$, tous les deux positifs) suit une loi gaussienne centrée,
de variance $(t-s)$.Bref historique. C’est en 1827 que le mouvement brownien est associé aux trajectoires non différentiables de fines particules dans un fluide par Robert Brown ; en 1900, Louis Bachelier l’utilise le premier pour modéliser la dynamique des cours de la Bourse, puis Einstein en 1905, pour décrire une particule qui diffuse. Ce n’est qu’en 1923 que Wiener formalise sa construction et c’est le début d’une activité de recherche intense, continuant de nos jours.
Pour une introduction plus complète, nous renvoyons à Kahane (1994).
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Figure 1 - Simulation d’une trajectoire brownienne.
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Figure 2 - Action Renault : des similarités avec le brownien...
C’est le calcul stochastique dit d’Itô, qui donne un sens précis au terme de la forme $\int_0^th_s dW_s$, appelée intégrale d’Itô, pour $(h_s)_{s\geq 0}$ non anticipatif. Brièvement, cette intégrale se construit comme une limite appropriée de somme de Riemann non anticipative $\sum_i h_{t_i} (W_{t_{i+1}}-W_{t_{i}})$ lorsque le pas de la subdivision tend vers 0. Considérer des intégrants non anticipatifs est assez naturel en finance, puisque cela revient à supposer que la valeur d’une stratégie de gestion à l’instant $s$ ne dépend que de l’information disponible à l’instant $s$.
On peut aussi développer un calcul différentiel. La formule d’Itô y joue un rôle central :
\[\begin{equation}
d[u(t,S_t)]=\partial_t u(t,S_t)dt\nonumber+\partial_x u(t,S_t)dS_t\nonumber +\frac 12 \sigma^2(t,S_t) S^2_t \partial^2_{x,x}u(t,S_t) dt, \label{equation_3}
\end{equation}\]
le terme de dérivée seconde supplémentaire provenant de la variation quadratique finie du mouvement brownien.
BLACK-SCHOLES ET LA GESTION PARFAITE
Revenons au problème de la valorisation de l’option d’achat et cherchons la valeur d’un portefeuille auto-finançant sous la forme $V_t=u(t,S_t)$ pour une certaine fonction $u$ à déterminer. Comparons les deux écritures $dV_t$ et $d[u(t,S_t)]$ données par $\ref{equation_1}$ et l’équation ci-dessus en identifiant les termes en $dt$ et $dS_t$ : il en découle que d’une part la stratégie vaut $\delta_t=\partial_x u(t,S_t)$ et que d’autre part, $u$ doit nécessairement satisfaire l’équation aux dérivées partielles
\[\begin{equation}
\partial_t u+Lu-r_t u =0,\label{equation_4}
\end{equation}\]
où $L$ est l’opérateur linéaire du second ordre défini par $Lu(t,x)=r_t x \partial_x u(t,x) +\frac 12 \sigma^2(t,x) x^2\partial^2_{x,x}u(t,x)$,
avec pour condition terminale $u(T,x)=(x-K)_+$. Remarquons que la tendance locale $\mu_t$ n’intervient plus : le prix d’une option d’achat est le même si la tendance de l’actif est haussière ou baissière, ce qui va contre l’intuition première. Cette particularité se retrouvera plus loin avec la valorisation par probabilité neutre au risque.
Lorsque la volatilité $\sigma(t,x)=\sigma(t)$ ne dépend que du temps de façon déterministe, une solution à l’équation $\ref{equation_4}$
est facilement calculable (faire par exemple un changement de variables $y=\log(x)$ pour se ramener à l’équation de la chaleur) : cela conduit à la célèbre formule de Black-Scholes utilisée dans toutes les salles de marché du monde, donnant la valeur aujourd’hui de l’option $V_0=u(0,S_0)$.
