Un portrait kaléidoscopique du jeune Camille Jordan

Hors piste Le 8 août 2012  - Ecrit par  Frédéric Brechenmacher Voir les commentaires

Ce texte a des objectifs multiples, ce qui explique son format hors norme pour cette rubrique.
C’est bien entendu l’occasion de présenter un homme, paradoxalement éminent scientifiquement et institutionnellement, tout en étant à la fois décrit comme isolé par ses successeurs immédiats. C’est aussi la présentation d’un ouvrage
protéiforme, lu en général par morceaux, et différemment suivant les époques : le fameux traité des substitutions, qui est - on le verra - bien plus qu’un jalon dans la théorie de Galois. Enfin, cet article se propose, sur un exemple, de mettre en évidence certains phénomènes d’évolutions dans les disciplines et plus généralement les organisations collectives mathématiques.
Camille Jordan a conçu une démarche décloisonnée par rapport aux branches par lesquelles était organisé le savoir à son époque, et c’est pour cette raison que la réception de ses travaux a été particulièrement sensible aux évolutions ultérieures des disciplines mathématiques.

Un premier visage de Camille Jordan se dessine ci-dessus à l’âge de 17 ans auquel notre héros intègre l’École polytechnique (1855). Cet article est principalement consacré à la première décennie de travaux de ce mathématicien, c’est-à-dire à la période séparant la soutenance en 1860 par Jordan de sa première thèse d’algèbre et la parution en 1870 du célèbre Traité des substitutions [1] et des équations algébriques.

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Comme nous allons le voir, le visage de Jordan nous présente différentes facettes qu’il nous faudra scruter avec attention afin de restituer l’originalité des approches développées par le mathématicien. Nous brossons ici un portrait général du jeune Jordan et dépeignons des facettes plus spécifiques dans d’autres articles qui seront prochainement disponibles sur ce site. Certaines des questions que nous évoquons simplement dans cet article en prenant pour héros un mathématicien sont notamment approfondies ailleurs en prenant pour héros un texte mathématique - le Traité des substitutions - (Le premier théorème de Camille Jordan : l’origine du groupe linéaire) ou une forme de représentation (Évariste Galois et la représentation analytique des substitutions).

La carrière de Camille Jordan en quelques mots

Né le 5 janvier 1838 à la Croix Rousse, Jordan est issu d’une famille de notables lyonnais. Son père, Esprit Alexandre, est polytechnicien et ingénieur des ponts et chaussées. Sa mère, Joséphine, est la fille d’un ingénieur en chef des mines et la soeur du peintre symboliste Pierre Puvis de Chavannes (1824-98).

D’un point de vue institutionnel, Jordan poursuit une carrière classique de savant du XIXème siècle : après des études en classes préparatoires, il intègre l’École polytechnique puis débute ses travaux mathématiques en parallèle de ses fonctions d’ingénieur des mines.

Henri Lebesgue rapporte à ce sujet l’anecdote suivante :

Camille entra au lycée de Lyon dans la classe de mathématiques spéciales ; en 1855, à 17 ans et demi, il fut reçu premier à l’École Polytechnique. Le jury était composé de Didion, Hermite, Lefébure de Fourcy, Serret et Wertheim ; Serret en particulier, avait la réputation d’être fort difficile ; il donna cependant la note de 19,8 sur 20 au jeune Camille. Ceci nous montre la valeur exceptionnelle du candidat Jordan, et aussi les illusions que se faisaient Serret sur la précision de ses examens. [2]

À partir de la fin des années 1870, Jordan se voit confier les principales clés des institutions mathématiques en France : nommé Professeur d’Analyse à l’École polytechnique en 1876, élu à l’Académie des sciences en 1881, puis nommé Professeur au Collège de France en 1883.

Jordan est également célèbre pour son Cours d’Analyse de l’École polytechnique dont le premier volume paraît en 1882.

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Archives de l’École polytechnique.

On peut l’apercevoir ci-dessus, croqué dans la force de l’âge par un élève de l’École polytechnique : traçant à la craie des successions d’intégrales ; reproduisant une faute d’impression de son Cours d’Analyse : « je crois que j’ai fait une petite faute de calcul » ; prenant le temps de la réflexion en vidant un verre d’eau sucrée : « nous allons faire un petit changement de variable » ; déambulant sur l’estrade ; puis, chiffon à la main : « nous reprendrons cette question la prochaine fois ». Jordan était visiblement apprécié des élèves polytechniciens qui ont baptisé de son nom le verre d’eau sucrée du professeur.

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Testard, É. (ed). L’Argot de L’X, Paris : Albert-Lévy et G. Pinet, 1894, p. 178.

De 1885 à sa mort en 1922, Jordan était également directeur du Journal de mathématiques pures et appliquées, l’un des principaux journaux de recherche mathématique de l’époque. [3]

Un isolement paradoxal

À première vue, notre héros semble donc parfaitement en prise avec l’organisation institutionnelle des sciences mathématiques de son temps. Pourtant, Jordan a souvent été considéré comme « travaillant dans une solitude presque totale »,(réf [7]) isolé sur la scène mathématique française et même « presque allemand ». [4]

Brosser un portrait de Camille Jordan pose donc le problème de la restitution des dimensions collectives dans lesquelles saisir la création mathématique individuelle. Jordan était-il réellement isolé ? Dans le cas contraire, dans quels cadres collectifs ses travaux se situaient-ils ?

Afin d’aborder ce problème, il est nécessaire d’être attentif aux évolutions des organisations collectives des savoirs mathématiques en théories ou disciplines. Comme nous allons le voir, la présentation de Jordan comme savant isolé participe d’un portrait qui a souvent forcé le trait sur le développement de la « théorie des groupes », de la « théorie de Galois » et plus généralement de l’« algèbre abstraite ». Or aucune de ces catégories n’est stable historiquement ; il faut donc en restituer les significations variées dans différents temps et espaces.

