Les mathématiques de la vie

Le 8 décembre 2013  - Ecrit par  Rafael Lahoz-Beltra Voir les commentaires (1)

Cet article a été écrit en partenariat avec L’Institut Henri Poincaré


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En 2013, l’Institut Henri Poincaré et Images des Mathématiques avaient uni leurs efforts pour superviser la réédition de la collection Le monde est mathématique, publiée par RBA en partenariat avec Le Monde. En 40 ouvrages, cette collection de qualité, issue d’un projet collectif de mathématiciens espagnols, vise à présenter, à travers une grande variété de points de vue, de multiples facettes des sciences mathématiques, sous un aspect historique, humain, social, technique, culturel ...
Reprise et améliorée au niveau de la forme, cette édition avait été entièrement lue et corrigée par l’équipe d’Images des Mathématiques ; des préfaces et listes bibliographiques rajoutées.

En 2019, cette collection est de nouveau éditée, présentée par Étienne Ghys et distribuée par L’Obs.

Chaque semaine, à l’occasion de la sortie d’un nouveau numéro de la série, un extrait sélectionné sera présenté sur Images des Mathématiques. Il sera également accompagné du sommaire du livre et d’une invitation à prolonger votre lecture.

Extrait du chapitre 4 - Jouer au sudoku avec la vie

Les matrices et les pois : les lois de Mendel

D’un point de vue historique, les lois de Mendel ne représentent pas seulement un jalon important de la biologie ayant contribué à la naissance de la génétique, elles ont aussi favorisé l’étude et le développement de la biologie mathématique, en fournissant un bon exemple de conception expérimentale. Dans cette section, nous présenterons un modèle de base des fameuses lois de l’hérédité à l’aide de matrices.

(...)

Gregor Mendel, botaniste né en Autriche en 1822, fut ordonné moine augustin en 1843, et se retira au monastère de Königskloster, situé dans l’actuelle République tchèque. Dans son petit jardin de seulement 35 mètres de long et 7 mètres de large, Mendel commença en 1857 des expériences d’hybridation de pois qui le conduisirent plus tard à établir ses célèbres lois de l’hérédité des caractères. L’idée géniale de Mendel fut d’étudier quelques caractères, sur un plan distinct, du pois Pisum sativum. De plus, il fit une distinction entre les caractères dominants, représentés par une lettre majuscule (A, b, C ...), et les caractères récessifs, notés par des minuscules (a, b, c ...). Les caractères les plus connus choisis par ce chercheur génial furent la forme de la graine (ronde A, irrégulière a), sa couleur (jaune b, verte b), son aspect (lisse C, rugueux c) ainsi que d’autres éléments qui se transmettent selon ses lois, comme la position de la fleur, la forme et la couleur de la gousse, etc. L’une des raisons de sa réussite fut l’utilisation de lignées pures (AA, aa), évitant l’autopollinisation fortuite des plantes durant ses expériences.
Sa principale conclusion fut que l’hérédité des caractères pouvait être exprimée par des lois mathématiques simples. Il envoya ses résultats à Nägeli, un célèbre scientifique suisse, qui ignora complètement ses découvertes. Mendel publia ses travaux dans un article intitulé Recherche sur des hybrides végétaux, présenté en 1865 à la Société des sciences naturelles de Brno, où son travail passa une fois de plus totalement inaperçu. Lors de la parution de ses travaux, il écrivit également une lettre à Darwin, en commentant les résultats de ses expériences, mais ce dernier ne la lut malheureusement jamais. Méprisé pendant 35 ans, Mendel mourut en 1884 et son travail ne fut redécouvert qu’en 1900.

