Pierre Deligne

Piste rouge Le 12 mai 2013  - Ecrit par  François Sauvageot Voir les commentaires (1)

Pierre Deligne vient d’être nommé pour recevoir le prix Abel. Ce prix a été attribué pour la première fois en 2003 et se veut un réel équivalent du prix Nobel : il couronne l’ensemble d’une carrière, sans restriction d’âge, contrairement à un autre prix phare en mathématiques, la médaille Fields [1], et est d’un montant supérieur à d’autres prix comme le prix Crafoord, le prix Wolf, le prix Balzan etc. [2]

Les listes des récipiendaires de ces divers prix ont néanmoins beaucoup de noms en commun et notamment celui de Pierre Deligne. Cela n’étonnera pas les mathématicien-ne-s tant l’influence des idées de Deligne est grande et tant il a impressionné même les plus grand-e-s : Jean-Pierre Serre, lauréat de la médaille Fields et premier récipiendaire du prix Abel, dit de lui qu’il est le plus grand mathématicien vivant.

Ces quelques mots ont pour but de présenter un peu Pierre Deligne et, très succinctement, quelques-uns de ses travaux.

La symétrie

Pierre Deligne est né le 3 octobre 1944 à Etterbeek (une commune de l’agglomération de Bruxelles), comme les dessinateurs Hergé et Franquin mais, contrairement à eux, il n’est pas, à ce jour, cité sur la page web de la commune. Il a un frère et une sœur tous deux plus âgés que lui. Il manifeste un intérêt précoce pour les mathématiques et s’enrichit de plusieurs rencontres successives.

À l’âge de 5 ans, avant de savoir lire, il comprend les nombres négatifs grâce à un thermomètre.

Quelques années plus tard, vers 8 ans, son grand frère (de 7 ans son aîné) lui apprend les manipulations algébriques requises pour résoudre une équation du second degré. Bien que ne comprenant pas vraiment le pourquoi des choses, il est fasciné par l’idée qu’une telle formule puisse exister [3]. Le pourquoi des choses est à chercher du côté des symétries et donc aussi des invariants : la formule $x^2+21-10x$ admet plusieurs interprétations et un certain nombre de symétries, qui sont la clef de sa compréhension, de sa simplification et donc aussi de la résolution de l’équation $x^2+21=10x$.

Voici une première interprétation, celle de l’antiquité et du moyen-âge : $x$ représente une longueur à déterminer, $x^2$ se lit $x$ au carré et est la surface du carré dont un des côtés est de longueur $x$, 21 est la mesure d’une surface donnée et $10x$ représente la surface d’un rectangle de longueur $10$ et de largeur $x$. Autrement dit, en plaçant le carré de côté $x$ à l’intérieur du rectangle précédent, la surface qui n’est pas occupée par le carré mesure 21 (dans l’unité de mesure choisie, par exemple des hectares). Cette interprétation ne donne pas lieu de façon évidente à une symétrie.

On peut l’apercevoir en tâtonnant : on choisit plusieurs valeurs de $x$ et on étudie la différence entre $x^2+21$ et $10x$. On peut visualiser le résultat en traçant ce qu’on appelle la courbe représentative de la fonction $x\mapsto x^2+21-10x$
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Elle admet un axe de symétrie par rapport à la droite verticale des points d’abscisse 5 : sa valeur est la même en 4 et en 6, mais aussi en 0 et en 10 et, en fait, en tout couple de valeurs $a$ et $b$ dont 5 est le milieu : $\frac{a+b}2=5$. En particulier 5 est au milieu des racines : il est égal à la moitié de leur somme. Algébriquement on transforme l’expression $x^2+21-10x$ en $(x-5)^2-4$ et cette nouvelle écriture permet de résoudre l’équation [4].

On peut le dire autrement : si $a$ et $b$ sont les deux solutions de l’équation $x^2+21=10x$, c’est qu’on a $x^2+21-10x=(x-a)(x-b)$. C’est ce qu’on voit qualitativement sur la courbe représentative : pour $x$ entre $a$ et $b$ la valeur de la quantité $x^2+21-10x$ est négative, tout comme $(x-a)(x-b)$ puisqu’alors $x-a$ et $x-b$ sont de signes contraires, et sinon elle est positive [5].

Que dire d’autre de $a$ et $b$ à partir de l’équation ? Comme l’a remarqué Al Khwarizmi, le calcul de $(x-a)(x-b)$ donne, en développant, $x^2+ab-(a+b)x$ et donc, en identifiant $x^2+21-10x$ avec $x^2+ab-(a+b)x$, on en déduit $a+b=10$ et $ab=21$. Par conséquent, résoudre cette équation du second degré, c’est trouver $a$ et $b$ connaissant leur somme et leur produit. Ces deux quantités sont typiques d’expressions symétriques en $a$ et $b$ : si on intervertit $a$ et $b$, la quantité $a+b$ ne change pas. Bien qu’on ne connaisse ni $a$ ni $b$ et bien qu’on ne puisse d’ailleurs pas nommer l’un $a$ et l’autre $b$, on connaît $a+b$. On dit que l’expression $a+b$ est symétrique et qu’il y a ambiguïté entre $a$ et $b$.

L’expression $a-b$, elle, n’est pas symétrique. Et pour cause, en échangeant le rôle de $a$ et $b$, elle est changée en son opposé. Il en résulte, et c’est le point de départ des observations d’Évariste Galois, que $(a-b)^2$ est une expression symétrique. Comme toutes les expressions symétriques, elle est calculable rien qu’en connaissant $a+b$ et $ab$ ! On le sait depuis Isaac Newton. Par exemple, les identités remarquables [6] nous apprennent qu’on a : $(a+b)^2=a^2+2ab+b^2$ et $(a-b)^2=a^2-2ab+b^2$ et donc [7]
\[(a-b)^2=(a+b)^2-4ab.\]
On en déduit ici $(a-b)^2=10^2-4\times21=100-84=16$. Il ne reste qu’à extraire une racine carrée pour conclure : $a-b=4$ ou bien $b-a=4$. Comme $a+b=10$ et comme $a$ est le milieu entre $a-b$ et $a+b$, on en déduit $a=7$ ou $a=3$. Si $a=7$, on trouve $b=3$, et si $a=3$ alors $b=7$. Les solutions de $a+b=10$ et $ab=21$ sont donc $(a,b)=(3,7)$ ou $(a,b)=(7,3)$.

Pierre Deligne dit qu’il n’aime pas briser une symétrie quand il n’est pas obligé de le faire. Il ajoute, avec malice, que de toute façon il n’aime pas calculer parce qu’il n’est pas bon en calcul. Dans le raisonnement que l’on vient de faire [8], Pierre Deligne est plus intéressé par la recherche de la symétrie et sera plus enclin à dire que les solutions sont 3 et 7, plutôt que d’écrire la formule, célèbre chez les élèves du secondaire, $\Delta=16$ et donc $x=\frac{10\pm\sqrt{16}}2=$ ...

Néanmoins l’autre message derrière ce premier exemple est que voir les façons dont différentes personnes présentent la même chose permet d’avoir plusieurs points de vues, et la confrontation de ces points de vues apporte des éclairs de compréhension. Il rapporte que, quand ses enfants avaient un problème en maths, ils étaient particulièrement ennuyés quand il leur expliquait le problème de cinq points de vue différents : Papa ! Donne-nous une seule bonne réponse ! Mais ce n’est pas ainsi que Pierre Deligne fait des mathématiques.