Nous allons voir en particulier dans cet article le rôle de modèle joué dans les travaux de Jordan par une forme de représentation très concrète : la représentation analytique. Il ne s’agit pas là d’une simple notation : cette représentation par des fonctions polynomiales véhicule des pratiques mathématiques spécifiques. Elle permet notamment de décomposer des permutations sur des ensembles finis sur le modèle de la décomposition des polynômes en facteurs linéaires.

Jordan attribuait à cette pratique de réduction l’« essence » même de son approche car celle-ci lui dévoilait des « liens cachés » entre différents domaines comme l’algèbre, l’analyse, la théorie des nombres, la géométrie ou la mécanique.

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Un « grand algébriste » en relation directe avec les « idées de Galois »

Un premier portrait du jeune Camille Jordan s’esquisse en clair-obscur, dans l’ombre de la grande figure d’un autre jeune mathématicien : Évariste Galois. Les nombreuses nécrologies publiées après le décès de Jordan en 1922 insistent en effet toutes sur la relation entre le Traité et les travaux de Galois.

Ainsi, Émile Picard déclarait-il à l’Académie des sciences le 23 janvier 1922 :

C’est surtout dans la théorie des substitutions et des équations algébriques que Jordan laisse une trace profonde. Dans un Ouvrage considérable sur les Substitutions, il a fait une étude approfondie des idées de Galois [...]. Ces études ont permis à Jordan de résoudre un problème posé par Abel, celui de rechercher les équations de degré donné résolubles par radicaux et de reconnaître si une équation rentre ou non dans cette classe. [5]

Plus généralement, les travaux de Jordan ont souvent été placés dans le cadre d’une évolution de l’algèbre envisagée comme passant d’une théorie des équations à une discipline centrée sur des structures abstraites comme les groupes. Successeur de Jordan au Collège de France, Henri Lebesgue a publié une

biographie de notre héros qui met elle aussi en avant la relation Jordan-Galois :

Dans ses recherches, Jordan utilise la géniale méthode de Galois, dont le point essentiel est l’introduction d’un certain nombre de substitutions, déjà aperçu par Lagrange, que l’on peut attacher à chaque équation algébrique et dans lequel les propriétés des équations se reflètent fidèlement. Mais pour savoir observer dans ce miroir, il faut avoir appris à distinguer les diverses qualités des groupes de substitutions et à raisonner sur elles. C’est ce qu’a fait Jordan avec une habile ténacité et un rare bonheur ; dans son Traité des Substitutions et des Équations algébriques, où il a réuni et coordonné ses recherches, les propriétés des équations dérivent tout de suite de celles des groupes de substitutions. [...] Le théorème de Jordan sur la composition des groupes est le plus connu de tous ses résultats ; il entraîne cette conséquence fondamentale : il n’y a pas lieu de choisir entre les différents procédés de résolution algébrique d’une équation : ils sont tous équivalents et conduisent aux mêmes calculs à, l’ordre près. [6]

Mais cette relation directe entre les idées de Galois et le Traité de Jordan suscite une tension entre les dimensions individuelles et collectives des travaux de ce dernier.

D’une part, Jordan a été célébré comme l’un des principaux fondateurs de la théorie des groupes, c’est-à-dire d’une théorie qui allait jouer un rôle structurant pour les organisations collectives des mathématiques au XXème siècle. Lors de l’édition des œuvres de Jordan en 1961, Jean Dieudonné présentait ainsi notre héros comme un second père de la théorie des groupes :

après Galois, le géniteur, (...)

après Galois, le géniteur, Jordan serait le guide qui fait gagner l’âge adulte :
La théorie des groupes finis a été le sujet de prédilection de Jordan [...]. Son œuvre dans ce domaine est immense par le volume comme par l’importance, et son influence sur les développements ultérieurs de la théorie ne peut guère se comparer qu’à celle des travaux de Galois lui-même. [...] Au moment où Jordan commence à écrire, la théorie des groupes est encore dans l’enfance, et en fait ce n’est guère qu’avec la publication de son traité qu’elle accèdera au rang de discipline autonome (réf [7]).

Mais d’autre part, et pour la même raison, Jordan a été présenté comme isolé et incompris en son temps.

Ainsi, dans la préface du premier tome des Œuvres de Jordan, Gaston Julia estimait-il que :

Longtemps, Jordan a travaillé dans une solitude presque totale. Rares étaient ceux qui pouvaient apprécier la valeur de son œuvre. Aujourd’hui ses travaux sont plus actuels que lorsqu’ils ont été écrits, on les voit dans leur vraie lumière avec leur véritable portée. Dans cette lumière, Jordan nous apparaît, avec Galois et Sophus Lie, comme un des trois grands créateurs de la théorie générale des groupes. Cette reconnaissance de la valeur de ses méthodes et de ses résultats l’aurait certes réjoui, mais probablement pas surpris, car s’il était très modeste, il savait à coup sûr que son œuvre était solide et qu’elle porterait ses fruits dans l’avenir. (réf [7]->#7])

Il faut cependant être attentif à la dimension publique des commentaires sur la relation Jordan-Galois. De fait, ce n’est qu’au tournant des XIXème et XXème siècles que de telles appréciations apparaissent, c’est-à-dire à l’époque où la figure de Galois a été érigée en icône mathématique comme l’a étudié Caroline Ehrhardt [7] C’est en particulier à l’occasion du centenaire de l’École normale supérieure et de la réédition des Œuvres de Galois que Sophus Lie et Émile Picard ont attribué à Jordan un rôle majeur pour la mise en lumière des idées de Galois. [8]

