Les pavages de Truchet
Piste bleue Le 5 janvier 2018 Voir les commentaires (2)
Les pavages de Truchet sont des pavages par des carrés bicolores présentant certains éléments de symétrie.
Ces pavages peuvent être algébrisés et mis en correspondance avec des nombres décomposés en base 2 ou 4, ce qui permet de les représenter de façon exhaustive.
Ils offrent en retour une visualisation imagée de toute suite de nombres, visualisation qui met en exergue non pas le nombre lui-même, mais le rapport entre les chiffres de sa décomposition. Malgré leur simplicité, les pavages de Truchet semblent frappés du sceau de l’ésotérique. Le visuel célèbre du film Matrix, composé de matrices binaires qui défilent, pourrait être rendu par des pavages de Truchet.
Nota Bene : cet article, de nature plutôt contemplative, est associé à cet article, plus argumentatif et approfondi, dont il partage l’introduction.
I) Introduction
Les pavages de Truchet, au sens historique du terme, sont des pavages dont la tuile de base est un carré colorié avec un motif bicolore de part et d’autre d’une diagonale. Cette tuile peut être tournée d’un ou plusieurs quarts de tour.
Ces pavages ont été étudiés par Jean Truchet (1657 - 1729) (en religion le Père Sébastien, de l’ordre des Carmes).
Voici un exemple de tuile de base.
On a quatre orientations possibles :
Les mathématiciens spécialisés dans ce type de pavages adoptent souvent un point de vue qui consiste à modéliser la situation sans autoriser les rotations. On peut alors plutôt considérer que le jeu est constitué de 4 tuiles.
Voici alors le type de pavage que l’on peut obtenir :
Si on développe un pavage de Truchet d’un carré par symétries axiales successives, puis si on étend par périodicité, on obtient alors une figure du genre suivant :
Si enfin on respecte la continuité de couleur le long de côtés adjacents (autrement dit, si le pavage est un puzzle ou plutôt un domino bidirectionnel car la même forme de bord peut apparaître plusieurs fois), on peut obtenir ce type de pavage (appelé pavage de Truchet linéaire) :
Remarque : les figures dynamiques de cet article ont été créées avec le logiciel de géométrie dynamique DGPad.
On ne suppose ni sa connaissance ni son utilisation lors de la lecture de cet article. La façon de construire ces figures avec DGPad n’est pas détaillée.
II) Historique
Muni de cette petite tuile, le Père Sébastien se met à étudier, de manière un tantinet obsessionnelle, toutes les combinaisons possibles, en commençant par l’assemblage de deux tuiles.
Voir les planches historiques réalisées par le père Truchet
Plus tard, le Père Truchet est appelé par Louis XIV pour s’occuper de ses jardins et canaux. C’est un appel que l’on ne refuse pas (au risque de finir comme Nicolas Fouquet). Il abandonne sagement les pavages.
Un autre Carme, le Père Dominique Doüat, reprend alors son étude et produit quelques pavages remarquables.
III) Types de pavages de Truchet : simples, linéaires, étendus, unicolores
Sous le nom de « pavage de Truchet », on trouve parfois des pavages de natures différentes. On va commencer par préciser le vocabulaire que l’on va utiliser.
1) Les pavages de Truchet simples (version historique) et les pavages de Truchet linéaires
Schématiquement, si on modélise la situation avec des tuiles que l’on ne peut pas tourner, un jeu de tuiles de Truchet simples correspond à la situation suivante :
Chaque lettre symbolise une couleur. (Cette modélisation, qui peut paraître ridicule, prendra son sens quand on évoquera les pavages de Truchet étendus.)
Il y a deux sous-cas intéressants d’un point de vue esthétique :
- le cas où l’on a un pavage périodique dont la période présente des éléments de symétrie (axes ou centre) :
- le cas où l’on a une continuité (identité) des couleurs sur les côtés adjacents. On parle alors de pavages de Truchet linéaires.
2) Les pavages de Truchet étendus
Les pavages de Truchet simples, d’un point de vue céphaloclastophilique [1], ont un intérêt limité [2] : on peut placer les pièces comme on veut (mais sans laisser de trou quand même, faut rester concentré).
C’est plus intéressant, de ce point de vue, si l’on fait l’interprétation naturelle
que le pavage est une forme de puzzle et que les côtés respectifs de deux pièces adjacentes doivent avoir la même couleur. On a vu plus haut que ces pavages étaient appelés des pavages de Truchet linéaires.
