Revue de presse octobre 2011
Le 1er novembre 2011 Voir les commentaires (1)
Rêve, show-biz et arts décos, le mélange des genres est à son comble. Après avoir retrouvé nos héros du mois dernier,
découvrez des facettes inattendues des mathématiques, avec notamment une exposition aussi prestigieuse que mystérieuse à l’honneur dans les médias. Lisez aussi comment les mathématiciens sont venus au secours d’un chimiste aujourd’hui nobélisé.
Enfin, ne vous laissez pas berner par l’abus de vocabulaire mathématique en politique ou de la part des Nostradamus modernes, et rappelez vous qu’à défaut de Nobel, les mathématiques ont leur prix Ig Nobel !
De Hollywood à Lady Gaga
« Leonardo DiCaprio pourrait devenir mathématicien. » Si ses fans ont pu s’inquiéter en
lisant le titre de Métro (Montréal), que L’Express les rassure : à l’écran, la star « sera Alan Turing, mathématicien de génie », fondateur de la science informatique. Le réalisateur serait Ron Howard, à qui l’on doit déjà le film aux
quatre oscars Un homme d’exception sur le mathématicien et économiste John Nash, et le scénario serait inspiré de la biographie de Turing par Andrew Hodges, Turing, the Enigma
(titre à double lecture, faisant référence aux recherches de Turing pendant
la seconde guerre mondiale pour déchiffrer les codes de la machine Enigma utilisée par les nazis). Nul doute que le film s’intéressera aux différentes facettes de la vie de Turing, qui fut poursuivi et condamné pour son homosexualité en 1950 et se serait suicidé à l’âge de 41 ans en croquant une pomme imbibée de cyanure. Une légende court même selon laquelle la pomme croquée du logo d’Apple serait une référence à cette mort.
Peut-être DiCaprio amènera-t-il ses futurs spectateurs à « envisager les maths sous un angle qui fait rêver plutôt que peur », comme le souhaite Yves André dans une interview à Vousnousils.fr à l’occasion du Colloque Galois. Autre star (ou plutôt « héros romantique » mort en duel à 21 ans) à l’honneur ce mois-ci à l’occasion du bicentenaire de sa naissance : Évariste Galois, ce jeune garçon qui a « bouleversé la mathématique », et dont le nom fait « frémi[r] le monde entier » ! C’est en ces termes que Cédric Villani introduit, en tant que directeur de l’Institut Henri Poincaré (IHP), le grand événement autour de Galois organisé par l’IHP et la Société Mathématique de France (colloque et exposition). A cette occasion, le Journal des enfants donne la parole au mathématicien Xavier Caruso, qui nous rappelle que ce jeune génie est resté incompris de son vivant : « Quand on est à l’école, on pense que tous les mathématiciens comprennent tout. C’est faux. Il leur faut du temps aussi. Même de grands mathématiciens ne comprennent rien aux maths ! »
Du rêve encore, ou au moins un dépaysement soudain, comme nous y invite la fondation Cartier (selon la formule du mathématicien Alexandre Grothendieck). L’exposition, conçue en collaboration avec l’IHÉS, vient de débuter (et se terminera en mars 2012), et a fait l’objet, entre autres, de plusieurs émissions de radio (France Inter, France Info). Des mathématiciens et des artistes se sont rencontrés pour une invitation au voyage. Un programme éclectique à découvrir (Alain Connes, David Lynch, Cédric Villani, Takeshi Kitano, Misha Gromov, Patti Smith…).
Du rêve toujours, une star encore, habituée des Unes des journaux « People ». Comment Lady Gaga s’invite-t-elle dans notre revue de presse ? Grâce à Cédric Villani. Le très médiatique mathématicien médaillé de nous dire, trônant dans Télérama avec un « sphéroforme de Meissner » [1] sous la main, « [j]e suis un peu
la Lady Gaga des mathématiques. » Une affaire de style : Cédric Villani attribue sa médiatisation « surtout à des raisons d’ordre vestimentaire ». Nous avons tous vu « l’araignée secrète et la lavallière prosélyte qui font les fières ».
Questions de calcul
Du faux et usage de faux en calculs... Philippe Meyer s’appuie dans L’Express sur une polémique en Espagne pour dénoncer « cette forme particulière d’analphabétisme que le mathématicien états-unien John Allen Paulos a dénommée “anumérisme” [2] ».
La Société royale de mathématiques d’Espagne (RSME) a en effet été amenée à corriger les prédictions du gouvernement espagnol quant aux économies de carburant consécutives à un abaissement de la limitation de vitesse sur autoroute. « Nous avalons chiffres et nombres sans le moindre esprit critique, et même sans la capacité de concevoir ce qu’ils représentent », déplore le journaliste,
qui reprend avec la RSME le trait de Gustave Le Bon :
« Présentée sous forme mathématique, l’erreur acquiert un grand prestige. Le sceptique le plus endurci attribue volontiers aux équations de mystérieuses vertus. »
Gustave Le Bon aurait tout de bon reconnu l’utilisation abusive du langage mathématique dans l’analyse politique des élections sénatoriales par le parti perdant. Le Monde non plus n’était pas dupe, en remarquant qu’
"une histoire de “divisions” s’[était] ajoutée au “problème arithmétique” dans le discours politique, « toujours des calculs donc »,
tandis qu’Europe 1 relevait quelques perles comme « La question [est] de passer d’une logique de la soustraction à la logique de l’addition ».
