Un journal mathématique original : le Ladies’ Diary (1704-1840)

Piste verte Le 20 avril 2019  - Ecrit par  Sloan Despeaux Voir les commentaires

Le Ladies’ Diary est un périodique qui fut un des premiers lieux de communication mathématique en Grande-Bretagne. Cet almanach, publié pendant plus d’un siècle, connut une vie d’une durée exceptionnelle. Ses lecteurs en devinrent des contributeurs actifs en posant et résolvant des problèmes mathématiques chaque année. Alors qu’on pourrait penser qu’avec un tel titre la majorité des contributeurs devraient être des femmes, les hommes dominèrent très vite la section du journal consacrée aux questions et réponses. Quelques uns étaient des « praticiens des mathématiques » qui utilisaient des mathématiques dans leur profession, tels les arpenteurs ou les navigateurs. D’autres étaient enseignants de mathématiques. Toutefois, beaucoup de ces hommes se revendiquaient « philomathes », c’est-à-dire qu’ils étudiaient les mathématiques uniquement en tant qu’amateur. Cet article présente une vue d’ensemble des lecteurs qui ont posé et répondu à des questions mathématiques dans cet almanach de 1707 à 1840.

Rediffusion d’un article publié le 20 avril 2019.

1. Les almanachs, un genre à succès

Durant le dix-huitième siècle en Grande-Bretagne, les almanachs furent le lieu où les passionnés de mathématiques cherchaient des informations, des défis et une communauté. Le Ladies’ Diary fut un de ces almanachs. Il fut créé en 1704 sous le titre “The Ladies Diary : or, The Womens ALMANACK,… Containing many Delightful and Entertaining Particulars Peculiarly adapted for the Use and Diversion of The FAIR-SEX” [1], et était un almanach avec des articles pour les ménagères. Cependant, très vite, en 1707, un lecteur homme envoya une question mathématique à l’éditeur qui remplaça alors beaucoup des contenus en lien avec la tenue de la maison (comme des recettes de cuisine) par des contenus mathématiques. De façon intéressante, à partir de 1707, en dépit du titre et de la couverture qui demeurèrent inchangés, ce furent tout à la fois des hommes et des femmes qui lurent et répondirent aux questions mathématiques du Diary, posées une année et résolues la suivante.

Un numéro annuel du Diary comptait ordinairement une cinquantaine de pages et contenait les informations qu’on pouvait s’attendre à trouver dans un almanach. Toutefois, dans les années 1720, un tiers du journal était dévolu à des devinettes — énigmes, rébus ou paradoxes — et un autre tiers à des questions mathématiques (Albree et Brown, 2009, p.18) [2]. Chaque année le Ladies’ Diary publiait 15 questions auxquelles il fallait répondre pour l’année suivante. Les noms des lecteurs qui envoyaient les questions comme ceux des lecteurs qui envoyaient les solutions étaient publiés.

Ce format s’avéra un succès : en 1750 le Ladies’ Diary bénéficiait d’une diffusion de 30 000 exemplaires et resta parmi les cinq almanachs les plus vendus durant les cinquante années suivantes (Costa, 2002, p.52). La popularité du format almanach annuel se maintint pendant 136 ans et elle inspira une multitude d’almanachs semblables tout au long du dix-huitième siècle comme le Gentleman’s Diary (1741-1840), le Palladium (1749-1779), le Royal Almanack (1776-1788), et le Diaria Britannica (1787-1795). Pour palier l’attente entre deux numéros annuels, certains journaux comprenant des rubriques questions et réponses mathématiques furent créés avec un format trimestriel voire mensuel. Mais dans l’ensemble ces entreprises échouèrent rapidement après leur lancement à cause de difficultés financières.

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Page titre du Gentleman’s Diary, 1787

Les contributeurs mathématiques posaient et résolvaient chaque année des problèmes dans plusieurs almanachs à la fois. Les lecteurs envoyaient à l’éditeur les questions et les réponses sous leur nom, rendant visible leur interaction et leur engagement avec l’almanach. Cette pratique permet aujourd’hui à l’historien d’avoir une meilleure connaissance du public qui utilisait cet almanach comme un moyen de communication mathématique.

