Prix Nobel de chimie, quasi-cristaux, périodicité et pavages de Penrose

Piste bleue Le 28 octobre 2011  - Ecrit par  Pierre de la Harpe, Félix Kwok Voir les commentaires (3)

Le prix Nobel de chimie 2011 a été décerné à Dan Shechtman
pour sa découverte des quasi-cristaux,
ces formes de certains alliages métalliques
qu’il a observées pour la première fois
au microscope électronique le matin du 8 avril 1982.

La découverte était si révolutionnaire qu’elle fut incomprise et combattue
pendant plus de deux ans, de sorte que la première publication la relatant
date de novembre 1984
 [1].
Les choses ont bien changé depuis, jusqu’à l’attribution du prix Nobel
le 5 octobre dernier ; voir la page officielle du Nobel
 [2].
Même s’il s’agit d’abord d’une découverte en chimie,
elle nous évoque nécessairement
quelques commentaires mathématiques,
que nous proposons en complément d’un billet récent
 [3].

Dans les chapitres 1 à 3 et 5,
nous avons cherché à limiter au maximum
le jargon et les symboles mathématiques,
en espérant que le lecteur nous accordera un fléchage en bleu,
comme celui d’une piste de ski facile et agréable.
En revanche, nous aurions trouvé difficile, voire périlleux,
d’éliminer toute technicité du chapitre 4 ;
le lecteur peu à l’aise dans les passages en rouge foncé
qui nous aurait suivi jusque là pourrait alors
passer directement à la conclusion du chapitre 5.

1. La condition cristallographique

Les corps solides se répartissent en plusieurs types bien étudiés,
dont les cristaux
 [4].
A partir de très nombreuses observations et de multiples recherches théoriques,
le modèle suivant s’est finalement dégagé :
dans un cristal idéal (en particulier si grand qu’on peut le supposer infini !),
les atomes occupent les points d’un réseau périodique
 [5].
Pour les mathématiciens et dans ce contexte,
un réseau est un ensemble de points dans l’espace,
isolés les uns des autres,
et disposés de telle sorte qu’ils se répètent simplement et périodiquement
selon trois directions indépendantes.

Réseaux en $2$ et $3$ dimensions

Précisons cela en énonçant d’abord une définition d’un réseau plan,
qui est l’analogue en dimension deux d’un réseau dans l’espace.
On considère un parallélogramme $P$ du plan.
Des translatés convenables de ce premier pavé
recouvrent sans chevauchements
une bande infinie, qui est donc réunion de parallélogrammes
$ ... , P_{-2,0}, P_{-1,0}, P_{0,0}, P_{1,0}, P_{2,0}, ... $
Une partie de cette bande est représentée à la figure 1.

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Figure 1 : une partie de la bande
$... , P_{-3,0}, P_{-2,0}, P_{-1,0}, P_{0,0}, P_{1,0}, P_{2,0}, P_{3,0}, ...$

Avec des translatés de cette bande
dans la direction de l’autre paire de côtés de $P$,
on recouvre le plan tout entier et on obtient un pavage comme indiqué
à la figure 2, avec un pavé par paire d’entiers
(entiers positifs, négatifs, ou nuls).

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Figure 2 : une partie du pavage du plan par des translatés de $P_{0,0}$.

Les sommets des parallélogrammes de ce pavage
constituent un réseau plan.
Il y a périodicité dans la mesure où
il y a deux translations du plan,
de directions indépendantes,
dont chacune échange entre eux les sommets du réseau.
Notons qu’il y a une infinité de types de parallélogrammes,
et de même une infinité de types de réseaux plans.

Pour obtenir un réseau de l’espace,
on considère d’abord un parallélépipède $P$.
Les translatés convenables de ce pavé initial
selon les trois directions de ses côtés
fournissent un pavage dont les pavés $P_{l,m,n}$
sont indexés par des triplets $(l,m,n)$ d’entiers.
Les sommets de ces parallélépipèdes
constituent un réseau de l’espace.

Symétries de rotation

Outre les symétries de translation
que nous venons de décrire,
un réseau peut avoir des symétries de rotation.
Pour faciliter la discussion, continuons-la en dimension deux.
On constate sans peine que tout réseau plan est invariant
par une rotation d’un demi-tour centrée en l’un de ses sommets
(ou au point milieu d’un segment reliant deux de ses sommets).
Autrement dit :
tout réseau plan possède des symétries de rotation d’ordre deux.

Certains réseaux (mais pas tous) possèdent de plus
des symétries de rotation d’ordre trois, ou quatre, ou six
(aussi bien d’ailleurs dans l’espace de dimension trois que dans le plan).
Par exemple, le réseau dont les points sont les sommets
d’un quadrillage standard du plan
est invariant par des rotations d’un quart de tour,
et le réseau dont les points sont les sommets
d’un pavage régulier du plan par des triangles équilatéraux
est invariant par des rotations d’un sixième de tour
(et a fortiori par des rotations d’un tiers de tour) ;
voir la figure 3.

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Figure 3 : pavage triangulaire avec symétries d’ordre $3$ et $6$,
et pavage carré avec symétries d’ordre $4$.

Ces symétries d’ordre $2, 3, 4$ ou $6$ ont été mises en évidence
à d’innombrables reprises dans l’étude « moderne » des cristaux,
qui date du XIXe siècle.
Elles ont été confirmées de manière spectaculaire depuis qu’on sait
obtenir des images de cristaux par diffraction de rayons X.
Les premières de ces images datent
d’une expérience de Max von Laue, en 1912
 [6] ;
elles lui ont valu le prix Nobel de physique en 1914.

Pour le mathématicien, on peut aussi formuler et montrer un :


Théorème

Une rotation qui préserve un réseau du plan ou de l’espace
est ou bien un demi-tour, ou bien un tiers de tour,
ou bien un quart de tour, ou bien un sixième de tour.

La démonstration de ce théorème n’est pas très difficile :
voir par exemple le n°8 de l’article [7]
Les arguments sont analogues pour la dimension deux, avec des rotations centrées en des points du plan, et pour la dimension trois, avec des rotations autour d’axes de l’espace.