Les maths modernes

À l’âge de 14 ans, il fait la connaissance, grâce à un ami rencontré chez les scouts, d’un professeur de collège adepte des maths modernes, M. Nijs. Les maths modernes se sont bien développées en Belgique, comme en attestent les fameux livres de Georges Papy, légèrement plus tardifs que la rencontre de Pierre Deligne avec M. Nijs. C’est peut-être pour pallier l’absence de tels livres que M. Nijs propose au jeune Deligne de lire l’ouvrage de N. Bourbaki « Théorie des ensembles ».

Un tel choix n’a rien de naturel ! Ce livre, très abstrait, est capable de rebuter y compris des mathématicien-ne-s professionnel-le-s et il n’est pas évident qu’il puisse bénéficier à des esprits trop jeunes, fussent-ils intéressés par les mathématiques. Toujours est-il que ça fonctionne et que Pierre Deligne prend une année pour le lire, le comprendre et en résoudre les exercices.

De cette époque il garde une préférence pour la construction effective des objets en mathématiques, par opposition aux raisonnements par contradiction, c’est-à-dire qu’il préfère obtenir directement un résultat positif que d’obtenir que son contraire est faux, autrement dit sans utiliser de double négation [9]. Sans rejeter ceux-ci, comme peuvent le faire les intuitionnistes, il estime que c’est souvent une preuve de paresse que de travailler par contradiction.

Cette première rencontre avec Bourbaki préfigure les suivantes. Il est d’ailleurs intéressant de noter que, même si les premières rencontres laissent sans doute une empreinte, Pierre Deligne continuera à s’imprégner des différents points de vue qu’il a rencontrés, pour enrichir sa façon de faire des mathématiques et ne pas être prisonnier de telle ou telle approche : Bourbaki n’a rien dit sur la théorie des catégories (et cela lui fut reproché), mais Pierre Deligne se choisira un maître bourbakiste et expert en catégories. Mais tout ceci ne l’empêchera pas de ne pas emprunter la voie tracée par ce dernier quand il s’agira de s’engager dans les travaux qui lui ont valu la médaille Fields.

Les nombres complexes

À l’âge de 15 ans, grâce à son frère mais aussi grâce à un ami de la famille, météorologue, il apprivoise les fonctions d’une variable complexe. Le nombre imaginaire $i$ est défini comme une racine carrée de $-1$, c’est-à-dire qu’on pose $i^2=-1$. Avec cette définition, il n’est pas évident que $i$ admette lui-même une racine carrée.

Le jeune Deligne vérifie qu’avec les règles habituelles de calcul, $\frac{1+i}{\sqrt2}$ est bien une racine carrée de $i$ puisque
\[\frac{1+i}{\sqrt{2}}\times\frac{1+i}{\sqrt{2}}=\frac{(1+i)(1+i)}{\sqrt{2}\times\sqrt{2}}=\frac{1+2i+i^2}{2}=\frac{1+2i-1}{2}=i.\]
Il comprend alors que l’on peut trouver des solutions à toutes les équations pour peu qu’on accepte de les chercher parmi les nombres complexes. Mais ce n’est pas tout : il s’initie aux différences essentielles qu’il y a entre les fonctions d’une variable réelle et celles d’une variable complexe [10].

C’est à 16 ans que Pierre Deligne rencontre Jacques Tits. Comme lui, Tits fut très tôt intéressé par les mathématiques et reçut le prix Abel (en 2008). C’est ainsi que, en parallèle avec ses cours au lycée, Pierre Deligne suit les cours de Jacques Tits à l’université de Bruxelles. Il a la chance d’avoir un trou dans son emploi du temps lui permettant de suivre ce cours, ce qu’il fait assidûment. Au point qu’une anecdote raconte que Jacques Tits, constatant que son jeune auditeur faisait défection, se serait enquis des raisons de son absence et, apprenant qu’il était en voyage scolaire, aurait décidé de reporter le cours !

C’est ainsi qu’il découvre les groupes de Lie, la notion de symétrie et d’invariance et celle de transport de structure.

La droite

Un exemple de groupe de Lie est tout simplement l’ensemble des nombres réels : on peut les additionner et l’addition est continue [11]. Ce n’est pas l’exemple le plus intéressant a priori, mais Pierre Deligne aura recours à ce groupe (dans un contexte légèrement différent) pour laisser son nom à un groupe important dans le programme de Langlands : le groupe de Weil-Deligne [12].

En fait un groupe de Lie est avant tout un groupe de transformations, c’est-à-dire formé d’objets qui servent à décrire des transformations. Le groupe $\mathbf{R}$ des nombres réels peut être ainsi vu comme un groupe plus ou moins abstrait :

  • groupe des translations sur la gauche ou la droite le long d’une règle graduée,
  • groupe des déplacements vers l’avant ou en arrière le long d’une route,
  • groupe des augmentations ou diminutions de température (mesurées par un thermomètre). [13]

Autrement dit le nombre 1 peut être interprété comme l’application qui à tout nombre associe ce nombre augmenté de 1, ce que l’on note $x\mapsto x+1$. De la sorte on ne travaille plus sur des objets absolus, mais sur des représentations « dynamiques » de ces objets : 1 n’est pas un nombre mais ce qui permet de passer de 1 à 2, de 3 à 4, de $\frac{1}{2}$ à $\frac{3}{2}$ ou encore de $\pi$ à $\pi+1$. En d’autres termes, 1 est une action.

La représentation naturelle du groupe $\mathbf{R}$ des nombres réels est la règle graduée, que l’on appelle droite. Dans les exemples précédents l’unité de mesure est fixée, de sorte que $+1$ sous-entend : $+1$cm, $+1$km ou encore $+1°$C. Si on s’autorise à changer aussi d’unité de mesure, l’ensemble des transformations est un peu plus compliqué. Reprenons l’exemple du thermomètre.

  • Le système international utilise le degré Celsius, défini par la température 0°C et par son facteur de dilatation. Il s’agit d’une définition thermodynamique. On croit souvent que le degré Celsius est défini par la température de fusion de la glace en eau (0°C) et celle de vaporisation de l’eau en gaz (100°C), mais ce n’est pas tout à fait vrai. Le système international utilise une autre définition et dans celle-ci la vaporisation a lieu à 99,975°C.
  • L’échelle Fahrenheit, répandue aux États-Unis, utilise comme références deux notions : la fusion de l’eau à 32°F et le fait qu’un écart de 9°F vaut un écart de 5°C. La tradition donne comme second point de référence celle de l’ébullition (212°F) ou celle du sang du cheval à 100°F.
  • Des échelles issues de la thermodynamique comme le Kelvin ou le Rankine, fixent le 0 au zéro absolu, la température la plus basse possible dans l’univers, avec les mêmes facteurs de dilatation que le Celsius ou le Fahrenheit respectivement.
  • Il en existe encore de nombreuses. Les premières à être inventées, au début du XVIIIème siècle, sont celles de Newton et de Rømer. Citons également le degré Delisle : celui-ci fixe l’ébullition de l’eau à 0° et sa congélation à 150°. C’est donc une échelle inversée ! Comme l’était celle de Celsius à son origine.

Ainsi a-t-on les formules, à partir d’une température T donnée en °C :

  • en degrés Fahrenheit : $32+\frac{9}{5}T$. Par exemple : 0°C=32°F, 37°C=98,6°F.
  • en degrés Delisle : $150-\frac{3}{2}T$. Par exemple : 0°C=150°D, 37°C=94,5°D. Quand la température en Celsius augmente, elle diminue en degrés Delisle !

Il y a plein d’autres représentations des nombres réels mais elles reviennent toutes à « tracer une droite » quelque part. La représentation naturelle consiste à se placer dans un univers uni-dimensionnel, celui de la droite, sans aucune autre référence : on observe la hauteur de mercure et on oublie où est situé le thermomètre !