Cet article voudrait donner une première approche de qui ont été les lecteurs actifs qui ont interagi avec le Ladies’ Diary tout au long de son histoire. Nous nous intéresserons tout d’abord au lectorat féminin à qui l’almanach était destiné, au moins d’après son titre, puis nous considèrerons la surprenante diversité des origines de son lectorat masculin. Nous montrerons comment des travailleurs qui cultivaient les mathématiques comme un passe-temps utilisaient le Diary pour apprendre, pour acquérir de la notoriété et pour s’élever dans l’échelle sociale. Enfin nous regarderons comment les académies militaires britanniques recrutèrent leurs enseignants de mathématiques dans le milieu des lecteurs actifs du Ladies’ Diary et, en retour, fournirent à l’almanach des éditeurs et encore plus de contributeurs.

2. Le Ladies’ Diary était-il destiné aux dames ?

Il est difficile de connaître la part des femmes dans le lectorat actif du Diary compte tenu de la pratique alors commune d’user de pseudonymes. Soucieuses des impératifs de modestie dus à leur sexe, les femmes, assez audacieuses pour soumettre à l’almanach des questions ou des réponses, cherchèrent souvent l’anonymat sous un pseudonyme. La part des contributions mathématiques dues à des femmes a été estimée à 11,4 % de l’ensemble des contributions identifiées entre 1711 et 1724. Toutefois le nombre réel de femmes correspondant avec l’éditeur du Diary était beaucoup plus élevé que ne le laisse à penser ce pourcentage (Costa, 2002, p.65-66) [3]. En fait, en 1718, le second éditeur du Diary, Henry Beighton, écrivit à ses lecteurs qu’ils devaient honorer les femmes contribuant au Diary comme des « amazones de notre nation ; et les étrangers seraient surpris si je leur montrais les pas moins de quatre ou cinq cent lettres de tant de femmes, avec des solutions géométriques, arithmétiques, algébriques, astronomiques et philosophiques » [4].

Au milieu des années 1720, en dépit des encouragements de Beighton, les contributions mathématiques des femmes dans le Diary commencèrent à diminuer. Ce déclin coïncide avec un changement dans la présentation des questions mathématiques. Elles furent moins souvent posées sous forme de vers rimés et plus sous la forme d’un discours technique en prose rempli de symboles et d’équations (Costa, 2002, p.70) [5].

Pour illustrer ce changement, regardons les différentes versions de la Question 5, posée pour la première fois en 1708 et publiée à nouveau en 1817. Elle est d’abord, comme toutes les questions mathématiques des premières années, posée en vers [6] :

Traduction de la transcription

Quand premièrement le lien du mariage fut noué
Entre ma femme et moi,
Mon âge dépassait le sien
Autant que trois fois trois le fait à trois :
Mais après quinze ans,
Où nous fûmes mari et femme ;
Son âge se rapprocha du mien
Comme huit est seize.
Maintenant dîtes moi, si vous le pouvez,
Quel était notre âge le jour du mariage ?

Transcription modernisée

Transcription dans une orthographe et un anglais plus modernes :

When first the Marriage knot was tied
Between my wife and me,
My age did hers as far exceed
As Three times three does Three :
But after Fifteen years,
We man and wife had been ;
Her age camp up as near to mine
As eight is to sixteen
Now tell me, if you can, I pray
What was our age of the marriage day ?

Dans la réédition des questions mathématiques du Diary de 1704 à 1816, l’éditeur Thomas Leybourn traduisit les poèmes en prose « simple mais claire » car il jugeait que la poésie mathématique « dans la plupart des cas était mauvaise et souvent à peine compréhensible » (Leybourn, 1817, p.vi). Nous présentons ci-dessous sa réinterprétation de la question 5 et de sa solution (Leybourn, 1817, p.2).

Question 5 (traduction)

V. Question 5

Une personne remarque que le jour de son mariage la proportion entre son âge et celui de sa femme est comme celle de 3 à 1 ; mais 15 ans plus tard la proportion de leur âge était de 2 à 1. Quels étaient leurs âges le jour de leur mariage ?

Réponse : L’âge du mari était 45, celui de la femme 15 ans.

Solution

Pose $z$ et $3z$ pour les deux âges, et $a=15$ ; alors $2:1 :: 3 z+a : z+a$ [7], ou $3z+a = 2z+2a$ ; d’où $z=a=15$, et $3z = 45$.
Mais peut-être la méthode la plus magistrale pour résoudre ce problème est celui-ci : puisque $2 :1 :: 3z+a : z+a$, soustrais chaque conséquent de son antécédent [8], et ainsi nous avons $1:1 :: 2z : z+a$ ;
mais $1:1 :: z:z$
d’où, en soustrayant $1 :1 :: z/a$ ; ou $z=a=$le nombre ajouté aux deux âges.

Question 5 (version originale)

V. Question 5.

A person remarked that upon his wedding day the proportion of his own age to that of his wife was as three to 1 ; but 15 years afterwards the proportion of their ages was as 2 to one. What were their ages upon the day of marriage ?