FORMULE DE BLACK-SCHOLES
Le prix de l’option d’achat de maturité $T$ et de prix d’exercice $K$ est donné par la fonction
[\left{
\beginarrayclclcr
u(t,x)=&x\,\cal N[d_1(x/[Ke^-\int_t^T r_s ds])]\
&-K\,e^-\int_t^T r_s ds\cal N[d_0(x/[Ke^-\int_t^T r_s ds])], \
d_0(y)&=\frac1\sqrt\int_t^T\sigma^2(s)ds\ln [y]
- \frac12\sqrt\int_t^T\sigma^2(s)ds, \
d_1(y)&=\,d_0(y)+\sqrt\int_t^T\sigma^2(s)ds,
\endarray
\right.]
où $\cal N$ est la fonction de répartition de la loi normale, centrée
réduite.La stratégie de couverture associée est donnée à l’instant $t$ par
[\delta_t=u’_x(t,S_t)=\cal N[d_1(S_t/[Ke^-\int_t^T r_s ds])]]
parts de l’actif risqué.![]()
La surface de prix en fonction de $x$ et $T - t$
En fait, le problème de la détermination du prix n’est pas complètement résolu (au moins théoriquement), car il n’est pas clair que le prix déterminé est unique. L’hypothèse d’absence d’opportunité d’arbitrage, fondamentale en finance de marché, va permettre de conclure positivement : « dans un marché très liquide sans coût de transaction et de contraintes sur les quantités $\delta_t$ en actif risqué, il n’est pas possible de gagner de l’argent à coup sûr à partir d’un investissement nul ». Ainsi, dans l’exemple traité, le prix du Call est bien $V_0$ puisque s’il était supérieur par exemple (disons $V'_0>V_0$), il suffirait de vendre un tel contrat et avec la prime suivre la stratégie
$(\delta_t=\partial_x u(t,S_t))_{0\leq t\leq T}$ pour finalement générer à coup sûr un profit $V'_0-V_0>0$ à partir de rien. Cette notion d’arbitrage a largement contribué au développement de la finance moderne, en mettant l’accent sur la cohérence des prix de produits dérivés entre eux. Notons enfin que les arguments précédents de valorisation n’utilisent pas de techniques probabilistes mais seulement un raisonnement trajectoriel (à condition de savoir que la variation quadratique de $(S_t)_{t\geq 0}$ est absolument continue par rapport à la mesure de Lebesgue avec pour densité $\sigma^2(t,S_t)S_t^2$).
Indiquons maintenant les extensions assez immédiates de l’exemple précédent. Les financiers débordant d’imagination, rapidement d’autres options que le Call ont vu le jour : les flux terminaux $H$ souvent ne dépendent pas uniquement de la valeur en $T$ de l’actif risqué, mais de toute sa trajectoire.
De plus, il est fréquent que plusieurs sous-jacents interviennent dans la définition de l’option, et les aléas de ces actifs pourront être modélisés à l’aide de plusieurs mouvements browniens. Si ceux-ci sont en même nombre que les actifs risqués (autrement dit, la matrice de volatilité $\sigma(t,x)$ est inversible), l’approche précédente pour la valorisation peut être menée à l’identique et il est encore possible de trouver un portefeuille auto-finançant atteignant sans risque résiduel le flux promis par l’option : on parle de marché complet. Cela conduit dans bien des cas à des équations aux dérivées partielles paraboliques linéaires du second ordre de type $\ref{equation_4}$ avec des conditions frontière à préciser, et écrites avec des variables multidimensionnelles : c’est le point d’entrée de l’analyse numérique dans la finance. Ainsi, dans un certain nombre de situations, les méthodes usuelles de résolution numérique pourront être utilisées.
APPROCHE PLUS PROBABILISTE
Un autre point de vue que celui du trajectoriel et des EDP est celui basé sur les martingales. Les martingales sont des processus stochastiques dont les accroissements $M_{t+\delta}-M_t$, compte tenu de l’information disponible en $t$, sont centrés : ces processus ont donc en particulier une espérance (mathématique) constante, ${\mathbf E}(M_t)=M_0.$ L’équation d’autofinancement ($\ref{equation_1}$) se récrit à l’aide de la valeur actualisée $\tilde V_t=e^{-\int_0^t r_s ds}V_t$
\[\begin{equation}
d\tilde V_t=\delta_t d\tilde S_t \label{equation_5}
\end{equation}\]
avec la condition terminale $\tilde V_T=e^{-\int_0^T r_s ds}H:=\tilde H$, $H$ étant le flux terminal de l’option (par exemple $H=(S_T-K)_+$). Un résultat important relie l’hypothèse d’absence d’opportunité d’arbitrage à l’existence d’une probabilité $\mathbf Q$ sous laquelle l’actif actualisé $(\tilde S_t)_{0\leq t\leq T}$ est une martingale (voir Föllmer (2001) et ses références). L’unicité de $\mathbf Q$ est acquise dans les marchés « browniens » décrits précédemment pourvu que la matrice de volatilité $\sigma(t,x)$ soit inversible. Par l’équation $\ref{equation_5}$, $(\tilde V_t)_{0\leq t\leq T}$ hérite de la propriété de martingale sous la probabilité $\mathbf Q$ (avec quelques hypothèses sur $(\delta_t)_{0\leq t\leq T}$) et donc nécessairement
\[\begin{equation}
V_0
= {\mathbf E^Q}(\tilde H)\label{equation_6}.
