Sous la plage, les pavés...
Le 1er juillet 2013 Voir les commentaires (2)
Les jeux sont faits, rien ne va plus comme on dit, car les épreuves de la session 2013 du bac général sont enfin achevées et l’heure d’un premier bilan a peut-être sonné.
Alors que l’on ne peut que se réjouir de voir les mathématiques envahir les musées, continuer d’investir les rayons des libraires, conquérir les scènes des théâtres, bientôt même les salles de cinéma, on ne peut que se désespérer qu’elles désertent les salles de classe et d’examen où elles sont désormais réduites à leur plus simple expression.
Je ne sais pas si c’est là leur « vraie » place mais en tous cas, c’est une de leur place, il ne faudrait pas l’oublier. Bien sûr qu’il faut parler de mathématiques car de l’échange naît l’envie de connaître, de comprendre, c’est le plaisir du sens cher à Nicolas Rouche mais il faut aussi en faire et en faire faire, pour de « vrai ».
Un phénomène étrange concernant la redoutée session 2013 [1] et pour le moins inédit est que les thèmes étaient à chaque fois très similaires si bien que les élèves de Métropole ont fini par avoir le sentiment sécurisant que l’épreuve était « prévisible » ; le bac serait donc soumis à une mode et la tendance 2013 était : probabilités, suites numériques (plutôt les aspects vus en première S au raisonnement par récurrence près), études de fonctions et géométrie analytique dans l’espace.
Deux grands absents des podiums (au grand bonheur des élèves et je pense au grand désespoir des enseignants) : les nombres complexes, un chapitre pourtant emblématique de la terminale S (et je crois plutôt utile en maths comme en physique) et l’intégration.
D’avoir retiré la méthode d’intégration par parties a rendu les concepteurs de sujets frileux sans doute, il faut reconnaître à leur décharge que le remède est pire que le mal. Comme c’est de loin le chapitre que je préfère enseigner, la déception a été immense. Même les calculs de primitives, dans des cas très simples, leur ont été le plus souvent soigneusement épargnés. On a parfois été amenés à « vérifier » qu’il s’agissait d’une primitive ou carrément à « admettre » que...
Une conséquence est que les sujets en sections S et ES tendent à devenir interchangeables ; je crains que l’on évolue vers une section unique avec une coloration scientifique uniquement venue des options. On voulait la fin de l’hégémonie de la section S : c’est fait, elle a été vidée de toute substance. Inutile de continuer de s’acharner sur elle. Quant au bac S qui ouvre toutes les portes, ce n’est pas si simple et cela finira par devenir une légende.
Les écoles et classes préparatoires se fient bien davantage aux dossiers des élèves qu’à l’obtention d’un diplôme que l’on peut obtenir avec au moins deux très mauvaises notes en sciences d’ailleurs.
Echec et mat comme on dit.
Pondichéry a ouvert la marche avec un sujet en demi-teinte par rapport aux années précédentes ; en général, les énoncés produits par l’Inde sont assez fouillés, formulés avec soin, équilibrés, bref représentatifs du programme. Rien de tout cela cette année.
Le premier exercice (une étude de fonction autour de la croissance du maïs), a profondément dérouté mes terminales S qui ont souhaité s’y confronter en guise d’entrainement : une question de difficulté, c’est-à-dire de « fond » ?, non simplement de forme car c’est un sujet « d’ambiance ES » (détermination de la fonction à étudier via un pseudo-système linéaire, recherche d’antécédents, valeur moyenne, puis un clin d’oeil à la notion de convexité qui ne fait pas partie du programme de la terminale scientifique). Les élèves étant plus « conditionnés » que réellement « formés », le vieil adage : « qui peut le plus, peut le moins » est bien souvent mis en défaut.
Un second exercice était vraiment très décevant. Résolu en un quart d’heure environ (et encore, si l’on était paralysés par l’angoisse), il portait officiellement sur les nombres complexes mais ces derniers étaient délaissés dès que possible pour revenir aux coordonnées cartésiennes. On remarquera au passage cette consigne pour le moins inattendue : « Tracer la droite (OI) et vérifier rapidement les propriétés 1 et 2 à l’aide du graphique ».