Answer. The husband’s age was 45, and the wife’s 15 years.

Solution

Put $z$ and $3z$ for the two ages, and $a=15$ ; then $2:1::3z+a:z+a$, or $3z+a=2z+2a$ ; hence $z=a=15$, and $3z=45$.
But perhaps the more masterly way of solving this problem is thus : since $2:1::3z+a:z+a$, subtract each consequent from its antecedent, and we have $1:1::2z:z+a$ ;
but $1:1::z:z$
hence, by subtracting $1:1::z:a$ ; or $z=a=$the number added universally.

En 1749, seulement une des treize nouvelles questions mathématiques de l’année était écrite en vers et, si l’une était proposée sous un pseudonyme, Harmonicus, toutes les autres étaient posées par des lecteurs hommes.

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Nouvelles questions tirées du volume de 1749 du Ladies’ Diary, page 39

Dans les questions qui figurent dans l’image ci-dessus, on peut noter deux systèmes de numération distincts. Les chiffres romains (de I à VI ci-dessus) indiquent les quinze nouvelles questions de l’année. Les contributeurs soumettent des questions mais il revenait aux éditeurs de choisir parmi elles les quinze de cette année-là (en plus des questions primées dont nous parlerons plus loin). Les chiffres arabes (de 311 à 316 ci-dessus) gardaient trace du nombre croissant des questions que le Ladies’ Diary avait publié jusqu’ici dans l’ensemble de ses volumes. Au total, le Ladies’ Diary publia environ 1930 questions.

Quels étaient les sujets couverts par ces questions ? Environ 45 % d’entre elles entre 1708 et 1840 ont porté sur la géométrie. Les autres sujets répandus [9] étaient l’algèbre, l’astronomie, la dynamique et, pour la dernière période, de 1817-1840, le calculus [10]. Au fur et à mesure, la difficulté de ces problèmes augmenta en même temps que le ton changea, transformant le Diary « d’un forum où l’habileté géométrique, algébrique, astronomique, philosophique des femmes était affichée et louée en un forum qui, dans les mots, était dédié aux femmes et aux mathématiques mais dans lequel le badinage poli avait été remplacé par un discours de plus en plus axé sur les compétences, pouvant aller jusqu’à l’affrontement [11] » (Costa, 2002, p.70).

3. Les lecteurs hommes du Ladies’ Diary : Praticiens, Gentlemen, Philomathes

Beaucoup des contributeurs masculins du Ladies’ Diary n’avaient aucune formation scolaire et travaillaient comme arpenteurs, maîtres [12] ou fabricants d’instruments. Ces praticiens des mathématiques utilisaient les mathématiques dans leur travail de tous les jours. La croissance du commerce depuis la période élisabéthaine [13] avait encouragé les hommes à acquérir un savoir pratique des mathématiques. L’intérêt croissant porté à la navigation et son importance de plus en plus grande requéraient un savoir mathématique non seulement de ceux qui fabriquaient des instruments de navigation mais aussi de ceux qui devaient les utiliser. L’expansion commerciale permettait également à certains hommes d’avoir le temps et les moyens de se livrer à l’apprentissage des mathématiques pour leur plaisir (Perl, 1979, p.42-43).

Il n’y avait pas que ces mathématiciens gentilshommes qui avaient le temps d’étudier les mathématiques. La classe ouvrière britannique, spécialement en Écosse, avait des motivations pour une telle curiosité intellectuelle (Rose, 2001, p.59) :

« Les tisserands et les mineurs des mines de plomb étaient bien payés et avaient peu d’heures de travail : six heures par jour pour les mineurs, quatre jours par semaine pour les tisserands. Les tisserands devaient savoir lire et écrire pour leur travail, et les compagnies des mines voulaient une main d’œuvre instruite. Les deux métiers avaient un passé d’amicales et d’autodidaxie [14]. »