À bien y réfléchir, ce n’est pas si naturel que cela ! Choisir un cap, une direction, est plus habituel : il s’agit de placer une droite, par exemple une route, dans l’espace. Mais ce n’est pas si simple que ça : notre espace habituel, la terre, ne contient pas vraiment de droites puisqu’en marchant toujours vers le nord, on finit par revenir à notre point de départ. Ce groupe-là n’est pas celui des nombres réels, c’est celui du cercle.

Un exemple plus parlant est peut-être celui de l’échiquier (infini) ou de l’écran d’ordinateur. Un emplacement y est défini par une coordonnée dans le sens de la largeur (abscisse) et une dans le sens de la hauteur (ordonnée). Ces coordonnées peuvent être prises entières (on compte le nombre de pixels ou le nombre de cases), mais pour être plus précis on peut prendre des fractions de nombres entiers (on pourrait dire que tel pion est placé aux deux tiers de la troisième case en abscisse et au milieu de la quatrième en hauteur, et coder ainsi sa position par $\left(\frac{8}{3},\frac{7}{2}\right)$ puisque la première case contient les points de coordonnées entre 0 et 1, la seconde ceux de coordonnées entre 1 et 2 etc.). Encore plus précis est la notion de coordonnées réelles, obtenues par exemple grâce à une infinité de chiffres après la virgule [14].

On peut choisir une certaine droite tracée sur l’échiquier pour l’identifier au groupe des nombres réels, mais il est plus naturel de considérer une direction générale, autrement dit de raisonner en termes de transformations. Par exemple une représentation des nombres réels est donnée par les déplacements le long des bords horizontaux de l’écran, donc en ne transformant que les abscisses.

Cela peut sembler compliqué, mais si on reprend l’exemple du thermomètre et que l’on imagine que la « droite des températures » se situe sur un échiquier, disons celle des points d’ordonnée 1, alors on décrit la température par le point de l’échiquier de coordonnées $(T,1)$ et un changement d’échelle est une transformation $(T,1)\mapsto(aT+b,1)$. Par exemple pour $a=\frac{9}{5}$ et $b=32$, cette transformation permet de traduire les degrés Celsius en degrés Fahrenheit. Pour $a=-\frac{3}{2}$ et $b=150$, elle les traduit en degré Delisle. Le nombre $b$ est un nombre réel quelconque, il agit par addition. Quant au nombre $a$ c’est un facteur de dilatation, c’est donc un nombre réel non nul : il agit par multiplication. On a vu avec l’échelle de Delisle qu’il peut tout à fait être négatif, mais il ne peut pas être nul, sinon d’une part on n’aurait qu’une seule température dans la nouvelle échelle et d’autre part on ne pourrait pas retrouver la température initiale à partir de la température dans la nouvelle échelle.

Le cercle

Un autre exemple de groupe de Lie est donné par le cercle. Si on pense à un groupe de Lie comme à un groupe de transformations, alors le cercle en est un naturellement : tout élément du cercle correspond à une « fraction » ou à un « nombre de tours ». Pour comprendre ce groupe, on commence par prendre un point de référence, tout comme on fixe un zéro de référence dans une échelle de température ou sur une droite. On mesure alors le déplacement par rapport à ce point.

  • Le premier point intéressant est le point $P$ qui est diamétralement opposé au point de référence. On pourrait l’appeler « demi-tour » et le noter $\frac{1}{2}$. Mais alors le point qui est diamétralement opposé à $P$ s’obtient en faisant deux fois l’opération associée à $\frac{1}{2}$ et pourtant celle-ci ne fait rien : effectuer un tour complet consiste à revenir à son point de départ ! Aussi on ne peut penser l’opération comme une addition [15] car $\frac{1}{2}+\frac{1}{2}$ n’est pas égal à 0. Ce n’est pas non plus une multiplication [16] car $\frac{1}{2}\times\frac{1}{2}$ n’est pas égal à 1.
  • Voici une autre façon de dire les choses. Ne rien faire, c’est additionner 0 ou multiplier par 1. Accomplir deux fois la même action $A$, par exemple additionner $x$ ou multiplier par $y$, c’est additionner $2x$ ou multiplier par $y^2$. Si cette action répétée deux fois permet de revenir au point de départ, c’est qu’on a $2x=0$ ou bien $y^2=1$. Autrement dit $x$ est nul ou bien $y$ est une racine carrée de 1. Or, si l’action $A$ accomplie une unique fois n’est pas celle de ne rien faire, c’est que $x$ n’est pas nul, et que $y$ n’est pas 1. C’est donc que l’action $A$ est celle de multiplier par $-1$ !
  • Ainsi 1 correspond à un tour complet (ou à ne rien faire, c’est pareil) : c’est lui notre point de référence sur le cercle. Et alors $-1$ est le point diamétralement opposé et représente un demi-tour. Ce demi-tour est donc la « racine carrée » d’un tour complet !
  • On constate alors qu’un demi-tour s’obtient en enchaînant deux quarts de tour consécutivement. Autrement dit $-1$ est un quart de tour « au carré » et un quart de tour est la racine carrée d’un demi-tour ! Si on note $i$ le quart de tour, alors $i^2=-1$ et $i^4=1$. Traditionnellement, en plaçant les nombres comme sur une rose des vents, 1 est à l’Est, $-1$ à l’Ouest et $i$ au Nord. [17]

Le cercle permet de donner plusieurs interprétations des nombres complexes. La première consiste à poser le cercle sur un échiquier. À tout point de l’échiquier, on associe ses coordonnées $(x,y)$. Ainsi le point 1 du cercle est le point $(1,0)$ de l’échiquier, tout comme le point $-1$ du cercle est le point $(-1,0)$ de l’échiquier. Avec la convention de « mettre $i$ au Nord », le point $i$ du cercle est donc le point $(0,1)$ de l’échiquier. Déplacer de $x$ le long de l’axe horizontal, c’est ajouter $(x,0)$ et déplacer de $y$ le long de l’axe vertical, c’est ajouter $(0,y)$. Par conséquent on obtient le point $(x,y)$ en déplaçant un point de référence, appelé centre et noté $(0,0)$, de $x$ horizontalement et de $y$ verticalement. Autrement dit $(x,y)$ est obtenu en ajoutant $x$ fois 1 et $y$ fois $i$ au point de référence. On peut donc le noter $x+iy$.

Mais comme on le sait, un cercle « gradué » [18] permet de mesurer des angles. Si $\theta$ est un nombre réel, il correspond à un angle [19] et aussi à un point du cercle noté $(\cos(\theta),\sin(\theta))$ [20], donc à un nombre complexe noté $\cos(\theta)+i\sin(\theta)$.

Le nombre complexe $x+iy$ peut donc se coder par un angle, noté $\theta$, et une distance, notée $r$, au point de référence, qui est aussi le centre du cercle. Or le cercle de rayon 1cm est obtenu à partir de celui de rayon 1m en divisant toutes les distances par 100. D’une façon générale, le cercle de rayon $r$ s’obtient en multipliant par $r$ les points du cercle de rayon 1. Autrement dit on a $x+iy=r\times\left(\cos(\theta)+i\sin(\theta)\right)$.

Un nombre complexe est donc une formule algébrique $x+iy$, mais aussi un point de l’échiquier noté $(x,y)$ ou encore un nombre de la forme $r\times\left(\cos(\theta)+i\sin(\theta)\right)$. Dans ces notations $x$ et $y$ sont des nombres réels, $r$ est un nombre réel positif et $\theta$ est une mesure d’angle : on peut dire que c’est un nombre réel, mais ce qui compte vraiment c’est ce nombre à un multiple entier de tours près [21].

Et nous revoici plongé-e-s dans la multiplicité des points de vue chère à Deligne !

La formule d’Euler

Il est difficile de résister à exposer ici le pourquoi de la célèbre formule d’Euler : $e^{i\pi}=-1$ !