Ces discours doivent être analysés en regard des rôles d’autorité endossés par des mathématiciens comme Picard. Ils impliquent souvent des hiérarchisations entre praticiens des mathématiques, notamment entre chercheurs et enseignants ou enseignants et ingénieurs. Les principales catégories mobilisées (« algèbre », « analyse », « théorie des équations », « théorie des groupes », « France », « Allemagne ») sont ainsi loin d’être neutres. Elles participent au contraire de l’établissement de frontières entre mathématiques pures et appliquées, entre mathématiques élémentaires et supérieures, entre calculs concrets et idées abstraites, entre point de vue unificateur et réducteur, etc. Aux alentours de la Première Guerre mondiale, ces lignes épousent souvent celles des frontières nationales. Galois était alors souvent présenté comme un symbole de l’universalité de la « pensée française ». Un tel entrelacement de valeurs mathématiques et patriotiques se manifeste particulièrement

dans la nécrologie de Jordan écrite par Robert d’Adhémar en 1922 :

Jordan s’applique, dès 1860, à l’Algèbre de l’ordre, l’Algèbre des idées, bien plus haute que l’Algèbre des calculs, et, tout naturellement, il continue l’\oe{}uvre de cet enfant génial et décevant, Galois, qui, blessé dans un duel ridicule, mourut en 1832, âgé de 21 ans.
En 10 ans, Jordan construit ce qu’on appelle les Groupes des équations résolubles par radicaux et classe les équations non résolubles, distinguant celles qu’on peut ramener à des équations auxiliaires. Ses découvertes ont été publiées en 1870, dans le Traité des substitutions et des équations algébriques, qui marque, après Abel et Galois, un progrès immense de l’Algèbre. [...] Chaque fois qu’il manie un être mathématique, Jordan met sur lui sa griffe puissant et austère. Là où il a été, la tranchée a été nettoyée ! [9]

Un portrait kaléidoscopique du Traité dans les textes mathématiques entre 1870 et 1914

À la différence des discours publics, les textes mathématiques publiés sur la période 1870-1914 font très rarement référence au Traité des substitutions en relation avec les travaux de Galois sur les équations algébriques. De fait, l’approche spécifique de Jordan sur la théorie des équations n’a en réalité pas été reprise, au contraire d’autres approches, comme celle de Joseph-Alfred Serret dans la troisième édition de son Cours d’algèbre supérieure de 1866 ou l’approche de Leopold Kronecker, radicalement opposée à celle de Jordan.

De nombreux historiens ont interprété cette situation sous l’angle d’une faible réception du Traité par les mathématiciens contemporains.
Mais le Traité est un ouvrage long et complexe. Il faut en envisager des réceptions multiples ainsi que des lectures fragmentées.

L’impression d’isolement de Jordan provient principalement d’approches rétrospectives ayant recherché les traces des travaux de ce dernier en théorie des groupes ou théorie de Galois. Or, non seulement ces catégories revêtent des significations changeantes mais nous avons vu également que ces catégories sont loin d’être neutres et étaient au contraire employées par des autorités pour discourir publiquement des dimensions collectives des mathématiques.

Comme nous le proposons en annexe 1, dissocier la réception du Traité de la question du développement de la théorie des groupes ou de la théorie de Galois permet de brosser un panorama général de la réception des travaux de Jordan. À la différence du portrait public de Jordan dans l’ombre de la figure de Galois, les textes mathématiques nous présentent un kaléidoscope de reflets mobiles et fragmentés qui nous donnent l’occasion d’éclairer les premiers travaux de Jordan sous un nouveau jour.

Cet éclairage permet notamment de montrer que la relation de Jordan à Galois n’est que peu liée à la théorie générale des équations mais bien davantage à des procédés d’indexations pour lesquels ce dernier a introduit ce que l’on appelait au XIXème siècle les imaginaires de Galois.

Nous allons porter notre attention dans cette partie sur ces procédés d’indexations ainsi que sur le rôle de modèle qu’ils ont joué pour les pratiques algébriques de Jordan. Ces dernières ont eu un héritage important dans des domaines variés comme l’arithmétique, l’analyse ou la géométrie. Dans les travaux d’Henri Poincaré ou de son élève Léon Autonne, elles prennent la forme de méthodes spécifiques de réductions de Tableaux en sous-Tableaux afin de décomposer un problème général en une chaîne de sous-problèmes. Quelques exemples en sont données ci-dessous. Au début du XXème siècle, ces méthodes ont été théorisées dans le cadre de la théorie des matrices par des mathématiciens français comme Albert Châtelet ou Jean-Armand de Séguier et des mathématiciens américains comme Leonhard Dickson. Plus tard, dans les années 1930, elles se sont trouvées au coeur d’une théorie organisée à une échelle internationale : la théorie des matrices canoniques.

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Poincaré 1884
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Autonne 1905
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Dickson 1901
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Turnbull et Aitken 1932

Réductions successives et représentations analytiques

Dès sa thèse, Jordan a attribué l’essence de son approche à une méthode de « réductions successives » d’un problème général en une chaîne de sous-problèmes. On retrouve ici une définition très classique de l’Analyse mathématique. Mais chez Jordan ces réductions successives ne sont pas seulement une heuristique générale de résolution de problèmes. Elles présentent en effet un caractère opératoire et s’appuient sur une pratique algébrique spécifique dont nous allons donner les principales caractéristiques.

Indexation et représentation analytique

Afin de « réduire » un problème, Jordan exprime tout d’abord celui-ci par une fonction représentée analytiquement. Dans certains cas, l’emploi d’une telle représentation était tout à fait traditionnel, comme par exemple pour l’étude des équations différentielles. Mais dans d’autres cas, Jordan s’appuie sur des procédés plus spécifiques.

Considérons tout d’abord les permutations sur des ensembles finis qui ont beaucoup occupé notre héros dans les années 1860. Une forme simple de notation d’une permutation $S$ sur $p$ élements consiste à représenter l’action de celle-ci sur une suite de lettres ($a$ s’envoie sur $d$ ; $b$ sur $c$ etc.) :

[
(a, b, c, d, e, ...)
]
[
(d, c, a, e, b, ...)
]

Cette notation peut être élaborée davantage, notamment en décomposant la permutation en produit de transpositions ou en rangeant les lettres dans des tableaux.
Jordan utilise cependant peu de telles représentations. Il a davantage recours à des indexations, $a_0$, $a_1$, ..., $a_{p-1}$, de manière à faire agir la permutation non directement sur les lettres mais sur la suite ($0$, $1$, ..., $p-1$) des nombres entiers de leurs indices $x$.