Ces philomathes, c’est-à-dire ceux qui étudiaient les mathématiques comme passe-temps, étaient tout à fait en-dehors de la sphère universitaire. Ils commencèrent à former des sociétés dédiées à leur intérêt mathématique dans la deuxième décennie du dix-huitième siècle. La Spitafields Mathematical Society fut fondée en 1717 et était composée à l’origine d’hommes cherchant une coupure récréative après une journée de travail, chacun avec « sa pipe, sa pinte et son problème » (De Morgan, 1915, p.376-377) ; au milieu du siècle, environ la moitié des membres étaient des tisserands, mais il y avait également des cuisiniers, des brasseurs, des maçons, des chaudronniers. En 1718, la Manchester Mathematical Society fut fondée par des travailleurs du nord de l’Angleterre qui avaient un fort intérêt pour la géométrie. Plus tard dans le siècle furent fondées de la même façon la York Mathematical Society, active au milieu du siècle, puis en 1794, la Oldham Mathematical Society (Cassels, 1979, p.242, 253-254). Pour les membres de ces sociétés les textes en latin étaient sans utilité. Dans les années 1740, les manuels en anglais d’algèbre et de géométrie de Thomas Simpson (1710-1761) — qui édita plus tard le Ladies’ Diary –- aida à combler l’absence de matériel pédagogique. Néanmoins, le Ladies’ Diary, de même que les autres almanachs et journaux qui contenaient des mathématiques, fournissaient à la fois de l’inspiration et de l’instruction à ces amoureux de mathématiques. Tour à tour les philomathes issus des classes populaires s’engagèrent, au côté des praticiens des mathématiques et des gentlemen mathématiciens, dans des échanges mathématiques animés à travers les questions et les réponses du Ladies’ Diary.

Il est certainement moins surprenant qu’un arpenteur, un fabricant d’instrument ou un gentleman contribue au Ladies’ Diary plutôt qu’un tisserand. C’est pour cela que nous allons à présent regarder un exemple de ces ouvriers philomathes de façon un peu plus approfondie.

4. L’exemple d’un philomathe, John Butterworth (1774-1845)

John Butterworth, un des contributeurs majeurs du Ladies’ Diary était un tisserand du nord de l’Angleterre, qui fut introduit aux mathématiques par la lecture d’un vieil almanach (on ne sait s’il s’agissait du Ladies’ Diary). Bien qu’il commença à tisser à l’âge de six ans et n’apprit à lire qu’adolescent, Butterworth rencontra des philomathes en rejoignant la Oldham Mathematical Society. L’adhésion à la société lui permit d’avoir accès à des livres de mathématiques et il devint vite un contributeur à succès de toute une série d’almanachs et de journaux mathématiques (Cash, 1873, p.221).

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John Butterworth (1774–1845)

À la fin des années 1830, quand la vapeur rendit son métier à tisser obsolète, Butterworth créa une petite école chez lui. Au même moment, il eut une explosion d’activité au sein du Ladies’ Diary : pour les volumes de 1837, 1838 et 1840, il répondit à la moitié des questions publiées et proposa des questions pour les volumes à venir, toutes ses réponses et ses questions étant centrées sur de la géométrie.

Dans le volume de 1840 du Ladies’ Diary, Butterworth répondit correctement à la question primée posée par Wesley S.B. Woolhouse (1809-1983) dont nous parlerons plus loin.

XV. Ou QUESTION PRIMÉE, (1658) ; par M. WOOLHOUSE [15].
(Quiconque y répond avant le 1 Fév., a deux chances pour quinze Diaries.)

Soient $\rho$, $\rho'$, $\rho''$ les rayons de trois cercles, inscrits dans un triangle, et se touchant mutuellement l’un l’autre ; et $r$, $r'$, $r''$ les rayons des trois cercles qui touchent les côtés à l’extérieur. Il est demandé de prouver que
\[ \frac{\sqrt{\rho \rho '} + \sqrt{\rho ' \rho ''}+ \sqrt{\rho '' \rho}}{\sqrt{rr'+r'r''+r''r}} +\frac{\rho}{r}+\frac{\rho'}{r'}+\frac{\rho''}{r''} =1. \]

Deux solutions différentes furent publiées, mais pas celle de Butterworth (il ne fut listé que comme un de ceux qui résolurent la question). La solution de M. James Jerwood et du Rev. J. Sampson montre l’usage de références croisées avec d’autres journaux mathématiques (ici le Leybourn’s Mathematical Journal) et le Diary, ce qui était ordinaire dans l’exposé des solutions :

Soient les trois côtés du triangle notés $c''$, $c'$, $c$. Pose $c''+c'+c=2s$, et soit
\[\begin{array}{rcl} s-c &=& \phi \\ s-c' &=& \phi ' \\ s-c'' &=& \phi '' \end{array}\]
Soit $R$ le rayon du cercle inscrit, et $\rho$, $\rho'$, $\rho''$, $r$, $r'$ ,$r''$ les rayons des six cercles mentionnés dans la question.
Alors par Leybourn’s Math. Repos. Vol. iv., p. 127, nous avons [16]

\[ \begin{array}{lcl} \phi \rho +2R\sqrt{\rho \rho'}+\phi ' \rho ' &=& Rc'' \\ \phi \rho +2R\sqrt{\rho \rho''}+\phi '' \rho '' &=& Rc' \\ \phi \rho' +2R\sqrt{\rho' \rho''}+\phi '' \rho '' &=& Rc. \end{array} \]