Notons le point du cercle correspondant au nombre réel $\theta$ grâce à la dernière interprétation : $\cos(\theta)+i\sin(\theta)$. Comme tourner de $\theta$ puis tourner de $\varphi$ revient à tourner de $\theta+\varphi$, on a la formule
\[\left(\cos(\varphi)+i\sin(\varphi)\right)\times\left(\cos(\theta)+i\sin(\theta)\right)=cos(\theta+\varphi)+i\sin(\theta+\varphi)\,,\]
soit, en développant,
\[\cos(\theta)\cos(\varphi)-\sin(\theta)\sin(\varphi)+i\sin(\theta)\cos(\varphi)+i\sin(\varphi)\cos(\theta)=\cos(\theta+\varphi)+i\sin(\theta+\varphi)\]
et donc on retrouve les célèbres formules de trigonométrie
\[\begin{cases}\cos(\theta+\varphi)=\cos(\theta)\cos(\varphi)-\sin(\theta)\sin(\varphi)\\ \sin(\theta+\varphi)=\sin(\theta)\cos(\varphi)+\sin(\varphi)\cos(\theta)\;.\end{cases}\]

Notons $f(\theta)=\cos(\theta)+i\sin(\theta)$. On vient donc de montrer $f(\theta+\varphi)=f(\theta)\times f(\varphi)$. On en déduit, pour $\varphi$ non nul,
\[\frac{f(\theta+\varphi)-f(\theta)}{\varphi}=f(\theta)\frac{f(\varphi)-1}{\varphi}=f(\theta)\left(\frac{\cos(\varphi)-1}{\varphi}+i\frac{\sin(\varphi)}{\varphi}\right)\]
et donc, puisque la dérivée de $\cos$ est $-\sin$, et celle de $\sin$ est $\cos$, on obtient, en faisant tendre $\varphi$ vers 0 et en se rappelant que la dérivée d’une fonction est obtenue comme limite du taux d’accroissement,
\[f'(\theta)=f(\theta)\left(-\sin(0)+i\cos(0)\right)=i\times f(\theta)\;.\]
Comme l’exponentielle est solution de l’équation (différentielle) $y'=y$, la fonction $x\mapsto\exp(ix)$ est solution de l’équation différentielle $y'=iy$ par application du théorème de dérivation des fonctions composées. Enfin comme $f(0)=1$, on trouve finalement $f(\theta)=\exp(i\theta)$, ou encore
\[e^{i\theta}=\cos(\theta)+i\sin(\theta)\;.\]
Pour conclure, rappelons qu’un tour complet est mesuré par $2\pi$ en mathématiques, et donc un demi-tour est mesuré par $\pi$. On en conclut que $e^{i\pi}$ représente le demi-tour, donc c’est le nombre $-1$ :
\[e^{i\pi}=-1\;.\]
C’est la fameuse formule d’Euler qui mêle trois nombres importants en mathématiques : $i$ le quart de tour, $\pi$ la surface du disque unité (ou sa demi-circonférence) et $e$ la base du logarithme naturel.

Les groupes

Les groupes de transformation apparaissent naturellement en géométrie. Felix Klein a d’ailleurs énoncé en 1872 un programme, le programme d’Erlangen, visant à ramener l’étude de la géométrie à celle des groupes, et notamment via l’étude des symétries. On peut citer par exemple le groupe des rotations du plan, les groupes de pavages, le groupe de transformations préservant un certain invariant comme par exemple la surface, le volume, la distance, l’orientation etc. En fait tous ces groupes peuvent s’interpréter comme des groupes de matrices, c’est-à-dire constitué d’objets qui sont des tableaux de nombres.

Une écriture matricielle de $i$

Un nombre complexe $x+iy$ peut se multiplier avec un autre nombre complexe $a+ib$ en appliquant les formules habituelles
\[(a+ib)\times(x+iy)=ax+ibx+iay+i^2by=ax-by+i(bx+ay)\]
et le nombre complexe $a+ib$ peut donc s’interpréter comme l’application $(x,y)\mapsto(ax-by,bx+ay)$. On peut même définir une multiplication entre deux points de l’échiquier :
\[(a,b)\times(x,y)=(ax-by,bx+ay)\]
et on constate que ce n’est pas ce qu’on aurait pu imaginer ! En effet l’addition ne cause pas de surprise : $(a+ib)+(x+iy)=(a+x)+i(b+y)$ et donc $(a,b)+(x,y)=(a+x,b+y)$, c’est-à-dire que l’addition se fait terme à terme. Par contre la multiplication ne se fait pas terme à terme.

On utilise pour cette raison une notation plus générale. Un tableau de quatre nombres réels, noté $\begin{pmatrix}a&b\\c&d\end{pmatrix}$ est appelé matrice. Il représente l’application $(x,y)\mapsto(ax+by,cx+dy)$. Autrement dit le nombre complexe $a+ib$ correspond à la matrice $\begin{pmatrix}a&-b\\b&a\end{pmatrix}$.

On constate alors qu’on peut additionner les matrices , terme à terme, mais aussi les multiplier grâce aux formules :
\[\begin{pmatrix}a&b\\c&d\end{pmatrix}+ \begin{pmatrix}a'&b'\\c'&d'\end{pmatrix} = \begin{pmatrix}a+a'&b+b'\\c+c'&d+d'\end{pmatrix}\]
\[\begin{pmatrix}a&b\\c&d\end{pmatrix} \times \begin{pmatrix}a'&b'\\c'&d'\end{pmatrix} = \begin{pmatrix}aa'+bc'&ab+b'd'\\ca'+dc'&cb'+dd'\end{pmatrix}\;.\]
En effet multiplier les matrices $\begin{pmatrix}a&b\\c&d\end{pmatrix}$ et $\begin{pmatrix}a'&b'\\c'&d'\end{pmatrix}$ correspond à accomplir la transformation représentée par $\begin{pmatrix}a'&b'\\c'&d'\end{pmatrix}$, à savoir $(x,y)\mapsto(a'x+b'y,c'x+d'y)$, puis à effectuer la transformation représentée par $\begin{pmatrix}a&b\\c&d\end{pmatrix}$, à savoir $(u,v)\mapsto(au+bv,cu+dv)$. En remplaçant $(u,v)$ par $(a'x+b'y,c'x+d'y)$, on trouve la formule du produit de deux matrices.

On en déduit que le nombre complexe $x+iy$ peut se représenter par la matrice
$\begin{pmatrix}x&-y\\y&x\end{pmatrix}$ et en particulier que $\begin{pmatrix}0&-1\\1&0\end{pmatrix}$ est une nouvelle façon d’écrire une racine carrée de $-1$, donc $i$ ! Et $e^{i\theta}$ correspond à $\begin{pmatrix}\cos(\theta)&-\sin(\theta)\\\sin(\theta)&\cos(\theta)\end{pmatrix}$.

Une écriture matricielle du groupe des nombres réels

Pour revenir au groupe des nombres réels, vu comme la droite des points d’ordonnée 1, à savoir les points de l’échiquier de coordonnées $(T,1)$. Un changement d’échelle correspond à l’application $(T,1)\mapsto(aT+b,1)$ et s’obtient donc grâce à la matrice $\begin{pmatrix}a&b\\0&1\end{pmatrix}$. En particulier si on ne change pas les unités, comme lorsqu’on passe des degrés Celsius aux degrés Kelvin, on a $a=1$ et on s’intéresse donc aux matrices de la forme $N_x=\begin{pmatrix}1&x\\0&1\end{pmatrix}$.

On remarque qu’on a $N_x\times N_y=N_{x+y}$ : le groupe multiplicatif de ces matrices n’est rien d’autre que le groupe additif des réels et donc l’ensemble des matrices $N_x$ constitue une nouvelle représentation des nombres réels !

