Systèmes dynamiques aléatoires
Piste noire Le 5 juin 2012 Voir les commentaires
Cet article a été écrit en partenariat avec Le Séminaire Bourbaki

Cet article est une introduction à l’exposé de François Ledrappier « Mesures stationnaires sur les espaces homogènes, [d’après Yves Benoist et Jean-François Quint] » au Séminaire Bourbaki le samedi 9 juin 2012.
Il présente un résultat récent, qui se situe au carrefour de la théorie des systèmes dynamiques et de la théorie des probabilités. Il montre que certaines transformations aléatoires ont tendance à adopter des comportements moins chaotiques que des transformations non aléatoires.
Systèmes dynamiques
La théorie des systèmes dynamiques vise à la compréhension de la situation suivante : on se donne un ensemble $X$ et une transformation $T$ de $X$ dans $X$, c’est-à-dire que pour chaque élément $x$ de $X$, on définit un nouvel élément $T(x)$, qu’on appelle son image sous l’action de la transformation $T$. On itère alors la transformation $T$, c’est-à-dire qu’on considère, pour un $x$ dans $X$ donné, la suite $x$, $T(x)$, $T^2(x)=T(T(x))$, $T^3(x)=T(T^2(x))$, etc. et on cherche à décrire le comportement de cette suite, qu’on appelle l’orbite de $x$.
Cette démarche trouve sa motivation dans l’étude de systèmes physiques. En effet, l’état d’un tel système à un instant donné se décrit par un certain nombre de données numériques : celles-ci constituent l’ensemble $X$. Par exemple, si l’on cherche à décrire le mouvement d’un corps de taille négligeable, il faut donner, d’une part, sa position (soit trois nombres réels) et, d’autre part, sa vitesse (trois autres nombres réels). Ainsi, dans cette étude, l’ensemble $X$ à considérer est-il l’ensemble $\mathbb R^6$ des familles de six nombres réels. On conçoit que, pour des systèmes physiques plus sophistiqués, l’ensemble $X$ est très gros ! La transformation $T$, quant à elle, représente l’évolution du temps : si, à l’instant $0$, je connais la position et la vitesse d’un corps et si je connais les forces qui s’exercent sur lui, alors je sais que sa position et sa vitesse à l’instant $1$ sont fixées. Ainsi, si un élément $x$ de $X$ décrit l’état d’un système physique à l’instant $0$, on définit $T(x)$ comme étant l’état du système à l’instant $1$. Alors, la suite $x$, $T(x)$, $T^2(x)$, $T^3(x)$, etc. décrit ses états aux instants 0, 1, 2, 3, etc. Pour être précis, je devrais aussi bien sûr étudier les états du système aux temps qui ne sont pas entiers. Je me restreins dans cet article aux temps entiers afin de simplifier cette présentation.
La difficulté vient de ce que, en général, la quantité $T(x)$ est difficile à calculer explicitement. Les lois physiques ont en effet tendance à la présenter comme la solution d’une équation dont $x$ est un paramètre et non à la définir par une formule du type $T(x)=$ une fonction de $x$.
Dans certaines situations, l’équation qui définit $T(x)$ de façon implicite peut se transformer en une équation explicite où $T(x)$ s’exprime à l’aide de fonctions usuelles à partir de $x$. C’est le cas, notamment, du problème gravitationnel à deux corps (qu’on étudie en première année de physique à l’université ou en classes préparatoires) qui a été résolu par Newton : on sait qu’alors, un des deux corps étant considéré comme fixe, le centre de gravité de l’autre décrit une conique, qu’il parcourt à une vitesse précise.
En général, nous ne pouvons pas calculer $T(x)$, et nous en sommes réduits à décrire la suite $x$, $T(x)$, $T^2(x)$, $T^3(x)$, etc. de façon qualitative : par exemple, on peut se demander si elle visite tout l’espace ou si elle reste cantonnée à une certaine zone de celui-ci. La théorie des systèmes dynamiques vise à développer des méthodes qui permettent d’effectuer ce type de description.
Transformation du chat
Venons-en maintenant à la description d’un exemple célèbre, qui a été considérablement étudié depuis une cinquantaine d’années : la transformation du chat d’Arnold $T$ dans le carré $X=[0,1[\times[0,1[$.
- Une orbite périodique de la transformation du chat
Cette transformation est un exemple élémentaire de ce qu’on appelle parfois un système chaotique ou encore dépendant des conditions initiales. Ce comportement chaotique était illustré par V. Arnold en faisant agir cette transformation (ou plus précisément une version discrétisée de celle-ci) sur l’image d’un chat, d’où son nom (on trouvera des images de cette action sur cette page).