Le placement des pièces est alors assujeti à ce modèle déjà donné plus haut :
Pour les pavages linéaires, il est d’usage d’employer également le terme de « pavage de Truchet » pour des pavages différents, dont le jeu de tuiles correspond à cette modélisation alternative :
On a deux visuels X et Y et les raccords sont systématiquement inversés, verticalement et horizontalement.
Voici différents exemples de jeux de tuiles possibles (les trois premiers sont l’oeuvre d’Alphonse Capriani avec le logiciel TeXGraph) :
On peut aussi avoir des motifs plus inattendus, mais qui correspondent encore au modèle :
Avec les deux premiers jeux de tuiles, on peut obtenir les pavages suivants :
Dans le cas de ces jeux de tuiles, le visuel est clair : il s’agit de la même pièce tournée d’un quart de tour.
Mais on aurait pu aussi, - et on le fera plus bas -, englober sous un même visuel une tuile et son négatif, ce qui donnerait plutôt ceci selon le schéma donné plus haut :
Ces pavages sont appelés des pavages de Truchet étendus.
3) Les pavages de Truchet unicolores
- Les pavages de Truchet unicolores utilisent un jeu de deux tuiles :
La question du raccord le long de côtés adjacents est alors acquise d’avance (tous les pavages sont linéaires).
On peut considérer que les pavages de Truchet étendus sont une généralisation des pavages de Truchet unicolores (les pavages unicolores correspondent au cas où les deux couleurs sont confondues).
IV) Explorer toutes les possibilités de la « Matrice »
Dans la suite, on va s’intéresser à la construction de tous les pavages de Truchet possibles en respectant une contrainte (ou en se limitant à un type de pavage de Truchet particulier).
En pratique, on essaiera de construire tous ces pavages à l’aide d’une seule figure dynamique DGPad comportant un ou plusieurs curseurs (c’est une vue de l’esprit, il faudrait que les curseurs continus de la figure soient parfaits). Pour certaines figures qui ne sont pas expliquées en détail on peut garder en tête l’intention initiale de construire tous les pavages sur une seule figure dynamique.
Dans le passage précédent, pour certains types de pavages (voir le bloc déroulant « A) Pavages de Truchet (historiques) ») le recours à un chemin en forme de spirale (le carreleur a posé les carreaux en suivant une spirale)
a permis de construire tous les pavages possibles.
Une autre façon de procéder consiste à définir une seule ligne à l’aide d’un curseur (un nombre) et d’obtenir toutes les autres en appliquant à nouveau le processus de pavage d’une ligne, mais en utilisant pour les nouvelles lignes, non pas la valeur du curseur elle-même, mais celle obtenue après un processus de récurrence.
Si on se limite à des pavages partiels, on peut ainsi coder des suites de nombres entiers définies par récurrence.
Par exemple, pour les pavages de Truchet unicolores ou étendus, on écrit l’un en dessous de l’autre les termes successifs de la suite (en binaire) pour obtenir une matrice binaire. Concrètement, la matrice est tronquée sur la gauche, l’écriture binaire d’un entier étant considérée comme bordée à sa gauche d’une infinité de « 0 ». La matrice binaire représentant une suite d’entiers est donc infinie vers la gauche (infinité de « 0 ») et vers le bas (la suite est infinie). Dans la pratique on garde les colonnes intéressantes de la matrice, qui sont celles ne contenant pas que des « 0 ».
Outre Christian Mercat, auteur des photos prises à Alger, les auteurs souhaitent remercier pour leur contribution Xavier Goaoc, Romain Dujardin et les relecteurs suivants : amic, Clement_M et Angela Gamella.
Notes
[1] Vous pouvez reprendre votre respiration. Le céphaloclastophile est un passionné de puzzles et de casse-têtes.
[2] Mais il peut y avoir un intérêt esthétique.
[3] Dans la mosaïque romaine, on utilise des tesselles(tuiles) unicolores.
[4] L’ordonnée n est orientée de haut en bas, comme c’est souvent le cas sur un écran d’ordinateur.
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Pour citer cet article :
Patrice Debrabant, Alain Busser — «Les pavages de Truchet» — Images des Mathématiques, CNRS, 2018
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Commentaire sur l'article
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