D’où,

\[ \begin{array}{lcl} \sqrt{\rho \rho'} &=& \frac{Rc''-\phi' \rho'-\phi \rho}{2R} \\ \sqrt{\rho \rho''} &=& \frac{Rc'-\phi'' \rho''-\phi \rho}{2R} \\ \sqrt{\rho' \rho''} &=& \frac{Rc-\phi'' \rho''-\phi' \rho'}{2R} \end{array} \]

Par addition,

\[ \sqrt{\rho \rho'} +\sqrt{\rho' \rho''} +\sqrt{\rho \rho''} = \frac{R(c''+c'+c)-2(\phi'' \rho''+ \phi' \rho'+\phi \rho)}{2R} \]

ou [17]

\[ \sqrt{\rho \rho'} +\sqrt{\rho' \rho''} +\sqrt{\rho \rho''} + \frac{\phi \rho}{R}+ \frac{\phi' \rho'}{R} + \frac{\phi'' \rho}{R} = \frac{c''+c'+c}{2} = s. \]

Par la proposition de Davies dans le Diary de 1835, p. 53, $\phi =\frac{Rs}{r}$, $\phi' =\frac{Rs}{r'}$ ; $\phi'' =\frac{Rs}{r''}$ ; en substituant ces valeurs dans l’expression ci-dessus et en réduisant, nous avons

\[ \begin{array}{lcl} \sqrt{\rho \rho'} +\sqrt{\rho' \rho''} +\sqrt{\rho \rho''}+\frac{s\rho}{r} +\frac{s\rho'}{r'} +\frac{s\rho''}{r''} &=& s, \\ \frac{\sqrt{\rho \rho'} +\sqrt{\rho' \rho''} +\sqrt{\rho \rho''}}{s} + \frac{\rho}{r} +\frac{\rho'}{r'} +\frac{\rho''}{r''} &=& 1. \end{array} \]

Par la proposition de Davies, $s=\sqrt{rr'+r'r''+rr''}$ [18] ;

\[ \therefore \frac{\sqrt{\rho \rho'} +\sqrt{\rho' \rho''} +\sqrt{\rho \rho''}}{\sqrt{rr'+r'r''+rr''}} + \frac{\rho}{r} +\frac{\rho'}{r'} +\frac{\rho''}{r''} = 1. \]

La présence de questions primées était un trait commun aux almanachs mathématiques. Ces questions étaient en général plus difficiles que le reste des problèmes de chaque volume [19]. Butterworth était en fait l’un des 28 hommes qui résolurent correctement la question ci-dessus, dont la liste était donnée par le Diary. Le prix, quinze copies du Ladies’ Diary, était alors attribué par tirage au sort. Même si Butterworth ne gagna pas à ce tirage, le prix en nature était souvent moins important que sa valeur symbolique. Le contributeur au Ladies’ Diary, Thomas Stephen Davies (1795-1851), dont le nom apparaît dans la solution ci-dessus, notait que :

« ... l’esprit d’émulation avait un rôle ; le sentiment que l’insertion était considérée comme une preuve de supériorité faisait que pour ces hommes, résoudre une question primée était tout autant une question d’ambition que, pour les philosophes d’un rang social plus élevé, gagner le prix proposé par l’Académie des Sciences. » (Davies, 1850, p.437)

Le talent mathématique de Butterworth ne lui fit pas seulement gagner des prix pour des questions/réponses mais il lui permit également d’améliorer ses maigres revenus : bien qu’il trouva cela désagréable, il résolvait, moyennant une modeste rétribution, des problèmes mathématiques pour d’autres qui les publiaient alors sous leur propre nom. Butterworth n’était pas seul à se livrer à l’étude des sciences dans des conditions économiques difficiles. Il fut de fait un des personnages d’un livre de 1873 sur les scientifiques qui avaient eu une humble vie, écrit par le botaniste amateur et journaliste de Manchester, James Cash.

La fondation en 1843 à Manchester de la Society for the Relief and Encouragement of Scientific Men in Humble Life [20] donne une indication de l’ampleur avec laquelle, dans le nord de l’Angleterre, les travailleurs des classes populaires étaient engagés dans les sciences, en particulier les mathématiques. Butterworth reçu une aide de cette société de 1843 jusqu’à sa mort, deux ans plus tard. Ses amis inscrivirent sur une plaque : « Bien qu’ayant une vie humble et de modestes moyens, il gagna néanmoins une place distinguée dans le Temple de la science » [21].

