Revue de presse juillet-août 2022
El 1ro septiembre 2022 Ver los comentarios
La langue anglaise est moins exposée que la nôtre aux critiques visant les atteintes à la parité hommes-femmes. Prenez le mot mathematician: il désigne indifféremment une mathématicienne ou un mathématicien. Et l’International Congress of mathematicians (ICM) est ainsi exempt de tout reproche. Il est un peu surprenant que, jusqu’ici, on n’ait guère entendu de protestation contre la persistance de la traduction en français du titre du grand événement qui rassemble tous les quatre ans la communauté mathématique internationale: Congrès international des mathématiciens. C’est en tout cas sous cette forme qu’on le rencontre presque toujours dans les médias et dans les textes des sociétés savantes de mathématiques. Quoi qu’il en soit, ICM 2022 a bien eu lieu cet été, mais pas tout à fait comme prévu. La guerre en Ukraine avait en effet conduit les organisateurs (l’Union mathématique internationale) à renoncer à ce qu’il se tienne à Saint-Pétersbourg et à en faire une manifestation essentiellement virtuelle. Mais la tradition des médailles Fields, elle, n’a pas été affectée par ce changement et, comme tous les quatre ans, quatre mathematicians de moins de quarante ans ont reçu la médaille. Vous trouverez des détails sur les médailles Fields 2022 dans notre rubrique À l’honneur. On retiendra surtout la présence d’une femme au palmarès. Sur les 64 médailles décernées depuis l’origine (1936), celle que vient d’obtenir l’Ukrainienne Maryna Viazovska est la deuxième décernée à une femme. La première l’avait été, en 2014, à Maryam Mirzakhani (Iranienne, décédée en 2017). En effet, les 52 lauréats entre 1936 et 2010 étaient tous des hommes. Avec le cru 2022, ce sont à ce jour 64 médailles qui ont été décernées. Autre fait marquant : la médaille d’Hugo Duminil-Copin. C’est la treizième reçue par un Français. L’excellence de la recherche française en mathématiques continue ainsi d’être attestée. Mais cela ne peut cacher la misère de notre enseignement des mathématiques dans les écoles, collèges et lycées. Tout le monde, y compris maintenant le ministre de l’Éducation nationale et le président de la République, est d’accord sur ce constat d’un échec cuisant. Comme d’habitude, la rubrique Enseignement illustre abondamment cette situation. Retour timide des maths en classe de première (mais où trouver les professeurs pour les enseigner ?), revalorisation dérisoire des salaires des enseignants, Concours exceptionnel organisé en catastrophe pour titulariser des professeurs contractuels: rien de tout cela n’emporte la conviction.
L’été est propice aux jeux et aux compétitions mathématiques. 2022 n’a pas failli à la tradition et vous verrez dans la rubrique Diffusion de nombreuses évocations de ce fait.
Toutes nos autres rubriques habituelles sont au rendez-vous. Il y est question, pêle-mêle, de la délicatesse de certains nombres premiers, de l’injustice faite aux femmes de sciences en occultant leurs travaux, de l’image peu exaltante que donne le cinéma des femmes mathématiciennes, du jour le plus court de l’Histoire, de la passion de Thierry Lhermitte pour les maths, ou encore des cyclides de Dupin. Régalez-vous !
Recherche
Dans une autre catégorie de sport extrême, on se souvient de la contribution de Zeev Dvir (cinq pages, dont deux d’introduction) au problème de Kakeya sur les corps finis en 2009. Précisément, Dvir montrait alors que, étant donné $q$ une puissance d’un nombre premier et $n$ un entier naturel, un sous-ensemble de $\mathbb F_q^n$ contenant une droite affine dans chaque direction était de cardinal au moins $C_n q^n$; ce qui est lointainement analogue [4] au fait conjecturé qu’un ensemble de Kakeya dans le plan (où l’on a la place de retourner une aiguille de longueur donnée, et donc qui contient en particulier des segments dans toutes les directions) devrait être de dimension de Hausdorff maximale.
Las, cet éclair dans la nuit n’avait à l’époque pas donné suite aux progrès escomptés (bien que la méthode, dite polynômiale, ait fait des merveilles depuis).
Les choses ont changé depuis quelques années, comme le relate Kevin Hartnett dans Quanta magazine. La relève est venue de Dvir et l’un de ses étudiants, Manik Dhar, qui, dans une prépublication de 2020, obtiennent une conclusion très légèrement plus faible dans $(\mathbf Z/ N \mathbf Z)^n$ quand $N$ est sans facteur carré (l’argument est considérablement plus sophistiqué). Depuis, les progrès ont repris, mais n’englobent toujours pas le cas euclidien de la conjecture, ce qui fait douter un spécialiste à la fin de l’article de Hartnett que ce cas soit vrai, après tout.
Savez-vous ce que le nombre
\[294\, 001\]
a de particulier ?
Il s’agit d’un nombre premier délicat (en base $10$) : si l’on change l’un quelconque de ses chiffres, il perd sa primalité. En 1978, Paul Erdös a démontré qu’il existe une infinité de tels nombres premiers, et ce dans n’importe quelle base [5]. Le théorème d’Erdös a été amélioré par Tao en 2010, dans le sens suivant : les nombres premiers délicats ne sont pas seulement une infinité, ils ont une densité positive dans l’ensemble des nombres premiers : «au moins un certain pourcentage des nombres premiers est délicat.»
Récemment, la revue Mathematics of Computation a publié un article de Michael Filaseta et Jeremiah Southwick montrant qu’il existe des nombres premiers encore plus délicats, au sens où ceux-ci perdent leur primalité quand on change n’importe lequel de leur chiffre, y compris ceux que l’on ne voit pas. Expliquons-nous. Le nombre $294\, 001$ peut aussi être considéré comme
\[\ldots 0\,000\,294\, 001\]
où il y a une infinité de zéros à gauche. Il en va de même pour tout entier naturel.
Maintenant, le nombre
\[\ldots 0\,010\,294\, 001 = 10\,294\, 001\]
est premier. Le nombre $294\, 001$ n’est donc pas si gravement délicat que cela.
Il est assez surprenant que des nombres gravement délicats existent bel et bien ; c’est ce que montrent Filaseta et Southwick, sans en exhiber un seul. En vérifiant l’Encyclopédie en Ligne des Suites entières, qui contient une base de données de nombres premiers délicats, les auteurs vérifient qu’il n’y en a pas de plus petit qu’un milliard. Dans une prépublication, Jon Grantham a donné un candidat à plus de $4000$ chiffres.
Dans Quanta magazine, Patrick Honner, professeur de mathématiques à Brooklyn, relate avec talent l’histoire passionnante des nombres premiers délicats jusqu’à la découverte de Filaseta et Southwick.
Pour finir, d’autres objets mathématiques, cette fois-ci de nature plus combinatoire, mais dont l’existence ne va pas non plus de soi, bien qu’étant conjecturée par Paul Erdös depuis près de 50 ans, ont été construits par Matthew Kwan, Ashwin Sah, Mehtaab Sawhney et Michael Simkin. Il s’agit de triplets de Steiner de grand tour de taille [6] Leila Sloman en fait un compte-rendu pour Quanta magazine. Les auteurs en ont déjà déduit, dans une prépublication, une application à la construction de carrés latins.
Vie de la recherche
Le magazine Geo consacre un article aux « femmes scientifiques victimes de l’effet Matilda ». Il arrive que des personnes acquièrent reconnaissance et notoriété pour des travaux qu’elles n’ont pas été seules à mener, tandis que leurs proches qui y ont contribué restent dans l’anonymat. En 1968, le sociologue Robert King Merton a décrit ce phénomène qu’il a appelé « effet Matthieu » (référence à une phrase de l’Évangéliste). Une quinzaine d’années plus tard, l’historienne des sciences Margaret Rossiter reprend cette idée en l’appliquant spécifiquement aux femmes et aux domaines scientifiques et parle alors d’« effet Matilda », en l’honneur de la militante féministe Matilda Joslyn Gage qui, dès la fin du xixe siècle, avait dénoncé l’invisibilisation (le mot est aussi laid que ce qu’il désigne...) des femmes dans les sciences. L’article de Geo cite sept cas emblématiques de femmes injustement méconnues, en médecine, chimie, astronomie, informatique et physique. L’une d’elles a certes un nom (marital) connu, mais un prénom qui l’est moins : il s’agit de Mileva Marić, qui contribua significativement aux travaux de son Albert Einstein de mari. Est également citée la chimiste Rosalind Franklin, à qui l’on doit la découverte de la structure de l’ADN en 1953. L’article principal exposant ces résultats ne sera pourtant signé que par ses collaborateurs masculins, lesquels obtiendront de surcroît le prix Nobel de médecine en 1962, quatre ans après la mort de celle qui fut vraiment à l’origine de ces découvertes cruciales, et sans qu’ils aient un seul mot de remerciement pour elle.
- Sofja Kowalewskaja
- (1850 - 1891)
En mathématiques, on a peut-être moins d’exemples d’usurpation de paternité (ou de maternité) pour des résultats de recherche, mais beaucoup de mathématiciennes ont eu les pires difficultés à faire reconnaître leur œuvre. Que l’on songe par exemple à Sofia Kovalevskaya (à qui Michèle Audin a consacré un livre magnifique) ou à Sophie Germain, qui se fit passer pour un homme pour pouvoir entrer en contact avec des mathématiciens qui puissent juger de ses travaux. Mais si, dans ces deux cas, la reconnaissance finit quand même par arriver, il est douteux que les injustices évoquées par Geo soient réparées de sitôt.