Cette indexation est un préalable à l’introduction du problème crucial de la représentation analytique des substitutions : trouver une fonction analytique $f$ telle que
[
S(a_x)=a_f(x)
]

Dans le cas où $p$ est premier, l’indexation des lettres est liée aux équations binômes donnant les racines $p^e$ de l’unité :

[
X^p-1=0
]

En somme, le point important dans toutes ces transformations de notations et de points de vue, il est vrai un peu technique, est que celles-ci établissent un lien entre nombres et groupes. En effet, toutes les racines d’une telle équation peuvent être exprimées par la suite ($0$, $1$, ..., $p-1$) des puissances de l’une d’entre elles, $\omega$, dite racine primitive :

[
\omega^0, \omega^1, \omega^2,..., \omega^p-1
]

Nous proposons en annexe 2 un exemple pour le cas des racines cubiques de l’unité. Dans la liste ci-dessus, on passe d’une racine $\omega^x$ à la racine suivante $\omega^{x+1}$ en ajoutant 1 à l’exposant $x$. Cette opération est associée à la permutation $(x \ x+1)$. Cette dernière notation donne la représentation analytique d’un cycle.

Les racines $p^e$ de l’unité sont donc indexées par l’ensemble des nombres (0, 1, 2, ..., $p-1$) muni d’une loi d’addition, c’est à dire par le groupe additif cyclique $\mathbb{Z}/p\mathbb{Z}$. Les permutations de ce groupe peuvent être représentées analytiquement par la notation $(x \ x+a)$, c’est à dire par la fonction affine $f(x)=x+a$. Elles sont engendrées par le cycle $(x \ x+1)$.

Mais considérons à présent la liste des racines privée de l’unité elle-même :

[
\omega , \omega^2, ..., \omega^p-1
]

Cette liste peut être réindexée de la manière suivante :
[
\omega^g, \omega^g^2,..., \omega^g^p-1
]

Cette nouvelle indexation utilise cette fois la représentation analytique d’un cycle sous la forme $(x \ gx)$, c’est à dire par la fonction linéaire $f(x)=gx$. Elle est basée sur la détermination d’un générateur $g$ du groupe multiplicatif $\mathbb{Z}/p\mathbb{Z}^*$, qui est une racine primitive de l’équation binôme de congruence :

[
X^p-1-1 \equiv 0 \ mod(p)
]

Cette double indexation est cruciale car elle permet de décomposer simultanément l’ensemble des racines de l’unité en sous-ensembles et les groupes cycliques en sous-groupes. Ces procédés de décompositions sont détaillés dans un article consacré à la représentation analytique des substitutions ; nous nous contenterons ici de les illustrer géométriquement.

Le cycle $(x \ x+a)$ peut être envisagé comme une sorte de translation permettant de passer d’une racine à la suivante, c’est à dire du point $A$ au point $B$, du point $B$ au point $C$ etc.

Mais représentons à présent les racines de l’unité par les points d’un cercle comme ci-dessous.

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L’opération $(x \ gx)$ permet de décomposer les racines en différents blocs obtenus les uns à partir des autres par des rotations du cercle sur lui même. On peut, par exemple, distinguer les blocs ($B$, $C$, $E$) et ($D$, $F$, $G$) : on passe alors d’un bloc à l’autre par une opération $(x \ gx)$, s’interprétant comme la rotation du cercle sur lui même qui envoie $B, C, E$ sur $D, F, G$, tandis que l’on circule à l’intérieur de chaque bloc par une opération $(x \ x+a)$ translatant $B$ sur $C$, $C$ sur $E$, $E$ sur $B$ etc.

Ce procédé de décomposition permet de démontrer que les équations binômes sont résolubles par radicaux ; nous le détaillons en annexe 2 pour le cas des racines septième de l’unité.

Pour le présent article, et en oubliant les précédentes subtilités, il nous faut surtout retenir trois caractéristiques de ce procédé. La première est que l’indexation des racines de l’unité permet de donner deux formes de représentations analytiques à un même type de permutations : les cycles. La seconde est que ces représentations analytiques s’accompagnent de pratiques algébriques de décompositions. La troisième est que cette pratique articule des interprétations algébriques (racines des équations), arithmétiques (congruences), géométriques (polyèdres réguliers inscrits dans un cercle) et mécaniques (mouvements de translation et rotations).

L’origine du groupe général linéaire

Bien qu’elle soit passée inaperçue de nombreux travaux historiques, la représentation analytique des substitutions a joué un rôle important au XIXème siècle. Elle a notamment été mise en avant au début du XIXème siècle par Louis Poinsot à la suite des travaux de Carl Friedrich Gauss sur les racines de l’unité. Elle a par la suite joué un rôle important dans les travaux sur la résolubilité par radicaux des équations algébriques, notamment chez des mathématiciens comme Abel ou Galois. On pourra consulter à ce sujet un article qui sera prochainement publié sur ce site : Évariste Galois et la représentation analytique des substitutions.

À partir des années 1850, les procédés de décomposition de la représentation analytique des substitutions ont fait l’objet d’une présentation dans l’enseignement supérieur, notamment dans le Cours d’algèbre supérieure de Serret. Leur usage n’était donc pas propre à Jordan. Mais tandis que la plupart de ses contemporains se concentrent sur des cas où $n$ est premier [10], Jordan se place dans le cas général de substitutions opérant sur $n$ lettres, avec $n$ quelconque.

