Revue de presse octobre 2016
Le 1er octobre 2016 Voir les commentaires (3)
Médaille d’or du CNRS pour Claire Voisin, rapport sur l’aggravation des inégalités à l’école, arbres gracieux, ou encore conquête spatiale sont quelques-uns des thèmes qui ont fait l’actualité des maths ce mois-ci. On vous laisse le vérifier...
Honneurs
Ce mois-ci, nos journaux mettent en lumière la mathématicienne Claire Voisin, titulaire d’une chaire au Collège de France, et lauréate de la plus haute récompense scientifique française, la médaille d’or du CNRS. Mais aussi malheureusement deux disparitions marquantes : celles de François Courtès et de Jean-Christophe Yoccoz.
François Courtès, âgé de 45 ans, était chargé de recherches à l’Université de Poitiers et spécialiste de la théorie des groupes sur les corps p-adiques. Cédric Villani lui rend un hommage attendrissant et personnel sur son blog : vous saurez tout sur « le jeu de la traque » et autres activités absconses pratiquées par de nombreux normaliens dont le regretté TMOY, alias, vous l’aurez deviné, François Courtès. Celui-là même qui fut par ailleurs un as du Rubik’s Cube : c’est ainsi que de nombreux sites « cubistes » évoquent sa disparition : voir la World Cube Association, Francocube ou encore Speedcubingfrance.
Jean-Christophe Yoccoz, 59 ans, était professeur au Collège de France et - faut-il le rappeler - médaillé Fields en 1994. De nombreux hommages lui ont été rendus dans les quotidiens nationaux et régionaux. S’il faut en citer un, prenons celui du Monde où l’auteur tente de donner quelques idées sur son domaine d’étude, les systèmes dynamiques. On y apprend que si « les mathématiciens se divisent souvent en deux catégories, les géomètres et les analystes », Jean-Christophe Yoccoz appartenait plutôt à la seconde catégorie, « techniquement très fort, avec une grosse capacité de calcul », selon le mathématicien Étienne Ghys.
Sciences et Avenir évoque ses liens avec le Brésil et son engagement sur les questions de l’éducation. Y est notamment rappelé le rôle qu’il a joué dans la carrière du Franco-Brésilien Artur Avila, médaillé Fields 2014. Une présentation un peu plus technique est disponible sur votre site préféré. Et si vous souhaitez savoir ce que cela fait d’avoir la récompense rêvée pour un mathématicien, lisez le long entretien qu’il accorda au Journal du CNRS.
De nombreux articles évoquent l’une des grandes figures de la géométrie algébrique française, Claire Voisin, qui a reçu la médaille d’or du CNRS et occupe par ailleurs, depuis le 2 juin, la chaire de la géométrie algébrique au Collège de France - première femme à avoir cet honneur. On serait tenté de donner un carton jaune aux Echos qui se demandent si elle serait une « future prix Nobel »... Le site de France Inter n’a pas manqué, lui, de mettre en contexte la proportion des femmes recevant les récompenses scientifiques les plus prestigieuses. Le site du CNRS présente une lauréate qui aime particulièrement « le va-et-vient entre trois domaines des mathématiques très différents que sont la topologie, la géométrie complexe et la géométrie algébrique ». On pourra également lire un entretien avec elle sur le même site. On y apprend que « ses travaux ont été récompensés par la médaille de bronze du CNRS en 1988 et par la médaille d’argent en 2006 » : on laisse nos lecteurs vérifier si elle est la seule à cumuler les trois métaux précieux ! On apprend aussi la chose suivante, tellement évidente pour les mathématiciens et sur laquelle on ne communique pas assez : « parfois c’est juste la bonne définition qui fait progresser les choses » !!! En bref, très souvent, plutôt que d’aligner des calculs il est plus utile de se demander si l’objet que nous étudions est le bon. Dans un portrait plus personnel pour le site du journal du CNRS, Claire Voisin explique qu’il est « très frustrant de ne pas pouvoir expliquer à tous les choses qui me tiennent à cœur dans mon travail et mes recherches » : sentiment bien connu... On trouvera enfin un entretien plus technique au sujet de la géométrie algébrique avec son ancien étudiant François Charles, toujours sur le site du même journal.