En particulier,
"dans le modèle des réseaux,
un cristal ne possède jamais de symétrie de rotation d’ordre cinq ou dix."

2. L’image du 8 avril 1982

Dan Shechtman a observé certains alliages
obtenus en refroidissant très brutalement
une goutte d’un mélange d’aluminium et de manganèse
en proportions convenables.
Ce qu’il a vu avec son microscope électronique allait contre
tous les traités, tous les résultats expérimentaux antérieurs,
et tous les théorèmes dont on croyait qu’ils s’appliquaient aux cristaux :

certains alliages métalliques proches des cristaux exhibent outrageusement
des symétries de rotation d’ordre dix.

L’image obtenue ne souffrait d’aucune ambiguité

[Nous ignorons de quand date l’image reproduite
dans l’article original [
8] :

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Figure 4 : une figure de l’article [1], avec symétrie d’ordre dix.

Il y a donc à première vue contradiction flagrante entre l’interdiction
des symétries d’ordre cinq ou dix dans le modèle des réseaux
et la provocation des images de Shechtman.

Il fallut de longs efforts, expérimentaux, théoriques et culturels,
pour que la communauté des cristallographes
accepte les faits et surmonte la contradiction.
Dans la suite de cet article, nous allons évoquer
certains travaux mathématiques qui,
bien qu’à l’origine sans lien avec les quasi-cristaux,
ont permis d’en comprendre
(ou d’en accepter ...) un peu mieux la structure.

3. Pavages du plan et problème de Wang

Pavages et périodicité

Les pavages qui nous intéressent ici sont du type suivant :
on se donne une famille finie de polygones
et on se demande s’il existe un pavage du plan
par des copies de ces polygones-modèles,
c’est-à-dire un recouvrement du plan
par des polygones dont chacun est isométrique
à l’un des polygones de la famille initiale.
Le mot « recouvrement » indique
d’une part que tout point du plan est recouvert par l’un des polygones ;
d’autre part que deux d’entre eux ne se chevauchent pas,
ils partagent au plus des points de leurs bords.
Le mot « isométrique » est une manière de préciser « identique » :
il indique que, par une translation une rotation
et peut-être une symétrie-miroir,
on peut amener chaque pavé à coïncider avec l’un des
polygones choisis initialement.

Les exemples canoniques sont les pavages réguliers,
pour lesquels la famille de polygones modèles
n’est formée que d’un seul polygone, régulier.
Il existe exactement trois types de tels pavages réguliers :
par des triangles équilatéraux et par des carrés
(voir la figure 3 de ce texte),
ainsi que par des hexagones réguliers
(comme dans de nombreuses salles de bains).
Voici un pavage pour lequel la famille de polygones modèles
ne contient que deux polygones, un carré et un octogone :

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Figure 5 : un pavage avec deux pavés modèles.

Il existe aussi des familles qui ne permettent pas de paver le plan !
Un exemple bien connu est la famille constituée d’un seul polygone
qui est un pentagone régulier
(on retrouve là une impossibilité liée à une rotation d’ordre cinq,
impossibilité qui a déjà intrigué Kepler au début du XVIIe siècle).

Pour la suite de notre histoire, il nous faut expliquer la notion de
pavage périodique.
Imaginons un pavage du plan,
et un observateur regardant ce pavage à partir d’un premier point.
Si cet observateur se translate
d’un certain nombre de pas dans une direction donnée, en un second point,
il observera en général un autre paysage.
Par exemple, si le plan est quadrillé de manière régulière
par des pavés carrés d’un mètre de côté,
si le premier point est à l’intersection de quatre carrés,
et si l’observateur se translate d’un demi-mètre,
il ne sera plus à l’intersection de quatre carrés,
et son paysage aura donc changé.
On dit qu’un pavage est invariant par une translation
si celle-ci ne modifie pas le paysage,
et on dit qu’un pavage est périodique
s’il est invariant par deux translations de directions différentes.

Le pavage carré régulier est bien sûr périodique
puisqu’il est invariant par chacune des translations
amenant un sommet d’un carré sur un autre sommet
(du même carré, ou d’un autre carré, à choix).
Le pavage triangulaire indiqué à la figure 3
et le pavage indiqué à la figure 5 sont aussi périodiques.

Décrivons deux exemples de pavages
qu’on peut obtenir avec des rectangles
longs d’un mètre et larges d’un demi-mètre.
Un premier pavage consiste à modifier un pavage carré régulier,
à côtés horizontaux et verticaux,
en divisant chaque carré en deux rectangles plus larges que hauts ;
ce pavage rectangulaire est évidemment périodique.
Un second pavage consiste à faire la même chose
avec tous les carrés sauf un,
et à diviser cet unique carré en deux rectangles plus hauts que larges,
comme indiqué à la figure 6.
Le pavage par rectangles ainsi obtenu
possède un assemblage de deux rectangles distinguable de tous les autres,
et n’est donc invariant par aucune translation.

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Figure 6 : pavage non périodique par rectangles.

Ces exemples (et beaucoup d’autres) montrent qu’il est facile
d’imaginer des familles de polygones-modèles permettant de paver le plan
à la fois de manière périodique et de manière non périodique.
(Notons toutefois le cas remarquable d’un hexagone régulier,
qui permet de paver le plan, de manière périodique seulement.)

Le problème de Wang

Le problème suivant remonte à un travail du logicien Hao Wang, de 1961 ;
il est lié à la question de savoir s’il existe un algorithme
(ce qui est à peu près équivalent à la question de savoir
s’ll existe un programme d’ordinateur) qui,
étant donné une famille finie de polygones-modèles,
permette de décider s’il existe un pavage du plan
dont les pavés sont des copies des modèles
 [9].

Le problème  :

  • existe-t-il une famille de polygones-modèles
    telle que

    • ces polygones pavent le plan,

    • il est impossible de paver le plan de manière périodique
      avec ces polygones ?