Autre forme d’injustice dans le monde de la recherche : la publication d’articles frauduleux dans des revues scientifiques. Cela aussi, Robert Merton l’avait envisagé, en publiant en 1942 un texte où il présentait les « quatre valeurs fondamentales pour faire une science valide : la mise en commun, l’universalisme, le désintéressement et le scepticisme organisé ». Ce texte a fortement inspiré le chercheur en informatique toulousain Guillaume Cabanac, auteur d’un logiciel destiné à détecter des fraudes dans les articles de recherche publiés. Nous en avions déjà parlé dans la revue de presse de janvier dernier, au moment où ce travail lui avait valu les honneurs du magazine Nature. Le site leblob lui consacre une vidéo qui donne la parole à cet « activiste, militant d’une recherche sobre et interdisciplinaire ».
Bien sûr, il peut arriver, notamment en mathématiques, que des erreurs se glissent dans une publication sans aucune intention malveillante de l’auteur : celui-ci aura utilisé un argument incorrect sans s’en rendre compte et les relecteurs auront manqué de vigilance en vérifiant le manuscrit. Comment éviter cette situation fâcheuse ? On a espéré trouver une réponse à cette question dans un article (en anglais) de Quanta magazine intitulé How Do Mathematicians Know Their Proofs Are Correct? Espoir déçu, car, dans ce podcast, la mathématicienne Melanie Matchett Wood, professeure à Harvard, parle essentiellement des nombres premiers, son domaine de recherche. Répondant à des questions naïves du mathématicien blogueur Steven Strogatz, qui joue les candides et s’extasie devant les réponses, elle souligne la différence entre une preuve mathématique et une conviction forgée empiriquement et elle explique l’apport déterminant de la théorie des probabilités à des résultats importants en théorie des nombres. Elle fait un sort à l’idée que, partant de situations aléatoires, on ne pourrait obtenir que des résultats incertains et affirme qu’au contraire, « une des grandes beautés de la théorie des probabilités, c’est que, partant de quelque chose d’aléatoire, vous pouvez obtenir quelque chose de déterministe.
Mathématicien et cinéphile, Paolo Bellingeri s’intéresse à l’évocation des mathématiques dans les films. Il y avait consacré à l’automne dernier une jolie conférence au séminaire de l’IREM de Paris. Il revient sur ce thème dans le numéro de juillet de la Gazette de la Société mathématique de France (voir la rubrique Parutions). Il observe notamment la manière dont le cinéma met en scène les mathématiciennes et constate que « surdouées, alcooliques, suicidaires ou simplement tueuses, la fiction ne les épargne pas » !
- Maison de l’Unesco à Paris
Nous l’avions signalé dans la revue de presse du mois de janvier, l’INSMI (institut de mathématiques du CNRS), organise cette année des Assises des mathématiques, ponctuées par un colloque qui se tiendra du 14 au 16 novembre prochains à la Maison de l’UNESCO à Paris. À cette occasion, l’INSMI lance un appel à projets mathématiques baptisé « Défi mathématiques 2030 ». Les projets doivent être soumis avant le 1er octobre 2022 à minuit.
Le 10e congrès panafricain des mathématiques s’est tenu début août à Brazzaville (République du Congo). L’agence d’information d’Afrique centrale a rendu compte de cette rencontre dont le thème était « Mathématiques et défis pour le développement de l’Afrique ».
Applications
Le 29 juin dernier, la Terre a connu le jour le plus court de son histoire (à lire sur le site Fredzone). À l’inverse, l’été 2022 des sciences mathématiques a été long et riche en applications ! Au programme de cette rubrique, on trouve entre autres : une réflexion sur nos modes de scrutin, les octonions et une IA problématique.
Société et santé
On commence cette rubrique par une sélection d’applications des mathématiques au fonctionnement de l’humain (en vacances) et de ses sociétés.
Si vous revenez de vacances traumatisés par des heures d’embouteillages sur les autoroutes du sud, le site Slate vous propose un article qui vous permettra peut-être de mieux gérer les congestions routières... Un bouchon se forme à l’horizon, faut-il changer de file ? Faire une pause sur une aire de repos et attendre que le trafic reprenne ? La théorie des files d’attente, se basant sur des modèles stochastiques, apporte des réponses que nous vous laissons découvrir dans l’article !
L’arrivée de l’été coïncida cette année avec la fin de la saison électorale. Dans un court article de Sciences et Avenir, Sylvie Benzoni, directrice de l’Institut Henri Poincaré, propose une réflexion sur notre mode de scrutin. Cette problématique relève de la théorie du choix social et on peut retracer son histoire jusqu’à Condorcet. Un exemple d’alternative à notre scrutin majoritaire à deux tours est le jugement majoritaire et a été d’ailleurs mis en œuvre lors de la primaire populaire pour les dernières élections présidentielles.
Voir aussi l’ouvrage Comment être élu à tous les coups ? chez EDP Sciences par les mathématiciens Jean-Baptiste Aubin et Antoine Rolland.
Mathématiques et physique
On commence par une étonnante machine à remonter le temps développée par le mathématicien Bruno Lévy et ses collaborateurs et qui fait l’objet d’un article de France 3. Il s’agit en réalité d’un programme informatique capable de reconstituer la trajectoire de centaines de millions de galaxies en se basant sur les mathématiques du transport optimal. Entre mathématiques, physique et informatique, cette collaboration a pour but de tester les théories de la matière noire et de l’énergie noire pour ainsi mieux comprendre leur impact sur l’évolution cosmologique de notre univers.
Le site Wired met à l’honneur Cohl Furey, chercheuse à l’université de Cambridge et qui travaille sur le modèle standard des particules et sur les octonions. Ces derniers constituent une extension à huit dimensions des nombres réels, à l’image des nombres complexes qui en sont une extension à deux dimensions. Ces derniers sont utilisés en physique depuis leur découverte (traitement du signal, électronique...), mais on manquait d’une réalisation concrète des octonions dans la nature. Les recherches de Furey vont dans cette direction, et nous permettent aussi en passant de découvrir (ou redécouvrir !) les propriétés étonnantes de cet étrange ensemble de nombres où, par exemple, la multiplication n’est pas associative...
Intelligence artificielle et informatique
Deux des conférenciers invités cet été au congrès international des mathématiques (ICM) s’expriment dans les médias.
Kevin Buzzard, professeur à l’Imperial College de Londres, est l’invité de Steven Strogatz dans un podcast du magazine Quanta. Leur discussion porte sur la capacité des programmes informatiques à produire des mathématiques. Buzzard est à la tête d’une communauté de mathématiciens et d’informaticiens dont le but est d’apprendre les mathématiques au langage Lean, développé par Microsoft. Leur objectif n’est pas de produire des mathématiques, au sens de découvrir et prouver de nouveaux théorèmes, mais de vérifier des preuves publiées. De ce point de vue, Lean est un assistant de démonstration : si on lui donne une démonstration (c’est-à-dire si on la traduit dans le langage de programmation Lean), il est capable de vérifier chaque assertion en remontant jusqu’aux axiomes des mathématiques (un exemple d’axiome : «il existe un ensemble»). Comme le dit Buzzard, Lean propose donc une évaluation par les pairs «computationnelle» et est aujourd’hui capable de s’attaquer à des mathématiques de niveau recherche. En effet, le médaillé Fields Peter Scholze a lancé en 2021 l’expérience Tenseur Liquide : Scholze y mettait au défi la communauté Lean de vérifier le Théorème 9.4, un résultat clé des recherches qu’il mène avec Dustin Clausen. Cette expérience a été conclue avec succès le 15 juillet dernier.
Dans un court article publié sur le site de l’INRIA, Francis Bach, chercheur dans cet institut, nous présente un enjeu majeur de la recherche en IA future : celui de l’utilisation raisonnée des ressources. L’IA est présente à pratiquement tous les niveaux de notre société, et son utilisation grandissante pose la question de son coût énergétique. Pour réduire ce coût et atteindre progressivement une IA «frugale», il est nécessaire de comprendre au niveau théorique le fonctionnement des algorithmes d’intelligence artificielle, ce qui est l’objectif de nombreux travaux en informatique théorique. Francis Bach conclut l’article en indiquant que la réduction des coûts nécessitera aussi des compromis sur la performance des algorithmes, ce qui met en évidence deux types d’IA : une IA de la frontière, coûteuse, mais à la pointe de la recherche et des applications, et une IA du quotidien, moins sophistiquée, mais moins gourmande.
Tous les exposés de l’ICM sont disponibles sur YouTube, et donc en particulier ceux de Kevin Buzzard et de Francis Bach.