Est-on si loin du : « Souligne le mot patate en rouge et parles-en avec ton voisin » ?
L’exercice 4 des probabilités/suites était le plus abouti. C’est malgré tout dommage de ne pas avoir laissé aux élèves l’initiative d’invoquer le théorème de Moivre-Laplace : « On admet que l’on peut approcher la loi... ». J’avais cru comprendre que ce théorème délicat et subtil était la fierté du nouveau programme ?
Le Liban a suivi ; jusqu’à présent, il s’agissait là de mon pays « fétiche » et de loin. Une immense déception m’attendait cette année avec un exercice de probabilités autour des compotes Fructidoux d’une naïveté et d’une simplicité déconcertantes. Là encore, S ou ES, même combat.
L’exercice 4 autour des suites numériques qui venait clore cette épreuve avait déjà été posé en 2008 en Nouvelle-Calédonie. L’énoncé n’est pas strictement plaqué, il y a l’inévitable decorum des algorithmes par exemple mais il s’agissait bien de la même suite (et de la même suite auxiliaire). Ce n’est pas un cas unique ; nous avions eu la (mauvaise) surprise de constater que l’exercice 1 posé en Métropole en juin 2010 était strictement extrait d’un énoncé de l’épreuve d’Asie de juin 2006 (exercice 4). Qu’en penser ?
On oscille entre révolte et lassitude. On se dit d’un côté qu’ils pourraient quand même changer les chiffres quitte à préserver la trame de l’énoncé si vraiment toute imagination est tarie et puis après tout, pourquoi les changer ces chiffres ? Qui se rend compte que c’est du « déjà vu » ?
Dans le même temps, on ne compte plus les élèves qui ont des corrigés entiers d’exercices dans leur calculatrice ; des motifs de colère, il y en a tant et il y a tant de personnes qui ne respectent pas, qui ne respectent plus les règles du jeu.
Sous la plage, les pavés décidément...
Amérique du Nord a proposé un sujet traditionnel, sans piège, sans surprise mais le bac est un examen, pas un concours alors ma foi... Idem pour Polynésie même si ces QCM avec deux malheureuses questions sur un chapitre aussi dense que les nombres complexes et deux questions d’espace sont terriblement frustrants. Ce type d’exercice qui dénature littéralement le thème abordé n’a vraiment pour seul avantage que celui de permettre une correction au lance-pierre.
Un OVNI dans ce cru 2013 sans saveur, c’est le sujet d’Antilles-Guyane ; le seul qui ait eu le courage de faire un véritable exercice sur les nombres complexes, un exercice riche, plus impressionnant que difficile mais qui a jeté un froid lorsque le sujet a été mis en ligne !
Je passe sous silence les sujets d’Asie et de Centres Étrangers pour en venir brièvement à la France. Les exercices 2 et 4 étaient soigneusement construits, motivés donc plutôt une bonne surprise quand nous produisons généralement les énoncés les plus insipides du monde ;-). En revanche, nous sommes le seul pays à ne pas avoir honoré le nouveau programme en illustrant la notion de lois normales (et éventuellement celles d’intervalles de fluctuation/confiance). Les trois derniers mois, j’ai répété sans relâche que s’il y avait un thème qui serait forcément représenté tant il s’était développé, c’était celui des lois continues donc j’avoue être restée sans voix.
L’exercice 1 était l’un dans l’autre un exercice de première S (année du premier contact avec le principe du schéma de Bernoulli) et de ce fait il était très (voire trop) facile. On imaginait un texte tellement plus dense, confrontant le discret et le continu par exemple.
L’inévitable vrai/faux laissait sur sa faim ; il s’agissait sans doute de pouvoir mettre dans les thèmes abordés : « nombres complexes et espace » ce qui est un peu prétentieux malgré tout.