5. Un réseau philomathique : le Ladies’ Diary et les académies militaires britanniques

Le Ladies’ Diary contribua à apporter à Butterworth, tisserand d’origine humble, notoriété et respect. Butterworth n’était pas le seul dans ce cas ; de fait, la notoriété mathématique acquise grâce au Ladies’ Diary apporta des perspectives d’emplois, en particulier dans des écoles militaires, à ceux qui espéraient que leur réussite mathématique les aiderait à monter dans l’échelle sociale. Jusqu’au milieu du dix-neuvième siècle, les mathématiciens des institutions militaires étaient issus en premier lieu des rangs des philomathes et non des universités.

Ainsi, Thomas Simpson, professeur de mathématiques à la Royal Military Academy (RMA) et éditeur du Diary de 1754 à 1760 était le fils autodidacte d’un tisserand du Leicestershire. Un autre éditeur du Diary au cours du dix-huitième siècle, Charles Hutton (1737-1823), travaillait à l’origine dans les mines de charbon et commença à contribuer au Diary en 1764. Hutton obtint un poste à la RMA en 1774 à la suite d’un examen public qui durait plusieurs jours, au cours duquel il résolut une variété de problèmes mathématiques. Ayant aiguisé son talent les dix années précédentes avec la résolution des problèmes posés dans des journaux mathématiques, Hutton remporta la compétition, devint professeur de mathématiques et peu de temps après commença à diriger le Ladies’ Diary. Comme éditeur, il encouragea activement de jeunes mathématiciens, en particulier les philomathes [22].

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Thomas Simpson (1710-1761)
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Charles Hutton (1737-1823)

Un des protégés de Hutton, Olinthus Gregory (1774-1841), qui lui succéda à la direction du Diary en 1819 et y resta jusqu’en 1840, était aussi à la RMA en tant qu’assistant en mathématiques. Il avait des convictions religieuses qui l’excluaient de tout cursus à Cambridge ; les non–anglicans n’avaient pas le droit d’y obtenir des diplômes jusqu’en 1856. Gregory commença à contribuer au Diary en 1794 et fut profondément influencé par Hutton. C’est avec son aide qu’il devint assistant en mathématiques à la RMA en 1802.

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Olinthus Gregory (1774-1841)

Sous la direction de ces éditeurs de l’Académie militaire, la difficulté de certains des contenus mathématiques du Diary continua à croitre. Toutefois, « même si beaucoup des questions du Diary durant les dernières décennies faisaient appel à des connaissances de calcul infinitésimal et d’autres parties élevées de l’analyse, il y avait encore de temps en temps des questions simples à l’intention des lecteurs intelligents sans grande instruction scolaire » (Albree et Brown, 2009, p.26). En 1885, grâce à l’abrogation du British Stamp Duty on Almanachs, Gregory put ajouter un supplément de 24 pages au Ladies’ Diary, comprenant des articles mathématiques originaux ou réédités.

À la mort de Gregory en 1841, le Ladies’ Diary fusionna avec un autre almanach mathématique qui était lui aussi lié à une académie militaire, le Gentleman Diary, pour former le Lady’s and Gentleman’s Diary qui fut édité par W. S. B. Woolhouse [23].

Woolhouse était le fils d’un épicier et il avait gagné un prix du Ladies’ Diary à l’âge de 13 ans. Bien qu’il ne soit pas employé dans une des écoles militaires, il était un protégé de Gregory et servit comme sous-commissaire au Nautical Almanach, une entreprise fondée par l’État qui publiait des tables de distances lunaires utiles à la navigation. Il est décrit comme (Wilkinson, 1864, p.83) :

« […] un de nos mathématiciens vivants les plus capables, même s’il est essentiellement autodidacte ; il sait ce que c’est que de gravir la montagne de la science sans le secours d’une formation et est, de ce fait, toujours prêt à encourager ceux qui n’ont pas les avantages d’une formation universitaire. » [24]

Les questions que Woolhouse choisit de publier dans son Diary étaient (Wilkinson, 1864, p.83) :

« […] ainsi sélectionnées de telle sorte qu’elles rencontrent les attentes des deux catégories d’étudiants [c’est à dire les lecteurs et les contributeurs] ; et les travaux d’artisans au dur labeur peuvent ainsi côtoyer fréquemment ceux de diplômés de nos universités. »

Bien qu’il désira que son Diary ait un intérêt mathématique large, il ne recherchait pas un public en dehors des amateurs de mathématiques. Woolhouse exposa clairement son objectif pour son Diary à travers son sous-titre : « Destiné principalement à l’amusement et à l’instruction des étudiants en mathématiques ; comprenant beaucoup d’informations utiles et agréables intéressant toute personne engagée dans cette plaisante activité » [25]. Et cela même si, de façon intéressante, le Diary publia encore des énigmes, des rebus et des charades.