Comme l’application $x\mapsto N_x$ transforme l’addition (des réels) en multiplication (des matrices), cela ne peut que rappeler l’application bien connue et fondamentale en analyse qui a la même propriété : l’application exponentielle [22].

Les groupes de Lie peuvent même se rencontrer loin de ces considérations, avec des paramètres qui ne sont pas des réels. C’est un des endroits où l’influence de Pierre Deligne a été considérable, notamment dans ses travaux en commun avec Georges Luztig [23].

Les groupes apparaissent même là où on les attend pas, là où il semble n’y avoir aucune structure comme par exemple dans les trois mousquetaires d’Alexandre Dumas ! C’est ce qu’on appelle un transport de structure.

La cohomologie étale

Et que les globules figurent
Une mathématique bleue,
Sur cette mer jamais étale
D’où me remonte peu à peu
Cette mémoire des étoiles.

— Léo Ferré, La mémoire et la mer.

Bien qu’il soit devenu étudiant à l’université libre de Bruxelles (et y passera ses examens), Pierre Deligne part à Paris, sur les conseils de Jacques Tits. Il y suit les cours d’Alexandre Grothendieck et de Jean-Pierre Serre. Il a alors 20 ans.

Les deux cours, dans des styles très différents, s’adressent à des spécialistes et sont très ardus. Bien que chacun n’occupe que 2 heures par semaine, Pierre Deligne doit passer le reste de la semaine à les comprendre. Mais le fait remarquable est qu’il les comprend ! On dira même de lui qu’il est le seul à avoir réellement compris les travaux de Grothendieck.

Les séminaires d’Alexandre Grothendieck sont très exigeants. Bien qu’il donne une très grande partie des exposés, ce n’est pas lui qui les rédige. Il consacre son temps à faire avancer ses constructions. Car pour lui quelque chose est compris quand la démonstration devient triviale, même si c’est au prix de centaines de pages de définitions. En fait l’unique question pourrait être : « Quelle est la bonne définition ? ». Car une fois les choses proprement définies, les propriétés qu’elles ont sont naturelles : la bonne définition d’un vélo doit amener à l’idée qu’il roule !

En fait pour bien répondre à la question précédente, on peut même remonter plus loin, dans le langage, en posant la question : « Quelle est la bonne terminologie ? ».

Alexandre Grothendieck utilise les adjectifs « lisse », « étale », « nette », « plat » ou encore « propre » et s’emporte quand Pierre Deligne lui parle de (cohomologie) « impure » ou encore de (faisceaux) « pervers » : comment une aussi belle théorie, un aussi bel objet peut-il être qualifié de pervers ? Pour l’un les mots doivent refléter les concepts, et donc aussi leur beauté intrinsèque, pour l’autre ce ne sont que des mots et on peut jouer avec [24].

Ayant dû s’absenter une année pour cause de service militaire en Allemagne [25] et n’ayant pas vraiment pu faire de mathématiques [26], il éprouve le besoin de rattraper le temps perdu en s’imprégnant des séminaires de l’année qui vient de s’écouler. À la demande d’Alexandre Grothendieck, et muni de ses notes, il rédige des exposés et y apporte de nouvelles idées, incorporant notamment des idées de Jean-Louis Verdier (encore un étudiant de Grothendieck).

Le graal après lequel courent les protagonistes du séminaire du Bois Marie [27] se nomme Motif. Il est difficile d’expliquer ce qu’est un motif, puisque c’est un objet encore conjectural [28]. Mais, dans la philosophie de Grothendieck, l’important est de savoir à quoi il sert avant de pouvoir en donner la bonne définition ! Un motif est ce qu’il y a derrière, là où résident les motivations. Un motif est ce qui permet les analogies, rendant possibles le passage d’une théorie à une autre, unifiant en quelque sorte toutes les facettes de la géométrie. On est encore à l’heure actuelle loin du compte et notamment de ce qu’Alexandre Grothendieck appelait les « conjectures standard », mais certains substituts ont été trouvés. Et c’est parfois suffisant.

Pierre Deligne aime les rêves. Il analyse les cas qui marchent, cherche ce qu’ils ont en commun, ou essaye de trouver des substituts aux choses inaccessibles. Sa curiosité est très grande, tout comme son ouverture aux idées mathématiques : il s’intéresse aux travaux les plus actuels sans se limiter. Il expose notamment les travaux de Goro Shimura au séminaire Bourbaki sur une demande de Jean-Pierre Serre. Sa lecture de ces travaux en permettra une compréhension nouvelle et radicalement différente. Ainsi qu’il le dit lui-même : pour comprendre quelque chose, une bonne idée est de l’insérer dans une famille d’objets.

Et c’est ainsi qu’il parvient en 1974 à démontrer la dernière des conjectures de Weil. Un véritable tour de force, mêlant des idées de nombreuses théories différentes. Bizarrement, bien qu’il ait lui aussi été entièrement tourné vers la démonstration des conjectures de Weil (dont il a démontré une partie), Alexandre Grothendieck n’apprécie par la démonstration de Deligne. Pour lui, ce n’est pas la bonne façon de procéder car on n’y comprend rien ! En fait elle ne passe pas par la démonstration des conjectures standard qu’il a énoncées et c’est la raison principale pour laquelle elles manquent de charme à ses yeux !

Les conjectures de Weil

Il est difficile d’expliquer un résultat mathématique aussi profond que les conjectures de Weil sans utiliser de vocabulaire trop spécialisé, mais on peut tenter d’en donner une idée.

Tout d’abord la conjecture qu’a démontré Pierre Deligne est ce qu’on appelle l’analogue de l’hypothèse de Riemann et on va commencer par là. L’hypothèse de Riemann est, elle, encore une conjecture et fait appel à la fonction zêta de Riemann.

Cette fonction est fabriquée à partir des nombres premiers [29] et permet de relier des propriétés des nombres entiers à des propriétés analytiques un peu comme un CD permet d’encoder des sons (qui sont des ondes, donc des objets décrits analytiquement par des signaux sinusoïdaux) par des nombres. Les formules que l’on obtient sont particulièrement frappantes
\[1+\frac14+\frac19+\frac1{16}+\cdots+\frac1{n^2}+\cdots=\frac{\pi^2}6\]
ou encore
\[1+\frac1{16}+\frac1{81}+\frac1{256}+\cdots+\frac1{n^4}+\cdots=\frac{\pi^4}{90}.\]
Plus généralement la fonction zêta est définie par $\displaystyle\zeta(s)=\sum_{n=1}^\infty\frac1{n^s}$, où $s$ peut être un nombre complexe [30]. Ainsi pour $s=2$ et $s=4$, on obtient les deux sommes précédentes. Le calcul effectif des valeurs de zêta est difficile en dehors des nombres entiers pairs [31].

Le lien avec les nombres premiers est le suivant : on peut écrire
\[\frac{\pi^2}6=\frac1{1-\frac14}\frac1{1-\frac19}\frac1{1-\frac1{25}}\frac1{1-\frac1{49}}\cdots=\frac43\frac98\frac{25}{24}\frac{49}{48}\cdots\]
où les dénominateurs sont toujours égaux aux numérateurs diminués de 1 et ces derniers sont les carrés des nombres premiers.

Plus généralement, $\zeta(s)=\prod_{p}\left(1-p^{-s}\right)^{-1}$, où le produit s’étend aux nombres premiers. On en déduit des formules comme
\[\zeta^2(s)=\sum_{n=1}^{\infty}\frac{d(n)}{n^s}\,,\]
où $d(n)$ représente le nombre de diviseurs de l’entier $n$, et
\[\zeta(s)\zeta(s-1)=\sum_{n=1}^{\infty}\frac{\sigma(n)}{n^s}\,,\]
où $\sigma(n)$ représente la somme des diviseurs de l’entier $n$.

