Soit G un groupe

Où l’on parle de groupes et du théorème de Galois

Le 25 octobre 2011  - Ecrit par  Christine Huyghe Voir les commentaires (5)
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Soit G un groupe

Un groupe est un objet
mathématique abstrait.
Nous allons voir ici que c’est surtout une notion utile, naturelle,
utilisée en particulier par Evariste Galois, dont on fête
aujourd’hui le bicentenaire. Bien que Galois n’ait pas donné la définition de groupe, gageons qu’il ne démentirait
pas la puissance du formalisme en mathématiques.

Quelques exemples de groupes

Comme Monsieur Jourdain fait de la prose sans le savoir, vous tous, lecteurs,
connaissez déjà quelques groupes. Un groupe est un ensemble muni d’une opération ayant
certaines propriétés. Par exemple, quand on ajoute ou retranche deux entiers relatifs, on manipule une structure de groupe sur l’ensemble
$\mathbf{Z}$. Quand on multiplie ou divise
des fractions
rationnelles non nulles, on manipule une structure de groupe sur l’ensemble $\mathbf{Q}\backslash \{0\}$. Mais attention, quand on additionne deux entiers naturels, on ne trouve pas un groupe parce que l’opposé d’un entier naturel n’est pas un entier naturel mais un entier relatif [1]. Pour tester si un ensemble muni d’une opération est un groupe, on pourra se reporter à la définition ci-dessous.

Mais voici un autre groupe, inspiré par le jeu de Mastermind, dont on modifie un peu les règles.
Dans cette version modifiée, le joueur B doit deviner comment $5$ pions de $5$ couleurs
distinctes sont disposés par le joueur A.
A chaque coup, le joueur A
indique au joueur B le nombre de couleurs bien placées. Combien y-a-t-il de possibilités
de combinaisons ? $5$ pour la première case (celle de gauche), $4$ pour la deuxième, ..., soit
$5!=120$ possibilités. Le but du jeu est de trouver la combinaison choisie par A, en
permutant les couleurs de départ. Voici, à gauche, un exemple de deux premiers coups de B, en
supposant que la première combinaison proposée par B ne contienne aucune couleur bien placée.
La permutation effectuée par le joueur B envoie le bleu sur le rouge, le jaune sur le bleu, le vert sur le jaune, le rouge sur le noir. Il n’y a plus le choix pour le noir qui doit être envoyé sur le vert.

Faisons quatre remarques :

  • On peut enchaîner (on dira composer) les permutations : si le joueur B tente une combinaison, puis une
    nouvelle en permutant cette nouvelle disposition, il obtient
    aussi une permutation de la disposition de départ. Par exemple, s’il procède à
    l’enchaînement suivant,

    il aurait gagné un coup en effectuant directement celui-ci.

  • On peut ne rien changer à la disposition de départ en ne permutant rien du tout.
    Cette permutation, pas très utile pour le jeu, est la permutation identique. La voici.
  • Si on a permuté une disposition de couleurs, on peut toujours revenir en arrière,
    en permutant les couleurs de façon à revenir à la disposition initiale. On dit que toute
    permutation a un inverse. Voici un exemple
  • Effectuons deux permutations $p$, $q$, suivies de $r$ une troisième permutation. On trouve
    la même chose que si l’on effectue d’abord la première $p$, suivie de la composée de $r$
    avec $q$.

Ces quatre propriétés sont exactement les axiomes d’un groupe. Celui qui intervient ici
est le groupe des permutations d’un ensemble à $5$ éléments.

On trouve d’autres groupes de permutation dans la nature et dans d’autres
jeux comme le taquin.

Permutations et équations algébriques

Au début du 19e siècle, on connaissait des formules pour résoudre des équations comme
$ ax^2+bx+c=0.$ Voici une telle formule :
\[x=\frac{-b+/-\sqrt{b^2-4ac}}{2a}.\]

Pour une équation, du 3e degré, on disposait aussi des formules de Cardan. Par exemple,
pour l’équation $ x^3+3px+2q=0$, on trouve une solution
\[ x=({\sqrt{q^2+p^3}-q})^{1/3} + ({\sqrt{q^2+p^3}+q})^{1/3}.\] Les deux autres
solutions sont aussi données par de telles formules. Il existe aussi une méthode avec des
formules, due à Ferrari, pour résoudre les équations de degré $4$. Notons qu’on s’intéresse ici aux
solutions en nombres complexes de ces équations, c’est-à-dire qu’on adjoint aux nombres
classiques les nombres dits imaginaires, de sorte qu’une équation de degré donné égal à $d$
possède en général $d$ solutions distinctes.