Avec le même Bon discernement, le prix IgNobel de mathématiques 2011 a été attribué à Dorothy Martin, Pat Robertson, Elizabeth Clare, Lee Jang Rim, Credonia Mwerinde et Harold Camping, pour avoir prophétisé la fin du monde, respectivement en 1954, 1982, 1990, 1992, 1999, 1994 - le dernier ayant rectifié sa prédiction pour le 21 octobre 2011. « Tous sont récompensés pour nous avoir enseigné la prudence dans le domaine des affirmations basées sur des calculs mathématiques. » L’information est reprise entre autres par Slate.fr, La Dépêche du Midi,
Gizmodo, un blog du Monde
et
RTL.
Et certes, les mathématiciens savent calculer. Jusqu’à 915 millons, au moins : un mathématicien danois a ainsi dénombré les combinaisons de six
briques de Lego à huit plots, selon Libération. Calculer oui, mais pas toujours. Pour mémoire, on doit à la star de ce mois, Évariste Galois, la caractérisation des « équations résolubles par radicaux » : comme l’avait déjà montré Niels Henrik Abel (un autre mathématicien mort prématurément)
il est en général impossible de calculer (par radicaux et opérations algébriques élémentaires) les solutions d’une équation de degré cinq [3].
D’ailleurs « [l]es maths, ce ne sont pas que des calculs » titrait Ouest-France le 15 octobre : « “ à l’aide de chambres à miroir de
différentes formes, explique Paolo
Bellingeri [du laboratoire de mathématiques de l’Université de Caen], nous montrons que la
reproduction à l’infini d’un dessin répond
à une logique représentable par un
théorème. ” Une animation qui permet
d’expliquer l’architecture des cristaux, ou
avec une variante, celle des
quasi-cristaux, sujet d’études du prix
Nobel de chimie 2011. »
Interfaces
« Une telle chose ne peut pas exister ! » La Dépêche nous relate ainsi
la surprise de Daniel Shechtman, lauréat récent du prix Nobel de chimie,
lorsqu’il a observé pour la première fois les quasi-cristaux en 1982. Et
les mathématiques se cachent derrière ! Ces quasi-cristaux possèdent en effet « une symétrie d’ordre 10
totalement incompatible avec les connaissances scientifiques de
l’époque ». D’après Libération, « les atomes étaient assemblés dans un
modèle qui ne pouvait pas être répété, contrairement aux lois de la
nature ».
Sciences et Avenir rappelle « qu’à l’époque, son annonce a suscité de
vives polémiques et [qu’]il a même été contraint de démissionner de son
équipe de recherches pour défendre sa découverte ». Pour La Science nous
raconte qu’au sein de la communauté scientifique incrédule, « la solution
vint des mathématiciens qui, depuis les années 1960, étudiaient la façon
de paver le plan sans recourir à des répétitions de motifs. Au milieu
des années 1970, le britannique Roger Penrose avait proposé une
solution à l’aide de deux losanges », décrite dans un billet récent ici-même.
On trouve même un article mathématique dans Paris-Match ! L’hebdomadaire nous
explique que « la proportion régissant les distances entre les atomes est
en partie liée avec le nombre d’or, [un] nombre irrationnel – il ne peut
s’écrire sous la forme de la fraction a/b », mais aussi que les
quasi-cristaux partagent certaines propriétés avec les mosaïques arabes.
Les mathématiques à l’assaut du cancer ? Même si ce n’est pas tout à fait nouveau, le quotidien Les Échos nous annonce que « des
projets porté[s] par des chercheurs en physique et en mathématiques vont
être financés dans le cadre du Plan Cancer ». On en apprend un peu plus
sur le site de l’Inserm : « Il s’agit de projets fondés sur la physique, les
sciences de l’ingénieur ou les mathématiques et susceptibles d’améliorer
le diagnostic ou la prise en charge thérapeutiques du cancer ».
Plus légèrement, les mathématiques expliqueraient aussi les succès
musicaux. Dans Maxisciences, des chercheurs disent « avoir découvert qu’il y a une
science derrière ces refrains et qu’une combinaison particulière de
neurosciences, de mathématiques et de psychologie cognitive peut
produire l’élixir insaisissable pour la parfaite chanson entraînante. » Arrivera-t-on pour autant à réaliser l’ordinateur inventé par Roger Dendron dans Le graphique de Boscop, dont le lecteur curieux ou nostalgique pourra écouter l’un des tubes ici ?
Parutions
Le pouvoir infini des mathématiques : Sous-titré « Une exposition à la Fondation Cartier », le hors série n°168 de Sciences et Avenir, partenaire de l’événement, est consacré à un panorama des mathématiques.