La fonction zêta (ou plutôt une fonction proche de zêta) admet une symétrie par rapport à la droite verticale des points d’abscisse $\frac12$ et ceci a amené Bernhard Riemann à formuler une conjecture, à savoir qu’en dehors de zéros évidents [32] en les entiers négatifs pairs, zêta n’admet de zéros que sur son axe de symétrie.

Les conséquences de la validité de cette conjecture concernent avant tout les nombres premiers et, plus généralement, les propriétés multiplicatives des entiers. Bien connaître les nombres premiers a de nombreuses applications en mathématiques mais aussi, du fait de leur utilisation en cryptographie, dans la vie courante.

Les conjectures de Weil concernent des objets de nature similaire mais obtenus par des considérations directement arithmétiques. On commence par remplacer l’espace ambiant en remplaçant les nombres réels par des nombres dans un corps fini. De la sorte les droites de l’espace n’ont qu’un nombre fini de points ! Il n’y a d’ailleurs qu’un nombre fini de droites dans l’espace, et idem pour les plans. Comme on l’a expliqué ici pour le jeu de Dobble, on peut assez facilement dénombrer le nombre de points, de droites, de plans etc. Les conjectures de Weil visent à donner des formules très précises dans des cas plus généraux : combien de points sur un cercle ? sur une ellipse ou une parabole ? ou sur des objets de même nature ?

L’idée de Grothendieck était de trouver un objet qui permette de compter en utilisant plusieurs représentations de cet objet. Mais Deligne est passé par une autre voie, mettant en jeu un objet très sophistiqué connu sous le nom de forme modulaire, le même objet qui a permis à Andrew Wiles de terminer la démonstration du grand théorème de Fermat [33]. Au passage il en a déduit une démonstration de la conjecture de Ramanujan-Petersson mettant en jeu la fonction $\tau$ de Ramanujan, elle-même intervenant dans la forme modulaire (parabolique) $\Delta$.

Il n’est pas nécessaire de décrire précisément ce que ça veut dire. On va plutôt donner des exemples de formules miraculeuses la mettant en jeu.

On note $\sigma_p(n)$ la somme des puissances $p$-ème des diviseurs de $n$. Par exemple
\[\sigma_3(6)=1^3+2^3+3^3+6^3=1+8+27+216=252.\]
Alors, du fait qu’il existe essentiellement une seule forme modulaire de poids 8, on a
\[\sigma_7(n)=\sigma_3(n)+120\sum_{m=1}^{n-1}\sigma_3(m)\sigma_3(n-m).\]
Par exemple, pour $n=3$, on calcule $\sigma_3(1)=1$, $\sigma_3(2)=1+2^3=9$, $\sigma_3(3)=1+3^3=28$ et donc $\sigma_7(3)=1+3^7=28+120(9+9)=2188$. Cette formule semble miraculeuse, mais elle résulte assez simplement de la théorie des formes modulaires. La théorie quant à elle ... est compliquée !

Comme on le voit les formes modulaires ont des liens avec des fonctions arithmétiques. La fonction zêta de Riemann permet de comprendre la répartition des nombres premiers et de donner un sens précis à la phrase « Un nombre $n$ a une chance sur $\ln(n)$ d’être premier ». On montre plus précisément que la valeur du nombre moyen de nombres premiers inférieurs à $x$ est $\ln(x)$ et on s’intéresse à l’écart maximal par rapport à cette moyenne.

Les formes modulaires permettent de préciser les ordres de grandeurs de fonctions plus sophistiquées. On note $r_2(n)$ le nombre d’écritures de $n$ sous forme d’une somme de deux carrés, autrement dit d’écritures $n=a^2+b^2$ ou encore, le nombre de points de l’échiquier dont les deux coordonnées sont entières (on parle de points entiers) et dont la distance à l’origine est $\sqrt{n}$. Vu ainsi la somme $r_2(1)+r_2(2)+\cdots+r_2(n)$ est donc le nombre de points entiers dont la distance à l’origine est inférieure à $\sqrt{n}$. En associant à chaque point entier le carré dont il est le sommet inférieur gauche et en comparant les surfaces, on a donc
\[\pi(\sqrt{n}-\sqrt{2})^2\leq r_2(1)+r_2(2)+\cdots+r_2(n)\leq\pi(\sqrt{n}+\sqrt{2})^2\]
et donc l’ordre de grandeur moyen de $r_2(n)$ est $\pi$.

De même on peut évaluer le nombre d’écritures sous forme d’une somme de 24 carrés. On note ce nombre $r_{24}(n)$. En moyenne il est égal à $\frac{1}{n}$ fois le volume de la boule de rayon $\sqrt{n}$, mais dans l’espace de dimension 24 cette fois-ci. Autrement dit $r_{24}(n)$ est en moyenne égal à $\frac{\pi^{12}}{(12)!}n^{11}$. La question est de savoir de combien peut-on s’écarter de cette valeur moyenne.

La fonction $\Delta$ est obtenue par la formule $\Delta(x)=(2\pi)^{12}x\prod_{n=1}^\infty(1-x^n)^{24}$ et peut s’écrire aussi [34]
\[\Delta(x)=(2\pi)^{12}\sum_{n=1}^\infty\tau(n)x^n.\]
La conjecture de Ramanujan, démontrée par Pierre Deligne, est qu’on a $|\tau(n)|\leq d(n)n^{11/2}$. En particulier, comme l’indique le timbre en logo de cet article, $\tau(p)$ a une valeur absolue inférieure à $2p^{11/2}$, pour tout nombre premier $p$. Son ordre de grandeur permet de mesurer l’écart entre la valeur moyenne du nombre de décompositions en 24 carrés et la valeur effective via une formule compliquée.

Ce n’est bien sûr qu’une face immergée d’un iceberg arithmétique !

Voici un exemple de difficulté. Le nombre $d(n)$ de diviseurs d’un entier $n$ est en général petit devant $n$, mais comment rendre les choses précises ? En moyenne, on peut montrer que $d(n)$ est à peu près égal à $\ln(n)$ :
\[\frac{d(1)+d(2)+\cdots+d(n)}n\sim\ln(n)\,,\]
le symbole $\sim$ signifiant que le rapport entre les deux quantités tend vers 1. Pourtant, pour tout nombre $a$, il existe des entiers tels que $d(n)>a\ln(n)$. Pire, pour tout nombre $a$ et tout entier $k$, il existe des entiers tels que $d(n)>a\ln^k(n)$. Autrement dit il n’y a pas moyen d’affirmer que $d(n)$ est à peu près de l’ordre de $\ln(n)$ en général : ce n’est vrai qu’en moyenne.

Et pourtant, a contrario, pour tous nombres strictement positifs $a$ et $k$, pour $n$ assez grand on a $d(n)\leq an^k$. Par conséquent $d(n)$ n’est jamais si grand qu’il puisse se comparer à une puissance de $n$ !

La démonstration passe par un analogue de $\zeta$, la fonction notée $L_\tau$ et définie par $L_\tau(s)=\sum_{n=1}^\infty\frac{\tau(n)}{n^s}$. Elle admet une équation fonctionnelle, à savoir que $(2\pi)^{-s}\Gamma(s)L_\tau(s)$ est invariante par $s\mapsto12-s$. On peut la développer en produit comme zêta :
\[\sum_{n=1}^\infty\frac{\tau(n)}{n^s}=\prod_p\frac1{1-\tau(p)p^{-s}+p^{11-2s}}\]
et il reste à interpréter ce produit grâce à la cohomologie étale et $\tau(p)$ comme un certain invariant de symétrie ... ce qui est loin d’être une promenade !