Dans sa thèse, Jordan a montré comment réduire l’étude des substitutions générales sur $n$ lettres à celle de substitutions portant sur $p^n$ lettres. Le procédé d’indexation que nous avons évoqué ci-dessus pour le cas $n=p$ peut alors être généralisé en ne considérant plus seulement des nombres entiers modulo $p$ mais les nombres entiers imaginaires donnant les $p^n$ solutions de l’équation :

[
X^p^n-1 \equiv 0 \ mod(p)
]

Au XIXème siècle, ces nombres étaient souvent dénommés « imaginaires de la théorie des nombres » ou « imaginaires de Galois ». Ils forment ce que l’on appelle aujourd’hui les « corps finis ». [11]

Jordan a également élaboré des procédés de réduction des permutations sur $p^n$ lettres en prenant modèle sur la décomposition des indices des racines $p^e$ de l’unité. Son premier théorème en donne un bon exemple. Nous nous contentons ici d’évoquer ce résultat et en donnons une présentation plus détaillée dans l’article Le premier théorème de Camille Jordan.

Étant donnée une substitution sur $p^n$ lettres, la thèse de Jordan montre d’abord que les indices peuvent être réorganisés en une succession de $n$ lignes de manière à ce que les substitutions opèrent soit en permutant entre elles les $p$ lettres d’une même ligne soit les lignes les unes avec les autres :

\[a_1 a_2 ... a_m\]

\[b_1 b_2 ... b_m\]

\[c_1 c_2 ... c_m\]

Le premier théorème de Jordan s’appuie sur cette réindexation afin d’énoncer que l’étude des substitutions générales peut se réduire à celle de substitutions ayant une représentation analytique très simple, de la forme affine $(x \ ax+b)$.

La démonstration s’appuie sur le fait que la forme polynomiale de $ax +b$ peut être décomposée en $ax$ et $x+\frac{b}{a}$ ; les substitutions associées peuvent donc se décomposer en deux espèces, correspondant aux deux formes de représentations analytiques des cycles. La réduction opérée par Jordan prend alors modèle sur la décomposition des racines de l’unité que nous avons évoquée dans le paragraphe précédent. Si l’on note $\Gamma_1, \Gamma_2, ..., \Gamma_n$ les $n$ lignes ci-dessus :

  • La première espèce permute cycliquement les lettres à l’intérieur de chaque bloc $\Gamma_i$ par des substitutions du type $(x \ x+a)$ sur les indices.

Dans le cas plus général de lettres indexées par $n$ indices $a_{x, x', x'',...}$ ces substitutions prennent la forme :
[
a_x+ \alpha \ mod.p, \ x’+\alpha’ \ mod.p, \ x’’+\alpha’’ \ mod.p, \ ...
]

  • La seconde espèce permute cycliquement les blocs $\Gamma_1, \Gamma_2, ..., \Gamma_n $ eux-mêmes par des substitutions du type $(x \ gx)$.

Dans le cas de $n$ indices, elles prennent ainsi la forme :

[
a_ax+bx’+cx’’... mod. p, a’x+b’x’+c’x’’... mod.p, a’’x+b’’x’+c’’x’’... mod.p
]

La composition de ces deux espèces engendre ce que Jordan appelle la « forme analytique linéaire » $(x \ ax+b)$, c’est à dire, pour le cas général de $p^n$ lettres :

\[ \begin{vmatrix} x & ax+bx'+cx''+... \\ x' & a'x+b'x'+c'x''+... \\ x'' & a''x+b''x'+c''x''+... \\ .. & ..................... \end{vmatrix} \]

Le groupe formé par de telles substitutions a été désigné par Jordan sous le nom de « groupe linéaire » [12]. Dans les années 1860, notre héros a consacré de très nombreux travaux à l’étude de ce groupe. Il s’agissait de poursuivre plus avant la chaîne de réductions successives d’un problème général en un problème simple en décomposant le groupe linéaire lui-même. Cette démarche a amené Jordan à élaborer des pratiques algébriques spécifiques qui structurent le Traité des substitutions et des équations algébriques de 1870.

La réduction canonique de Jordan

Nous avons vu que l’une des spécificités de Jordan par rapport à ses contemporains est la grande généralité dans laquelle se place ce dernier en considérant des substitutions de $n$ lettres. Cette généralité implique des problèmes spécifiques qui ont amené notre héros à énoncer l’un des théorèmes pour lesquels il est aujourd’hui le plus célèbre : le théorème de réduction canonique de Jordan. Comme nous allons le voir, ce résultat met à nouveau en évidence le rôle de modèle joué par la décomposition de la forme linéaire en deux formes de représentations analytiques des cycles.

Afin d’étudier le groupe linéaire, Jordan a cherché à réduire la « forme analytique linéaire » à « une forme aussi simple que possible ». Nous avons vu que dans le cas où l’on ne considère qu’une variable, la substitution $(x \ ax+b)$ se décompose aisément en un deux cycles $(x \ gx)$ et $(x \ x+1)$. Mais une telle décomposition n’est possible dans le cas de $n$ variables que dans un cas très particulier. En termes actuels, le cas de $n$ variables implique d’étudier une matrice à $n$ lignes et $n$ colonnes. Or une telle matrice ne peut être décomposée en une suite d’opérations du type $(x \ gx)$ que si elle est diagonalisable.

Considérons par exemple le cas des substitutions linéaires sur $p^2$ lettres (donc à deux variables) que Jordan a étudié en détails en 1868.
La détermination des formes canoniques se base sur la décomposition polynomiale d’une équation du second degré (en termes actuels, il s’agit de l’équation caractéristique d’une matrice).