La réponse a surpris plus d’un expert (dont Wang) :
oui, de telles familles de polygones existent.
Dans la première réponse (Berger, 1966)
la famille contenait plus de $1000$ polygones
 [10].
Plus tard, on trouva d’autres réponses avec moins de polygones,
par exemple $6$ (Raphael Robinson, 1971),
ce qui permet de faire des dessins [11].
La réponse aujourd’hui la plus célèbre est celle de Roger Penrose,
qui ne contient que $2$ polygones (voir
 [12]
et
 [13]).
Une autre réponse, celle de Robert Ammann,
fut découverte indépendamment et à la même époque
 [14].
On peut décrire plusieurs variantes de la réponse de Penrose,
dont celle du présent article.

On ne connaît pas la réponse
pour une famille qui ne contient qu’un polygone
(tous les pavés isométriques).

Ceci constitute un problème ouvert

captivant et important
 [15].

(Notons toutefois que, en dimension $3$, une variante du problème
est résolue depuis 1988.
En effet, Conway et Schmitt ont décrit un polyèdre
qui a les propriétés suivantes :

  • (i) il existe un pavage de l’espace
    par des polyèdres dont chacun est
    une image du polyèdre de Conway-Schmitt
    par une isométrie préservant l’orientation,
  • (ii) il n’existe aucun tel pavage de l’espace
    qui soit invariant par une translation
    (et a fortiori aucun qui soit périodique,
    c’est-à-dire qui soit invariant par trois translations
    de directions indépendantes).

Voir le livre
 [16],
et l’article
 [17].)

4. Sur les pavages de Penrose

Il y a au moins mille manières de présenter les pavages de Penrose ;
en fait, en tapant « Penrose tiling » sur Google, on obtient 109’000 résultats
(au jour de rédaction de ce texte).
Même les fantômes ont un avis sur la chose
 [18].
La présentation ci-dessous, qui suit de près quelques pages de Raphael Robinson
(datant des années 1970 et autant que nous sachions non publiées),
décrit une variante des pavages de Penrose.

Dans la suite, nous allons esquisser
une construction de ces pavages
et indiquer quelques-unes de leurs propriétés principales.
Par nécessité, l’explication est un peu technique
et demande de maîtriser quelques aspects, pas toujours très faciles,
de la géométrie euclidienne.
Le lecteur qui serait rebuté par ces formules et ces raisonnements
pourrait tout aussi bien se contenter d’admirer les figures 12, 15 et 16
(bien d’autres sont à disposition sur la toile
 [19])
avant de sauter directement

à la conclusion de cet article.

Définition des $\mathcal M_0$-pavages

« Notre » première famille, notée $\mathcal M_0$, est constituée de deux triangles isocèles
à sommets coloriés $L_0$ et $S_0$
(avec « L » pour « Large » et « S » pour « Small »),
définis comme suit :

  • Le triangle $L_0$ a
    • trois angles $\theta, 2\theta, 2\theta$,
    • trois côtés de longueurs $1, \varphi, \varphi$,
    • un des sommets de la base (d’angle $2\theta$) est blanc,
      les deux autres sommets sont noirs.
  • Le triangle $S_0$ a
    • trois angles $3\theta, \theta, \theta$,
    • trois côtés de longueurs $\varphi, 1, 1$,
    • un des sommets de la base (d’angle $\theta$) est noir,
      les deux autres sommets sont blancs.

Ici, $\theta$ désigne l’angle $\pi / 5$ (= un dixième de tour = $36^0$),
et
\[ \varphi \, = \, \frac{1 + \sqrt 5}{2} \, \approx \, 1,618033987 .... \]
désigne le nombre d’or
 [20].
Nos descriptions de $L_0$ et $S_0$ illustrent les égalités trigonométriques
\[ 2 \cos(\theta) = \varphi \hskip.5cm \text{et} \hskip.5cm 2 \cos(2\theta) = \varphi^{-1} = \varphi - 1 . \]
Notons pour la suite que chacun de ces triangles a un seul côté
ayant deux extrémités de la même couleur ;
nous l’appellerons le côté distingué du triangle.
Notons aussi que les angles
aux deux extrémités d’un côté distingué sont distincts :
il y en a un grand et un petit.
Les côtés distingués sont orientés, du sommet de petit angle
vers le sommet de grand angle.

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Figure 7 : les triangles $L_0$ et $S_0$.

Convenons qu’un $\mathcal M_0$-pavage désigne ici un pavage
$\mathbf R^2 = \bigcup_{i \in I} P_i$
dans lequel chaque $P_i$ est un triangle à sommets coloriés,
isométrique à l’un de $L_0$, $S_0$ par une isométrie
respectant les couleurs des sommets.
On demande aussi que deux tels triangles $P_i$ et $P_j$
soient toujours d’intérieurs disjoints,
et ou bien soient tout à fait disjoints,
ou bien possèdent en commun exactement un sommet,
ou bien possèdent en commun exactement un côté entier de chacun d’eux.
On demande enfin que les conditions suivantes soient satisfaites :

  • Condition C1 :
    chaque fois qu’un sommet d’un $P_i$ coïncide
    avec un sommet d’un $P_{j}$,
    ces deux sommets sont de la même couleur.
  • Condition C2 :
    chaque fois que le côté distingué d’un $P_i$
    coïncide avec le côté distingué d’un $P_{j}$,
    l’orientation de ce côté dans $P_i$
    coïncide avec son orientation dans $P_{j}$.

A priori, il n’est nullement évident qu’il existe
un seul $\mathcal M_0$-pavage du plan.
Nous allons toutefois tenter d’indiquer pourquoi

  • il existe des $\mathcal M_0$-pavages,
  • mais il n’existe aucun $\mathcal M_0$-pavage périodique.

Sur l’apériodicité des $\mathcal M_0$-pavages

Introduisons une seconde famille $\mathcal M_1 = \{L_1, S_1 \}$,
constituée de deux triangles isocèles
à sommets coloriés définis comme suit :

  • Le triangle $L_1$ a
    • trois angles $3\theta, \theta, \theta$,
    • trois côtés de longueurs $\varphi^2, \varphi, \varphi$,
    • un des sommets de la base (d’angle $\theta$) est blanc,
      les deux autres sommets sont noirs.
  • Le triangle $S_1$ a
    • trois angles $\theta, 2\theta, 2\theta$,
    • trois côtés de longueurs $1, \varphi, \varphi$,
    • un des sommets de la base (d’angle $2\theta$) est blanc,
      les deux autres sommets sont noirs.