Quand on parle d’intelligence artificielle, il est difficile de ne pas évoquer la question de la conscience artificielle, voire celle de la sentience artificielle. Le site The Conversation raconte l’histoire de Blake Lemoine, ingénieur chez Google, et du chat bot LaMDA qu’il a participé à développer. Au cours d’un test, la conversation entre l’ingénieur et son programme dérive progressivement vers des questions existentielles sur la conscience et la peur de la mort... LaMDA affirme même qu’il/elle (peut-on mégenrer une IA ?) est une personne. Cette histoire, qui se termine mal pour Blake Lemoine, illustre les risques potentiels des IA de conversation ou chat bots. Ces dernières sont programmées pour maximiser la durée et la richesse de l’interaction avec les humains, et on ne peut imaginer que LaMDA ressente la peur de la mort, contrairement à ce qu’il/elle affirme. On ne peut tout de même pas s’empêcher de rapprocher LaMDA de l’intelligence HAL imaginée par Kubrick et Clarke pour 2001 l’Odyssée de l’Espace...
Enfin, mentionnons un projet commun entre l’Université de Lausanne et l’EPFL (École polytechnique fédérale de Lausanne) portant sur l’égalité de genre et la transformation numérique. L’objectif est de défendre un monde numérique plus inclusif. Le premier des trois événements annuels organisés se déroulera en septembre prochain et s’intéressera notamment aux politiques publiques et aux biais de genre.
Enseignement
Retour des maths et rentrée des classes en maths. Après une année scolaire mouvementée qui a vu le triste recul des mathématiques au lycée suite aux dernières réformes, les derniers articles du mois de juin confirment le retour annoncé de quelques heures d’enseignement de la discipline en classe de première, comme en témoigne en premier lieu la circulaire de rentrée. L’arrêté officiel est disponible sur le site du café pédagogique.
Les propos du nouveau ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye à ce sujet sont relayés par Ouest France, le Monde, le Journal des femmes et le café pédagogique. Entre autres mesures annoncées: l’augmentation du salaire mensuel des enseignants à minimum 2000 euros net et, pour l’année 2022-2023 à venir, 1h30 hebdomadaires de mathématiques proposées, à titre facultatif, aux élèves n’ayant pas choisi les maths comme enseignement de spécialité. Un retour relativement timide donc, qui devrait en principe être consolidé au cours des années suivantes. Francetvinfo résume cette séquence par un sec « tout ça pour ça ».
En attendant, sans grande surprise, peu d’élèves entrant en première se sont portés volontaires pour ces mathématiques facultatives. Francetvinfo en compte 5 à 10 % seulement dans les lycées observés et impute cela, entre autres facteurs, à l’arrivée bien tardive des informations, qui a désarçonné les lycéens comme leurs professeurs. Pour celles et ceux qui ont choisi de tenter l’aventure, une remise à niveau express s’impose, note Europe 1 : les stages de soutien ont la cote à l’approche de la rentrée.
Les discours de rentrée. De la fin du mois de juin à ces derniers jours avant la rentrée, les interventions du gouvernement concernant l’éducation se sont succédé. En plus de celle de Pap Ndiaye détaillée plus haut, la Première ministre Élisabeth Borne a annoncé la prochaine réforme de l’école dans son discours devant l’Assemblée nationale le 6 juillet, rapporte le café pédagogique.
Il y a quelques jours, c’est le président de la République qui s’adressait aux recteurs d’académie sur un mode grave, jugeant par ses propos (« Quelque chose ne marche pas dans notre organisation collective ») que le système scolaire n’est pas en bon état en France, et appelant à poursuivre le retour de l’enseignement des mathématiques au lycée. Un discours dense de nouvelles idées et de futures réformes (Le Monde, Le Point) : plus d’autonomie locale, refonte de la voie professionnelle et de la formation initiale des professeurs ; tout cela laisse sceptiques les syndicats, qui y voient des annonces creuses et réclament tout simplement davantage de fonds, note Le Monde.
Cette rentrée scolaire s’annonce en tout cas difficile, dans le contexte d’une « crise d’attractivité sans précédent » (France Info) qui voit pas moins de 4000 postes d’enseignant.e.s non pourvus au concours et un recours massif à des contractuels précaires, formés à la va-vite (Le Monde, France Info) pour pallier ce manque béant. C’est d’ailleurs en mathématiques que l’attractivité semble la plus faible, relève France Info : seulement 1,9 candidat par place au Capes de maths sur la période 2019-2021, à comparer avec la moyenne toutes disciplines confondues (3,3). Parmi les candidats non admis aux concours cette années, plusieurs se sont plaints d’avoir été pénalisés par la nouvelle épreuve de « connaissance du système éducatif », commune à toutes les disciplines pour le recrutement des enseignants du premier comme du second degré. Le Figaro (accès restreint) a recueilli plusieurs témoignages de candidats qui considèrent que les sujets étaient «piégeux», que la façon d’évaluer l’épreuve était aléatoire et que, sur des sujets particulièrement sensibles (laïcité, harcèlement, homophobie, sexualité...), le jury les mettaient en difficulté. Une pétition de protestation a circulé mais on ignore les suites qui lui auraient été données. Le ministère n’a pas répondu aux sollicitations du Figaro.
M. Ndiaye a annoncé un « concours exceptionnel de titularisation » en 2023 pour redresser la barre, notent France Info et Le Monde. Mais cela n’a pas semblé soulever l’enthousiasme des syndicats d’enseignants: même le SNALC, pourtant très modéré, a estimé que «ça ne résoudra pas le problème» d’attractivité du métier, et que ce concours de titularisation d’enseignants contractuels au printemps 2023 «ne peut pas remplacer le concours» du Capes de l’Éducation nationale.
Baisse du niveau. « Le niveau en maths baisse en France », un refrain entendu depuis bien longtemps, mais qui s’est fait assourdissant au cours des derniers mois, suite aux piètres résultats des élèves français à l’enquête internationale TIMMS, et à ceux tout aussi piètres du test de positionnement des élèves de seconde réalisé en 2021, dont les résultats ont été mis en ligne sur le site de l’Éducation nationale. L’Express rappelle quelques chiffres accablants : depuis la réforme, le nombre d’élèves n’ayant plus de mathématiques dans leur emploi du temps en terminale a plus que triplé, tandis que seul un élève de sixième sur cinq sait placer « 1/2 » sur une ligne numérique. Télérama enfonce le clou en décrivant le désarroi des médias français découvrant que les élèves ukrainiens réfugiés en France sont bien plus à l’aise en maths que leurs camarades français (nous avions évoqué ce fait dans notre revue de presse du mois de mai).
La litanie continue ainsi. Trois « grands patrons », DG d’Orange et de Thales et PDG de Pernod-Ricard, poussent un « cri d’alarme » dans L’Express, faisant part de leur perplexité face à la baisse d’attractivité des maths dans un monde où leur importance augmente sans cesse. Le mathématicien Martin Andler parle de la baisse du niveau mesurée par les récentes enquêtes comme d’une « très, très, très mauvaise nouvelle » sur France TV info, et qualifie le timoré retour des maths en classe de première de « sparadrap ».
Sur Mediapart, le sociologue Michel Fize juge les mathématiques « en perdition », prenant tout de même un peu de recul pour rappeler que tirer les sonnettes d’alarme ne date pas d’hier : ainsi « dès 1959, la presse commençait à évoquer ces centaines d’élèves de 6ème et 5ème qui n’avaient pas acquis au primaire les automatismes de base du calcul ». Pour l’auteur du billet, la création de la filière S en 1995 avait permis un enrayement relatif du déclin de la discipline, avant la débâcle de la dernière réforme.
Enfin, dans Le Point, une tribune un brin mélodramatique de Pierre Fontaine (présenté comme « centralien et conseiller municipal de Versailles ») proclame qu’enrayer la baisse du niveau est une « question de survie pour la France », louant la clairvoyance en matière d’éducation de la IIIe République et de Charles de Gaulle, et rappelant que nous sommes une « nation de mathématiciens » — et Charlie Hebdo de renchérir : « un pays sans maths est un pays qui part à vau-l’eau ».
Tous pointent du doigt les problèmes identifiés de longue date lorsque le sujet de l’enseignement des mathématiques est abordé : l’utilisation regrettable des mathématiques comme d’un outil de sélection, le désintérêt des élèves, le manque d’attractivité croissant du métier de professeur, et le creusement du fossé entre les performances brillantes des excellents mathématiciens français (brassées de médailles Fields à l’appui) et le marasme général dans lequel se trouve la matière dans le secondaire.
Alors, quelles solutions apporter ? Une docteure en sciences réclame des méthodes d’apprentissage plus « concrètes » dans Les Échos — apprendre la géométrie en cours d’EPS et les statistiques en cours de géographie, une idée tout à fait révolutionnaire. Dans le même journal, le Canada est mis à l’honneur car il caracole dans la tête du classement en maths dans la dernière enquête Pisa, grâce semble-t-il à une grande autonomie des enseignants, une culture de l’égalité des chances et des approches ludiques à l’école maternelle. Le journal québécois Le Devoir en donne une illustration en décrivant les méthodes d’introduction au concept de nombre pour les jeunes enfants, vitale pour leur apprentissage futur des mathématiques.
Pour Le Point, qui donne la parole au professeur de sciences cognitives Stanislas Dehaene, cet apprentissage commence pratiquement à la naissance et suggère donc que « nous avons tous la bosse des maths », contrairement à une idée largement répandue. David C. Geary, chercheur en psychologie cognitive interviewé dans l’Express, ajoute que si des différences innées d’inclination pour les maths peuvent exister entre les individus — par exemple le fameux QI, elles s’effacent progressivement devant l’importance des acquis — en clair, c’est en révisant ce qu’on a appris à l’école qu’on progresse, et pas en touchant sa « bosse des maths ».
