Rediffusion d’un article publié le 10 avril 2018

Qu’est-ce que la théorie ergodique ?

Piste rouge Le 29 mars 2020  - Ecrit par  Thierry de la Rue Voir les commentaires (3)

[Rediffusion d’un article publié le 10 avril 2018] A l’intersection des probabilités et de la dynamique, la théorie ergodique est un domaine de recherches toujours actif depuis sa création dans les années 1930 sous l’impulsion de John von Neumann et George Birkhoff. Nous le présentons en quelques mots et plusieurs images.

L’évolution dans le temps d’un système est souvent modélisée par une transformation $T$ agissant sur l’ensemble des états du système : si $x$ représente l’état du système à un instant donné, $T(x)$ est l’état du système à l’instant suivant.

La théorie ergodique s’intéresse au cas où la probabilité que le système soit dans un état donné est constante — on dit : invariante au cours du temps. Dans les exemples que l’on va décrire, cela correspond à la conservation de l’aire par les transformations considérées.

Translation sur le carré

Dans un plan quadrillé, on considère une translation de vecteur fixé $\vec{V}$. On ne regarde que la position d’un point dans la cellule carrée qui le contient. Voyons cela sur un exemple. Dans le plan, la translation d’un point $x$ (en bas à gauche) produit une suite de points alignés (et sortant du carré initial) :

Dans le carré, la suite ci-dessus se replie en la trajectoire suivante :

En formules

L’image $T(x)$ s’obtient en translatant $x$ par le vecteur $\vec{V}$ puis en ne conservant que la partie fractionnaire de chaque coordonnée, ou si l’on préfère en enlevant la partie entière de chaque coordonnée. En notant $\vec{a}$ et $\vec{b}$ les vecteurs unitaires horizontaux et verticaux, les premiers itérés dans l’exemple précédent sont :
\[ x, T(x)=x+\vec{V}, T^2(x)=x+2\vec{V}-\vec{a}-\vec{b},T^3(x)=x+3\vec{V}-2\vec{a}-\vec{b},\dots. \]

Suites produites par un système dynamique

On représente une observation faite sur l’état du système par une fonction $f$. On étudie la suite des observations relevées au cours du temps :

\[f(x),f(T(x)),f(T^2(x)),f(T^3(x)),\dots\]

Ici l’écriture $T^2(x)$ désigne l’itération $T(T(x))$.

Un des objectifs de la théorie ergodique est de classifier les systèmes dynamiques selon les propriétés des suites qu’ils engendrent. Sous ce rapport, une propriété fondamentale est l’ergodicité éventuelle du système.

Etre ou ne pas être ergodique

Reprenant l’exemple précédent, on peut voir que, suivant le vecteur de translation considéré, les images successives d’un point vont soit se répartir uniformément sur le carré (cas ergodique) ou bien se concentrer dans une région particulière (cas non ergodique). Voici ce qu’on obtient en traçant les 400 premiers points d’une orbite pour deux translations différentes :

Orbite ergodique (à gauche : vecteur de translation $(\sqrt{2},\sqrt{3})$) ou non-ergodique (à droite : vecteur de translation $(\tfrac{\sqrt{5}-1}2,\tfrac{3(\sqrt{5}-1)}8$).

Le théorème ergodique

Dans le cas ergodique, la moyenne temporelle de la suite des observations coïncide avec la moyenne spatiale de la fonction sur l’ensemble des états, ceci pour tout état initial $x$ en dehors d’un ensemble de probabilité (d’aire) nulle. Les mathématiciens écrivent :

\[ \lim_{N\to\infty} \frac{f(x)+f(T(x))+f(T^2(x))+f(T^3(x))+\dots+f(T^{N-1}(x))}{N} = \int f(y) dy\;\text{pour presque tout} \;x \]

C’est le théorème ergodique ponctuel, démontré par George Birkhoff en 1932 à la suite du travail pionnier de John von Neumann.

Remarquons qu’à gauche on a une somme dépendant du détail de la dynamique, qui peut être extrêmement difficile à analyser tandis qu’à droite on a une simple intégrale par rapport à la probabilité invariante. C’est la version mathématique de l’hypothèse ergodique introduite par Boltzmann en thermodynamique.