En ce qui concerne l’enseignement de spécialité, cette fois tous pays confondus, les exercices ont souvent délaissé l’arithmétique pour faire honneur au nouveau thème : matrices et suites. Ils étaient le cas échéant, tous bâtis sur le même modèle ; au raisonnement par récurrence près, les ES spé maths auraient pu s’y confronter avec en outre le recul salvateur des matrices de Leontiev et celui des prémisses de la théorie des graphes avec la notion d’état stable.
Le bilan est donc plus que mitigé face à des énoncés toujours plus frileux ; j’ai été heureuse bien sûr de voir les élèves de TS que je suivais sortir souriants, confiants, les TES carrément triomphants. Le sujet de Métropole était en effet déconcertant de facilité, les exercices semblaient avoir été écrits dans l’urgence laissant systématiquement un goût d’inachevé. Aucune autonomie n’était laissée aux élèves qui étaient pris par la main à chaque instant. L’exercice de spécialité en particulier était de ce point de vue mémorable. Le soulagement passé, on se dit : « tout ça pour ça » car l’année a été un combat de chaque instant.
Lorsque l’on ouvre le recueil d’annales 2013, on pouvait en effet s’attendre à des problèmes plus consistants.
Dans le numéro d’Avril du trimestriel Tangente Éducation, on pouvait lire p4 :
« Les nouveaux programmes font la part belle aux probabilités, aux statistiques et à l’algorithmique. Cet engouement se fait malheureusement au détriment de disparitions inquiétantes : si les élèves de terminale scientifique sauront désormais tout de la loi normale, les notions de barycentre, de suites adjacentes ou d’équations différentielles leur seront inconnues. »
On a en effet perdu énormément de matière ce qui explique que les textes semblent parfois faits de bric et de broc mais malheureusement on ne peut même pas dire que cela ait été au bénéfice d’autres thèmes pourtant riches d’enseignements. La loi normale au bac, qu’est que cela a été ? Une simple application numérique, c’est à dire soit une valeur à saisir dans un tableau, soit deux paramètres à entrer dans une calculatrice. C’est donc un échec complet qui fait des élèves de simples consommateurs de modèles.
Il y a pourtant une vie après bac, une vie pas si facile. Les programmes des classes préparatoires scientifiques sont exigeants mais pas seulement ; il faut jeter un coup d’oeil au TD de maths de la première année de licence d’Éco-gestion (fonctions à deux variables, réduites de Gauss, développements limités...) pour se convaincre que le lycée ne joue pas son rôle de tremplin et qu’après la plage, il ne faudrait pas que ce soit les pavés qui les attendent.
Karen
P.S. Si vous souhaitez vous offrir quelques lectures au soleil, voici quelques livres que j’ai lus cette année :
- Est-il impossible d’enseigner les mathématiques ? d’André Revuz (PUF l’éducateur)
- L’univers des mathématiciens de Bernard Zarca (Presses Universitaires de Rennes)
- L’enseignement des mathématiques : nouvelles perspectives de Choquet, Dieudonné, Piaget & co. (Delachaux et Niestlé)
- Faire des mathématiques : le plaisir du sens de N. Rouche, R. Bkouche et B. Charlot (Armand Colin)
- Pourquoi des mathématiques à l’école ? de Roland Charnay (ESF éditeur)
- Délires et tendances dans l’éducation nationale de Dany-Jack Mercier (éditions Publibook Université)
- Le calcul formel : Tangente Éducation Avril 2013
- Refondons l’école de Vincent Peillon (Seuil)
- L’enseignement dans le chaos des réformes et des attentes de Dany-Jack Mercier
- Les ouvrages de mathématiques dans l’histoire ; entre recherche, enseignement et culture coordonné par Évelyne Barbin et Marc Moyon
Notes
[1] Les énoncés sont accessibles sur plusieurs sites notamment http://www.apmep.asso.fr/-Annales-Bac-Brevet-BTS et http://www.math93.com/
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Pour citer cet article :
— «Sous la plage, les pavés...» — Images des Mathématiques, CNRS, 2013
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