De son côté, L’Express plaide en faveur de la « méthode Singapour », mise en place dans le pays du même nom dans les années 1980 avec d’excellents résultats, et qui met l’accent sur des aspects ludiques, une compréhension des concepts en profondeur et un soin à ne pas stigmatiser l’erreur. L’article rappelle toutefois la difficulté de calquer dans son pays les méthodes éducatives d’un autre si on néglige les différences sociétales. Sans aller chercher si loin, on notera le document publié par l’académie de Nantes qui explore le rôle de l’oral dans l’apprentissage des mathématiques.
Classement de Shanghaï. Le mois d’août est aussi celui de la sortie du célèbre classement de Shanghaï. Mais l’édition 2022 intervient après que plusieurs importantes universités chinoises ont annoncé qu’elles renonçaient à figurer dans ce classement (voir Le Monde (accès restreint) et The Conversation). Cela ne manquera pas d’entacher encore plus une crédibilité déjà largement contestée. Les années précédentes ont été marquées par l’entrée triomphale d’établissements français dans le haut du panier, rendue possible par la fondation des grands regroupements d’universités et de grandes écoles. Ainsi, en 2020, l’université Paris-Saclay prenait la première place mondiale en mathématiques.
Cette année, les membres du trio de tête (Paris-Saclay, PSL, Sorbonne Universités) perdent quelques places au classement global, relève l’Internaute. On retrouve par ailleurs ce même tiercé, dans le désordre, dans l’autre classement THE décortiqué par Business-cool. Scrutant le classement de Shanghaï pour les seules mathématiques, L’Express se réjouit de la première place conservée par Paris-Saclay et de la présence de 36 établissements français dans le top 500, marqueur de l’excellence de la recherche mathématique française. Ces bons résultats dans un classement si médiatisé assurent l’attractivité de nos universités à l’international. Emmanuel Trélat, directeur du LJLL (Laboratoire Jacques-Louis Lions, Sorbonne Université et Université Paris Cité), interrogé par le journal, rappelle cependant que ce podium caractérise essentiellement la qualité de la recherche, et qu’il est un « arbre qui cache une forêt pas très belle », faisant allusion aux difficultés du monde universitaire français et au creusement des inégalités, fréquemment abordées dans ces lignes. Un point de vue partagé par cet article de France 24, qui adresse les critiques habituelles à ce classement de référence : des critères arbitraires, qui tendent simplement à mesurer la richesse financière d’un établissement.
Divers. Comme d’usage, félicitons tou.te.s les bachelier.e.s de la promotion 2022 ! Certain.e.s d’entre eux et elles ont attiré l’attention des journaux locaux par leurs résultats brillants en mathématiques : ainsi, Paul (dans la Dépêche), Marie-Jeanne (dans Le Télégramme) et Zaccharie et Azeline (dans dans Ouest-France ont obtenu 20/20.
Peut-être ces têtes bien pleines intégreront-elles Polytechnique dans quelques années, suivant les pas historiques de leurs sept aînées qui, il y a de cela cinquante ans, furent les premières femmes à être admises dans cette prestigieuse école. Libération interviewe l’une d’entre elles, Dominique Senequier ; l’occasion de rappeler que la parité est encore loin d’être atteinte, un demi-siècle plus tard !
À l’approche de la rentrée universitaire, une information moins réjouissante est relayée par Sud-Ouest et France 3 : les frais de rentrée pour les étudiants (incluant les frais de scolarité mais aussi le coût de la vie) ont augmenté de 7% en l’espace d’un an, selon la Fédération des associations générales étudiantes. Une flambée des prix dramatique pour les étudiants, nombreux à vivre déjà dans une grande précarité.
Au-delà de nos frontières, le journal ivoirien Fratmat rapporte la création d’une « classe étoile » en maths-info à l’université de Cocody ; comme ses homonymes dans les classes préparatoires françaises, cette classe rassemblera les meilleurs élèves de la promo avec pour objectif de les faire intégrer de prestigieuses écoles d’ingénieur en France.
À l’honneur
Nous mettons tout d’abord à l’honneur les quatre médaillé·e·s Fields du congrès ICM 2022.
James Maynard
- James Maynard
Le benjamin du grand cru 2022 de mathématiciens et mathématiciennes est le professeur d’Oxford James Maynard. Spécialiste de la théorie analytique des nombres, il est particulièrement intéressé par les écarts entre deux nombres premiers consécutifs. Il confie notamment à Philippe Pajot pour Sciences et Avenir qu’il réfléchit depuis longtemps à la preuve de la conjecture sur l’existence d’une infinité de nombres premiers jumeaux, c’est-à-dire dont l’écart est égal à deux (dont, cela ne lui aura pas échappé, les facteurs premiers de son âge de $35 = 5 × 7$ ans fournit un bel exemple). En ce sens, il démontre pendant son postdoctorat deux conjectures, ce qui provoque l’admiration de son directeur Andrew Granville, cité par Le Devoir: « C’était absolument magnifique ! Peut-être l’idée la plus intéressante que j’ai vue de ma carrière ». En 2019, il s’est également attaqué à l’approche des nombres réels par les rationnels, même si les nombres premiers restent son sujet de prédilection, vers lequel il promet à Sciences et Avenir de retourner bientôt.
June Huh
L’ICM 2022 a consacré pour la première fois le travail d’un mathématicien d’origine sud-coréenne: June Huh, 39 ans, professeur à Princeton et spécialiste des questions ayant trait à la combinatoire algébrique. La presse coréenne met sans surprise en avant les origines ou le lieu d’exercice du mathématicien et l’accueil de cette nouvelle dans les pays concernés, à ce sujet voir par exemple l’article de juillet de KBS ainsi que celui de septembre: «tout le milieu académique sud-coréen, [...] y voit une preuve de l’excellence de l’enseignement et de la recherche du pays du Matin clair en mathématiques, étant donné que, bien que de nationalité américaine, [Huh] a fait la quasi-totalité de ses études, du primaire à l’université, sur la terre de ses origines». Share America prend le parti de dresser un portrait sobre du mathématicien, en évoquant rapidement ses débuts mathématiques contrariés, lui laissant la responsabilité de ses déclarations : «“J’étais plutôt bon élève dans la plupart des matières, sauf en maths”, confie June Huh au New York Times. “En maths, j’étais franchement médiocre, dans l’ensemble, c’est-à-dire que sur certains tests, je me débrouillais assez bien. Mais sur d’autres, c’était vraiment juste”», avant d’évoquer rapidement les grandes étapes de sa carrière et ses travaux principaux.
- June Huh
- Photo prise lors de l’ICM de 2018 à Rio de Janeiro
Des portraits plus fouillés et riches en mathématiques sont à lire dans Quanta Magazine (en anglais) et Sciences et Avenir (pour les lecteurs et lectrices non anglophones). Soulignons le travail pédagogique impressionnant fournit par le magazine anglophone pour proposer une description de l’essence mathématique des travaux du lauréat. Il ressort du portrait l’acceptation du temps long et de la contemplation. Huh ne cache ni ses errements universitaires (il voulait être poète, avant de se tourner vers l’astronomie et la physique, et enfin les mathématiques, son profil atypique lui a valu beaucoup d’échecs dans ses premières candidatures doctorales), ni le poids des rencontres dans sa vie professionnelle (il est arrivé aux mathématiques après avoir suivi un cours du mathématicien japonais Heisuke Hironaka, lui-même médaillé Fields en 1970), ni ses doutes: interrogé sur son ressenti à l’annonce de son prix, il répond: «ce n’était pas un si bon moment que ça. [...] Je suis un mathématicien raisonnablement bon mais est-ce que je mérite une Médaille Fields?» [7]. Cette approche du monde et des mathématiques auraient contribué pour beaucoup à ses découvertes récentes. Quanta et Sciences et Avenir reviennent sur son objet d’étude privilégié: le matroïde, entité mathématique abstraite qui rend compte d’une notion de dépendance dans divers contextes. Parmi les contributions notables de June Huh, citons sa preuve de la conjecture de Reads au cours de ses années doctorales, qui porte sur certaines propriétés de polynômes spécifiques associés à des graphes, celle de la conjecture de Rota, celle de Dowling-Wilson et la conjecture forte de Mason, toutes trois impliquant l’étude des matroïdes.
Maryna Viazovska
Maryna Viazovska, 37 ans, native de Kiev et professeure à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), est la seconde femme récipiendaire de la médaille Fields, après Maryam Mirzakhani en 2014. On trouvera un portait de la mathématicienne par son institution.
- Maryna Wiazovska
En 2016, Viazovska résolvait le problème célèbre de l’empilement des sphères dans l’espace euclidien de dimension 8, puis, quelques semaines plus tard, en dimension 24. Nous renvoyons les mathématicien·n·es au texte du séminaire Bourbaki de Joseph Oesterlé en juin 2017 dédié à ces travaux. A voir également, la laudatio de Viazovska par Henry Cohn (en anglais).
David Larousserie dans le Monde (lecture réservée aux abonné·e·s) retrace le parcours de Viazovska, de son doctorat en Allemagne à son arrivée à l’EPFL en passant par ses séjours postdoctoraux à Berlin et Princeton. En Belgique, La Libre produit un portrait plus long suivant un angle différent, reprenant des passages du discours de la lauréate.