Les triangles $L_1$ et $S_1$ ont également un côté distingué,
qui est orienté.

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Figure 8 : les triangles $L_1$ et $S_1$.

Il y a trois observations fondamentales à ne pas manquer :

  • $S_1 = L_0$.
  • $L_1$ est une juxtaposition d’une copie de $L_0$ et d’une copie de $S_0$,
    la juxtaposition respectant les conditions (C1) et (C2) ;
    en forme abrégée : $L_1 \equiv S_0 \cup L_0$.
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    Figure 9 : illustration de l’observation $L_1 \equiv S_0 \cup L_0$.
  • Dans tout $\mathcal M_0$-pavage,
    le petit côté à extrémités noire et blanche d’une copie $S$ de $S_0$
    est nécessairement adjacent à la base d’une copie $T$ de $L_0$
    et la réunion de $S$ et $T$ est précisément une copie de $L_1$ ;
    en forme abrégée : $S_0 \Rightarrow L_1$
    (nous y revenons ci-dessous, autour de la figure 10).

Il en résulte que, à partir de tout $\mathcal M_0$-pavage
$\bigcup_{i \in I} P_i$ (supposé exister !),
on peut définir de manière unique
un $\mathcal M_1$-pavage $\bigcup_{j \in J} Q_j$
par copies isométriques de $L_1$ et $S_1$,
et satisfaisant aux conditions (C1) et (C2).

Pour justifier l’observation $S_0 \Rightarrow L_1$,
considérons un pavé $S$ isométrique à $S_0$
et le pavé $T$ adjacent à $S$
le long du petit côté non distingué, à extrémités noire et blanche.
En contemplant les modèles $S_0$ et $L_0$,
on voit qu’il existe a priori exatement deux possibilités pour $T$ :
soit une copie de $L_0$ comme à gauche de la figure 10,
soit une copie $S'$ de $S_0$ comme à droite de cette figure.
Pour compléter le dessin de droite
autour du sommet blanc commun à $S$ et $S'$, noté $Y$,
il faudrait coller d’une part une troisième copie de $S_0$
le long du côté distingué de $S$
et d’autre part une quatrième copie de $S_0$ le long du côté distingué de $S'$.
La somme des angles en $Y$ de ces quatre copies de $S_0$ serait
\[ 3\theta + 3\theta + 3\theta + 3\theta = 12 \theta > 10 \theta = 360^o , \]
ce qui est absurde
(d’où le signe « ! » au voisinage du point $Y$).
En conclusion, le recollement indiqué à droite de la figure 10
n’est pas possible et, dans un $\mathcal M_0$-pavage,
le seul pavé autorisé le long du côté non distingué de $S$
est une copie de $L_0$ comme à gauche de la figure.

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Figure 10 : illustration de l’observation $S_0 \Rightarrow L_1$.

Avec un peu plus de temps, on montre de manière élémentaire que ce
processus d’inflation peut se répéter,
et fournit ainsi une suite infinie
de pavages pour des familles
$\mathcal M_0, \mathcal M_1, \mathcal M_2, \mathcal M_3, ...$,
avec $\mathcal M_n = \{L_n, P_n \}$.
De plus, on constate que la famille $\mathcal M_{(n+4)}$ est la famille
constituée des deux images des triangles du niveau $n$
par une homothétie de rapport $\varphi^2$,
ce qui s’écrit aussi
\[ L_{n+4} \, = \, \varphi^2 L_{n} , \hskip.5cm S_{n+4} \, = \, \varphi^2 S_{n} \]
pour tout $n \ge 0$.
Si on ne s’occupait que des triangles,
en oubliant la coloration des sommets
et l’orientation des côtés distingués, on aurait
$S_{n+1} = L_{n}$ et $L_{n+1} = S_{n} \cup L_{n}$
(d’où le « prime » dans l’équation $L_1 = \varphi S_0'$
de la figure 8).
En revanche, comme on tient compte des colorations et des orientations,
la première valeur de $m > n$ pour laquelle $L_{m}$ et $S_{m}$
sont des copies homothétiques de $L_{n}$ et $S_{n}$
est bien $m=n+4$.

Voici l’argument qui exclut l’existence
de $\mathcal M_0$-pavages périodiques.
S’il en existait un, invariant par une translation $t$,
le $\mathcal M_n$-pavage obtenu par $n$ inflations
serait également invariant par $t$, pour tout $n \ge 1$.
Pour $n$ assez grand, les dimensions caractéristiques de tous les triangles
de ce $\mathcal M_n$-pavage seraient supérieures
à l’amplitude de la translation $t$,
et ceci est absurde.

Sur l’existence des $\mathcal M_0$-pavages

L’argument a des points communs avec l’argument précédent,
à la différence importante près qu’il convient d’abord de subdiviser
avant de mettre à l’échelle et de recoller.

Plus précisément, à partir de la paire
$\mathcal M_0 \, = \, \{L_0, S_0 \}$,
on définit une paire
$\mathcal M_{-1} \, = \, \{L_{-1}, S_{-1} \}$ avec

  • $L_{-1} = S_{0}$,
  • $S_{-1}$ tel que $S_{-1}$ et $L_{-1}$ se recollent pour former $L_{0}$.

Il en résulte que, à partir d’un $\mathcal M_0$-pavage, même partiel,
c’est-à-dire un pavage d’une partie $F$ du plan,
on définit d’abord de manière unique un $\mathcal M_{-1}$-pavage de cette même partie $F$, puis en itérant le procédé
une famille de $\mathcal M_{-n}$-pavages de $F$.
Pour un entier $n$, la famille $\mathcal M_{-n}$
est constituée de deux triangles décorés $L_{-n}$ et $S_{-n}$.
Une fois sur deux, pour $n = 0, 2, 4, ...,$
c’est $S_{-n}$ qui a un angle obtus $3 \theta$ ;
l’autre fois, pour $n = 1, 3, 5, ...,$
c’est $L_{-n}$ qui a un angle obtus $3 \theta$.