Cette nouvelle récompense est l’occasion pour le site de L’Express de dresser un portrait enlevé des trois derniers médaillés Fields rattachés à la France, Ngo Bao Chau, Cédric Villani et Artur Avila. Si on ne nous épargne pas les clichés comme ce « regard revolver à la Travolta » attribué à Avila, l’article a le mérite de donner à voir des modes de vie très divers - et finalement très cohérents avec le style mathématique des trois personnages.
Enfin, plusieurs articles reviennent sur le géant Alan Turing : Le Monde rappelle l’aspect interdisciplinaire de ses recherches, « l’informatique, les maths, la biologie, l’intelligence artificielle… ». France Musique lui attribue aussi « le plus vieux morceau de musique créé par ordinateur » et annonce sa restauration dans la foulée, alors que France TV Info relate un projet de loi britannique visant à « gracier de manière posthume les hommes condamnés pour homosexualité » - dont, bien sûr, l’homme derrière la victoire cryptographique des Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale.
Recherche-Applications
Voilà une étude que ne renieraient pas les thuriféraires du DSM-5 [1]. Le New York Times vous montre en effet à quoi ressemble votre cerveau lorsque vous faites des maths ! À grand renfort d’IRM [2], une équipe de l’université de Carnegie Mellon (États-Unis) croit ainsi avoir réduit les processus mentaux à l’œuvre en quatre étapes simples, chronométrées à la seconde près, rien que ça. Bien plus convaincante, l’étude réalisée à l’université de Johns Hopkins sur la façon dont les aveugles font des mathématiques vous éclairera sur les liens entre maths et vision. Elle est relatée par Theatlantic.
Mais c’est l’Histoire qui est aussi mise en lumière : celle de la conquête de l’espace et du premier pas sur la Lune. Le Vif en révèle un aspect bien peu connu : dans l’ombre, des mathématiciennes, noires, ont œuvré pour que cette bataille soit un succès. Dès 1941, « l’entrée des États-Unis dans la guerre (…) a ouvert la porte » à ces femmes dans un pays encore ségrégationniste mais avide d’ingénieurs et de mathématiciens. Moins de 20 ans plus tard, Katherine Johnson calculait ainsi « les trajectoires de la fusée d’Alan Shepard, qui a effectué le premier vol sub-orbital en 1961, et pour John Glenn, premier Américain à voler en orbite en 1962 ».
Toujours dans les étoiles, France Info revient sur la découverte de Neptune. Observée il y a tout juste 170 ans par le télescope de Johann Gottfried Galle, sa position avait été prédite par le mathématicien français Urbain Le Verrier. « On vient alors de découvrir Uranus. Problème : son orbite ne respecte pas le modèle théorique. Elle est attirée tantôt par le Soleil, tantôt par les grosses planètes voisines, Saturne et Jupiter en particulier, mais aussi par un autre astre invisible, dont les chercheurs imaginent l’existence ». C’est en suivant les calculs d’Urbain Le Verrier que l’astronome allemand parvint à observer la huitième et dernière planète du système solaire.
Revenons maintenant sur Terre. Avec le changement climatique en ligne de mire, « le Canada fournira 15 millions d’euros sur cinq ans à l’initiative « À la recherche du prochain Einstein » de l’Institut africain des sciences mathématiques (AIMS) » , selon Témoignages et l’Agence d’Information d’Afrique Centrale. « L’Institut forme une masse critique de mathématiciens en Afrique afin d’aborder les défis complexes qui se posent au continent en matière d’économie, de santé, d’agriculture et d’environnement. »
Autre grand enjeu de notre époque qui revient souvent dans la presse : comment bien découper une pizza ? Terrafemina publie la dernière solution en date. « Joel Haddley et Stephen Worsley, deux mathématiciens gourmets et hautement minutieux, se sont demandés comment découper une pizza en parts exactement égales ». Et leurs résultats vont probablement vous choquer : les parts triangulaires ne sont pas optimales. Aussi vaut-il mieux découper la pizza en utilisant une rosace. Sur le même registre, Epoch Times s’intéresse aux coïncidences. Qui ne s’est jamais demandé si la pomme tombée sur Isaac Newton n’était pas plus qu’une simple coïncidence ? Et si c’était plus ? Certains pensent que tout est pré-établi. Il aura fallu un professeur de statistiques de Stanford et magicien professionnel, Persi Diaconis, pour mettre en regard la loi des grands nombres et les coïncidences. « Dans les populations importantes, des événements à faible probabilité doivent se produire, dit-il. » Quoique, rien n’est jamais sûr, même le pire.