On trouve enfin quelques échos dans la presse régionale, notamment dans Sud-Ouest et dans Var-matin.
Hugo Duminil-Copin
Comme le rappelle Le Monde, Hugo Duminil-Copin est le treizième récipiendaire Français de la médaille Fields. Le professeur à l’université de Genève et à l’IHES travaille en théorie des probabilités et en physique mathématique.
Une longue entrevue produite par l’IHES est retransmise sur le site de Futura-Science.
On y apprend qu’Hugo Duminil-Copin a grandi à Bures-sur-Yvettes, bien avant d’y être professeur permanent.
A la suite de la médaille Fields, le mathématicien s’est montré plutôt accessible pour les médias francophones et enthousiaste au sujet des mathématiques, accordant une interview pour la radio RTL et le journal Le Point. On trouve aussi des portraits dans l’Usine Nouvelle (qui s’interroge sur l’applicabilité ou non de ses recherches) ainsi que le site Techno Science.
Les autres récompenses de l’ICM
La prestigieuse médaille Fields est certainement le prix mathématique le plus connu, mais l’IMU remet d’autres distinctions lors du congrès international des mathématiciens : la médaille Abacus (première édition en 2022) qui remplace le prix Rolf Nevanlinna, le prix Carl Friedrich Gauss, la médaille Chern, le prix Leelavati et la Conférence Emmy Noether qui récompense les femmes qui ont apporté des contributions fondamentales et décisives aux mathématiques.
En 2022, le prix Leelavati, qui «récompense un travail exceptionnel de sensibilisation du public aux mathématiques», a été attribué à Nikolai Andreev «pour sa contribution à l’art de l’animation mathématique et de la construction de modèles mathématiques» ainsi que pour ses efforts inlassables pour vulgariser les mathématiques avec des vidéos, des conférences et un livre primé (voir la citation ici). La vidéo présentée lors de la cérémonie d’ouverture en juillet est en ligne ici. Son site Études Mathématiques, d’une richesse exceptionnelle, avait déjà reçu divers prix dont, en 2017, la médaille d’or de l’Académie des sciences de Russie. Il invite son public à construire des modèles et faire des mathématiques «avec la tête et les mains». Ce projet «est un trésor de vidéos d’animation, accessible à tous gratuitement» écrit Tadashi Tokieda dans son éloge.
Leelavati est le nom d’un traité indien de problèmes d’arithmétique du xiie siècle dû à Bhāskara II. Ce traité a été la principale source d’apprentissage de l’arithmétique et de l’algèbre dans l’Inde médiévale. Le premier récipiendaire du prix, en 2010, était Simon Singh. L’idée d’attribuer un prix spécifique pour la popularisation des mathématiques a ensuite été reconduite à chaque congrès.
Autres récompenses
Outre ces récompenses prestigieuses, l’été fut rempli d’autres honneurs dans la communauté mathématique. À commencer par les prix D’Alembert et Jacqueline Ferrand 2022, remis tous les deux ans et dont les lauréats ont été annoncés le 15 juin 2022. Le Prix Jacqueline Ferrand, pour commencer, récompense une "opération pédagogique innovante dans le domaine des mathématiques”, selon les mots de la SMF. Il a été remis cette année à Sign’Maths, un groupe de recherche de l’université Paul Sabatier à Toulouse qui travaille à l’inclusion des personnes malentendantes dans l’enseignement des mathématiques. Ses membres ont créé un glossaire en langue des signes, où une vidéo permet d’apprendre à exprimer chaque terme mathématique. Le Prix d’Alembert, lui, est remis à un projet de diffusion des mathématiques. C’est Marie Lhuissier qui en a été lauréate, pour les contes mathématiques qu’elle écrit et raconte dans le but d’aborder autrement cette discipline.
En juin 2022, le mathématicien Ousmane Koutou et la mathématicienne Winnie Ossete ont reçu le Prix Ibini, remis tous les deux ans à des chercheurs et chercheuses en mathématiques d’Afrique Centrale ou d’Afrique de l’Ouest. Le média burkinabé Lefaso.net souligne la première distinction d’un chercheur du Burkina Faso par le Prix Ibini.
Chaque année, l’institut de recherche suisse ETH Zurich remet le prix Rössler à l’un ou l’une de ses professeur.es prometteur.euses. Tanja Stadler en est la lauréate 2022, elle est mathématicienne et biostatisticienne. Comme l’écrit le quotidien suisse 24 Heures, elle est récompensée pour ses recherches sur la propagation d’une épidémie, notamment celle du Covid-19.
À la fin du mois de juillet, le CNRS a dévoilé le nom des membres du conseil consultatif Afrique-CNRS, qui a pour but de renforcer le partenariat scientifique entre les continents africain et européen. Parmi les membres, le mathématicien Jonathan Mboyo Esole, né en République démocratique du Congo, qui, après des études en Europe, travaille aujourd’hui à l’Université de l’Est aux États-Unis sur la théorie des cordes et accorde une importance particulière à l’éducation des jeunes filles congolaises. Les autres scientifiques concernés sont à retrouver sur le site du CNRS.
La jeunesse à l’honneur
Cet été, les jeunes matheu.x.ses sont à l’honneur! Félicitations à tou.te.s et on espère les retrouver sur les bancs des facultés de mathématiques dans quelques années.
À commencer par Amélie Triqueneaux qui décroche, à 17 ans, la médaille de bronze aux Olympiades européennes des mathématiques et ceci pour la deuxième fois consécutive. Elle avoue à Place Gre’net se sentir découragée en tant que fille dans les mathématiques. Cette compétition est alors l’un des leviers qui l’encouragent à persévérer.
À Bressuire, une commune des Deux-Sèvres (Nouvelle-Aquitaine), deux frères âgés de 12 et 14 ans ont été sélectionnés pour la finale du championnat international des Jeux mathématiques et logiques, qui a eu lieu les 26 et 27 août à Lausanne en Suisse, rapporte Le Courrier de l’Ouest (voir aussi la rubrique Diffusion).
Nous avons à plusieurs reprises évoqué dans cette revue de presse Récoltes et Semailles, les travaux ou la vie d’Alexandre Grothendieck. Signalons le portrait écrit par Antonio Fischetti pour le numéro spécial de Charlie Hebdo, Les forçats de la liberté. Il dépeint ce génie des mathématiques et écologiste avant l’heure, qui a mis un point d’honneur à défendre ses valeurs tout au long de sa vie.
Après Charlie Hebdo avec Alexandre Grothendieck, c’est au tour de Libération de mettre en avant dans ses lignes un mathématicien hors du commun : Grigori Perelman, qui a résolu l’un des sept “problèmes du prix du millénaire”, la conjecture de Poincaré, mais a refusé le million de dollars du prix.
L’Ecole d’été et la ville de Saint-Flour
D’ordinaire c’est l’humain qui est à l’honneur dans cette rubrique. Mais c’est un lieu que célèbre le quotidien La Montagne, en mettant en lumière la ville de Saint-Flour dans le Cantal, "mondialement connue” par la communauté mathématique pour son école d’été de probabilités. Rappelons que cette école avait été créée à l’initiative du mathématicien Paul-Louis Hennequin, décédé au printemps (voir notre revue de presse de mai).
Diffusion
CONCOURS
Les Olympiades de mathématiques ont pu mettre à l’honneur de nombreux élèves un peu partout dans le monde. Le concours international s’est déroulé mi-juillet à Oslo, en Norvège. Parmi les 104 équipes y participant, certaines performances ne sont pas passées inaperçues. Celle des lycéens vietnamiens dont le pays se classe en 4ème position. Celle de l’algérien Mohamed Wacyl Meddour qui remporte une médaille de bronze. Ou encore celle de Yasmine Zahi, surnommée «la reine d’Afrique en mathématiques». Du côté du concours national, la cérémonie de remise des prix des Olympiades en France a eu lieu en juin dernier. Comme l’indique cet article de Ouest-France ce ne sont pas moins de six élèves du Lycée de l’Elorn à Landerneau qui ont été récompensés.
Attardons-nous sur deux belles statistiques du concours Kangourou. Au collège Jean-Rostand à Bellerive-sur-Allier, la forte participation démontre bien que «Les collégiens aiment les maths». Le lycée n’est pas en reste non plus. À Montpellier, 35 élèves «ont réussi à se démarquer et à se classer parmi les meilleurs de France lors d’épreuves complexes» comme le note cet article du Métropolitain.
Toutes les raisons sont bonnes pour participer à un concours. Au championnat international des jeux mathématiques et logiques, on peut y aller en famille, comme les frères Jorix et Félix ou simplement «pour s’amuser», comme ce lycéen de Royan !
- Des participants heureux !
Le championnat international de jeux mathématiques n’est pas récent. La trente-sixième édition a été organisée les 26 et 27 août à Lausanne par la dynamique Fédération suisse de jeux mathématiques, après deux ans de championnat en «distanciel». Près de 400 participants (âgés de 10 à ... 80 ans !) et venant de douze pays différents (répartis sur trois continents) se sont retrouvés à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), qui avait mis pour l’occasion ses locaux et son infrastructure à la disposition des organisateurs. Seuls les Ukrainiens ont, malheureusement, participé à distance...