Extrait du chapitre 6 - Écologie et mathématiques, un beau mariage de raison

Le modèle de Lotka-Volterra : les loups et les lapins

Pendant la Première Guerre mondiale, entre 1914 et 1918, la pêche fut interrompue dans le nord de la mer Adriatique. À la fin du conflit, les activités halieutiques revinrent à la normale. Durant les années 1920, un biologiste italien, Umberto d’Ancona, réalisa une étude quantitative des espèces de poissons vendues sur les marchés de Venise, de Rijeka et de Trieste. D’Ancona découvrit que l’on y trouvait beaucoup plus de poissons prédateurs que de poissons plus petits, constituant habituellement leur alimentation naturelle, et donc leurs proies, du fait de leur plus petite taille. Le biologiste était le petit ami de la fille d’un célèbre mathématicien de l’époque,Vito Volterra, à qui il suggéra de mener une étude mathématique permettant d’expliquer de matière satisfaisante le nombre différent de poissons prédateurs et de proies. C’est ainsi que son futur beau-père proposa en 1926 un système d’équations différentielles. Un système similaire avait déjà été proposé un an auparavant, mais indépendamment, par le physicien chimiste américain Alfred J. Lotka. Le fruit de leur travail se fit donc connaître sous le nom d’équations de Lotka-Volterra.

Ce système d’équations différentielles modélisant la relation prédateur-proie fut l’un des premiers modèles, et l’un des plus emblématiques, de la biologie mathématique. Son utilité écologique est évidente si l’on souhaite repeupler une région géographique donnée avec une espèce ou si l’on choisit le nombre de poissons qui coexisteront dans l’aquarium d’un parc thématique avec d’autres prédateurs, comme les requins. Par ailleurs, ce modèle s’applique également à de nombreux sujets d’étude dans d’autres domaines, comme en immunologie, (à la relation entre un virus ou des cellules cancéreuses et le système immunitaire), en parasitologie, (à la relation entre l’individu hôte et un parasite), et même en économie, (à la relation entre les consommateurs et les ressources, entre autres).

Nous expliquerons de manière intuitive la signification de ce modèle important. Dans ce dernier, nous appellerons $x$ les prédateurs, par exemple des requins, des loups, etc. et $y$ les proies, par exemple, des poissons, des lapins, etc. De plus, nous supposerons que les prédateurs s’alimentent exclusivement de leurs proies et que l’alimentation de celles-ci est présente en quantité suffisante, sans se préoccuper qu’elle soit d’origine végétale, animale ou autre. Que nous choisissions la relation requins-poissons ou loups-lapins à titre d’exemple, le modèle est également valable pour des milliers de relations prédateurs-proies, même chez les insectes, les protozoaires, etc. Cependant, les deux relations mentionnées figurent parmi les plus célèbres.

(...)

Si nous réunissons en un seul système les deux équations différentielles, nous aurons :

\[ \frac{dx}{dt} =−px+qxy \qquad\text { et} \qquad \frac{dy} {dt} =ry−sxy\]

qui constitue le célèbre système d’équations de Lotka-Volterra.

(...)

La concurrence entre 2 espèces

En plus du modèle prédateur-proie, Lotka et volterra proposèrent un autre modèle sur la relation de concurrence entre deux populations ou deux espèces. Imaginons deux populations en concurrence pour une même ressource, et dont la croissance est logistique. Si $x$ et $y$ sont les nombres des individus de chaque population, nous aurons donc :
\[\frac{dx}{dt} =r_{x}x \frac{k_{x} −x−\alpha_{xy}y}{k_x} \qquad\text { et}\qquad \frac{dy}{dt}=r_{y}y \frac{k_{y} −y−\alpha_{yx}x} {k_y} \]

où $r_x$, $r_y$ représentent leurs taux de croissance respectifs et $k_x$, $k_y$ les capacités de charge de chacune des populations. En outre, les expressions intègrent des coefficients d’interaction $\alpha$, qui constituent les paramètres modélisant l’interaction entre les individus des populations.
Autrement dit $\alpha_{xy}$ spécifie l’impact de l’espèce $y$ sur $x$, alors que $\alpha_{yx}$ indique l’impact $x$ sur $y$. Le modèle peut être étendu à plus de deux espèces, l’analyse des situations possibles devenant alors plus complexe.

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Le modèle de concurrence de Lotka-Volterra pour trois espèces.



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Sommaire du livre

Pour aller plus loin

Voici quelques articles sur ce sujet :

  • Les mathématiques de la morphogénèse (Partie1 et Partie 2) ( hors-piste ).
Post-scriptum :

L’extrait proposé est choisi par le préfacier du livre : Vincent Calvez. Celui-ci répondra aux commentaires éventuels.

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Pour citer cet article :

Rafael Lahoz-Beltra — «Les mathématiques de la vie» — Images des Mathématiques, CNRS, 2013

Crédits image :

Image à la une - Marion Bucciarelli

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