\end{equation}\]
Ainsi, le prix de l’option est l’espérance des gains actualisés sous une certaine probabilité $\mathbf Q$. Soulignons que cette dernière n’est qu’un outil de calcul et ne correspond en rien à la probabilité du monde réel. Elle est appelée probabilité neutre au risque, car sous celle-ci, la tendance locale de l’actif dans ($\ref{equation_2}$) devient $r_t$ au lieu de $\mu_t$.
Le fait que la solution donnée par $\ref{equation_4}$ et $\ref{equation_6}$ coïncide lorsque $H=(S_T-K)_+$ repose sur le lien classique entre les EDP (équation de la chaleur et généralisation) et certaines espérances, donné par les formules de Feynman-Kac.
Ramener un prix d’option à un calcul d’espérance a ouvert plusieurs perspectives. Bon nombre de travaux de recherche ont été consacrés (et le sont toujours) aux calculs explicites (en général la plus rapide des approches en terme de temps de calcul), sous-tendant des analyses fines des processus stochastiques et leur loi (voir Yor (2000)).
Lorsqu’il n’est pas possible d’obtenir des formules fermées, les méthodes numériques sont à privilégier : hormis les méthodes d’analyse numérique déjà mentionnées, on peut avoir recours aux méthodes de Monte Carlo, dont le principe est, à l’aide d’un grand nombre $M$ de simulations indépendantes de scénarios $\omega_i$, d’utiliser l’approximation ${\mathbf E^Q}(\tilde H)\approx\frac 1M\sum_{i=1}^M \tilde H(\omega_i)$ due à la loi des grands nombres. La vitesse de convergence est connue pour ne pas être rapide (néanmoins, des techniques d’accélération existent), mais elle est indépendante de la dimension du problème. Ainsi, c’est une alternative intéressante par rapport aux méthodes déterministes, car la dimension des problèmes dépassent souvent 3-4, pour parfois atteindre 40 par exemple (avec les actions de l’indice CAC40). Notons aussi que la simulation de $\tilde H$ passe souvent par celle de fonctionnelle de solutions des équations stochastiques du type ($\ref{equation_2}$). Les difficultés proviennent alors de deux sources : d’une part, les fonctionnelles à prendre en compte sont souvent irrégulières (des fonctions des extrêmes de la trajectoire, ou même des indicatrices impliquant des temps de sortie...) et d’autre part, la simulation exacte des équations stochastiques n’est pas simple, notamment lorsque $\sigma(t,x)$ est non constant. Après avoir stimulé la recherche pendant les quinze dernières années, ces problèmes sont maintenant assez bien maîtrisés (voir Dupire (1998)).
La nécessité de calculer aussi la couverture et plus généralement d’autres sensibilités du prix d’option par rapport à des paramètres a encouragé le développement de méthodes performantes, pour calculer aussi par simulations Monte Carlo des dérivées d’espérances (voir Fournié, Lasry, Lebuchoux, Lions et Touzi (1999)).
DES PROBLÈMES NON LINÉAIRES
De nombreux problématiques pertinentes en finance se traduisent en terme d’optimisation non linéaire ou d’EDP non linéaire. Donnons quelques exemples importants.