De nombreux articles (dans la presse suisse et française surtout) ont annoncé et suivi l’événement. 24 heures, par exemple, parle de «Deux jours de fête autour des maths et de la logique» et annonce que «Le monde entier jouera aux maths samedi» ! «Voir les maths comme un jeu, c’est possible» affirme France Inter. Entre deux séries d’épreuves, participants et accompagnateurs pouvaient suivre des ateliers de jeux, de robotique, visiter des laboratoires, découvrir le jeu de Hex (un tournoi était organisé par le CIJM), assister à un spectacle de chimie... D’autre part, le premier soir, les différents problèmes de la journée sont analysés et discutés (c’est le «rama») avec le public. Une vraie fête !
Soulignons que cette compétition offre des spécificités uniques dans le paysage de la diffusion. Si scolaires et étudiants sont plus particulièrement ciblés, avec des catégories allant du CE au L2, le grand public peut aussi participer, sans limite d’âge ! Ceux qui n’ont pas pu passer les différentes étapes de la sélection (réparties sur une année) ont tout de même la possibilité de s’inscrire à un «concours parallèle».
La durée de la compétition s’échelonne d’une heure à trois heures selon la catégorie. Tous les concurrents ont les mêmes énoncés (et la même grille de réponses) soit 18 problèmes au total. Les cinq premières énigmes sont communes à toutes les catégories. Ensuite le nombre de réponses à donner dépend de la catégorie, les L2 (étudiants) et HC («Haute Compétition») étant les seuls qui doivent traiter (si possible !) la totalité des énoncés. Ceux-ci sont élaborés par un jury de la fédération, mais n’importe qui peut soumettre un énoncé.
Le temps mis par les candidats permet de départager les ex aequo et les résultats sont publiés par catégorie avec mention du pays d’origine.
Rendez-vous pour la prochaine édition les 25 et 26 août 2023 à Wrocław, en Pologne. En attendant, si cela vous tente, vous trouverez dans les archives la collection des énoncés (avec les réponses) pour vous amuser ou vous entraîner.
Revenons enfin sur la finale nationale du concours Ma Thèse en 180 secondes qui a eu lieu le 31 mai à Lyon. Lors de cette épreuve d’éloquence, des doctorants doivent présenter leur thèse de façon accessible au grand public, le tout en seulement trois minutes ! Parmi eux, un mathématicien, Oscar Cosserat, s’est vu décerner le deuxième prix du Jury pour sa superbe présentation sur la géométrie de Poisson. Pour vivre ou revivre cet exposé, c’est ici : 2ème prix du jury – Oscar COSSERAT – Finale nationale 2022.
JEUX
Du côté des plus petits, c’est vers KIDAIA que nous braquons les projecteurs. Cette plateforme d’apprentissage des mathématiques en ligne ravira les élèves du CP au CM2. Dans le même ordre d’idée, nous retrouvons aussi la plateforme Calculatice qui propose «des jeux mathématiques pour s’entraîner au calcul mental». Et pour les plus grands, c’est du côté de la Nintendo Switch et des jeux mobiles que nous trouverons notre bonheur ! Voici une sélection de «jeux de maths sympas».
Enfin, vous connaissez probablement le Rubik’s Cube. Ce cube multicolore, assemblage de 27 cubes plus petits, s’avère être un véritable casse-tête à résoudre. Inventé dans les années 70, la légende raconte qu’il aurait été créé à la base pour aider des étudiants… Cet article de Neozone nous le raconte.
ART ET CULTURE
Toujours dans le domaine artistique, Stéphane Ruellan a animé un atelier créatif début août à Fégréac. Comprendre comment se gonflent des ballons n’est ni plus ni moins qu’un problème mathématique. Comme il le dit dans cet article de Ouest-France : «C’est pour apprendre à comprendre comment on parvient à créer des ballons de grandes envergures et de diverses formes». Une activité bien pensée pour appliquer les mathématiques de manière ludique.
Au niveau des animations, les maths sont toujours présentes. Par exemple à Clermont-Ferrand, Nacim Harireche animait des ateliers en plein air pour «se réconcilier avec les maths et les sciences». Du côté de Beaumont-de-Lomagne, fin septembre, se tiendra l’Équation des Arts et du Patrimoine au Pôle culturel Fermat. Pendant quelques jours, les mathématiques s’allieront avec la danse contemporaine.
Qui dit culture, dit aussi Palais de la Découverte. Celui-ci est toujours en rénovation, mais dans le 15e arrondissement de Paris «une structure éphémère [...] présente une grande variété d’animations scientifiques à destination du public scolaire et du grand public». Parmi les questions posées du côté des mathématiques, une a particulièrement attiré notre attention : «Connaissez-vous la seule méthode validée mathématiquement pour faire vos lacets en 1 seconde ?». Si ça vous donne envie, alors rendez-vous aux Étincelles du Palais de la découverte !
L’humour est aussi un bon moyen pour vulgariser. C’est ce qu’utilise le prof Manu dans son spectacle Very Math Trip. Un «one math show» à ne pas manquer !
Enfin, terminons sur cette initiative osée mais payante de l’enseignant Sylvain Duclos. À la suite de la pandémie et des cours en distanciel, il a eu l’idée de vulgariser les mathématiques via le réseau social Tik Tok. Nous vous laissons vous aussi découvrir comment «rendre les mathématiques attrayantes avec Tik Tok» !
Parutions
C’est rare, mais ces derniers temps plusieurs journaux à grande diffusion font leur première de couverture sur les maths.
Fin juin l’hebdomadaire L’Express s’inquiétait de la baisse des compétences des élèves français et de ses conséquences à plus ou moins long terme. L’œil de l’express titrait «Une nation où les maths déclinent perd en concorde et en puissance» pour annoncer un dossier de cinq articles consacrés au sujet. L’intérêt pour les mathématiques est largement souligné, tant pour l’importance des mathématiques dans le monde moderne que pour la formation intellectuelle des jeunes. Tout en présentant une analyse du recul des performances des élèves français «depuis trente-cinq ans», la journaliste Amandine Hirou estime que tout n’est pas perdu, mais «il faut agir et vite !». La méthode de Singapour est analysée, mais avec des réserves : «Attention à ne pas idéaliser le cas de Singapour où la pression des élèves est énorme». La parole est ensuite donnée à trois dirigeants de grands groupes français qui soulignent que l’enseignement des mathématiques est «un enjeu crucial pour le développement intellectuel et psychique des générations à venir» et «un outillage critique pour les préserver d’un scepticisme délétère». La parole est aussi donnée à l’acteur Thierry Lhermitte. Au lycée seules les mathématiques l’intéressaient et il a gardé cette passion. «La baisse de niveau de l’homme de la rue c’est un carburant à la crédulité». Il insiste sur l’importance de la diffusion de la culture mathématique, les livres, BD (comme Logicomix) qui parlent des mathématiques, des sites internet (il fait l’éloge de L’Ile logique son préféré). Globalement un «dossier plaidoyer» bien construit pour éclairer le grand public ou ceux qui ont une image «restrictive» des mathématiques.
Plus inattendu : le numéro de fin aout - début septembre de Télérama met les maths en une avec en titre : «Matière redoutée, manque de profs ... : Pourquoi les maths sont un casse-tête». Le texte est écrit sur un tableau complètement rempli de formules et de figures géométriques.
Ce n’est pas un hasard si cet article sort la semaine de la rentrée. Il fait à la fois une synthèse et une piqûre de rappel des problèmes actuels largement débattus ces derniers mois (évoqués dans les différentes rubriques «Enseignement» de ce site ces derniers mois). Les résultats des jeunes Français dans les évaluations internationales, la diminution du nombre de filles dans les filières scientifique, la chute des effectifs dans les options maths au lycée, l’ascenseur social de plus en plus défaillant, le manque d’attractivité des concours de recrutement ... «La France produit des élites en mathématiques mais échoue à former le plus grand nombre». C’est un état des lieux qui s’appuie, entre autres, sur les constats et points de vue de Louise Nyssen et Mélanie Guenais (Société Mathématique de France), de Xavier Sorbe (inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche, président du CAPES), de Denis Choimet (Union des professeurs de classes préparatoires scientifiques), de Claire Piolti-Lamorthe (Association des Professeurs de Mathématiques de l’Enseignement Public). L’impact d’un tel article dans un magazine grand public qui tire à
plus de cinq-cent-mille exemplaires chaque semaine devrait être très fort ...
Epsiloon, le nouveau magazine d’actualité scientifique, vient de sortir son troisième numéro hors-série titré : Infini ; Il est partout. (On pourrait ajouter : et même dans le logo !). Un numéro agréable à lire, bien illustré dans lequel le mot infini sert de fil directeur pour faire voyager le lecteur dans toutes les facettes de la science en cours de développement. Le lecteur trouvera une moisson d’actualités scientifiques récentes sous la forme de «flashs» brefs et faciles à lire. En finale un abécédaire de l’infini en neuf mots, plein d’humour, et qui va d’astronaute à zéro en passant bien sûr par «epsilon» termine le numéro. Les questionnements qui émergent sur la forme de l’univers depuis les récentes avancées de l’astrophysique et la mesure d’une «minuscule courbure montrant qu’il serait en fait sphérique» sont évoqués dans un article un peu plus consistant. L’infini des mathématiciens est plus difficile à traiter dans les formats adoptés par la rédaction. Un article, «Le grand retour du troisième infini» aborde cependant la question.