Dans le cas où cette équation admet deux racines réelles distinctes, les indices des lettres peuvent être regroupés en deux blocs [13] de manière à ce que la substitution opère simplement par proportionnalité sur chacun des blocs, c’est à dire en multipliant les indices par $\alpha$ ou $\beta$ dans le cas où les deux racines sont réelles ou par $\alpha + \beta i$, $\alpha + \beta i^p$ (où $i^2 \equiv 1mod(p)$) dans le cas où les deux racines sont imaginaires conjuguées :

\[ \begin{vmatrix} z & \alpha z \\ u & \beta u \end{vmatrix} \]
\[ \begin{vmatrix} z & (\alpha + \beta i)z \\ u & (\alpha + \beta i^p)u \end{vmatrix} \]

Dans le cas où l’équation caractéristique a une racine double, la forme canonique ne peut prendre une forme diagonale comme ci-dessus que dans le cas particulier où il s’agirait d’une simple homothétie. Dans le cas général, la substitution ne se réduit en effet pas à de simples opérations de multiplications mais à des opérations combinant multiplication et addition :

\[ \begin{vmatrix} z & \alpha z \\ u & \beta z+ \gamma u \end{vmatrix} \]

Dans son Traité, Jordan a généralisé ce théorème à

la réduction canonique des substitutions linéaires de $n$ variables

Théorème de réduction canonique. Cette forme simple
\[ \begin{vmatrix} y_0, z_0, u_0, ..., y'_0, ... & K_0y_0, K_0(z_0+y_0), ... , K_0y'_0 \\ y_1, z_1, u_1, ..., y'_1, ... & K_1y_1, K_1(z_1+y_1), ... , K_1y'_1 \\ .... & ... \\ v_0, ... & K'_0v_0, ... \\ ... & ... \\ \end{vmatrix} \]
à laquelle on peut ramener la substitution $A$ par un choix d’indice convenable, sera pour nous sa forme canonique (réf [4]).

En d’autres termes, une question d’indexation et une démarche de réductions successives de problèmes ont donné naissance à un des plus fameux théorèmes d’algèbre linéaire alors que cette dernière n’existait pas encore en tant que discipline mathématique à l’époque de Jordan.

Une pratique de réduction transversale à différents domaines

Mais la pratique de réduction de Jordan se limite pas aux substitutions. Au contraire, ce dernier l’a mobilisé dans les divers domaines où peuvent être employés des formes analytiques linéaires, de l’étude des polyèdres - où les substitutions opèrent sur des objets géométriques - à celle des équations différentielles linéaires. Dans ce dernier cas, les formes analytiques ne concernent plus des indices, c’est-à-dire des corps finis d’entiers, mais des variables, c’est-à-dire des corps infinis de nombres réels ou complexes. Jordan s’est cependant appuyé sur la permanence d’une même forme analytique linéaire dans les divers problèmes qu’il a traité pour transférer ses pratiques algébriques d’un domaine à l’autre.

Par exemple, Jordan montre en 1871 comment sa réduction canonique permet d’intégrer les

systèmes différentiels linéaires

systèmes différentiels linéaires à coefficients constants :
\[ \begin{matrix} \frac{dx_1}{dt}=a_1x_1+...+l_1x_n \\ \frac{dx_2}{dt}=a_2x_1+...+l_2x_n \\ ... \\ \frac{dx_n}{dt}=a_nx_1+...+l_nx_n \end{matrix} \]

Dans le cas symétrique - qui est notamment associé à l’étude des systèmes mécaniques - ces systèmes sont diagonalisables. Jordan a montré qu’une forme diagonale ne peut cependant pas être obtenue dans le cas général. Il a dans le même temps prouvé que les systèmes différentiels linéaires peuvent néanmoins être réduits à une

forme la plus simple déduite de la forme canonique des substitutions :

Ce problème peut se résoudre très simplement par un procédé identique à celui dont nous nous sommes servi, dans notre Traité des substitutions, pour ramener une substitution linéaire quelconque à sa forme canonique. Nous allons ramener de même le système à une forme canonique qui puisse s’intégrer immédiatement.
[
\fracdy_1dt=\sigma y_1, \fracdz_1dt=\sigma z_1+y, \fracdu_1dt=\sigma u_1+z_1, ..., \fracdw_1dt=\sigma w_1+v_1
]
[...] le système des équations aura évidemment pour intégrales le système suivant :
[
w_1=e^\sigma t\psi(t), v_1=e^\sigma t\psi’(t), ..., y_1= e^\sigma t\psi^r(t),
]
$\psi(t)$ étant une fonction entière arbitraire du degré $r-1$.
(réf 5 p.787)

La théorie de l’ordre

Abordons à présent la question cruciale des dimensions collectives des recherches de Jordan dans les années 1860. Dès l’introduction de sa thèse, notre héros a placé son approche dans un cadre dépassant celui de l’étude des permutations. Il y décrit en effet les problème traités comme relevant de l’étude des symétries présentées par des groupements de lettres. Pour Jordan, ces problèmes s’insèrent dans le cadre de la « théorie de l’ordre », présentée comme englobant les travaux de Gauss sur les équations binômes, ceux d’Abel et de Galois sur la résolubilité des équations ainsi que l’approche de Cauchy sur les déterminants. Jordan présente par ailleurs cette théorie comme un héritage des

travaux de Poinsot.

L’étude de ces diverses sortes de symétrie offre un grand intérêt ; car c’est la base et le point de départ naturel de ce genre de recherches que M. Poinsot a distingué de tout le reste des mathématiques sous le nom de théorie de l’ordre : elle présente en outre d’importantes applications. C’est dans le Mémoire où M. Cauchy a donné les premiers principes généraux de cette théorie, qu’il a établi pour la première fois les théorèmes fondamentaux sur les déterminants. Abel s’est appuyé sur elle pour établir l’irrésolubilité de l’équation générale du cinquième degré. Galois, dans un admirable Mémoire, en a fait dépendre, non seulement les conditions de la résolution algébrique, mais la théorie entière des équations, considérée sous son point de vue le plus général, et la classification des irrationnelles algébriques ([réf1]).