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Figure 11 : $\mathcal M_{-1}$-pavage, ...,
$\mathcal M_{-4}$-pavage de $F$ dans le cas $F = L_0$.
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Figure 12 : $\mathcal M_{-8}$-pavage du même triangle $F = L_0$.

Noter que les échelles des deux figures précédentes ne sont pas égales,
puisque $F$ est représenté plus grand
dans la seconde figure que dans la première.

On constate que
\[ L_{(-n-4)} \, = \, \varphi^{-2} L_{(-n)} , \hskip.5cm S_{(-n-4)} \, = \, \varphi^{-2} S_{(-n)} \]
pour tout $n \ge 0$
(comparer avec la paire d’égalités apparaissant peu après la figure 10).
Donc, en dilatant le $\mathcal M_{(-4n)}$-pavage de $F$
par le rapport convenable, qui est $\varphi^{2n}$,
on obtient un $\mathcal M_{0}$-pavage
d’une copie homothétique $F_n := \varphi^{n} F$ de $F$,
de plus en plus grande lorsque $n$ croît.
On peut alors placer $F_n$ et $F_{n+4}$ dans le plan
de telle sorte que $F_n$ (avec son $\mathcal M_{0}$-pavage)
soit une partie de $F_{n+4}$ (avec son $\mathcal M_{0}$-pavage).
On montre ainsi qu’on peut $\mathcal M_{0}$-paver
des parties du plan de plus en plus grandes.
A la limite, on obtient « en général »
un $\mathcal M_{0}$-pavage du plan tout entier.
(A propos du « en général », voir [22].)

Quelques propriétés des $\mathcal M_0$-pavages

En exploitant les règles d’inflation et de décomposition,
on peut montrer que :

  • il existe une infinité
    de $\mathcal M_0$-pavages non isométriques deux à deux
     [21],
  • un $\mathcal M_0$-pavage ne possède jamais
    de symétrie de translation,
  • toute partie finie de tout $\mathcal M_0$-pavage se retrouve une infinité de fois
    dans tout autre $\mathcal M_0$-pavage,
  • dans tout $\mathcal M_0$-pavage,
    il existe des parties finies arbitrairement grandes
    qui possèdent une symétrie de rotation d’ordre $5$

    (on en voit une, formée de $10$ triangles
    avec un sommet commun, à la figure 13),
  • à deux exceptions près, les $\mathcal M_0$-pavages
    ne possèdent globalement
    pas de symétrie d’ordre $5$

     [22].

La seconde de ces propriétés et la cinquième montrent que,
si les pavages de Penrose peuvent suggérer des modèles de quasi-cristaux,
ces modèles seront bien différents des modèles du type « réseau »
de la cristallographie classique.
La quatrième propriété montre que les modèles à la Penrose
sont compatibles avec des figures de diffraction par rayons X
exhibant des symétries d’ordre cinq ou dix.

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Figure 13 : portion de la figure précédente avec symétrie de rotation d’ordre $5$.

Les variantes : fléchettes et cerfs-volants, losanges, etc

Dans un $\mathcal M_0$-pavage du plan, les copies de $L_0$ apparaissent
nécessairement par paires adjacentes le long de leurs côtés distingués,
et constituent ainsi des quadrilatères appelés cerfs-volants ;
de même, les copies de $S_0$ apparaissent nécessairement par paires
le long de leurs côtés distingués, et constituent des fléchettes.
Ainsi, tout pavage du plan par copies de $L_0$ et $S_0$ fournit
un pavage du plan par cerfs-volants et fléchettes.

JPEG - 28.4 ko
Figure 14 : une fléchette et un cerf-volant.

Il existe encore d’autres variantes.
Les images qu’on trouve sur la toile n’illustrent que rarement
la variante avec deux triangles $L_0$ et $S_0$
que nous avons choisi d’exposer ici.
C’est par exemple la variante avec deux types de losanges
qui a été choisie pour paver un sol
du bâtiment de physique, à l’Université A&M du Texas,
comme le montre une photographie prise par notre collègue
Oleg Ageev :

JPEG - 585.6 ko
Figure 15 : un exemple en architecture.

Pour en voir plus, regarder par exemple
 [23].

5. Périodicité et ordre, cristaux et quasi-cristaux

Pour lever la contradiction évoquée plus haut (juste après la figure 4),
il faut admettre que le matériau observé par Shechtman
n’a pas de structure cristalline, c’est-à-dire n’a pas de structure ordonnée périodique.

Il s’agit d’un nouveau type de structure,
dite quasi-cristalline, qui a enrichi la théorie de la physique du solide
 [24].
Les modèles utilisés depuis pour comprendre ces quasi-cristaux
font un large appel à des pavages non périodiques,
qui partagent avec les quasi-cristaux la propriété
de suivre un
ordre qui est à la fois à grande distance et non périodique.
Dans le modèle des pavages à la manière de Penrose et Ammann
[14],
l’ordre à grande distance se manifeste entre autres par la répétition
infinie de toute partie d’un pavage — bien que ces infiniment nombreuses
répétitions ne soient pas disposées de manière périodique.

Il est remarquable que les pavages non périodiques à la Penrose-Ammann,
invoqués par les théoriciens des quasi-cristaux,
aient été découverts avant les quasi-cristaux eux-mêmes.
Il en est de même d’autres travaux mathématiques
non mentionnés ci-dessus, ceux d’Yves Meyer,
qui datent du début des années 1970
 [25].
Ce n’est pas la première fois que des travaux mathématiques
reçoivent a posteriori une « motivation » magnifique
 [26].

Une dernière image, pour le plaisir :

JPEG - 102.9 ko
Figure 16 : un exemple en tapisserie.
Post-scriptum :

Merci à Jean-Paul Allouche, Serge Cantat,
Clément Caubel, Etienne Ghys
et Julien Melleray
pour leurs rapides et très utiles commentaires après lecture d’une première version de notre article.

Article édité par Étienne Ghys

Notes

[1D. Shechtman, I. Blech, D. Gratias, and J.W. Cahn,
Metallic phase with long-range orientational order and no
translational symmetry
, Physical Review Letters 54, no 20, 12 November 1984.