Le théorème ergodique généralise la loi des grands nombres [1] des probabilistes, selon laquelle, dans une longue suite de tirages à pile ou face, environ la moitié tombent sur face.

La transformation du boulanger

On décrit cette transformation du carré. Elle évoque le pétrissage de la pâte par le boulanger, en trois étapes :

  1. on étale le carré pour obtenir un rectangle de largeur double mais de hauteur moitié ;
  2. on coupe ce rectangle en deux ;
  3. on place le deuxième morceau au-dessus du premier pour reconstituer un carré.

Le mélange

Après un grand nombre d’itérations, l’image d’une partie initialement localisée se répartit uniformément dans le carré : on dit que la transformation du boulanger est mélangeante. Voici l’exemple d’une pomme subissant la transformation du boulanger jusqu’à 8 fois de suite :

Le lecteur astucieux pourra opposer à cela le comportement des translations présentées plus haut. L’image d’un petit cercle, même si elle visite tout le carré dans le cas ergodique, reste un petit cercle. Les translations peuvent être ergodiques mais ne sont jamais mélangeantes.

Pile ou face

Définissons $f(x)=0$ si $x$ est dans la moitié gauche du carré, $f(x)=1$ sinon. Pour un point $x$ choisi au hasard dans le carré, on peut montrer que la suite
\[f(x),f(T(x)),f(T^2(x)),\dots\]
définie par la transformation du boulanger se comporte exactement comme une suite de tirages à pile ou face.

Post-scriptum :

La théorie ergodique est en vedette dans nombre d’articles d’Images des mathématiques que l’on pourra consulter ici. On pourra aussi consulter l’article wikipedia et sa bibliographie (je me permets d’y ajouter mon ouvrage de vulgarisation : Chaos et stabilité, Le Pommier, 2005 - JB).

Textes et illustrations adaptés des posters en ligne présentant les domaines de recherches du Laboratoire de mathématiques Raphaël Salem. Le poster original est consultable ici.

La rédaction d’Images des mathématiques et l’auteur remercient Louis R. ainsi qu’un relecteur anonyme, pour leur relecture et leurs commentaires.

Article édité par Jérôme Buzzi

Notes

[1Pour être précis, le théorème de Birkhoff généralise la loi forte des grands nombres dans le cas stationnaire, c’est-à-dire où la loi du processus ne change pas au cours du temps.

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Pour citer cet article :

Thierry de la Rue — «Qu’est-ce que la théorie ergodique ?» — Images des Mathématiques, CNRS, 2020

Crédits image :

Image à la une - Images de Thierry de La Rue

Commentaire sur l'article

  • Qu’est-ce que la théorie ergodique ?

    le 14 avril 2018 à 15:21, par AITYOUSSEF ABDELKARIM

    J’ai beaucoup entendu du calcul ergpodique,et c’est l’occasion d’avoir une idée. Je trouve l’article très court et condensé.Les définitions ne sont pas préçises.

    Répondre à ce message
  • Qu’est-ce que la théorie ergodique ?

    le 22 avril 2018 à 20:19, par Denis Chadebec

    Je suis frustré car il n’y a rien de la démonstration du théorème.
    Je connais l’hypothèse ergodique, que Landau estime en général pas vraie.
    Je me permet donc de vous demander des informations ne serait-ce qu’élémentaire sur cette démonstration

    Répondre à ce message
  • Qu’est-ce que la théorie ergodique ?

    le 23 avril 2018 à 09:58, par Thierry de la Rue

    Il existe plusieurs méthodes pour démontrer le théorème ergodique de Birkhoff, mais aucune n’est élémentaire. La plus classique utilise un lemme appelé « théorème ergodique maximal », et se trouve dans de nombreux ouvrages de référence (par exemple « Ergodic Theory » de Cornfeld, Fomin, Sinai, Springer-Verlag 1982 ou « Ergodic Theory » de Karl Petersen, Cambridge University Press, 1983).
    La preuve que je préfère peut se trouver en français dans mes notes de cours de M2.

    Répondre à ce message

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