La conjecture de Ramanujan s’inscrit dans un cadre bien plus large, la conjecture de Ramanujan-Petersson. Celle-ci est un conséquence des conjectures de Weil démontrées par Pierre Deligne. Mais on peut encore la généraliser dans le cadre des formes automorphes, à la suite d’Ichirô Satake et d’Ilya Piatetski-Shapiro. Elle se relie alors au programme de Langlands. Dans ce cadre elle résulte des conjectures d’Arthur, dont on ignore encore si elles sont vraies. Néanmoins les travaux de Laurent Lafforgue et un argument de Robert Pheelan Langlands montrent qu’elles sont vraies dans un cadre déjà très général.

De la noblesse et puis du style

De son « maître » [35] il gardera une partie du style : une grande accessibilité, un enthousiasme pour les mathématiques et une envie de les partager. Pierre Deligne a écrit de nombreuses lettres et celles-ci ont souvent amené ses correspondant-e-s à publier des résultats, sans qu’il n’y trouve rien à dire. Bien au contraire ! Qu’une de ses idées soit enrichie par les idées des autres et qu’en plus on lui épargne le besoin d’en rédiger les conséquences, voilà qui le ravit !

S’il aime écrire des lettres, c’est qu’il les écrit d’abord pour lui-même puis pour les autres. Il y a moins de contraintes quand on écrit une lettre que quand on rédige un article pour une revue spécialisée. À la manière de Grothendieck (ou de Socrate) il apprécie de développer les choses pour qu’elles soient utilisables par d’autres dans d’autres situations.

Il n’aime pas la compétition mais avoue ne jamais avoir eu besoin de s’inquiéter pour trouver un travail. Il a par exemple été nommé professeur permanent à l’IHES à 25 ans et a reçu de nombreux prix [36]. Il n’aime pas non plus être responsable de quelqu’un d’autre. Il n’a ainsi presque pas eu d’étudiant. Pourtant il aime les questions, même si souvent il y répond par des questions ! et n’a pas de problème pour expliquer des choses élémentaires.

Malgré tous les honneurs, Pierre Deligne est resté simple. Tout comme sa façon de faire des mathématiques : il aime réfléchir à partir d’exemples les plus simples possibles, en termes géométriques. Le premier exemple qu’il considère est le point, qu’il préfère au cercle !

En dehors des mathématiques, Pierre Deligne a également été honoré. Tout comme Ingrid Daubechies, il a été anobli par le roi Albert II. Sa devise, il l’a choisie lui-même : « La première va devant ». Il s’agit d’un extrait de la comptine

Quand trois poules vont aux champs
La première va devant
La deuxième suit la première
La troisième va derrière
Quand trois poules vont aux champs
La première va devant
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Cette devise symbolise sa façon de penser les mathématiques : tout doit être une longue suite d’évidences !

En ville, Pierre Deligne n’a pas de voiture et il marche le plus souvent avec la jambe droite de son pantalon dans la chaussette … Il aime la nature, fait de longues marches de 15 jours, a une maison dans les bois à côté de l’IAS, avec un jardin [37]. Il aime faire des igloos et y dormir au moins une fois chaque hiver.

En dehors des longues marches à pied, il aime voyager. C’est en Russie qu’il a rencontré Elena Vladimirovna Alexeeva, sa femme, avec qui il a eu deux enfants. Il a développé des liens avec de nombreux mathématiciens russes et, afin d’aider les jeunes mathématicien-ne-s russes à travailler dans leur pays, il a utilisé l’argent du prix Balzan [38] pour créer le « Concours Pierre Deligne », accordant ainsi des subventions de trois ans, gérées par l’université indépendante de Moscou.

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Post-scriptum :

L’auteur remercie Magali Hillairet et Gilles Godefroy pour leurs commentaires, remarques et suggestions amicales. Il en profite aussi pour remercier Annick Blot & Michèle Mathiaud pour lui avoir enseigné les maths modernes ainsi que Roger Godement pour avoir amené les formes automorphes en France et pour lui avoir enseigné les groupes de Lie.

La rédaction d’Images des maths & l’auteur remercient les relecteurs dont les noms ou pseudonymes sont Emmanuel Beffara et Sylvain Barré pour le temps qu’ils ont pris à relire une version préliminaire de cet article et pour leurs suggestions d’amélioration.

Article édité par Bertrand Rémy

Notes

[1Il s’agit du treizième récipiendaire du prix Abel. Parmi ces treize personnes, seules cinq, dont Pierre Deligne, ont également reçu la médaille Fields.

[2Le prix Abel est doté de 6 millions de couronnes norvégiennes, c’est-à-dire environ 730 000 €. Le prix Balzan est doté d’un million de francs suisses, dont la moitié revient directement au récipiendaire, soit environ 400 000 €. Le prix Crafoord est doté de 500 000 dollars, soit environ 400 000 €. Le prix Wolf est doté de 100 000 dollars, soit environ 75 000 €. La médaille Fields est dotée de 15 000 dollars canadiens, soit un peu plus de 10 000 €.

[3Il est piquant de remarquer qu’un des résultats fameux de Niels Abel est de justement avoir démontré qu’une telle formule n’existe pas en degré supérieur à 5. Néanmoins la résolution algébrique n’est pas la seule façon de résoudre les équations … On peut le faire grâce à la géométrie, grâce à des pliages, des fonctions trigonométriques ou encore grâce à des nomogrammes.

[4Voici la méthode de résolution donnée par Al Khwarizmi : divise en deux les racines ce qui donne 5 (car 10 divisé par 2 vaut 5) ; multiplie 5 par lui-même tu obtiens 25 ; retire les 21 qui sont ajoutés au carré [de x] il reste 4 ; extrais la racine – cela donne 2 – et retire-la de la moitié des racines, c’est-à-dire de 5, il reste 3 ; c’est la racine carrée (le côté du carré) que tu cherches. Si tu le désires ajoute cela à la moitié des racines cela te donne 7 qui est la racine carrée que tu cherches.

[5Et d’ailleurs il faut se souvenir que résoudre une équation sert principalement à déterminer le signe de l’expression qui en est la source !

[6Celle-ci était connue des égyptiens et c’était même ainsi qu’ils calculaient un produit. Elle s’insère dans une famille d’identités plus générales connues sous le nom de formule du binôme de Newton.

[7On pourrait aussi appliquer l’identité de Bernoulli $u^2-v^2=(u+v)(u-v)$ pour obtenir $(a+b)^2-(a-b)^2=(2a)(2b)=4ab$.

[8Pierre Deligne ou son directeur de thèse, Alexandre Grothendieck, pourraient parler de yoga pour désigner un tel type de raisonnement.

[9Ne pas confondre la double négation avec la négation simple. L’irrationalité de $\sqrt2$ est un exemple de négation simple : on montre que $\sqrt2$ n’est pas un rationnel. Voir par exemple cet autoportrait de $\sqrt2$. Les doubles négations interviennent le plus souvent dans des cas où l’on démontre qu’un objet existe mais sans fournir de tel objet : on démontre qu’il ne peut pas ne pas en exister ! Il n’y a pas vraiment d’exemple simple puisqu’on touche là à des questions proches du fondement des mathématiques. En voici un : parmi les deux nombres $e+\pi$ et $e\times\pi$ l’un des deux au moins est transcendant, c’est-à-dire qu’il n’est pas possible que les deux nombres soient solutions d’une équation (algébrique). Pourtant, à l’heure actuelle, personne ne sait lequel des deux, ni si les deux le sont.

[10Par exemple : une fonction définie sur l’ensemble des nombres complexes, dérivable et bornée est en fait une fonction constante. Sur les nombres réels, c’est faux comme le montre l’exemple de la courbe en cloche ou du sinus.