[3Elise Janvresse et Thierry de la Rue,
Nobel de chimie et pavages de Penrose.

[4L’une des autres grandes classes est celle des verres.

[5La description ne s’arrête bien sûr pas là.
Dans de rares cas, chaque sommet du réseau correspond à un seul atome,
et réciproquement ; il en est ainsi du polonium, dans ses deux phases
cristallines, l’une cubique et l’autre rhomboédrique
(merci à notre Collègue chimiste Alan Williams pour ces informations).
« Phase cubique » signifie que le réseau correspondant
est formé des sommets de cubes, tous identiques,
empilés de telle sorte que chaque cube soit entouré
de six autres cubes partageant avec lui une face carrée commune ;
« phase rhomboédrique » se réfère de même
à des rhomboèdres, c’est-à-dire à des « cubes déformés »,
ou plus précisément à des parallélépipèdes
dont les six faces sont des losanges
(voir par exemple
ici).

Pour des compléments d’information sur le polonium,
voyez Wikipedia,
si possible l’article en anglais,
à défaut l’article bien plus court en français.
Nous renvoyons les amateurs de romans d’espionnage à
Wikipedia ici
et
.

En revanche, dans la très grande majorité des cas,
chaque sommet du réseau ne correspond pas à un seul atome,
mais à un groupe d’atomes,
par exemple plusieurs atomes de même espèce
(du carbone dans un cristal de diamant)
ou plusieurs atomes d’espèces différentes
(du chlore et du sodium dans un cristal de sel de cuisine).
Mais cela n’entre ni dans le sujet de cet article
ni dans les compétences de ses auteurs.

[6Max von Laue, noble à plus d’un titre.
Nous ne résistons pas à l’envie de citer l’anecdote suivante,
comme elle est relatée dans Wikipedia.
Lors de l’invasion du Danemark par l’Allemagne
pendant la seconde guerre mondiale,
le chimiste George de Hevesy a dissous avec de l’eau régale
les médailles en or des prix Nobel von Laue et James Franck,
afin d’éviter que les Nazis ne les trouvent
(il était illégal à l’époque d’exporter de l’or d’Allemagne,
et von Laue risquait des persécutions pour ce « forfait »).
De Hevesy garda la solution obtenue
sur une étagère de son laboratoire à l’institut Niels Bohr.
Après la guerre, il provoqua la précipitation de l’or et la Fondation Nobel put refondre la médaille à partir de l’or original.

[81],
mais Shechtman a très précisément rapporté la date
de la première image qui l’a tant surpris : 8 avril 1982.

[9Les experts auront noté que nous travestissons l’énoncé original.
En fait, chez Wang, il s’agit de paver le plan avec des carrés
tous de même taille, à côtés coloriés,
et les couleurs de deux carrés adjacents
doivent s’ajuster le long de leur côté commun.

[10Une conséquence importante du résultat de Berger
est discutée dans l’article Impossible.
C’est un théorème
qu’il n’existe pas d’algorithme (de programme d’ordinateur) qui,
étant donné une famille finie de polygones-modèles,
permette de décider si cette famille pave le plan.

[11Voir
ici.

[12Roger Penrose,
The rôle of aesthetics in pure and applied mathematical research,
Bull. Inst. Math. Appl. 10 (1974), 266-271.

[13Martin Gardner,
Extraordinary nonperiodic tiling that enriches the theory of tiles, Scientific American 236 (1977), 110-121.

[14Voir
http://tilings.math.uni-bielefeld.d....
Un bel article sur Robert Ammann :
Marjorie Senechal, The mysterious Mr. Ammann,
Mathematical Intelligencer 26 (2004), 10-21
http://www.springerlink.com/content....

[15Pour une discussion plus étoffée de ce problème,
voir un article du premier auteur,
Quelques problèmes non résolus en géométrie plane,
L’Enseignement Mathématique 35 (1989), 227-243.

[16Majorie Senechal, Quasicrystals and geometry,
Cambridge University Press, 1995.

[17Charles Radin, Aperiodic tilings in higher dimensions,
Proc. Amer. Math. Soc. 123 (1995), 3543-3548.

[19Voir par exemple
ici
et
.

[21Deux $\mathcal M_0$-pavages
$\bigcup_{i \in I} P_i$ et $\bigcup_{j \in J} Q_j$ du plan
sont isométriques s’il existe une isométrie $\psi$ du plan
et une bijection $\nu : I \longrightarrow J$
telle que $\psi(P_i) = Q_{\nu(i)}$ pour tout $i \in I$,
l’isométrie $\psi$ respectant les couleurs des sommets des polygones.

[22
Pour indiquer quelles sont ces exceptions,
revenons à l’argument qui montre l’existence de $\mathcal M_0$-pavages.
A l’étape $n$, au moment d’ajuster
un pavage de $F_n$ et un pavage de $F_{n+4}$,
il y a plusieurs choix possibles.
Par exemple, il y a cinq pavés de type $L$
dans le $\mathcal M_{-4}$-pavage de la figure 11,
donc cinq manières d’ajuster le pavage de $F_0$
dans le pavage de $F_4$ ;
à l’étape suivante, il y a de nouveau
cinq manières d’ajuster le pavage de $F_4$
dans le pavage de $F_8$ correspondant à la figure 12 ;
et cetera, une infinité de fois.
Dans certains cas exceptionnels,
on obtient à la limite d’abord un pavage d’un demi-plan
ou d’un secteur conique d’angle au sommet un dixième de tour ;
le pavage du demi-plan et son symétrique par rapport à la droite frontière
constituent un pavage du plan avec une symétrie de réflexion,
le pavage du secteur et neuf symétriques convenables
constituent un pavage du plan
qui possède une symétrie de rotation d’ordre cinq.
Dans les cas non exceptionnels, qui sont infiniment nombreux,
on obtient à la limite un pavage du plan tout entier
qui ne possède aucune symétrie.

[23David Austin,
Penrose tiles talk across miles, 2011.

[24Voir par exemple ce panorama,
publié en 2005 par deux cristallographes.