OPTIONS AMÉRICAINES
L’option américaine représente le prototype de produits financiers dont il est difficile d’évaluer le prix numériquement. En effet, cette option confère le droit à son acheteur de choisir l’instant $\tau \in[0,T]$ où il reçoit son gain $H_{\tau}$ (à la différence du cas précédent où nécessairement $\tau=T$). Par les arguments de portefeuille dynamique, le prix de ce produit est égal à $\sup_{\tau\in[0,T]}{\mathbf E^Q}(e^{-\int_0^\tau r_s ds} H_\tau)$ , le supremum étant pris sur l’ensemble des temps aléatoires $\tau$ honnêtes (appelés temps d’arrêt). Cette quantité peut aussi être vue comme la solution d’une inéquation variationnelle (voir Bensoussan et Lions (1978) et Karatzas (1988)). Lorsque la dimension du problème est faible, des méthodes déterministes sont utilisables pour l’évaluation numérique. Dans le cas contraire, on peut utiliser des méthodes de type Monte-Carlo, après avoir d’abord discrétisé les valeurs possibles de $\tau$ puis utilisé dans ce cadre une équation de programmation dynamique. Même si des progrès importants ont été réalisés depuis cinq ans, les méthodes développées restent coûteuses en mémoire et temps calcul.
ÉQUATIONS STOCHASTIQUES RETROGRADES ET EDP QUASI-LINÉAIRES
L’équation d’autofinancement $\ref{equation_5}$ avec $\tilde V_T=\tilde H$ est un cas particulier d’équation du type $dY_t=f(t,Y_t,Z_t)dt- Z_t dW_t$ avec la condition finale $Y_T=\xi$ (d’où l’appellation d’équation rétrograde) : la solution est donnée par le couple $(Y,Z)$. Comme $V_t$ était reliée auparavant à une certaine EDP parabolique linéaire du second ordre, il existe aussi des connexions étroites entre les équations rétrogrades et les EDP paraboliques quasi-linéaires du type $\partial_t u=Lu +\tilde f(t,x,u,\nabla_x u)$ (avec $L$ opérateur du second ordre) avec des applications en finance : nous renvoyons à l’article synthétique de Pardoux (1998) et les références qui y sont données.
MARCHÉ INCOMPLET
Nous avons déjà mentionné que lorsque le nombre de browniens est au plus égal au nombre d’actifs risqués, il existe une gestion de portefeuille parfait, dans le sens que le flux promis $H$ est atteignable dans tous les scénarios de marché : le risque résiduel $V_T-H$ est alors nul.
Maintenant, si le nombre de sources d’aléas est supérieur ou si des phénomènes de sauts sur les cours d’actifs sont incorporés dans la modélisation, cette couverture parfaite n’est plus possible en général. Du coté probabiliste, cela correspond à affirmer que l’ensemble $\cal Q$ des probabilités neutres au risque est infini. De nombreux critères d’optimisation sont possibles. Une première solution consiste à chercher à dominer avec probabilité 1 le flux terminal : $V_t\geq H$. Le plus petit coût à la date d’aujourd’hui de telles stratégies s’appelle le prix de sur-réplication et est donnée essentiellement par $\sup_{{\mathbf Q}\in \cal Q}{\mathbf E}^{\mathbf Q}(\tilde H)$ (voir El Karoui et Quenez 1995). Malheureusement, cette quantité se révèle être en général très élevée et n’est pas utilisée en pratique. Une alternative consiste à trouver la stratégie de coût $V_0$ minimal, étant donnée un niveau de risque fixé par un critère de type ${\mathbf E}(l(V_T-H))$ mesurant l’écart entre le flux terminal de l’option $H$ et la valeur terminale du portefeuille (pour une fonction de perte $l$).
A l’aide d’arguments fins de dualité et de techniques de contrôle stochastique (dont l’homologue EDP est l’équation de Hamilton-Jacobi-Bellmann), il est possible de résoudre ces problèmes au moins théoriquement. Pour une synthèse et des références complètes, voir Föllmer (2001).
ESTIMATION ET CALIBRATION DU MODÈLE
Après s’être concentrés sur la valorisation des contrats financiers le modèle d’actifs étant connu, nous considérons maintenant la question d’identification du modèle : ici, il est primordiale de garder à l’esprit sa finalité.
Par exemple, les prix d’option d’achat sont nécessairement des fonctions convexes du prix d’exercice $K$ pour être compatibles avec l’absence d’opportunité d’arbitrage (et ce quelque soit le modèle) : la détermination d’un modèle (et donc du noyau de valorisation qui en découle) devra respecter cette propriété de convexité.