« Les mots de la planète maths » permettent au lecteur de se repérer à travers des textes émaillés de portraits et de citations de mathématiciens contemporains.
Il y est question, entre autres, de l’apprentissage de la curiosité par les robots, du pouvoir unificateur des catégories, des rayures du zèbre, des biomathématiques, des nouveaux contours de l’espace-temps, de symétrie dans l’infiniment petit et dans la nature, des folles croyances de la finance … pour finir avec « le rêve mathématique de la Fondation Cartier ».
« Les mathématiciens sont des créateurs au même titre que les artistes » affirme Jean-Pierre Bourguignon, commissaire de l’exposition dont nous vous parlons plus haut, qui ajoute : « Il y a une jubilation incontestable dans l’usage des mathématiques ».
A quelle vitesse le hasard apparait-il ?
L’interview du numéro 457 de La Recherche est consacrée à Laurent Michel. Avec Persi Diaconis et Gilles Lebeau, Laurent Michel a estimé récemment la vitesse de convergence d’un algorithme permettant de s’approcher d’un tirage au hasard. La première version de l’algorithme de Metropolis a été imaginée en 1953 par Nicolas Metropolis, Arianna W. Rosenbluth, Marshall N. Rosenbluth, Augusta H. Teller, et Edward Teller en considérant le cas particulier de la distribution de Boltzmann et a été étendu en 1970 par W. Keith Hastings au cas de n’importe quelle distribution.
L’Univers des ondes. Quand la physique dépasse ses limites.
Dans son éditorial, le numéro 409 de « Pour la Science » nous présente un dossier qui, comme son titre ne l’indique pas, concerne aussi les mathématiques.
Dans un article intitulé
« Les ondes, entre physique et mathématiques », Claude Bardos nous explique pourquoi les ondes sont fondamentales pour les physiciens, les ingénieurs... et les mathématiciens : « L’étude mathématique des différentes équations d’onde, qu’elles soient linéaires ou non, qu’elles fassent apparaître ou non de la dispersion, est d’une grande richesse et continue à susciter l’invention de concepts et techniques adaptés ».
L’étude des vagues est un champ de recherche dont les enjeux nous sont rappelés parfois avec brutalité par l’actualité. David Lannes l’affirme avec modestie : « ce n’est pas parce que l’on est capable de mettre les vagues en équation que l’on peut en tirer quelque chose ! » Son article éclaire parfaitement la complexité des études nécessaires par exemple à la compréhension des courants ou à la protection des régions côtières contre les vagues de grande amplitude.
Dans ce même numéro la rubrique Logique et calcul nous fait découvrir « Les surprises du jeu de pile ou face » et les erreurs entrainées par des raisonnements spontanés soufflés par un apparent bon sens. « Le travail du mathématicien consiste alors à démêler la confusion qui résulte des fausses évidences du bon sens, et à montrer que là où l’on voyait un paradoxe ne règne en définitive qu’un peu de subtilité mathématique. »
Décorez votre intérieur !
Le site Maison à part présente ce mois-ci deux décorateurs qui composent des motifs « à partir de fractales, des formules mathématiques complexes. Le résultat est bluffant : des formes ultra-esthétiques, qui semblent parfois inspirées de la nature, et des couleurs “tendance”. » « Ce n’est pas parce que ça vient des mathématiques que ça n’est pas accessible, » nous dit une des créatrices, Cécile Mayer, un peu plus loin. « Les fractales sont une matière première, poursuit-elle, que nous mettons en forme avec beaucoup de patience. »
- Façade de la Sagrada Familia (détail)
Bien sûr, on trouve ailleurs des motifs mathématiques en architecture, comme le carré magique placé par Gaudí sur la façade de la Sagrada Familia à Barcelone. Si vous avez oublié ce qu’est un carré magique, le bloc-notes du coyote a repéré le 16 octobre une émission de Patrick Sébastien sur France 2 qui vous l’expliquera en détail.
Mais, pour honorer le prix Nobel de Daniel Shechtman, peut-être vous laisserez-vous inspirer par la salle de bains de Greg Kuperberg ?
La photo de « quasi-citrouille » du logo est reproduite avec l’aimable autorisation de Tom Leathrum.
Le tableau Fresh Air est reproduit avec l’aimable autorisation de la société Neodream.
Notes
[1] Un sphéroforme de Meissner est un solide convexe d’épaisseur constante. On peut le voir comme l’analogue tri-dimensionnel du triangle de Reuleaux.
[2] On dit aussi « innumérisme », voir par exemple la revue de presse de janvier.
[3] alors que tout lycéen apprend à résoudre les équations du second degré, jusqu’à preuve du contraire (nous vous parlions le mois dernier de la remise en question de cet apprentissage).
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Pour citer cet article :
L’équipe Actualités — «Revue de presse octobre 2011» — Images des Mathématiques, CNRS, 2011
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Commentaire sur l'article
Revue de presse octobre 2011
le 1er novembre 2011 à 18:53, par ROUX