Théorème vivant

Le 23 août 2012  - Ecrit par  Aurélien Alvarez Voir les commentaires (7)

« On me demande souvent à quoi ressemble la vie d’un chercheur, d’un mathématicien, de quoi est fait notre quotidien, comment s’écrit notre œuvre. C’est à cette question que le présent ouvrage tente de répondre. »

Ces jours-ci, peut-être aujourd’hui, sort aux éditions Grasset un récit intitulé Théorème vivant. De quoi s’agit-il ? Laissons parler son auteur, Cédric Villani, bien connu sur ce site, et presque partout dans le monde ;-).

« Le récit suit la genèse d’une avancée mathématique, depuis le moment où l’on décide de se lancer dans l’aventure, jusqu’à celui où l’article annonçant le nouveau résultat - le nouveau théorème - est accepté pour publication dans une revue internationale. Entre ces deux instants, la quête des chercheurs, loin de suivre une trajectoire rectiligne, s’inscrit dans un long chemin tout en rebonds et en méandres, comme il arrive souvent dans la vie. »

Voici une petite vidéo de publicité où Cédric nous donne envie de lire son livre :

Pour vous donner un avant-goût, voici le début du chapitre 1, tel qu’on le trouve sur le site de l’éditeur.

Lyon, le 23 mars 2008

Un dimanche à 13 heures ; le laboratoire serait désert, s’il n’y avait deux mathématiciens affairés. Un rendez-vous intime pour une séance de travail au calme, dans le bureau que j’occupe depuis huit ans au troisième étage de l’Ecole normale supérieure de Lyon.
Assis dans un fauteuil confortable, je tapote énergiquement sur le large bureau, les doigts déployés telles les pattes d’une araignée, comme mon professeur de piano m’y a entraîné jadis.

A ma gauche, sur une table séparée, une station de travail informatique. A ma droite, une armoire contenant quelques centaines de livres qui parlent de mathématique et de physique. Derrière moi, soigneusement rangées sur de longues étagères, des milliers et des milliers de pages d’articles, photocopiés à une époque ancestrale où les revues scientifiques n’étaient pas encore électroniques ; et des reproductions de nombreux ouvrages de recherche, photocopillés à une époque où mon salaire ne me permettait pas d’étancher ma soif de livres. Il y a aussi un bon mètre linéaire de brouillons, méticuleusement archivés durant de longues années ; et tout autant de notes manuscrites, témoins d’innombrables heures passées à écouter des exposés de recherche. Sur le bureau devant moi, Gaspard, mon ordinateur portable, baptisé en l’honneur de Gaspard Monge, le grand mathématicien révolutionnaire ; et une pile de feuilles couvertes de symboles mathématiques, griffonnées aux huit coins du monde et rassemblées pour l’occasion.

Mon complice, Clément Mouhot, regard pétillant et marqueur à la main, se tient près du grand tableau blanc qui occupe tout le mur en face de moi.

  • Alors explique, pourquoi tu m’as fait venir, c’est quoi ton projet ? Tu n’as pas trop donné de détails dans ton mail.
  • Je me remets à mon vieux démon, évidemment c’est très ambitieux, c’est la régularité pour Boltzmann inhomogène.
  • Régularité conditionnelle ? Tu veux dire, modulo des bornes de régularité minimales ?
  • Non, inconditionnelle.
  • Carrément ! Pas dans un cadre perturbatif ? Tu crois qu’on est prêts ?
  • Oui, je m’y suis remis, j’ai à peu près bien avancé, j’ai des idées, mais là je suis bloqué. J’ai décomposé la difficulté avec plusieurs modèles réduits, mais même le plus simple m’échappe. Je croyais l’avoir avec un argument de principe de maximum, et là non, tout s’est écroulé. J’ai besoin d’en parler.
  • Vas-y, je t’écoute.

Je parle longuement : le résultat que j’ai en tête, mes tentatives, les différents morceaux que je n’arrive pas à enchaîner les uns aux autres, et le puzzle logique qui ne se met pas en place, l’équation de Boltzmann qui demeure rebelle.

L’équation de Boltzmann, la plus belle équation du monde, comme je l’ai dit à un journaliste ! Je suis tombé dedans quand j’étais petit, c’est-à-dire pendant ma thèse, et j’en ai étudié tous les aspects. On trouve de tout dans l’équation de Boltzmann : la physique statistique, la flèche du temps, la mécanique des fluides, la théorie des probabilités, la théorie de l’information, l’analyse de Fourier. Certains disent que personne au monde ne connaît mieux que moi le monde mathématique engendré par cette équation.

Comme je n’ai pas encore lu le livre, je n’en dis pas plus ! Mais j’espère que, comme moi, vous avez déjà envie de vous plonger dedans... Et je vous rappelle l’article Les surprenantes propriétés des plasmas écrit par Clément Mouhot sur Images des maths à propos de ces travaux, racontés aujourd’hui d’une tout autre manière.

Bonne lecture, il reste encore quelques jours avant la rentrée et un traditionnel mois de septembre souvent bien chargé...

Notez que Cédric Villani était également l’invité de Julie Gacon dans Les Matins d’été hier sur France Culture.