La question, posée depuis (au moins) Lagrange, était : y a-t-il toujours des formules pour résoudre
des équations algébriques ? Il se trouve que certaines opérations algébriques liées à l’équation
permutent les solutions de l’équation entre elles [2]. En général, si on prend une
équation de degré $5$, on associe par cette méthode le groupe des permutations des $5$
solutions de l’équation, le même groupe que celui avec lequel a joué le joueur de Mastermind. C’est le cas par exemple pour l’équation
\[X^5-X-1=0.\] Voici dessinées les solutions en nombres complexes de cette équation, en noir, on a l’unique solution réelle.

Pour cette équation, permuter les solutions de cette équation revient à considérer le groupe qui lui est associé.
Ce procédé est même très complet. Il faut y penser comme un dictionnaire, un peu difficile
à établir explicitement, mais un dictionnaire quand même, entre les
équations d’une part et les groupes d’autre part. Encore mieux : le fait de savoir résoudre
une équation par des formules peut se lire sur ce groupe, cet ensemble abstrait associé à
l’équation, sans qu’on ait besoin de calculer explicitement les formules donnant les
solutions. Si tel est le cas, si l’équation est résoluble par des formules, alors le groupe qui lui est
associé dans le dictionnaire vérifie une propriété algébrique, concrète, qu’on appelle
« être résoluble » [3]. Ainsi, quand je
prends une équation, il me suffit en théorie de consulter mon dictionnaire,
pour savoir si je peux résoudre cette équation par des formules algébriques. A condition
que je sache à quel type de groupe j’ai affaire, résoluble ou pas.

Prenons une équation de degré $2$, qui a deux solutions distinctes. le groupe qui lui est associé est l’ensemble des permutations des deux solutions $x_1$ et $x_2$. Ce groupe a deux éléments, la permutation identité qui envoie $x_1$ sur
$x_1$ et $x_2$ sur $x_2$ et celle qui échange $x_1$ et
$x_2$ ($x_1$ est envoyé sur $x_2$ et $x_2$ sur $x_1$). Ce groupe à deux éléments est résoluble et c’est pour cette raison qu’on dispose d’une formule pour résoudre les équations de degré $2$.

Revenons donc à notre équation de degré $5$, $X^5-X-1=0$. Le groupe qui lui est associé
dans le dictionnaire est le groupe des permutations à $5$
éléments.
Galois a démontré que ce groupe n’est pas résoluble, de sorte qu’on ne peut pas résoudre cette équation par des formules.

Et maintenant ...

La définition d’un groupe

Soit $G$ un ensemble muni d’une loi de composition interne notée $*$ [4]. On dit que $G$ est un groupe si :

  • il existe $e$ dans $G$ tel que pour tout $x$ de $G$, $x*e=e*x=x$,
  • pour tout élément $x$ de $G$, il existe un élément $x^{-1}$ de $G$, tel que
    $x*x^{-1}=x^{-1}*x=e$, [5]
  • la loi $*$ est associative, i.e. pour tous $x,y,z$ dans $G$,
    \[(x*y)*z=x*(y*z).\]
    Attention aux notations : pour voir que $\mathbf{Z}$ est un groupe pour l’addition, il faut poser $x^{-1}=-x$. Pour les permutations, la loi considérée est la composition des permutations.

Conclusion

L’intérêt d’une définition abstraite d’un groupe, c’est qu’elle s’applique à beaucoup
de situations, de contextes différents. Ainsi, à chaque mathématicien
ses groupes favoris, comme ici. [6].

Le travail de Galois est prodigieux à plus d’un titre. D’abord il a résolu un problème
important. Ensuite, l’idée qu’il y ait un dictionnaire entre deux mondes mathématiques
a priori différents [7],
fut aussi à la fois novatrice, féconde et profonde. Une partie du travail de mathématicien
consiste souvent, pour résoudre un problème,
à établir et à construire de tels dictionnaires entre différents objets
mathématiques.

Pour les conséquences du travail de Galois pour les
mathématiques du 20e et du 21e siècle, on pourra consulter le très bon article d’Antoine Chambert-Loir [8].

Et il y a aussi Evariste Galois, le
mathématicien engagé, qui paya son engagement politique par un séjour en prison.

Post-scriptum :

Je remercie Rutger Noot pour sa lecture attentive, Adriano Marmora pour avoir déniché le polynôme $X^5-X-1$, ainsi que M. Roux pour sa remarque sur l’équation de degré $2$ que j’ai ajoutée au texte.

Les calculs et dessins pour ce texte ont été effectués à l’aide des logiciels libres GeoGebra et Sage.

Notes

[1sauf pour $n=0$ bien entendu.

[2Ces opérations ne sont pas magiques
mais un peu trop difficiles à expliquer ici.