Des travaux récents de Jenny Boucard ont montré que la théorie de l’ordre avait été envisagée par Poinsot comme articulant les analogies présentées par des situations cycliques rencontrées en algèbre, théorie des nombres, géométrie et mécanique ; notamment en relation avec l’étude des indexations des racines de l’unité. [14]

Chez Jordan, la théorie de l’ordre est associée à la méthode de réduction de la représentation analytique des substitutions. Cette réduction exprime en effet pour notre héros le type de relations cachées entre diverses théories ou classes d’objets auxquelles Jordan attribue l’« essence » de son approche. Ainsi, les procédés d’indexation des lettres et de réduction des substitutions linéaires $(x \ ax+b)$ en produits de cycles $(x \ x+1)$ et $(x \ gx)$ sont envisagés comme une sorte de dévissage par analogie avec la décomposition du mouvement hélicoïdal d’un solide en mouvements de rotation

et de translation.

On pourrait voir une image de ce résultat [le premier théorème de Jordan] dans le théorème de mécanique qui ramène le mouvement général d’un corps solide à un mouvement de translation combiné avec une rotation autour du centre de gravité. Ce principe du classement des lettres en divers groupes est le même dont Gauss et Abel ont déjà montré la fécondité dans la théorie des équations : il me semble être dans l’essence même de la question, et sert de fondement à toute mon analyse ([réf1 p.5]).

Tout en admettant que sa méthode de réduction des substitutions générales sur $n$ lettres n’est pas des plus avantageuses dans les applications, Jordan revendique que « si l’on se borne à étudier le problème de la symétrie en lui-même, cette méthode, plus naturelle et plus directe, peut seule conduire aux véritables principes ».

Jusqu’en 1867-1868, notre héros a mobilisé sa méthode de réduction de manière transversale aux différents domaines associés à la théorie de l’ordre :

  • théorie des nombres (cyclotomie, congruences)
  • algèbre (équations, substitutions)
  • analyse (groupes de monodromie et lacets d’intégration des équations différentielles linéaires)
  • géométrie/ topologie (cristallographie, symétries des polyèdres et des surfaces (y compris de Riemann))
  • mécanique (mouvements des solides).

Lors sa candidature à l’Académie en 1881, Jordan a rédigé une synthèse de ses travaux dans laquelle il décrit l’orientation générale de ses recherches comme portant davantage sur les relations entre des classes d’objets que sur les objets eux-mêmes dans le cadre de

« la théorie de l’ordre. »

Les Mathématiques ne sont pas seulement la science des rapports, je veux dire que l’esprit n’y a pas seulement en vue la proportion et la mesure ; il peut encore considérer le nombre en lui-même, l’ordre et la situation des choses, sans aucune idée de leurs rapports ni des distances plus ou moins grandes qui les séparent. Si l’on parcourt les différentes parties des Mathématiques, on y trouve partout ces deux objets de nos spéculations.
Ainsi, à côté de l’Algèbre ordinaire, il y a une Algèbre supérieure, qui repose tout entière sur la théorie de l’ordre et des combinaisons. D’autre part, ce qui rend la théorie des polyèdres très difficile, c’est qu’elle tient essentiellement à une science presque encore neuve, que l’on peut nommer Géométrie de situation, parce qu’elle a principalement pour objet, non la grandeur ou la proportion des figures, mais l’ordre ou la situation des éléments qui les composent.
[...] la tendance générale de mes recherches [a] eu presque constamment pour but d’approfondir la théorie de l’ordre au double point de vue de la Géométrie pure et de l’Analyse.
En Géométrie, j’ai étudié successivement les lois de la symétrie des polyèdres, des systèmes de lignes et des systèmes de molécules.
En Analyse, j’ai pris pour objet principal de mes travaux la théorie des substitutions (qui n’est au fond autre chose que celle de la symétrie des expressions algébriques) et ses applications à la théorie des équations algébriques et celle des équations différentielles linéaires ([réf6p.7-8])

Cette approche transversale permet de jeter un nouvel éclairage sur la dimension collective des premiers travaux de Jordan. En effet, ces travaux manifestent des interactions avec des publications de nombreux autres mathématiciens contemporains dans divers domaines. Parmi ces mathématiciens, les auteurs français sont pour la plupart liés à l’École polytechnique. On peut donc soupçonner la transmission d’une culture mathématique spécifique dans le cadre de l’enseignement polytechnicien de cette époque. Mais un domaine semblable à ce que Jordan désigne comme la théorie de l’ordre était également reconnu par d’autres mathématiciens à une échelle européenne. Il est donc possible que ce domaine ait constitué un champ de recherche spécifique dans les années 1860-1880. Cette question reste cependant encore ouverte. Les héritages de l’approche de Poinsot, des travaux de cristallographie de Bravais ou de l’enseignement de Joseph Bertrand appellent notamment davantage de recherches historiques.

Conclusion

Les portraits de Camille Jordan ont souvent brossé les traits d’un mathématicien solitaire dans l’ombre d’Évariste Galois. Nous avons vu qu’un tel éclairage projette cependant sur le passé des organisations du savoir mathématique utilisées de nos jours : théorie des groupes, théorie de Galois, algèbre, etc.

Envisagés selon la perspective de la théorie de l’ordre, les premiers travaux de Jordan ne sont pas isolés dans les années 1860. Plus encore, leurs héritages se manifestent dans des domaines variés à la fin du XIXème siècle. Les pratiques algébriques de réductions des représentations analytiques des substitutions ont en particulier joué un rôle important dans l’élaboration par Poincaré de la théorie des fonctions fuchsiennes qui entremêle théorie des groupes, équations différentielles, arithmétique, mécanique etc. Plus tard, au tournant du siècle, les procédés de réduction de Jordan ont constitué la base d’une culture algébrique spécifique partagée par un groupe de mathématiciens français et américains.

Le problème de la restitution des dimensions collectives dans lesquelles saisir la création mathématique individuelle nous a ainsi amené à redécouvrir une organisation du savoir différente des disciplines mathématiques actuelles. Ces dernières sont souvent centrées sur des objets comme, par exemple, les groupes, corps et espaces vectoriels pour le cas de l’algèbre linéaire. Au contraire, la théorie de l’ordre ou la représentation analytique des substitutions se présentent comme transversales à différents domaines.

