Portrait d’Aline Parreau, ambassadrice de la culture mathématique
Rencontre avec Aline Parreau, Chargée de recherches au CNRS
Piste verte Le 28 décembre 2018 Voir les commentaires (1)
Qui sont ces chercheurs, ces hommes et ces femmes, qui concilient recherche et vulgarisation ? Pourquoi et comment consacrent-ils une grande partie de leur temps à la médiation scientifique ?
- Aline Parreau, quel est votre parcours ?
J’ai fait mes études à l’ENS de Lyon en informatique, de 2005 à 2009. J’ai suivi un Master 2 à Grenoble puis j’ai effectué une thèse en mathématiques discrètes, une discipline entre mathématiques et informatique, dans l’équipe Combinatoire et Didactique de l’Institut Fourier, à l’Université Joseph Fourier de Grenoble, que j’ai soutenue en 2012.
J’ai ensuite été ATER (attachée temporaire à l’enseignement et à la recherche) à l’Université Lille 1, en 2012-2013. Puis, j’ai fait une année en Belgique en tant que post-doctorante à l’Université de Liège.
Enfin, j’ai été recrutée par le CNRS en octobre 2014 et affectée à Lyon au laboratoire LIRIS (Laboratoire d’InfoRmatique en Image et Systèmes d’information) et suis rattachée à l’équipe GOAL (graphes et applications).
- Sur quoi portent vos travaux de recherche ?
Je travaille sur la théorie des graphes. Les graphes sont des ensembles de points – appelés sommets – reliés entre eux par des traits – appelés arêtes. Ils permettent de représenter différentes choses comme un réseau social, les routes dans un pays ou des contraintes pour un emploi du temps. Pour résoudre certaines questions sur les graphes, comme par exemple quel est le chemin le plus court entre deux villes, on considère le graphe d’un point de vue informatique. On essaie alors de construire des algorithmes, c’est-à-dire des méthodes pas à pas qu’un ordinateur peut traiter, qui permettent d’apporter une réponse au problème considéré. Malheureusement, pour beaucoup de problèmes, nous ne connaissons pas d’algorithmes efficaces qui permettent de les résoudre de manière générale. Nous regardons alors des cas particuliers ou proposons des solutions approchées.
- Quel est votre théorème préféré et pourquoi ?
Peut-être le théorème des quatre couleurs [1]. Il est à la fois très simple à expliquer et en même temps très long à démontrer et il montre bien l’utilité de l’informatique. Il illustre bien les problématiques des mathématiques discrètes. Mais d’un point de vue beauté de démonstration je préfère la preuve du théorème des cinq couleurs.
- Concrètement, comment travaillez-vous ?
Le chercheur est souvent vu comme un être solitaire. Pour ma part, je trouve le travail en groupe plus stimulant afin de confronter les idées. Ceci-dit, j’aime aussi réfléchir ensuite seule… pour mieux retrouver les collègues pour débattre.
- Y a-t-il des applications concrètes de vos recherches ?
Pas directement, certains des problèmes que j’étudie sont issus de problématiques du monde industriel mais ils sont énormément simplifiés pour pouvoir obtenir des résultats théoriques.
- Lorsque vous travaillez en mathématiques discrètes, est-ce que vous utilisez également des mathématiques continues ?
Oui, cela arrive assez souvent. Nous avons par exemple fréquemment recours à de l’algèbre linéaire avec des méthodes polyédrales ou polynomiales. Ces outils puissants permettent d’obtenir de manière relativement simple de jolis résultats que l’on ne sait pas toujours obtenir en restant dans les mathématiques discrètes. J’utilise aussi parfois des outils de probabilités continues.
- Tout métier comporte des difficultés et apporte des joies. Commençons par parler des difficultés du métier de chercheuse. Que faites-vous quand vous « séchez » sur une question ?
Lorsque je bloque sur une question, soit j’en parle à d’autres personnes, soit j’essaie de prendre l’air, de bouger et de penser à autre chose. Des idées surviennent alors à des moments où l’on ne s’y attend pas, comme sur mon vélo ou au milieu de la nuit !
- Et quelles sont les joies que vous apporte le métier de chercheuse ?
Apprendre tous les jours, avoir la possibilité de travailler et d’échanger des idées avec des personnes très différentes, avoir une liberté extraordinaire, celle de choisir parmi les sujets de recherche ceux qui m’intéressent.
- Vous aimez les maths. A votre avis, qu’est-ce qui fait qu’on se met à aimer les maths ?
Je pense qu’il faut aimer raisonner de manière logique et que chaque chose soit bien à sa place.
- Quand avez-vous songé à faire une carrière de chercheuse ?