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Wesley S.B. Woolhouse (1809-1893)

6. Conclusions

The Lady’s and Gentleman’s Diary continua, sous la direction éditoriale de Woolhouse, jusqu’en 1871. Après 165 ans de parution, ce qui avait commencé au début du dix-huitième siècle comme un nouveau type d’almanach pour femmes était devenu une publication établie pour des mathématiciens britanniques qui pour beaucoup se trouvaient en dehors de la sphère universitaire d’Oxford et Cambridge. Pour ces mathématiciens amateurs, être publié dans le Diary apportait satisfaction et renommée locale, mais cette reconnaissance offrait également des perspectives d’emploi et d’ascension sociale. Les lecteurs actifs du Ladies’ Diary ont soutenu sa section mathématique grâce à des échanges animés centrés sur la résolution des problèmes. Leur interaction constituait des liens fondés davantage sur leur intérêt commun dans les mathématiques que sur une éducation commune, des emplois ou des situations semblables.

Bibliographie

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Cassels John William Scott, 1979. “The Spitalfields Mathematical Society,” Bulletin of the London Mathematical Society 11, 241-258.

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Davies Thomas Stephens, 1850. “On the Cultivation of Geometry in Lancashire [written anonymously],” Notes and Queries, 2, 436-438.

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Leybourn Thomas, 1817. The Mathematical Questions, Proposed in the Ladies’ Diary, and their original answers, together with some new solutions, from its commencement in the year 1704 to 1816, Vol. 1, London : J. Mawman.

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Wallis Peter J. et al., 1991. Mathematical Tradition in the North of England, Durham : NEBMA.

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Wilkinson Thomas Turner, 1864. “Mathematical Periodicals,” Educational Times, 17, 82-83.

Post-scriptum :

Je voudrais surtout remercier Sébastien Gauthier et Hélène Gispert qui m’ont encouragé à écrire pour Images des Mathématiques et qui m’ont suggéré plusieurs pistes pour cet article. Un grand merci aussi à Sébastien pour la réalisation de la figure du problème XV et à Christian Mercat pour son aide précieuse afin de la mettre en ligne. Je suis également très reconnaissante envers Hélène pour avoir traduit mon article en français. Merci enfin aux relecteurs Jérôme, Sébastien Peronno et Angela Gammella qui ont pris le temps de suggérer des corrections pertinentes.

Article édité par Sébastien Gauthier

Notes

[1Le Ladies’ Diary ; ou L’Almanach des femmes,… contenant beaucoup de renseignements délicieux et divertissants particulièrement destinés à l’usage et à l’agrément du beau sexe.

[2Tout au long de sa vie le Ladies’ Diary conserva le format d’un almanach annuel et continua ainsi à paraître une seule fois par an. Toutefois après l’abrogation de la taxe sur les almanachs en 1834, une annexe de 24 pages fut jointe à chaque numéro du Ladies’ Diary, comprenant des articles mathématiques originaux ou repris, (Albree et Brown, 2009, p.31).

[3L’usage de pseudonymes rend impossible une évaluation définitive de l’équilibre entre les deux sexes. Ainsi, par exemple, un M. W. Wales utilisa le pseudonyme “Ann Nichols” ; mais il était probablement plus commun que des femmes utilisent des noms d’homme afin de cacher leur sexe (Albree et Brown, 2009, p.17-18).

[4Henry Beighton, Ladies’ Diary de 1718, pages 17-18, cité dans (Costa, 2002, p.65).

[5Selon Teri Perl, ce déclin du nombre des femmes qui participent aux Questions/réponses, que l’on constate après deux décennies du Diary, s’expliquerait en partie par l’évolution de la place des mathématiques dans la société anglaise, les mathématiques devenant de plus en plus un outil pour les activités du monde professionnel, comme nous l’expliquons plus loin. Les femmes qui, par leur rôle dans la société, ne font pas partie de ces mondes professionnels, sont alors de fait laissées sur le côté (Perl, 1979, p.46-48).