En dimension 1, une première solution pour l’identification de modèle consiste à supposer une forme a priori de type $\ref{equation_2}$ et à chercher à évaluer la fonction de volatilité $\sigma(t,x)$ (le taux d’intérêt $r_t$ est moins essentiel car il peut être éliminé par des techniques de changement de numéraire) : ce choix de modèle brownien est assez standard car il est commode à manipuler numériquement. Les données du problème sont des prix d’option d’achat pour quelques échéances et quelques prix d’exercice et par $\ref{equation_4}$, ils sont solutions d’EDP dont il faut identifier l’opérateur $L$ : nous sommes en présence d’un problème inverse mal posé. Une difficulté notable est le faible nombre d’observations et les interpolations inévitables ont des conséquences significatives sur le modèle retenu. Des programmes de minimisation des moindres carrés avec pénalisation (voir Lagnado et Osher (1995)) ou de critère entropique ont été développées.
D’autres approches s’attachent plutôt à estimer le modèle à partir des données d’actifs risqués observées. Ce sont les outils et techniques statistiques qui sont mis en œuvre : nous renvoyons le lecteur à Jarrow pour un point récent sur ces questions.
En conclusion, ces problèmes sont dans l’ensemble délicats : la pertinence des réponses dépendra des marchés et des produits. Les approches robustes et stables ont évidemment la faveur des praticiens.
POUR EN SAVOIR PLUS
Bachelier (L.) Théorie de la spéculation Ann. Sci. École Norm. Sup. 1900
Bensoussan (A.), Lions (J.L.) Applications des inéquations variationnelles en contrôle stochastique Dunod, Paris 1978
Black (F.), Scholes (M.) The pricing of options and corporate liabilities J. Polit. Econ. 81 637-654 1973
Dupire (B.) Methodologies and applications for pricing and risk management London : Risk Books 1998 Ed.Monte Carlo.
El Karoui (N.), Quenez (M.C.) Dynamic programming and pricing of contingent claims in an incomplete market SIAM Journal on Control and Optimization 33 29-66 1995
Föllmer (H.) Probabilistic Aspects of Financial Risk Proceedings of the European Congress of Mathematics, Barcelona 2000, Birkhäuser 2001
Fournié (E.), Lasry (J.M.), Lebuchoux (J.), Lions (P.L.), Touzi (N.) Applications of Malliavin calculus to Monte Carlo methods in finance Finance and Stochastics 3 391-412 1999
Jarrow (R.) (Ed.) Volatility. New estimation techniques for pricing derivatives London : Risk Books 1998
Kahane (J.P.) Des séries de Taylor au mouvement brownien, avec un aperçu sur le retour Development of Mathematics 1900—1950, J.P. Pier (Ed.), Birkhäuser Verlag 415-429 1994
Voir également sur notre site, Le mouvement brownien et son histoire, réponses à quelques questions de J.P. Kahane
Karatzas (I.) On the pricing of American options Applied Mathematics and Optimization 17 37-60 1988
Lagnado (R.), Osher (S.) A technique for calibrating derivative security pricing models : numerical solution of an inverse problem The Journal of Computational Finance 1 13-25 1997
Lamberton (D.), Lapeyre (B.) Introduction au calcul stochastique en Finance Collection Mathématiques et Applications 9 - Ellipses 1991
Merton (R.C.) Theory of rational option pricing Bell J. Econom. and Management Sci. 4 141-183 1973
Pardoux (E.) Backward stochastic differential equations and viscosity solutions of systems of semilinear parabolic and elliptic PDEs of second order Stochastic analysis and related topics, VI (Geilo, 1996) 42 79-127 1998
Yor (M.) Le mouvement brownien : quelques développements de 1950 à 1995 Development of Mathematics 1950—2000, J.P. Pier (Ed.), Birkhäuser Verla 1187-1202 2000
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Pour citer cet article :
Emmanuel Gobet — «Les mathématiques appliquées au cœur de la finance» — Images des Mathématiques, CNRS, 2004
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Les mathématiques appliquées au cœur de la finance
le 4 mars 2017 à 15:24, par aunryz