Poincaré, savant et homme public
Piste verte Le 1er avril 2012 Voir les commentaires (5)
Dans cet article, nous voudrions revenir sur l’affaire Dreyfus qui marqua un véritable tournant dans la vie de Poincaré, propulsant l’illustre savant sur la place publique.
En cette année qui marque les cent ans de la mort d’Henri Poincaré, de nombreux hommages et colloques sont organisés un peu partout. Et c’est bien sûr une belle occasion, en particulier sur ce site, de revenir sur certains des travaux scientifiques du savant français. Les conquêtes scientifiques de Poincaré sont immenses, de la topologie aux équations différentielles, de la géométrie aux systèmes dynamiques, de la mécanique à la relativité restreinte. Sans parler de Poincaré philosophe des sciences dont les textes continuent encore aujourd’hui de nourrir la réflexion épistémologique.
1894. L’affaire Dreyfus éclate. Comme l’écrit Laurent Rollet en introduction de son article Des mathématiciens dans l’affaire Dreyfus ?, « si les grands traits de l’affaire sont relativement bien connus du grand public, le rôle moteur joué par la communauté scientifique l’est nettement moins ». En 1899, Henri Poincaré adresse une lettre au Conseil de guerre de Rennes - chargé de juger le capitaine Dreyfus - critiquant les méthodes d’analyse du bordereau.
L’expertise des mathématiciens Poincaré, Darboux et Appell en 1904 va jouer un rôle fondamental dans l’analyse scientifique du fameux bordereau puisque le rapport de ces derniers sera versé au procès en révision de Dreyfus en 1906. Ce rapport, principalement rédigé par Poincaré, prend position en faveur de Dreyfus. En conclusion de son article, Laurent Rollet souligne que :
« L’intervention des intellectuels dans l’Affaire Dreyfus et la revendication constante de la légitimité et de l’autorité morale conférées par le savoir et les pratiques universitaires contribuèrent à faire naître un vaste ensemble de débats portant sur l’articulation entre science et société, sur les relations entre les pratiques scientifiques et la conscience citoyenne, sur la place de la science dans une démocratie, sur la vocation des savants à intervenir dans la sphère sociale ou sur l’éthique du savant. »
L’attitude de Poincaré pendant cette affaire fut d’abord assez prudente. Avant de s’impliquer comme nous le soulignions, il se tint à distance, jugeant cette affaire contraire à la raison d’État. Pour finalement se rallier au camp dreyfusard. Mais le fit-il vraiment par conviction ?

L’Exposition Universelle de Paris en 1900
Pour comprendre l’attitude de Poincaré, il faut rappeler que l’homme a débuté une carrière politique dès 1887, date à laquelle il fut élu député de la Meuse. Bien que républicain et laïque - signe sûr, à la Belle Époque d’une appartenance à la gauche - Poincaré demeure cependant prudent vis-à-vis de la gauche, restant très modéré. En 1899, le président de la République Émile Loubet l’a pressenti comme président du Conseil mais fut incapable de mettre d’accord les différentes tendances républicaines afin de composer un gouvernement, tandis que Georges Clemenceau déclarait alors :
« Le don de Poincaré n’est pas à dédaigner : c’est l’intelligence. Il pourrait faire remarquablement à côté de quelqu’un qui fournirait le caractère. »
Rupture donc en 1904 quand le politicien doit céder la place au scientifique et à une prise de position très claire. L’affaire Dreyfus est nationale, déchaîne la presse, passionne le peuple français. Dreyfus réhabilité, c’est le début d’une véritable ascension politique pour Poincaré qui, d’abord élu sénateur de la Meuse en 1903, finira au sommet de l’État, à l’Élysée, après avoir refusé à Clemenceau en 1906 d’entrer dans son gouvernement. Nouvelle consécration encore lorsqu’il est, à la fin des années 1900, élu également à l’Académie française.
Pas plus qu’il n’a été question ici de revenir sur les travaux scientifiques, nous n’allons pas en dire davantage sur la très longue carrière politique de Poincaré. La mort de Poincaré eut de fait un très grand retentissement dans le milieu scientifique mais aussi dans l’opinion publique : deuil scientifique et deuil national. C’est d’ailleurs en ces termes que le mathématicien et homme politique Paul Painlevé, qui fut notamment Président du conseil à l’automne 1917 sous la présidence de Poincaré, s’exprime juste après la mort du savant [1] :
« Le cerveau vivant des sciences rationnelles… Il a tout pénétré, tout approfondi. Inventeur incomparable, il ne s’est pas borné à suivre ses inspirations, à ouvrir des voies inattendues, à découvrir dans l’univers abstrait des Mathématiques mainte terre inconnue. Partout où la raison d’un homme a su se glisser, si subtils, si hérissés qu’aient été ses chemins, qu’il s’agît de télégraphie sans fil, de phénomènes radiologiques ou de la naissance de la Terre, Henri Poincaré s’est glissé près de lui pour aider et prolonger ses recherches, pour suivre le précieux filon.
Avec le grand mathématicien français, disparaît donc le seul homme dont la pensée fût capable de faire tenir en elle toutes les autres pensées, de comprendre jusqu’au fond, et par une sorte de découverte renouvelée, tout ce que la pensée humaine peut aujourd’hui comprendre. Et c’est pourquoi cette disparition prématurée, en pleine force intellectuelle, est un désastre. »
Je remercie les membres de la rédaction d’Images des mathématiques de m’avoir fait confiance quant à l’écriture de cet article dont peu connaissaient l’existence et aucun le sujet. J’espère que l’équipe Actualité ne m’en voudra pas trop d’avoir pris la une du site en cette date fatidique, ni Bertrand Rémy pour publier dans sa rubrique sans lui en dire mot, ni Julien Melleray et Clément Caubel responsables de la relecture pour avoir abusé de mes super pouvoirs d’administrateur :-).
La plupart des informations concernant la double vie de Poincaré sont extraites (parfois verbatim !) de Wikipédia.
Notes
[1] Œuvres de Henri Poincaré, tome XI.
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Pour citer cet article :
Aurélien Alvarez — «Poincaré, savant et homme public» — Images des Mathématiques, CNRS, 2012
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