[6“Arithmetical Question 5,” The ladies diary : or, the womens almanack, for the year of our Lord, 1708, p. 37.

[7La notation « $2:1 :: 3z+a : z+a$ » traduit la relation de proportionnalité : 2 est à 1 comme $3z+a$ est à $z+a$ c’est-à-dire en notation moderne $2/1 = (3z+a) / (z+a)$.

[8Les conséquent et antécédent sont respectivement le second et le premier terme d’un rapport.

[9Pour des précisions, voir (Albree et Brown, 2009, p.40-41). Pour des exemples représentatifs de problèmes parus dans le Ladies’ Diary, on pourra consulter (Albree et Brown, 2009) et (Swetz, 2018).

[10En Grande Bretagne, calculus désigne les premiers éléments du calcul intégral et différentiel.

[11from a forum where women’s ‘geometrical, algebraical, astronomical and philosophical’ skills were displayed and praised to one nominally dedicated to women and to mathematics, but in which polite banter had been displaced by an increasingly skill-oriented, even confrontational, discourse”.

[12Ces maîtres enseignaient dans des « petites écoles », soit à des enfants soit à des adultes, et pouvaient n’avoir aucune formation particulière.

[13La période élisabéthaine se rapporte au Règne d’Élisabeth de 1558 à 1603.

[14“Weavers and lead miners were well-paid and had short work hours : six hours a day for miners, four days a week for weavers. Weavers had to be literate for their work, and mining companies wanted an educated work force. Both trades had a history of friendly society activity and self-education.”

[15Ladies’ Diary 136 (1839), page 52 ; 137 (1840), pages 45-46. Rappelons que « XV » signifiait que c’était la quinzième (et dernière) question de l’ensemble des questions nouvelles de cette année, c’est aussi la question primée pour l’année 1840. La notation (1658) signifiait que c’était la 1658e question pour l’ensemble des volumes.

[16Il y a une erreur dans le texte de Leybourn, le premier terme de la troisième égalité devrait être $\phi ' \rho '$.

[17Contrairement à ce qui est écrit dans l’article de Leybourn, le sixième terme dans le premier membre de l’égalité suivant est $\phi'' \rho''/R$.

[18Le signe « $\therefore$ » est un symbole typographique signifiant par conséquent.

[19Albree et Brown font une catégorisation de l’ensemble des problèmes posés dans le Ladies’ Diary par sujet mathématique. Ils donnent une catégorisation similaire mais séparée des problèmes primés, (Albree et Brown, 2009, p.41).

[20« Société pour le secours et l’encouragement des scientifiques de vie humble ».

[21“Though of humble life and limited means, he nevertheless obtained a distinguished place at the Temple of Science.”

[23Avant de prendre la tête du Ladies’ Diary, Gregory avait été éditeur du Gentlemen’s Diary depuis 1804. Après avoir édité les deux publications durant deux ans, il passa la direction éditoriale du Gentlemen’s Diary à Thomas Leybourn (c. 1769-1840), un enseignant de mathématiques au Royal Military College, lui aussi mathématicien autodidacte. Leybourn dirigea le Gentlemen’s Diary jusqu’à sa mort en 1840. Leybourn édita aussi le Mathematical Repository de 1795 to 1835. À propos de Leybourn, du Royal Military College, et des journaux mathématiques, voir la communication d’Olivier Bruneau « Le Mathematical Repository et ses acteurs » (Colloque Cirmath, Orsay, 5-7 décembre 2018). Woolhouse continua à faire paraître l’appendice de 24 pages sous le titre “Mathematical Papers”.

[24“[…] one of our ablest living mathematicians, [but] he is nevertheless mostly self-taught ; he knows what it is to climb the hill of science without trained assistance, and hence he is ever ready to encourage those who have not had the advantages of a University education”.

[25Page de titre, Lady’s and Gentleman’s Diary, 1841 : “Designed Principally for the Amusement and Instruction of Students in Mathematics : comprising Many Useful and Entertaining Particulars interesting to all person engaged in that delightful pursuit”. Jusqu’en 1840 compris, the Ladies’ Diary avait continué de se décrire à travers son sous-titre comme étant “Designed Principally for the Amusement and Instruction of the FAIR SEX.” (cf note 1). Toutefois l’appendice était décrit comme “an appendix of curious and valuable mathematical research, for the use of students.” [un appendice de recherche mathématique curieuse et précieuse à l’usage des étudiants].

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Pour citer cet article :

Sloan Despeaux — «Un journal mathématique original : le Ladies’ Diary (1704-1840)» — Images des Mathématiques, CNRS, 2019

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