Mona Lisa au photomaton

Piste bleue Le 5 mars 2013  - Ecrit par  Jean-Paul Delahaye Voir les commentaires (1)

Cet article a été écrit en partenariat avec Interstices


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Paru initialement dans la Rubrique des Paradoxes de la revue Accromath, puis dans la revue Interstices, le paradoxe proposé est uniquement graphique.

Regardez attentivement la série de 9 images A, B, C, D, E, F, G, H, I. Chacune a été obtenue à partir de la précédente en réduisant la taille de l’image de moitié, ce qui a donné quatre morceaux analogues qu’on a placés en carré pour obtenir une image ayant la même taille que l’image d’origine.
Le nombre de pixels a été exactement conservé et en fait, on a seulement déplacé chacun des pixels
(sans en changer la couleur). Précisément on a
découpé l’image initiale en paquets carrés de
quatre pixels (2x2), puis pour chaque paquet
carré de quatre pixels, on a utilisé celui du
haut à gauche pour l’image réduite de Mona Lisa
en haut à gauche, celui en haut à droite pour
l’image au haut à droite de Mona Lisa, etc. Cette
opération produit bien quatre versions réduites
de Mona Lisa. Cette transformation s’appelle la transformation du photomaton.

L’image B comporte 4 Mona Lisa. L’image C en comporte 16. L’image D en comporte 64, etc. Il se produit quelque chose d’étrange car, au bout de neuf étapes, l’image de Mona Lisa est réapparue. Précisons que c’est bien la même transformation qui a été utilisée pour déduire les unes après les autres les images de la série (c’est un programme d’ordinateur réalisé par Philippe Mathieu qui a fait le travail à chaque fois).

Savez-vous expliquer le paradoxe graphique de la réapparition de l’image initiale ?

Solution

La solution est mathématique et s’appliquerait à toute transformation déplaçant les pixels d’une image. Puisque seuls des déplacements de pixels sont opérés d’une image à l’autre, cela signifie que la transformation est ce qu’en mathématiques on appelle une permutation des pixels.

Notons $p$ cette permutation. Sur le dessin ci-dessus, on a :
\[ B = p(A), C = p(p(A)), \; \text{etc}. \]
On sait que les permutations d’un ensemble fini constituent un groupe fini, ce qui signifie (entre autres choses) qu’il existe un entier $k$, tel que $p$ opéré $k$ fois est la transformation identité (c’est-à-dire l’opération qui ne change rien). Cela explique pourquoi on revient à l’image initiale.

Ce résultat peut sembler un peu abstrait, en réalité il est facile : lorsque l’on opère des modifications d’ordre bien précises et qu’on les recommence, on finit toujours par revenir à son point de départ. Voici un exemple simple qui fera comprendre l’idée.

Dans une liste de $5$ objets, on échange le premier et le troisième, et, en même temps, on fait passer le deuxième en position $4$, celui qui est en position $4$ est mis en position $5$ et celui qui est en position $5$ est mis en position $2$ :
\[ abcde → ceabd. \]

JPEG - 31.8 ko

Si, partant de $abcde$, on recommence sans cesse cette transformation, on obtient successivement les agencements décrits dans l’illustration ci-dessous. On est revenu au point de départ en $6$ étapes.

JPEG - 89 ko

Avec nos pixels, la situation était analogue, et donc on était certain dès le départ que l’image initiale réapparaîtrait. Pour justifier qu’elle réapparaît à la huitième itération exactement (ni avant, ni après), il faut entrer dans le détail de la définition de la transformation du photomaton.

JPEG - 240.3 ko

L’image utilisée comporte $256$ lignes et $256$ colonnes numérotées de $0$ à $255.$ La transformation du photomaton consiste à réaliser l’opération suivante sur les numéros des lignes : on prend les lignes de rang pair qu’on fait suivre de celles de numéro impair. De même, pour les numéros des colonnes — cela explique l’apparition de quatre versions en plus petit de l’image initiale. Le pixel $(0, 0)$ reste donc en position $(0, 0)$ ; le pixel $(1, 0)$ passe en position $(128, 0)$ ; le pixel en position $(1, 1)$ passe en position $(128, 128)$ ; le pixel en position $(4, 5)$ passe en position $(2, 130),$ etc. (pour un numéro pair $2k$ on passe à $k,$ pour un numéro impair $2k + 1$ on passe à $128 + k$). L’étude de cette transformation n’est pas très difficile (elle peut aussi être simulée par ordinateur) et conduit au résultat qu’en huit étapes exactement, chaque pixel est revenu à sa place.

Pour expérimenter vous-même de telles transformations, nous vous proposons une applet réalisée par M. Braure, M. Dref, N. Kondratek, sous la direction de Philippe Mathieu.

Pour plus de détails, voir la page web de Philippe Mathieu sur les transformations bijectives d’images, ainsi que deux articles de la revue Pour la Science :

  • Images brouillées, images retrouvées
    PDF - 412.1 ko
    Images brouillées, images retrouvées
    Article de la revue Pour la Science (par J.-P. Delahaye et P. Mathieu).
  • Une scytale informatique.
    PDF - 1.3 Mo
    Une scytale informatique
    Article de la revue Pour la Science (par J.-P. Delahaye et P. Mathieu).

Remerciements.

Une première version de ce document est parue dans la revue « Accromath » réalisée par l’Institut des sciences mathématiques et le Centre de recherches mathématiques du Québec, Volume 6, Été-automne 2011 et Volume 7, Hiver-Printemps 2012.

Une seconde version est parue dans la revue Interstices.

Nous remercions l’auteur, Jean-Paul Delahaye, ainsi que les revues Interstices et Accromath de nous avoir autorisés à reproduire ce texte.

Post-scriptum :

La rédaction d’Images des maths, ainsi que l’auteur, remercient pour leur relecture attentive, les relecteurs dont le pseudonyme est le suivant : janpol3 et
scaccia.

Article édité par Serge Cantat

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Pour citer cet article :

Jean-Paul Delahaye — «Mona Lisa au photomaton » — Images des Mathématiques, CNRS, 2013

Commentaire sur l'article

  • Mona Lisa au photomaton

    le 5 mars 2013 à 09:50, par projetmbc

    Merci pour cet article en accès libre que j’avais déjà lu dans Pour La Science. J’ai toujours un grand plaisir à lire vos articles et vos livres.

    Remarque technique : l’encodage du PDF http://images.math.cnrs.fr/IMG/pdf/048.pdf pose souci. Je suis sous Mac et j’ai droit aux traditionnels symboles mystiques.

    Répondre à ce message

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