Plus précisément, si $x$ est un élément de $X$ (donc un état initial de notre système ), il existe des points $y$ arbitrairement proches de $x$ tels que le comportement des suites $x$, $T(x)$, $T^2(x)$, $T^3(x)$, etc. et $y$, $T(y)$, $T^2(y)$, $T^3(y)$, etc. soit complètement différent. En d’autres termes, une perturbation infime des conditions initiales du système amène à des évolutions radicalement différentes. Par exemple, il existe des points $x$ de $X$ tels que la suite $x$, $T(x)$, $T^2(x)$, $T^3(x)$, etc. visite l’ensemble du carré (c’est-à-dire que pour tout disque $D$ aussi petit que l’on souhaite contenu dans le carré, il existe un entier $n$ tel que $T^n(x)$ appartienne à $D$), mais il existe des points $y$ arbitrairement proches de $x$ tels que la suite $T^n(y)$ tende vers $(0,0)$ quand $n$ tend vers l’infini.
Pour plus de renseignements sur les transformations chaotiques, on pourra lire l’article d’Etienne Ghys sur l’effet papillon.
Transformation du chat aléatoire
Modifions maintenant notre situation de départ en y introduisant une part d’aléatoire. Donnons-nous toujours un ensemble $X$, mais étudions à présent deux transformations $S$ et $T$ sur $X$. A un point $x$ de $X$, nous allons associer une trajectoire aléatoire de la façon suivante. Au lieu d’appliquer à $x$ une des transformations fixée, on tire au hasard avec une pièce. Si on obtient pile, on applique $S$ et si on obtient face, on applique $T$. On itère ce procédé. Ainsi, la trajectoire de $x$ prend-elle la forme $x$, $R_1(x)$, $R_2(R_1(x))$, $R_3(R_2(R_1(x)))$, etc. où, pour tout entier $n$, $R_n$ est $S$ si à la $n$-ième étape nous avons tiré pile et $T$ si nous avons obtenu face. On cherche alors à décrire ce qu’on appelle l’évolution presque sûre de cette suite, c’est-à-dire, vu qu’elle est aléatoire, à dire ce qui peut lui arriver avec probabilité $1$.
Ce modèle n’est pas absurde d’un point de vue physique. En effet, on peut tout à fait considérer que les contraintes qui s’exercent sur le système évoluent au cours du temps. Alors les lois d’évolution qui le régissent sont elles-mêmes fluctuantes, ce dont on tient compte en les considérant comme aléatoires.
Quel est le comportement de systèmes du type de la transformation du chat quand on les rend aléatoires ? Pour le comprendre, il faut nous donner une nouvelle transformation $S$ du carré. Définissons $S$ de manière analogue à $T$ en inversant le rôle des deux coordonnées du carré.
Le résultat remarquable est alors le suivant : la transformation aléatoire ainsi obtenue perd d’une certaine façon son caractère chaotique. Plus précisément, si $x=(s,t)$ est un point fixé de $[0,1[\times[0,1[$ tel que l’une des coordonnées $s$ et $t$ est irrationnelle, alors, avec probabilité $1$, la suite aléatoire $x$, $R_1(x)$, $R_2(R_1(x))$, $R_3(R_2(R_1(x))$, etc. visite l’ensemble du carré, c’est-à-dire que, pour tout disque $D$ aussi petit que l’on souhaite contenu dans $[0,1[\times[0,1[$, il existe un entier $n$ tel que $R_n(\cdots (R_1(x))$ appartienne à $D$.
Ce résultat, que nous avons obtenu avec Yves Benoist (CNRS - Université Paris Sud) s’inscrit dans un cadre général où nous montrons que beaucoup de transformations aléatoires ont tendance à se comporter de manière analogue. Il fait suite à des travaux de Jean Bourgain, Alex Furman, Elon Lindenstrauss et Shahar Mozes sur ce sujet.
Bibliographie
Je donne ces références accessibles en ligne à titre indicatif. Elles ne sont pas compréhensibles par un non mathématicien.
J. Bourgain, A. Furman, E. Lindenstrauss, S. Mozes Stationary measures and equidistribution for orbits of non-abelian semigroups on the torus
Y. Benoist, J.-F. Quint, Mesures stationnaires et fermés invariants des espaces homogènes.
Y. Benoist, J.-F. Quint Random walks on finite volume homogeneous spaces.
Y. Benoist, J.-F. Quint Stationary measures and invariant subsets of homogeneous spaces (II)
Y. Benoist, J.-F. Quint Stationary measures and invariant subsets of homogeneous spaces (III)
La rédaction d’Images des maths et l’auteur, remercient pour leur relecture attentive,
les relecteurs dont le pseudonyme est le suivant : Nicolas,
Ludovic Marquis et Jérôme Poineau.
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Pour citer cet article :
Jean-François Quint — «Systèmes dynamiques aléatoires» — Images des Mathématiques, CNRS, 2012
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