Rien n’est sûr si ce n’est que l’ordinateur ne comprend que les 0 et les 1. « Introduit par George Boole au milieu du XIXe siècle, il a permis de faire passer le raisonnement logique de l’état de discours philosophique à celui de théorie mathématique », lit-on dans LesEchos.fr. Depuis quelques années maintenant, l’on voit à quel point l’Homme est mauvais en calcul booléen, en comparaison de l’ordinateur. Ce dernier gagne au jeu de go, résout les sudokus en une fraction de seconde. « Mais il reste une question scientifique [?] tout à fait ouverte : on ne comprend vraiment pas pourquoi ces beaux algorithmes marchent si bien sur autant de cas pratiques ! »
Les mathématiques et la finance font toujours aussi bon ménage. « Les matheux plus que jamais rois de la finance » titre bfmtv. « Un doctorat en mathématique quantique vous garantit d’être embauché à 150000 dollars de salaire annuel au minimum » renchérit le site. Il serait pourtant opportun de s’interroger avec André Zylberberg, directeur de recherche au CNRS dont La Croix rapporte les propos sur les « présupposés idéologiques favorables à l’ultralibéralisme ou aux « exigences » des marchés financiers ». Ceux-là mêmes qui induisent une course à la technicité dans le traitement de l’information financière, favorable il est vrai à l’embauche de toujours plus de mathématiciens. Mais à quelle fin ?
Enseignement
Le rapport du Cnesco [3] est tombé comme un couperet : le système éducatif français aggrave nettement les inégalités sociales. « Ce n’est pas la faute de l’enseignement privé, dont la responsabilité a encore été pointée du doigt, récemment, par l’économiste Thomas Piketty(...). Pas non plus celle des stratégies familiales ou de la crise économique. Ce vaste travail met en cause trente ans de politiques éducatives qui, au lieu de résorber les inégalités de naissance, n’ont fait que les exacerber » explique Le Monde. « Le niveau scolaire ne baisse pas. Il diverge » poursuit Ouest France, rappelant qu’en mathématiques, « le niveau général (...) n’a quasiment pas bougé entre 2008 et 2014 ». « Mais il a nettement baissé chez les filles. Il a aussi baissé dans les établissements en ZEP ». Ce que le quotidien résume par « la formule « plus de cracks et plus de cancres » selon un déterminisme social et sexuel de plus en plus accentué et pas idéalement républicain ».
Rapport à mettre en regard avec la mise en place de la réforme du collège, « sous le signe de l’inquiétude » selon Le Figaro et avec « tous les programmes [qui] changent du CP à la 3è » rappelle Les Echos. Au menu : l’interdisciplinarité, l’apprentissage du codage et le numérique qui « prend de l’ampleur », affirme France 3
Atlantico pense avoir trouvé le mal : une vision pédagogiste de l’enseignement qui séparerait artificiellement les savoirs des méthodes avec lesquelles il sont transmis. Les réflexes idéologiques ne sont jamais loin.
La solution ne viendra sans doute pas non plus des algorithmes de l’Éducation Nationale (Affelnet, APB), du moins tant que persistera « une culture de l’élitisme associée à un attachement persistant à l’opacité (administrative) » explique Slate.
Heureusement, les acteurs de terrain ne s’arrêtent pas, eux, d’expérimenter pour inventer l’école de demain. Ainsi, l’utilisation du logiciel Kwyk en mathématiques, évoqué par France Inter « permet [aux élèves] de savoir tout de suite s’ils ont réussi ou pas ! », explique Anne de Labriolle, professeur de mathématiques.