En fait, j’ai commencé à y penser depuis la licence mais je ne me suis décidée qu’en master 2. J’ai hésité un moment entre l’enseignement, la médiation et la recherche. Finalement, être chercheuse me permet de concilier un peu tout cela.
- Pourquoi selon vous y a-t-il si peu de femmes qui font des maths ?
Trop peu de jeunes filles font des études supérieures en maths. Il y a encore peu de modèles à suivre. Au bout du compte, on trouve peu d’enseignantes dans les études supérieures. Et il est difficile pour une femme de se projeter dans un métier où il n’y a presque pas de femmes.
- Pourriez-vous citer des mathématiciens ou des mathématiciennes qui ont pour vous une grande importance, par leur vie ou leur œuvre ?
Oui, je pense à John Horton Conway pour ses contributions sur la théorie des jeux combinatoires, le jeu de la vie……
Je pense à Claude Berge pour tout ce qu’il a a fait en théorie des graphes, également à Maria Chudnowsky, brillante mathématicienne qui travaille dans mon domaine de recherche.
- Vous êtes aussi impliquée dans les activités de médiation scientifique. Expliquez nous en quoi elles consistent.
Je consacre une partie non négligeable de mon temps à la médiation (ce qui est facilité par mon poste sans charge d’enseignement). Cela fait partie de nos missions en tant que chercheur et nous sommes en partie responsables de la diffusion des savoirs auprès du grand public et des plus jeunes. La médiation permet aussi de donner de la recherche un visage humain et de briser quelques stéréotypes, en particulier sur la place des femmes dans la recherche en mathématiques et en informatique. Enfin, faire de la médiation me permet de prendre du recul sur mes thématiques de recherche et de mieux communiquer au quotidien.
En pratique, j’interviens dans plusieurs structures : MMI [2], Math.en.JEANS, Maths à modeler ; et sous plusieurs formats : conférences, ateliers de recherche, organisation d’événements…
Ce qui m’intéresse le plus, c’est de créer un lien entre le monde de la recherche et le reste du monde, en mettant les élèves ou le public dans la peau d’un chercheur ou d’une chercheuse en mathématiques. À partir d’un sujet de recherche adapté, l’élève construit sa réflexion, élabore des théories, les prouve, les explique… Cela permet à la fois de montrer une autre image des mathématiques, de faire comprendre le métier de chercheur en mathématiques et de développer l’esprit critique et logique.
- Vous faites partie de l’équipe de la Maison des mathématiques et de l’Informatique (MMI). Pouvez-vous nous la présenter ?
La Maison des mathématiques et de l’informatique est avant tout un lieu (situé dans le 7e arrondissement de Lyon) qui permet de rassembler tout ce qui peut se faire en médiation en mathématique et informatique à Lyon. Elle est gérée par des enseignants-chercheurs et c’est ce qui fait toute sa spécificité et son originalité par rapport à d’autres structures, car elle est très proche du monde de la recherche.
Les activités qui s’y déroulent sont consacrées à différents types de public. La journée, ce sont surtout des ateliers pour les scolaires. Le week-end, la MMI est ouverte au grand public pour son exposition et sa ludothèque. Enfin, des activités pour un public d’initiés ont lieu de manière récurrente en soirée.
C’est un lieu très ouvert. Si quelqu’un a envie de monter un projet, l’équipe va l’aider à trouver la possibilité de le faire.
- En fin de compte, qu’est-ce qui vous fascine dans votre métier de mathématicienne ?
Je vois les mathématiques comme un jeu. J’aime leur aspect ludique. C’est d’ailleurs souvent ce que nous utilisons en médiation.
Personnellement, j’aime aussi « l’exactitude » des mathématiques. Un résultat prouvé ne peut être réfuté, il y a une notion de réalité absolue.
Pourtant, les mathématiques restent mystérieuses. Nombre de problèmes d’apparence très simple restent non résolus à ce jour !
Cela me permet de proposer à des élèves (dans le cadre de MATh.en.JEANS par exemple) des problèmes faciles à comprendre mais encore étudiés par les chercheurs. C’est assez magique de voir qu’avec leur regard naïf, les élèves m’apportent un regard nouveau sur des problèmes et de nouvelles idées !
Cet entretien se base sur un premier entretien d’Aline Parreau, qui est apparu sur le site du MILYON et Julien Keller remercie vivement Séverine Voisin.
Notes
[1] Voir également cet article sur le site (NDLR).
[2] La MMI est partenaire d’Images des Maths (NDLR).
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Pour citer cet article :
Julien Keller — «Portrait d’Aline Parreau, ambassadrice de la culture mathématique» — Images des Mathématiques, CNRS, 2018
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Portrait d’Aline Parreau, ambassadrice de la culture mathématique
le 28 décembre 2018 à 17:20, par beaupoil