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Pour citer cet article :

Aurélien Alvarez — «Théorème vivant» — Images des Mathématiques, CNRS, 2012

Commentaire sur l'article

  • Théorème vivant

    le 23 août 2012 à 08:33, par Maxime Bourrigan

    Le livre est sorti hier (mercredi 22 août). Le moins qu’on puisse dire est qu’il est audacieux :-)

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  • Théorème vivant

    le 23 août 2012 à 10:18, par Christine Huyghe

    Le début est alléchant.

    Que représente l’arrière-plan de la photo de couverture,
    qui a de loin un petit côté Jules Verne (renforcé par la tenue vestimentaire de l’auteur du livre) ?

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  • Théorème vivant

    le 23 août 2012 à 12:19, par Bernard Hanquez

    Je l’ai acheté dès sa sortie, il était curieusement classé avec les romans chez mon libraire !

    J’en ai lu quelques pages, c’est surprenant mais intéressant. J’aime bien ces livres (rares) où l’auteur traite son sujet d’une manière inattendue. Je vous en dirait plus quand j’aurai un peu avancé dans sa lecture.

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  • Théorème vivant

    le 5 septembre 2012 à 20:30, par kosmanek

    Première critique du dernier livre de Villani :

    Article de yann MOIX dans le « Figaro littéraire » daté du 29 août 2012

    Titre : « VILLANI, un poète des nécessités »

    "Cédric VILLANI est, comme tous les mathématiciens, un poète des nécessités.
    Des relations nécessaires entre les essences pures.
    Dans « Théorème vivant » il raconte avec effervescence la beauté de sa manie : chercher, trouver.
    Les formules mathématiques sont ici livrées à l’état brut, les équations sont en liberté dans leur écosystème,
    sans concessions, scintillantes, mystérieuses, abruptes, élégantes.
    Intégrales triples, sommes algébriques, dérivées partielles, séries de Fourier, rien ne manque.

    Mais par une énigme inédite, par une insolite alchimie, le lecteur profane ne reste pas à la porte :
    il est emporté par une énergie spéciale.
    Cette énergie, c’est celle de l’enfance.
    On ne cesse d’être frappé, à la lecture de cet ouvrage à nul autre pareil,
    par la candeur de l’auteur, sa naïveté, sa fraïcheur.
    Ses dégagements sur les paysages de campus, son idole Catherine RIBEIRO, les petits oiseaux ou l’amour,
    devraient prêter à sourire.
    Mais quelque chose de très profond congédie toute moquerie :
    le sujet de cette vie, de ce destin, de ce livre, c’est la FRAICHEUR, la perpétuelle inventivité.
    Sous la candeur, le génie mathématique.
    Le prélude nécessaire à toute découverte, à toute explosion.

    C’est un enfant qui a écrit ce livre.
    Parce que seul un enfant peut tout voir à neuf, comme s’il nettoyait le monde à chaque regard qu’il pose sur lui.
    Le cerveau de VILLANI, ce livre en apporte la preuve, a besoin de cette infantilité, de cette immaturité,
    pour cerner l’infinie complexité des mondes qu’il découvre, qu’il bâtit, qu’il défriche, qu’il invente.
    « Théorème vivant », jusque dans son étanchéité de lecture, est un roman d’aventure raconté à des adultes, mais par un petit enfant.

    La prouesse intellectuelle n’est jamais soulignée :
    ce qui se libère à nos yeux, c’est l’étonnement ;
    et d’abord, le propre étonnement de celui qui voit, qui a vu le premier, a été le seul et le premier à voir, à démontrer, à prouver.
    Aventure de celui qui va plus loin que ses prédécesseurs, dans des boues mathématiques
    où l’on s’enfonce aussi aisément que dans des sables mouvants.
    Il y a une prime à l’intuition, à la candeur et au courage, à l’inconscience surtout.

    VILLANI est lui-même, il ne sait parler que sa langue, c’est précisément la marque de l’écrivain.
    Que cette langue soit imperméable ou non, il suffit d’aller faire un tour du côté de JOYCE pour se persuader que la question n’est pas là.
    Voici un roman d’un genre neuf.
    Le « roman ultraspécialisé marche ou crève ».Il fallait oser se livrer sans rien dévoiler ou réciproquement.
    L’important est de ne pas se trahir.

    Avec son altitude qu’il n’a pas souhaité rabaisser, sa folie qu’il n’a
    pas daigné lisser, sa démesure qu’il n’a pas cherché à brider
    et sa gentille gentillesse qu’il ne s’est pas contraint à brusquer,
    VILLANI fait une entrée personnelle, unique, genre HAPAX, dans la
    littérature française..."

    P.S. J’ai transmis cette critique à Villani qui l’a trouvée intéressante, surtout la comparaison avec un enfant ...
    KOSMANEK Edith
    Docteure en maths
    Membre SMF
    http://kosmosya.xooit.fr/index.php

    Répondre à ce message
  • Cedric zoo

    le 17 octobre 2013 à 21:21, par Marceldu42

    allez cedric villani !!!!
    continue a nous eblouir bo gosse avec ton style vestimentaire ( swag de ouf !!! )

    MARCEL DU 42 aka ROBERT LE CYBER

    Répondre à ce message

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