On connait bien les critiques que soulève l’usage du numérique à l’école : « l’augmentation du temps passé derrière les écrans mais aussi une industrialisation de l’enseignement », la porte ouverte pour « supprimer des emplois de profs. »
Pourtant, il suffit de lire le témoignage de Sophie Guichard, professeur de mathématiques à Lyon, interrogée par Le Lab’ pour comprendre que les bouleversements induits par les nouvelles technologies sur le monde éducatif peuvent aussi être porteurs d’espoir.
Son objectif : que « tout le monde avance, à son rythme et dans l’entraide », grâce à l’utilisation de vidéos, en classe.
Quoi qu’on pense de ces nouveaux outils, les chiffres sont impressionnants : rien que pour cette enseignante, sa « chaîne YouTube atteint presque les 2 millions de vues et 6000 abonnés ». L’engouement est bien là.
Parutions
Le numéro de septembre de Pour la Science titrait en première de couverture : « Les maths de Grothendieck ». Un gros dossier articulé autour de trois articles : Un génie des maths devenu ermite (par Winfried Scharlau), Un héritage mathématique fertile (de Jean Malgoire), Un écrivain en quête de vérité (Leila Schneps). Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur Grothendieck. Plus qu’un nième document sur la vie et sur l’oeuvre d’un personnage aussi fascinant qu’attachant, c’est un éclairage synthétique bien documenté et agréablement illustré qui nous est livré ici. Rappelons que le site du Grothendieck Circle rassemble certaines œuvres inédites du mathématicien.
Toujours dans ce numéro de septembre, Jean-Paul Delahaye nous entraîne dans sa rubrique mensuelle dans une promenade mathématique passionnante à travers les graphes ou plus exactement les arbres ou graphes gracieux. La question a déjà été abordée sur ce site ou a fait l’objet d’ateliers MATh.en.JEANS. Mais, rassurez-vous, il reste des conjectures « coriaces » qui résistent depuis un demi-siècle. L’auteur nous propose ici un point clair, agréable et accessible. « La théorie des graphes, dont l’essentiel des développements a moins d’un siècle, rencontre comme l’arithmétique d’étranges problèmes aux énoncés simples dont les démonstrations sont soit très longues… soit introuvables, comme les deux conjectures que nous venons d’évoquer. Pourquoi ? »… Après les arbres, les homards, les araignées gracieux de la théorie des graphes, Jean-Paul Delahaye nous parlera en octobre des castors et des indécidables. « Un castor affairé à n états est une machine de Turing à n états qui fonctionne le plus longtemps possible (pour une machine à n états) et qui s’arrête ». « Les énoncés dont on ne peut prouver ni qu’ils sont vrais ni qu’ils sont faux semblent moins rares qu’on ne l’imaginait : de tels « indécidables », redoutés par les mathématiciens, ont été trouvés avec des problèmes portant sur de petites machines de Turing ».
Les secrets des nombres premiers semblent bien cachés. « Existe-t-il un ordre caché des nombres premiers ? » s’interrogeait, il y a quelques mois, Slate tandis que Sciences et Avenir parlait d’une « loi cachée ». L’article publié par Kannan Soundararajan et Robert Lemke Oliver avait mis en émoi la communauté des mathématiciens (voir sur ce site) et la presse avait relayé l’information assez largement. Science et Vie revient dans son numéro d’octobre sur ce résultat : « Nombres premiers. Ils cachent un ordre secret ». La quête continue …
Une balle de ping-pong dans un dé à coudre ? Revenons un instant, pour terminer, sur un autre article paru dans The Conversation, dans Slate et ici. Retournement de sphères, entortillement diabolique de courbes, déformations délirantes de surfaces diverses. Quand un mathématicien, Vincent Borrelli, nous explique tout simplement que les interdits mathématiques les plus solides peuvent être transgressés, on se demande où se trouve la frontière entre la magie et les mathématiques.
Notes
[1] Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders
[2] imagerie par résonance magnétique
[3] Conseil national d’évaluation du système scolaire
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Pour citer cet article :
L’équipe Actualités — «Revue de presse octobre 2016» — Images des Mathématiques, CNRS, 2016
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