Les observations en laboratoire ont révélé
des quasi-cristaux produisant des images avec des symétries de rotation
d’ordres $5, 8, 10$ et $12$.

[25Voir un article de Jean-Paul Allouche,
Yves Meyer et la théorie des nombres, et surtout les références qu’il indique ;
en particulier, de Robert Moody,
Meyer sets and their duals.
Et aussi le texte d’une conférence grand public dans lequel
Yves Meyer raconte une partie de sa vie, citoyenne et scientifique.

[26Citons trois exemples hyper-connus.
(1) L’étude des coniques, très poussée chez les anciens grecs,
est superbement « motivée »
par la mécanique céleste de Kepler, Galilée et Newton.
(2) L’introduction des nombres complexes, entre le XVIe siècle et le XVIIIe,
est « motivée » par leur usage intensif en électrodynamique,
depuis le XIXe siècle.
(3) La théorie des nombres premiers,
qui a débuté il y a plusieurs millénaires,
est l’un des fondements de la cryptographie moderne,
et par exemple du cryptage des cartes de crédit.

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Pour citer cet article :

Pierre de la Harpe, Félix Kwok — «Prix Nobel de chimie, quasi-cristaux, périodicité et pavages de Penrose» — Images des Mathématiques, CNRS, 2011

Crédits image :

Image à la une - [1]
img_7003 - Les figures 6 à 11 sont reprises ou inspirées de figures faisant partie du travail de diplôme de Réza Bourquin à l’Université de Genève, achevé début 2009.
img_7013 - La figure 5 vient de http://gwydir.demon.co.uk/jo/tess/g.... Pour beaucoup d’autres pavages du plan, voir http://gwydir.demon.co.uk/jo/tess/i....
img_7036 - http://dogfeathers.com/quilt/penrose.html

Commentaire sur l'article

  • Prix Nobel de chimie, quasi-cristaux, périodicité et pavages de Penrose

    le 4 novembre 2011 à 11:20, par Pierre de la Harpe

    Plusieurs interlocuteurs nous ont demandé quelle était la motivation de Dan Shechtman pour observer l’échantillon métallique qui fut baptisé plus tard « quasi-cristal ». Nous avons transmis la question à Denis Gratias, l’un des quatre signataires de l’article de 1982. Il nous a répondu ce qui suit. Il corrige au passage une erreur de notre article sur le moyen d’observation utilisé : microscope électronique et non diffraction des rayons X.

    Les motivations initiales de Shechtman, à ce que je me souviens, étaient d’augmenter la dureté de l’aluminium par ajout d’éléments métalliques de transition (Mn, Fe, Co, Ni, etc) en effectuant une trempe rapide du bain liquide afin d’éviter une précipitation de ces éléments au moment de la solidification. C’est en augmentant la composition de Manganèse qu’il a vu apparaître une précipitation bizarre faite de dendrites se développant selon les arêtes d’un dodécaèdre … Et on connaît la suite.

    Le PRINCIPAL moyen d’observation n’était pas la diffraction des rayons X mais celle des électrons dans un microscope électronique.

    Je ne sais pas quelles étaient les motivations de Blech, qui avait déjà quitté le milieu universitaire lorsque j’ai rejoint Cahn. Les motivations de Cahn et moi étaient, à l’observation des clichés de Shechtman, de savoir s’il était possible d’obtenir sur le plan mathématique des diffractions ponctuées (Dirac) avec une symétrie quinaire, ce qui nous a conduit à la presque périodicité de Bohr et Besicovic et l’exposé de janvier à l’IHES où tout s’est rapidement débroussaillé avec Duneau et Katz.

    « L’exposé de janvier à l’IHES » fut donné par Gratias en janvier 1985 dans le cadre d’un atelier organisé par Marjorie Senechal et Louis Michel à l’Institut des Hautes Etudes Scientifiques, à Bures-sur-Yvette, près de Paris. Il existe un compte rendu, par Marjorie Senechal, disponible sur la toile http://www.iri.upc.edu/people/ros/S....

    Michel Duneau et André Katz ont proposé en 1985 un modèle théorique pour les quasicristaux. Voir Quasiperiodic patterns http://hal.archivesouvertes.fr/docs....

    Pour trouver des informations concernant les mathématiciens Bohr et Besicovic, chercher « Harald Bohr » (1887-1951) et « Abram Besicovitch » (1891-1970).

    Un article raconte les années qui ont suivi la découverte initiale de Shechtman : Les quasicristaux : quinze ans après, de nombreuses énigmes subsistent ... http://zig.onera.fr/pages_perso/Den....

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  • Prix Nobel de chimie, quasi-cristaux, périodicité et pavages de Penrose

    le 4 novembre 2011 à 11:23, par Pierre de la Harpe

    Plusieurs interlocuteurs nous ont demandé quelle était la motivation de Dan Shechtman pour observer l’échantillon métallique qui fut baptisé plus tard « quasi-cristal ». Nous avons transmis la question à Denis Gratias, l’un des quatre signataires de l’article de 1982. Il nous a répondu ce qui suit. Il corrige au passage une erreur de notre article sur le moyen d’observation utilisé : microscope électronique et non diffraction des rayons X.

    Les motivations initiales de Shechtman, à ce que je me souviens, étaient d’augmenter la dureté de l’aluminium par ajout d’éléments métalliques de transition (Mn, Fe, Co, Ni, etc) en effectuant une trempe rapide du bain liquide afin d’éviter une précipitation de ces éléments au moment de la solidification. C’est en augmentant la composition de Manganèse qu’il a vu apparaître une précipitation bizarre faite de dendrites se développant selon les arêtes d’un dodécaèdre … Et on connaît la suite.

    Le PRINCIPAL moyen d’observation n’était pas la diffraction des rayons X mais celle des électrons dans un microscope électronique.

    Je ne sais pas quelles étaient les motivations de Blech, qui avait déjà quitté le milieu universitaire lorsque j’ai rejoint Cahn. Les motivations de Cahn et moi étaient, à l’observation des clichés de Shechtman, de savoir s’il était possible d’obtenir sur le plan mathématique des diffractions ponctuées (Dirac) avec une symétrie quinaire, ce qui nous a conduit à la presque périodicité de Bohr et Besicovic et l’exposé de janvier à l’IHES où tout s’est rapidement débroussaillé avec Duneau et Katz.