[3terminologie bien entendu liée au contexte des équations algébriques.

[4une opération qui,
à deux éléments de $G$ associe un élément de $G$

[5$x^{-1}$ est unique et est l’inverse de $x$.

[6qui
ne sont pas forcément de Galois !

[7dont l’un, celui des groupes, n’avait jamais vraiment été étudié !

[8Galois et les corps finis, Pour la Science, n° 408, octobre 2011.

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Pour citer cet article :

Christine Huyghe — «Soit G un groupe» — Images des Mathématiques, CNRS, 2011

Commentaire sur l'article

  • Soit G un groupe

    le 1er novembre 2011 à 11:40, par ROUX

    Est-il vraiment impossible d’expliquer plus en profondeur ? De montrer la structure du groupe de l’équation de degré 2, d’illustrer alors la notion de groupe résoluble puis d’esquisser la notion de groupe qui n’est pas résoluble ?

    Est-ce vraiment impossible : j’ânonne depuis si longtemps que Galois a démontré que l’équation de degré 5 et gna gna gna sans comprendre même un tout petit peu comment cela fonctionne ?

    Est-ce vraiment impossible ? Même en simplifiant un peu ?

    Même en appliquant la loi de la vulgarisation : Un modèle faux à « TOT % » ou une explication trop simple à « TOT % » permet une compréhension du concept à « (100-TOT) % » de véracité (ou à « TOT % » de fausseté) avec une facilité de « TOT % ».

    Si on veut faire une explication trop facile, « TOT » est nécessairement grand et on comprend alors quelque chose de trop faux, de pas assez vrai : la valeur de « TOT » est nécessairement bornée à une valeur faible.

    Mais n’existe-t-il pas une valeur de « TOT » qu’un(e) mathématicien(ne) puisse assumer pour une explication pas trop difficilement compréhensible et d’une manière pas trop fausse du travail de Galois ?

    Répondre à ce message
  • théorie de Galois

    le 2 novembre 2011 à 10:31, par Christine Huyghe

    Merci pour votre remarque. je vais ajouter deux phrases sur le cas de l’équation de degré $2$ dans le texte.

    Maintenant, ceci est un billet, pas un article, donc volontairement grossier et frustrant pour qui veut en savoir plus (lequel ira voir ailleurs, dans un livre sur la théorie de Galois ou dans l’article d’Antoine Chambert-Loir).

    Bien cordialement,

    C. Huyghe

    Répondre à ce message
  • resolution algébrique d’équation

    le 24 novembre 2011 à 05:34, par Marc JAMBON

    J’ai commis quelques erreurs dans mon précédent message du 19 novembre, ce nouveau message se substitue donc au précédent qui peut être supprimé sans inconvénient.

    On ne devrait pas utiliser le symbole √ pour un nombre négatif, encore moins pour un nombre complexe. En effet, ce n’est plus l’inverse bilatère de l’élévation au carré que je note à l’aide du symbole exposant ^ :
    √u avec u < 0 est par définition i√(-u), son carré est bien u,
    mais √[u^2] est -u.
    Le symbole racine cubique est acceptable pour tout nombre réel sans l’inconvénient précédent, par contre un exposant fractionnaire en particulier l’exposant 1/3 ne devrait être utilsé que sur des nombres positifs, il ne vérifie pas toutes les propriétés usuelles des nombres rationnels et des exposants sur les nombres négatifs, exemple :
    [(-1)^(2)]^(1/6) ≠ (-1)^(1/3)
    En plus des difficultés précédentes, une définition de l’exposant 1/3 sur les nombres complexes engendre des choix conventionnels de racines cubiques qui ne sont pas forcément les bons, en particulier pour résoudre une équation réduite du 3ème degré par les formules de Cardan.
    Tout d’abord, Il y a lieu de corriger votre formule en mettant un - au lieu d’un + entre les deux racines cubiques.
    1) La nouvelle formule est alors facile à vérifier et à utiliser lorsque
    p^3 + q^2 ≥ 0.
    La condition p^3 + q^2 = 0 correspond au cas d’une racine double réelle
    (-q/p) et d’une autre racine réelle (2q/p).
    La condition p^3 + q^2 > 0 correspond au cas d’une seule racine réelle donnée par la formule qui reste réelle.

    2) Toujours pour p^3 + q^2 > 0 les deux racines complexes conjuguées s’obtiennent par des choix convenables de racines cubiques complexes cohérents entre eux pour obtenir deux racines complexes conjuguées.

    3) La condition p^3 + q^2 < 0 correspond au cas de trois racines réelles distinctes, l’application de la formule oblige néanmoins à passer par les nombres complexes : on trouve les trois racines réelles en additionant (faire rentrer le signe - dans la parenthèse sous l’exposant 1/3) les deux termes racines cubiques bien choisies et complexes conjuguées entre elles.