[11Une courbe est dite continue si elle peut se tracer « sans lever le crayon ». Cette notion se décline aussi pour les surfaces, les volumes et même pour les actions, comme ici « additionner ».

[12Le groupe de Weil-Deligne a été introduit par Deligne pour préciser les conjectures de Langlands, qui utilisaient le groupe de Weil, et il diffère de ce dernier par l’ajout d’un morceau semblable au groupe additif. Néanmoins, techniquement, il est sans pertinence dans le cas des nombres réels.

[13A ceci près qu’il faut alors s’autoriser à penser des températures inférieures au zéro absolu, ce qui n’est sans doute pas très correct !

[14C’est la version « calculatrice » du nombre réel. Il n’y a pas si longtemps on préférait donner une précision toujours plus grande grâce à des fractions de plus en plus approchées comme par exemple : $\frac{22}{7}$ pour approcher $\pi$. Plus précis est $\frac{355}{113}$ ainsi que l’a obtenu Zu Chongzhi en Chine au Vème siècle, ou encore $\frac{428224593349304}{136308121570117}$ comme l’a obtenu Arima Yoriyuki au Japon en 1766.

[15c’est-à-dire qu’aller au point diamétralement opposé correspondrait à l’action $x\mapsto x+\frac{1}{2}$.

[16c’est-à-dire qu’aller au point diamétralement opposé correspondrait à l’action $x\mapsto x\times\frac{1}{2}$.

[17On a le choix : un quart de tour dans le sens des aiguilles d’une montre ou dans l’autre sens, $i$ est-il au Nord ou au Sud ? Tout le monde apprend au lycée que les mathématicien-ne-s orientent le cercle de l’Est vers l’Ouest en passant par le Nord. Pourtant c’est briser la symétrie que de faire un choix ! Aussi Pierre Deligne peut-il passer de longues minutes à expliquer à des expert-e-s ce qu’un-e élève de terminale scientifique sait déjà, à savoir qu’il choisit cette racine carrée de $-1$ plutôt que l’autre tant le choix qu’il opère le gène et tant il sait que la compréhension de la suite en dépend !

[18ou plutôt un rapporteur.

[19ou plutôt à une mesure d’angle.

[20Car, si $A$ est le point du cercle correspondant à $\theta$ et $O$ est le centre du cercle, alors en notant $M$ le projeté de $A$ sur l’axe des abscisses, $(OMA)$ est un triangle rectangle en $M$, le côté $OA$ mesure 1 et l’angle en $O$ est $\theta$. Il en résulte, puisque le sinus est le rapport entre le côté adjacent et l’hypoténuse, $\sin(\theta)=\frac{AM}{OA}=AM$. De même $\cos(\theta)=\frac{OM}{OA}=OM$.

[21Et en mathématiques un tour complet est mesuré par le nombre $2\pi$ (autrement dit $2\pi$ est l’équivalent du $360°$ du rapporteur).

[22Par exemple, si $a$ et $b$ sont des entiers, on a $2^a2^b=2^{a+b}$ : $2^32^4=8\times16=128=2^7$. C’est encore vrai en remplaçant $2$ par un nombre réel strictement positif, et notamment pour le nombre $e$, et $a$ et $b$ par des réels $x$ et $y$ quelconques : $\exp(x+y)=\exp(x)\exp(y)$

[23Par exemple leur utilisation de la cohomologie étale pour étudier les représentations des groupes finis de type Lie.

[24Comme a pu le faire Jean-Pierre Serre en donnant des titres à ses livres comme GAGA (Géométrie algébrique et géométrie analytique) ou Groupes algébriques et corps de classes (en pleine période de lutte des classes ...), dans un style cher à Bourbaki.

[25Comme il le dit lui-même, à l’époque la Belgique occupait l’Allemagne ...

[26Bien qu’il ait utilisé ses permissions pour aller écouter des séminaires de maths au Max Planck Institut de Bonn.

[27Le bois Marie est un bois situé sur les terres de l’IHES et où ont eu lieu les séminaires de géométrie algébrique d’Alexandre Grothendieck.

[28en 2013.

[29Un nombre est dit premier si on ne peut pas le décomposer en produit de deux entiers supérieurs à 2. La liste des nombres premiers commence ainsi 2, 3, 5, 7, 11, 13, 17.

[30Cette fonction n’est pas directement définie en toutes les valeurs complexes. Elle l’est en utilisant son équation fonctionnelle : on parle de prolongement méromorphe.

[31Leonhard Euler a obtenu la formule $\zeta(2k)=\frac{2^{2k-1}}{(2k)!}B_k\pi^{2k}$ où $B_k$ est le nombre de Bernoulli défini par la formule $\frac{x}{e^x-1}=1-\frac{x}2+\frac{x^2}{12}-\frac{x^4}{720}+\cdots+(-1)^{k+1}\frac{B_k}{(2k)!}x^{2k}$.

[32Ils ne sont pas si évidents que ça, mais cette propriété résulte de l’équation fonctionnelle : la fonction définie par $s\mapsto\Gamma\left(\frac{s}{2}\right)\pi^{-s/2}\zeta(s)$ est invariante par $s\mapsto 1-s$.

[33Celui-ci peut se dire de façon élégante sous la forme suivante : si $x$, $y$ et $z$ sont des entiers (relatifs) non nuls, alors pour tout entier $n$ supérieur ou égal à 2, $x^n+y^n+z^n$ est non nul.

[34Le passage d’un produit à une somme ressemble un peu à l’écriture $x^2+21-10x=(x-3)(x-7)$ que l’on a obtenue plus haut.

[35Il est paradoxal d’appeler Alexandre Grothendieck maître alors que ce dernier se revendiquait anarchiste et donc sans dieu, ni maître ! Mais c’est peut-être pour le faire enrager.

[36Contrairement à Alexandre Grothendieck, qui a refusé le prix Crafoord par exemple, et qui a quitté l’IHES par désaccord politique. Découvrir qu’en dehors des maths une démonstration n’est pas suffisante pour changer son comportement a conduit Grothendieck à prendre des positions radicales, à changer sa façon de faire des maths et finalement à abandonner la recherche !

[37qu’il apprécie, bien qu’il avoue ne pas toujours lui accorder l’attention qu’il mérite, le délaissant au profit des mathématiques ...

[38Chaque prix est doté d’un million de francs suisses, dont la moitié doit être dévolue par chaque lauréat à des projets de recherches menés par de jeunes scientifiques. La fondation Balzan aimerait que les lauréats s’investissent personnellement dans ces projets et il n’est pas certain qu’en ce regard Pierre Deligne ait fait plus que le strict minimum.

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Pour citer cet article :

François Sauvageot — «Pierre Deligne» — Images des Mathématiques, CNRS, 2013

Crédits image :

Image à la une - Le logo est la version préliminaire d’un timbre belge émis en 2007 en l’honneur de Pierre Deligne.
La photo montre Pierre Deligne en famille lors d’une réception à Princeton.

Commentaire sur l'article

  • Pierre Deligne

    le 1er juillet 2013 à 18:39, par Ronan

    Merci pour cette article.

    une approximation de pi : 3,14V(2)=3V(2) + 1/5

    la racine carré de i peut se développer de la sorte.
    si i=1/2-1/2+2i/2 et i=V-1

    mais que i²/4=(-1/2)²

    i=1/2+i²/4+2i/2

    i=(1+2i)/2+ i²/4

    x=1/2+1/3=3/6+2/6=5/6

    i=4(1+2i)/8+2i²/8

    i=(4+8i+2i²)/8

    i=(2+2i)²/8

    donc Vi=(2+2i)/V8

    Vi=(1+i)/V2

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