Ce numéro a été, semble-t-il, été bien accueilli par le public (comme du reste l’ensemble des numéros du magazine). Dans son blog, Pierre Carrée, Claire Lommé n’hésite pas à écrire : «Cela fait un bout de temps que je n’avais pas lu un magazine en entier d’une traite : j’ai vraiment aimé cette lecture». Elle parle plus particulièrement des articles qui lui ont donné des idées d’activités avec ses élèves.
Vous trouverez dans le numéro d’août de Pour la Science deux articles en lien avec la préhistoire des mathématiques. Depuis quand savons-nous compter ? pose la question de l’origine des premières ébauches de la notion de nombre avec la découverte d’incisions régulières gravées sur un os de hyène il y a plusieurs dizaines de milliers d’années. C’est la version française d’un article, How Did Neanderthals and Other Ancient Humans Learn to Count?, publié dans le Scientific American il y a an par le journaliste scientifique Colin Barras. Des hypothèses fascinantes, avancées avec la plus grande prudence par les paléoanthropologues, qui feront peut-être reculer la date de naissance des mathématiques! L’article est suivi d’un entretien avec l’archéologue Francesco d’Errico, l’un des directeurs scientifiques du projet européen Quanta d’étude des systèmes de numération de l’humanité (lauréat d’une bourse ERC Synergy Grant en 2020).
De son côté Jean-Paul Delahaye nous entraine dans une tout autre promenade avec le célèbre paradoxe de Fermi et les extraterrestres invisibles. C’est un sujet qui intrigue et qui a été souvent été abordé (voir par exemple cet article publié dans CNRS le journal). «Plus qu’un simple jeu intellectuel, résoudre le paradoxe de Fermi sur l’existence de la vie extraterrestre invite à s’interroger sur notre compréhension de l’Univers et le futur de l’humanité». Il nous explique que des «résultats récents en astrophysique, biochimie ou en mathématiques fournissent un éclairage inattendu sur la question».
Le numéro d’août met en exergue la médecine et les neurosciences. Si dans le domaine des mathématiques les récentes médailles Fields sont évoquées dans l’actualité, c’est l’article de Jean-Paul Delahaye, Les nombres friables, qui est signalé sur la première de couverture. Une agréable promenade mathématique (que certains trouveront peut-être plus aride que la moyenne). «Les nombres à petits facteurs ont d’étonnantes qualités et on les dénomme entiers friables ou entiers lisses : un nombre $N$ est $K$-friable si la décomposition de $N$ en facteurs premiers ne comporte que des nombres premiers inférieurs ou égaux au nombre entier $K$» nous explique-t-il. Ces nombres jouent un rôle important dans la cryptographie basée sur la factorisation. Nous apprenons également en passant que les nombres $3$-friables jouent un rôle en musique et étaient connu au Moyen Âge, bien avant l’apparition du mot. Mais Jean-Paul Delahaye invite ses lecteurs à découvrir bien d’autres propriétés intéressantes.
Dans son livre Des mots et des maths (voir la revue de presse de septembre 2019), Gérald Tenenbaum explique comment les mots smooth integer et friable integer sont apparus.
Si vous êtes mathématicien·ne, vous connaissez très probablement La Gazette de la Société Mathématique de France, le «bulletin de la SMF» dont nous avons déjà parlé sur ce site. Bien sûr on trouve dans cette revue des articles concernant la vie de la Société mais aussi des articles de vulgarisation accessibles à un public beaucoup plus large. Dans son numéro de juillet 2022 nous en avons repéré plusieurs. Nous avons déjà parlé plus haut dans la rubrique Vie de la recherche de l’article de Paolo Bellingeri, Les mathématiciennes à l’écran, un sujet qu’il avait traité en avril dernier au séminaire de vulgarisation de Caen avec un regard de cinéphile et de mathématicien.
- L’expérience de Fermi-Pasta-Ulam-Tsingou
- Source
Si vous avez regardé la première de couverture (très belle !) présentée sur le site de la SMF, peut-être vous êtes-vous interrogé sur l’origine de l’image ? Les précisions sont données dans la deuxième de couverture. «Cette image (due à Enrique Zeleny) représente l’évolution en temps d’un système de douzaines d’oscillateurs étudiés dans l’expérience pionnière en calcul scientifique de Fermi-Pasta-Ulam-Tsingou». Elle renvoie en fait à la recension du livre Les aventures d’un mathématicien (publié chez Cassini. Nous avions signalé cette parution dans la revue de presse du 1er janvier). Ici Damien Gayet livre une à la fois une biographie d’Ulam et une analyse enlevée de l’ouvrage. Il rend au passage un hommage justifié à Mary Tsingou, une physicienne et mathématicienne dont le travail est resté trop longtemps dans l’ombre.
Pour en savoir plus le lecteur est invité à lire l’article de Thierry Dauxois publié initialement en 2008 vous pouvez aussi lire La (dis-)simulation FPU : une Femme Physicienne Underground).
Toujours dans ce numéro Jérôme Buzzi fait un premier bilan du cycle de conférence Mathématiques étonnantes organisé par la Société Mathématique de France et ses partenaires qui a été lancé en 2019. Il en rappelle le principe, l’organisation et lance un appel pour trouver de nouveaux partenaires hors de la région parisienne. Notons que toutes les vidéos des conférences publiques de la SMF sont en ligne.
Histoire
«Quelle histoire des mathématiques?» La question s’invite en filigrane de la rubrique histoire, marquée ce mois-ci et comme le reste de cette revue de presse, par la tenue du congrès international des mathématicien·ne·s (ICM). Histoire des mathématiques, des mathématicien·ne·s (en tant que communauté), des institutions ou encore des grandes figures, autant de choix éditoriaux qui orientent la perception des mathématiques.
Les revues de presse d’Images des Mathématiques interrogent régulièrement la pertinence d’une vision compétitive et élitiste de la recherche (voir par exemple celles des mois de juin et juillet).
En choisissant l’hyper-personnification de la discipline et en traitant majoritairement les mathématiques par le prisme de la figure du génie (rarement au féminin), la presse non-spécialiste se fait l’écho de cette approche, laissant de surcroît de côté toute tentative de vulgarisation scientifique (ou presque) et échoue ainsi dans son entreprise d’utilisation de l’anecdote historique pour rendre les mathématiques plus attirantes pour un public profane (si telle était son ambition).
Sans surprise Évariste Galois souffre encore deux chroniques cet été (un article de Sciences et Avenir, et une émission de Radiofrance) qui font pâle figure face au dossier fouillé proposé par le hors série de Tangente, présenté dans la rubrique parutions de la revue de presse du mois dernier.
Blaise Pascal est quant à lui à l’honneur dans une édition estivale de Géo.
- Une version de la Pascaline, exposée au Musée des Arts et Métiers de Paris.
- Calculatrice mécanique inventée par Blaise Pascal.
La journaliste dresse le classique portrait du savant, revenant sur sa vie et son œuvre, sans toutefois établir davantage qu’une liste non exhaustive de ses contributions à différentes sciences, notamment mathématiques et physiques.
Le quotidien belge La Libre s’intéresse par ailleurs à une anecdote bien connue de la vie du mathématicien George Dantzig dans sa série «Les étudiants qui ont marqué l’histoire» (l’autrice et responsable de La Libre étudiant promet de parler également des étudiantes en chapeau de chaque article de la série, les intégrer directement dans le titre aurait pourtant ôté toute nécessité de précision systématique). Il est ici question de la résolution par Dantzig de deux problèmes ouverts de statistique au cours de sa première année de thèse, problèmes qu’il pensait alors n’être que de simples exercices d’un devoir à rendre. L’histoire a été modifiée et romancée au fil des années pour devenir une légende urbaine, et l’article ne fait pas exception. Les lecteurs et lectrices anglophones trouveront une version sans doute plus proche de la réalité dans le journal de l’université de Stanford (où Dantzig était professeur émérite) publié à l’occasion de son décès, en mai 2005.
Enfin, le Journal du Centre joue la carte du régionalisme dans sa série des portraits de «célébrités nivernaises», en consacrant une série de six articles à Charles Dupin, mathématicien, ingénieur et homme politique du XIX-ème siècle, connu en particulier pour sa découverte des cyclides de Dupin, ses contributions à la géométrie différentielle, et notamment l’introduction de «l’indicatrice de Dupin» qui fournit des informations sur le comportement local d’une surface (voir aussi le deuxième article de la série).
L’article ne propose ici que peu de contenu mathématique mais s’aventure tout de même à considérer qu’«en définitive, Charles Dupin demeure mal connu, ce qui, si l’on revient à l’échelle provinciale, est assez regrettable pour les Nivernais, dont le patrimoine scientifique se révèle assez pauvre.» C’est oublier un peu vite que le patrimoine scientifique se définit aussi par celles et ceux qui l’utilisent au quotidien, et qu’il est constitué de travaux et contributions davantage que de leurs auteurs et autrices, et réduire par là même la recherche et l’exercice scientifique à la longue litanie des noms des auteurs (rarement autrices) que l’histoire a bien voulu retenir, sans jamais poser la question de ces biais (en ce qui concerne le patrimoine mathématique français, des hommes issus des classes aisées: Charles Dupin était fils de magistrat, député et administrateur local, Blaise Pascal issu de la noblesse de robe, Évariste Galois, ressortissant de la bourgeoisie modeste et lettrée).