    « L’exposé de janvier à l’IHES » fut donné par Gratias en janvier 1985 dans le cadre d’un atelier organisé par Marjorie Senechal et Louis Michel à l’Institut des Hautes Etudes Scientifiques, à Bures-sur-Yvette, près de Paris. Il existe un compte rendu, par Marjorie Senechal, disponible sur la toile http://www.iri.upc.edu/people/ros/S....

    Michel Duneau et André Katz ont proposé en 1985 un modèle théorique pour les quasicristaux. Voir Quasiperiodic patterns http://hal.archivesouvertes.fr/docs....

    Pour trouver des informations concernant les mathématiciens Bohr et Besicovic, chercher « Harald Bohr » (1887-1951) et « Abram Besicovitch » (1891-1970).

    Un article raconte les années qui ont suivi la découverte initiale de Shechtman : Les quasicristaux : quinze ans après, de nombreuses énigmes subsistent ... http://zig.onera.fr/pages_perso/Den....

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  • Réseaux-Structures-Cellules, plus ou moins élémentaires

    le 14 février 2012 à 10:08, par olivier Hardouin Duparc

    Commentaire par rapport à la note 5 et la phrase qui l’introduit, que je reprends ainsi : « dans un cristal idéal (en particulier si grand qu’on peut le supposer infini !), les atomes occupent les points d’un réseau périodique. [Note 5 : La description ne s’arrête bien sûr pas là. Dans de rares cas, chaque sommet du réseau correspond à un seul atome, et réciproquement.] »
    Il semble que les auteurs ont à l’esprit le réseau cubique simple, réseau pour lequel effectivement le polonium est le seul élément pouvant, dans nos conditions de température et pression naturelles, adopter cette structure avec un atome par point du réseau. Mais le mot réseau ne se limite pas au réseau cubique simple. Le cuivre, le nickel, l’argent, l’or, l’aluminium, par exemple, sont des structures atomiques où à chaque sommet du réseau, de type cubique à faces centrées (cfc), correspond un seul atome. Le fer à température ambiante correspond à un réseau de type cubique centré (cc) à un atome par point, on dit aussi ‘nœud’, du réseau. Et il y en a beaucoup d’autres ainsi. Il ne s’agit donc pas de cas rares si on prend le mot réseau dans son sens général, exact, ce réseau de Bravais (Auguste Bravais, 1811-1863). En cristallographie, et en physique des solides, on doit en principe considérer le réseau primitif, à un nœud. Par rapport au réseau cubique à faces centrées, le réseau cubique simple est un réseau multiple, de multiplicité quatre : le cube contient quatre nœuds du réseau cubique à faces centrées. Lorsque l’on considère les modes de vibration des atomes ou de propagation des électrons dans une structure cristalline donnée, on les représente toujours dans le réseau réciproque du réseau primitif de cette structure, la (première) zone de Brillouin.
    Je signale deux pièges : le carbone diamant, le silicium et le germanium adoptent la structure cubique diamant qui est une structure de réseau (primitif) cubique à faces centrées avec deux atomes par maille. Ces deux atomes, de même nature chimique, n’ont effectivement pas le même environnement spatial si on tient compte de l’orientation. On ne peut se ramener à un atome par nœud même si il n’y a qu’un seul type d’atome chimique. Autre piège : la structure hexagonale compacte, qui a la même compacité que la structure cubique à faces centrées (la compacité maximale : conjecture de Kepler démontrée par Thomas Hales) n’est pas un réseau. Elle correspond à un réseau hexagonal simple avec deux atomes par nœud alors que la structure atomique simple cubique à faces centrées, comme celle du cuivre, de l’or, etc., correspond au réseau cubique à faces centrées avec un atome par nœud. La structure hexagonale compacte, adoptée par bien des métaux (zinc, cobalt, magnésium, titane, …) a des modes de vibrations d’un type que ne peut avoir la structure cubique à faces centrées (cuivre, nickel, argent, or, …), même si les compacités sont comparables. Et le carbone diamant a des modes que le cuivre n’a pas même si leurs réseaux de Bravais sont les mêmes.
    Encore un piège ? Attention à ne pas confondre cellule (ou maille primitive) d’un réseau et cellule de Voronoï (ou domaine de Dirichlet). La cellule primitive d’un cfc est rhomboédrique. Les trois vecteurs générateurs relient un sommet du cube à chacun des centres des faces liées à ce sommet, c’est-à-dire un nœud à trois de ses plus proches voisins. (Le choix n’est pas unique, pourvu que chaque choix donne le même volume, sinon on tombe sur une maille multiple, mais la convention est de prendre trois nœuds plus proches voisins). Dans l’espace réel avec les atomes, les cellules de Voronoï sont les cellules de Wigner et Seitz, encore appelées domaines d’action de Niggli, et il y a aussi les zonoédres de Fedorov. Ces cellules ne peuvent en général pas être générées par trois vecteurs. Pour une structure atomique cfc simple, comme le cuivre, les volumes de Voronoï sont des rhombododécaèdres (dodécaèdres rhombiques). Ce sera autre chose pour la structure cubique diamant (cfc à deux atomes par maille). Le réseau réciproque d’un réseau cfc est un réseau cc, et réciproquement. Par conséquent la première zone de Brillouin d’un cc sera un dodécaèdre rhombique. Vous trouverez des illustrations dans n’importe quel bon livre de cristallographie, de physique des solides, de physique des matériaux, ou de mathématique intéressé par la cristallographie. Les domaines de Dirichlet-Voronoï, que l’on peut faire remonter à René Descartes et son modèle cosmique de ‘systèmes stellaires’ compris comme zones d’espace entourant les étoiles, ont également été re-découverts et utilisés, de manière indépendante dans d’autres domaines que les mathématiques ou la physique des solides, comme par le major Thiessen, géographe pluviologue, entre autres, mais je pense qu’il faut savoir arrêter un commentaire…
    Olivier Hardouin Duparc, chercheur à l’École polytechnique.

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