    Malgré tous mes efforts, je n’ai pas réussi pour les cas 2) et 3) à ramener effectivement tous les calculs à des racines carrées agissant sur des nombres réels positifs et des racines cubiques agissant sur des nombres réels. J’ai recherché dans ma bibliothèque, je n’ai pas trouvé mieux, les solutions sont proposées à l’aide de formes trigonométriques de nombres complexes, ce qui n’a rien d’algébrique !

    Répondre à ce message
  • Groupe de Galois et équation du 3ème degré

    le 29 novembre 2011 à 13:48, par Marc JAMBON

    Dans mon commentaire ci-dessus du 24 novembre, je ne parle pas de groupe de Galois alors que l’objet initial de l’article était bien de parler de groupe. En fait je n’étais pas assez sûr de mes connaissances anciennes en matière de groupe de Galois, alors, j’ai fouillé sur Wikipédia où j’ai trouvé notamment l’article Théorème d’Abel (Algèbre) ou théorème d’Abel-Ruffini et au § 3.2. Cas du degré 3 et au sous paragraphe 3.2.3. Détermination du groupe de Galois. C’est justement ce qu’il nous faut !
    L’auteur de l’article introduit le produit d des différences des racines a, b, c d’un polynôme du troisiéme degré, à coefficients rationnels.
    d = (a - b)(a - c)(b - c)
    d^2 est une fonction symétrique des racines et se calcule donc comme fonction polynômiale des coefficients du polynôme, en revenant à l’équation :
    x^3 + 3px + 2q = 0
    on trouve :
    d^2 = –108[p^3 + q^2] = 36 . (–3) (p^3 + q^2)
    Soit L la plus petite extension du corps Q contenant les racines a, b, c. Soit G le groupe de Galois de L par rapport à Q, c’est à dire le groupe des automorphismes de L conservant les éléments de Q . Admettons que G est un sous groupe de S3 groupe des permutations sur trois éléments, c’est ce que semble suggérer votre article (ce n’est pas trop difficile à démontrer). Soit maintenant g élément de G,
    g ( d ) = signature (g) . d
    Lorsque d est rationnel
    g(d) = d
    il en résulte :
    signature (g) = 1
    D’où la discussion lorsque x^3 + 3px + 2q est irréductible sur Q,
    –3[p^3 + q^2] est un carré parfait dans Q ou non.
    Je note, quand même, que je n’ai malheureusement pas trouvé, à ce jour, d’exemple numérique de couple p, q rationnels illustrant le cas carré parfait !

    Et je poursuis, par une méthode qui m’est propre (elle ne figure pas dans l’article de Wikipedia signalé ni dans la littérature usuelle). Supposons que j’ai déterminé a la racine réelle ou la plus petite racine rélle (lorsqu’il y a trois racines réelles), je peux même en proposer un développement décimal à n décimales en commençant par encadrer les racines par deux entiers puis en testant sur les entiers de l’intervalle, puis sur les décimaux à une décimale d’un sous-intervalle convenable ...

    a étant supposé connu, je calcule d = [(a - b)(a - c] (b - c),
    (a - b)(a - c) puis son inverse s’expriment (laborieusement) dans le corps Q(a).
    Tous calculs fait :
    b - c = d(2p^2 – qa + pa^2) / 6(p^3 + q^2)
    Comme b + c = - a
    il s’ensuit que b et c sont dans Q(a,d), plus petit corps extension de Q engendrée par a et d, c’est précisément le corps L cherché.

    Conclusion
    Lorsque –3[p^3 + q^2] est un carré parfait dans Q, le groupe de Galois est A3 et l’extension de corps L se réduit à Q(a).
    Lorsque –3[p^3 + q^2] n’est pas un carré parfait dans Q, le corps intermédiaire cherché est Q(d) dont le groupe de Galois par rapport à Q est S2 et le groupe Galois de L par rapport à Q(d) est le groupe alterné A3.

    Les formules de Cardan, si belles soient-elles, nous plongent dans un corps trop grand, surextension de L (introduit ci-dessus), ceci notamment dans le cas où l’on est obligé de passer par des nombres complexes pour trouver trois racines réelles !

    Répondre à ce message
  • Voici l’exemple recherché

    le 3 janvier 2012 à 17:12, par Marc JAMBON

    x ^3 - 3x + 1
    fournit un exemple de polynôme irréductible sur Q
    avec
    p = - 1
    q = 1/2
    –3[p^3 + q^2] = (3/2)^2
    est un carré parfait dans Q.

    Répondre à ce message

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