Le Point revient au mois de juillet sur l’assassinat d’Hypatie d’Alexandrie (rare femme passée au travers des coupes de l’histoire), par les hommes de main de l’évêque Cyrille (édition abonné·e·s).
- Astrolabe planisphérique
- Astrolabe datant du XI-ème siècle. Hypatie d’Alexandrie est connue pour avoir construit un astrolabe planisphérique similaire.
L’article est extrait du livre de Pierre Zweiacker Morts pour la science: 68 destins scientifiques tragiquement contrariés, et l’auteur ne manque pas de souligner, au détour du portrait qu’il dresse de la philosophe, astronome et mathématicienne, la grande beauté de la savante grecque (qui apparaît dans le texte avant même la considération de son intelligence). Loin d’être anecdotique, cette question s’invite de manière récurrente à la table des portraits de femmes, scientifiques ou non. La rediffusion sur Image des maths d’un article d’Eva Kaufholz-Soldat est l’occasion de proposer à celles et ceux qui n’y verraient là qu’une anecdote historique charmante les enjeux politiques qui se cachent derrière ces considérations.
Déjà introduite dans la section publications de la revue de presse du mois dernier, une série d’articles écrite pour La Recherche à l’occasion de la tenue de l’ICM du 6 au 14 juillet 2022 revient sur les anecdotes historiques du congrès, en mêlant histoire des institutions mathématiques, de la communauté, et des mathématicien·ne·s. L’occasion pour son auteur Roger Mansuy de «montrer la communauté mathématique un peu différemment». Il y aborde notamment la question de la place réservée aux femmes au sein de la communauté depuis la création du congrès international: sa deuxième chronique, «Une “Américaine” à Paris» utilise ainsi le destin individuel de Charlotte Angas Scott (célèbre notamment pour sa démonstration du théorème fondamental de Max Noether, «qui décrit les courbes algébriques passant par les intersections de deux courbes algébriques données») pour s’interroger sur la participation des mathématiciennes aux ICM à travers l’histoire du congrès, et plus généralement sur l’accès des femmes à l’enseignement supérieur et à un emploi universitaire à l’époque de Scott. Dans un second article «Emmy... et les autres!», l’auteur revient sur la participation des femmes comme actrices de l’ICM, en prenant comme point de départ la première conférence plénière assurée par une mathématicienne, Emmy Noether (qui a perdu son nom de famille pour les besoins du titre, une vieille habitude discutée par des études, dont Maxisciences se fait le relais), à l’occasion du congrès de 1932. Il souligne que ce manque de représentation dure : entre 1932 et 2022 (exclus) seulement dix-sept exposés pléniers ont été assurés par des femmes, et le congrès de 1932 s’avère tristement exceptionnel dans sa participation féminine, puisqu’«il faudra attendre les ICM de 1990 et 1994 pour avoir autant de femmes conférencières (en pourcentage ou en nombre) : longue attente !» Malheureusement le mâle se cache souvent dans les détails et la traduction par l’auteur d’ICM en «Congrès International des Mathématiciens» semble déjà suggérer le genre attendu des participant·e·s...
«Penser, classer, présenter des listes», cette troisième chronique de Roger Mansuy revient sur le congrès international de 1900, et sur la fameuse liste des «23 problèmes de Hilbert» présentée à cette occasion par le mathématicien allemand. La démarche interroge tout autant que la méthode et les aspects pratiques: comment communiquer de manière intelligible et détaillée une liste de 23 problèmes relatifs à des domaines aussi variés et pourquoi le faire ? L’auteur apporte des réponses à ces questions, en invoquant également l’histoire de la discipline pour souligner la pertinence dans le choix du format de l’exposé d’Hilbert. L’occasion de dresser une liste, non exhaustive, des listes de problèmes proposées depuis par des mathématicien·ne·s, en soulignant avec enthousiasme ce foisonnement: «ces essais de synthèse et de prospective sont autant de signes de vitalité de la discipline».
À lire bout à bout ces chroniques, celle sur le congrès de 1900 semble appeler celle du 2 juillet sur celui de 1970, «Un congrès pour Bourbaki ?», tant la liste d’Hilbert permet déjà de poser les prémices d’une articulation de la discipline mathématique autour d’une colonne vertébrale ramassée de grandes thématiques (ou questions) qui ramifient en d’autres plus spécifiques. Cette approche arborescente, chère à Bourbaki, et qui caractérise l’organisation thématique des exposés de l’ICM de 1970, serait un signe évocateur d’un lien étroit entre sa tenue sur le sol français, et le groupe particulièrement actif et influent à l’époque. Mais qui était Nicolas Bourbaki ? Roger Mansuy explique «Bourbaki est le nom d’un mathématicien imaginaire qui dissimule un groupe, sans cesse renouvelé, de mathématiciens bien réels.»
Né entre 1934 et 1935, ce groupe de mathématiciens (aucune collaboratrice de Nicolas Bourbaki n’est connue à ce jour) ambitionne initialement l’écriture d’un ouvrage d’analyse, mais le projet évolue rapidement vers les « Éléments de mathématiques », titanesque projet éditorial (toujours en cours) qui a marqué le XXe siècle mathématique par son contenu comme par sa démarche. France culture revient par ailleurs brièvement sur l’histoire du collectif et son fonctionnement dans un podcast.
Un travail collectif des mathématicien·ne·s, comme un pied de nez à l’histoire racontée par Quanta Magazine «Le passé sordide de la résolution des équations cubiques» dans un article du 30 juin dernier (en anglais). L’auteur, revient sur l’histoire de la résolution des équations cubiques, soit celles de la forme $ax^3 +b x^2 +cx +d = 0$. Un passé de duels et de trahisons qui mènent aux mathématiques modernes. L’article revient sur ce problème, qui a opposé, au cours du XVI-ème siècle, deux mathématiciens italiens, Gerolamo Cardano, et Niccolò Fontana, plus connu sous le nom de Tartaglia. L’anecdote historique sert ici de prétexte pour raconter les mathématiques derrière la formule, et expliquer comment l’évolution du langage mathématique a joué sur la perception des problèmes: "l’algèbre moderne comme nous la connaissons — des expressions symboliques abstraites comme celles ci-dessus et leurs manipulations classiques — remonte au XVII-ème siècle [...] Au XVI-ème siècle, les équations algébriques étaient encore exprimées de manière rhétorique — avec des mots, non pas des symboles — [...] les équations cubiques de la forme $x^3+cx=d$ étaient plutôt décrites comme “un cube et des choses sont égales à un nombre,” ce qui était considéré comme autre chose “qu’un cube égal à des choses et un nombre,” $x^3=cx+d$. [8] Une question du symbole mathématique au cœur de l’article de Futura Sciences qui s’interroge sur la manière de poser et effectuer des multiplications dans le système égyptien.
Pour finir
Le Café pédagogique a été pour nous une référence constante. C’est un site de grande qualité, indépendant, sans aucune publicité, qui fourmille d’informations et d’analyses, critiques mais lucides et pertinentes, de notre système éducatif. Nous vous faisions part, à la fin de la rubrique enseignement de notre revue de presse de décembre 2021, de difficultés financières que rencontrait le Café. Il semble hélas que la situation se soit détériorée, puisque, depuis les derniers jours d’août, son site ne répond plus. Vous vous rendrez compte que les liens vers ce site contenus dans cette revue de presse ne fonctionnent pas. Nous espérons vivement, et nous souhaitons à nos confrères, que cette situation soit de courte durée et que nous puissions les retrouver dans les meilleurs délais.
Notas
[1] En théorie géométrique de la mesure, le théorème de régularité de Fred Almgren avait nécessité 955 pages publiées en 2000. L’auteur y faisait notamment usage d’une méthode «par excès» pour prouver ladite régularité...
[2] Les trous noirs sont des objets physiques, mais la solution de Kerr de l’équation d’Einstein est considérée comme fournissant des descriptions réalistes. On trouvera des explications, des images et même des vidéos de trous noir mathématiques de Kerr sur le site de David Madore.
[3] Historiquement, le premier résultat auquel on puisse comparer la prépublication de Giorgi, Klainerman et Szeftel est peut-être la stabilité de l’espace-temps de Minkowski lui-même, obtenue dans les années 1990.
[4] Et même plus général, dans un certain sens.
[5] En base $2$, $127$ est le plus petit.
[6] En anglais, Steiner triples of high girth.
[7] «It didn’t really feel that good. [...] I am a reasonably good mathematician, but am I Fields Medal-worthy?»
[8] Modern algebra as we know it — abstract symbolic expressions like those above and the familiar ways of manipulating them — dates to the 17th century. [...] In the 16th century, algebraic equations were still expressed rhetorically — in words, not symbols [...] cubic equations of the form $x^3+cx=d$ were instead described as “a cube and things equals a number,” and that was seen as different than “a cube equals things and a number,” $x^3=cx+d$.
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Para citar este artículo:
L’équipe Actualités — «Revue de presse juillet-août 2022» — Images des Mathématiques, CNRS, 2022
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