Jordan lui même a participé aux évolutions des organisations collectives des savoirs mathématiques. Son Traité présente notamment une nature hybride entre l’approche transversale de la théorie de l’ordre et une théorie centrée sur des objets. À partir de la fin des années 1860, Jordan a en effet progressivement attribué à la notion de groupe de substitutions l’« essence » qu’il avait initialement associé à la théorie de l’ordre. On pourra consulter à ce sujet l’article Le premier théorème de Jordan : l’origine du groupe linéaire .

Annexe 1 : Réceptions des travaux de Jordan entre 1870 et 1914

Afin de rendre compte des réceptions des travaux de Jordan, il est nécessaire de ne pas forcer ces derniers à entrer dans des cadres collectifs fixés rétrospectivement et a priori (comme la théorie de groupes ou l’algèbre). Nous allons par conséquent rechercher des traces des lectures du Traité chez les mathématiciens contemporains de Jordan. L’étude d’un périodique de recensions mathématiques, le Jahrbuch über die Forschritte der Mathematik, permet de pister les publications faisant référence aux travaux de notre héros sur la période 1870-1914.

Il faut tout d’abord constater que ces publications sont classées dans des rubriques variées des classifications mathématiques de l’époque. Ainsi, alors que la rubrique « théorie des équations » s’avère très marginale et que la rubrique « théorie des substitutions » ne regroupe, avant 1895, qu’environ 10 % des recensions faisant référence à Jordan, les rubriques « théorie des fonctions », « géométrie pure » et « géométrie analytique » sont fortement représentées. Par ailleurs, si la « théorie des groupes » devient très largement majoritaire après 1895, les références à Jordan dans ce contexte sont non seulement indépendantes de la théorie de Galois mais ce phénomène s’avère également limité dans le temps : après 1910, la grande majorité des références à Jordan portent sur le théorème de la courbe de Jordan énoncé dans le Cours d’Analyse de l’École polytechnique.

Quatre principaux types de références au Traité peuvent être distingués afin de présenter un panorama simplifié des principaux usages de cet ouvrage sur la période 1870-1914.

Une synthèse sur la théorie des substitutions

Ce type de références apparaît à un niveau européen peu après la parution du Traité. Il perdure sur toute la période et s’étend aux États-Unis dans les années 1880. [15] Dans ce contexte, l’ouvrage de Jordan n’est pas envisagé comme une rupture mais au contraire dans la continuité de travaux antérieurs de mathématiciens comme Cauchy, Kronecker, Hermite, Bertrand, Serret et Mathieu.

Les textes qui s’appuient sur des innovations spécifiques de Jordan en théorie de groupes se réfèrent quant à eux le plus souvent à des articles publiés après le Traité. Nous ne détaillerons donc pas ces références ici. [16]

Les équations spéciales des fonctions elliptiques et abéliennes

Comme le précédent, ce type de références apparaît dès 1870 à un niveau européen. Mais les publications qui l’emploient réagissent cette fois à des innovations qu’elles attribuent spécifiquement à Jordan. Les problèmes traités sont liés à la résolubilité des équations mais se présentent de manière transversale à de nombreuses rubriques comme la « théorie des formes », la « théorie des substitutions », la « géométrie analytique », les « fonctions spéciales » etc.

Rappelons que la démonstration par Abel de l’impossibilité de résoudre par radicaux les équations algébriques générales de degré supérieur ou égal à cinq n’avait le plus souvent pas été envisagée comme la conclusion d’une longue histoire devant ouvrir l’algèbre sur les nouvelles perspectives de la théorie de Galois. De nombreux mathématiciens avaient au contraire généralisé le problème, traditionnel, de l’expression des racines des équations générales de degré inférieur à quatre par des fonctions algébriques comprenant des radicaux. Il s’agissait alors de rechercher des fonctions analytiques les plus simples permettant d’exprimer les racines d’équations de plus haut degré.

Des mathématiciens comme Hermite, Kronecker, Betti et Brioschi avaient notamment réduit le problème de la résolution de l’équation générale de degré cinq à celui de l’équation modulaire provenant du problème de la division des périodes des fonctions elliptiques, fonctions doublement périodiques sur le plan complexe. [17] Les racines de l’équation générale de degré cinq avaient ainsi été exprimées analytiquement à l’aide des fonctions elliptiques.

Or, dans son Traité, Jordan avait non seulement proposé une nouvelle approche des travaux d’Hermite mais il avait également énoncé l’impossibilité de résoudre les équations générales de degré supérieur à cinq par les fonctions elliptiques. Ce théorème avait été immédiatement reconnu comme l’un des résultats majeurs du Traité. [18]

Mais Jordan avait aussi abordé la question de la recherche de fonctions permettant la résolution d’équations spéciales de degré supérieur à cinq. C’était dans ce cadre qu’avait été énoncé un autre théorème reconnu comme majeur par les contemporains : le théorème des 27 droites sur une surface cubique. [19]
Jordan avait en effet cherché à généraliser le rôle joué par les équations modulaires des fonctions elliptiques à l’équation de la division des périodes de fonctions hyperelliptiques (ou abéliennes) à quatre périodes. Il avait montré que le groupe de cette dernière équation (de degré 80) contient le groupe de l’équation des 27 droites sur une surface cubique, ouvrant ainsi la voie à des approches mêlant algèbre, analyse et géométrie dans la lignée des travaux de Clebsch et Gordan.
C’était à l’occasion de l’énoncé de ce théorème que Jordan annonçait en 1869 la parution prochaine de son Traité :

Tous les géomètres connaissent le fait de l’abaissement des équations modulaires pour les transformations des degrés 5, 7 et 11, et les importantes conséquences qu’en a déduites M. Hermite. MM. Clebsch et Gordan ont signalé un abaissement analogue pour les équations des périodes dont dépend la bissection des fonctions abéliennes. Nous venons d’obtenir un résultat du même genre pour l’équation qui donne la trisection dans les fonctions à quatre périodes. [...] La réduite $Z$ présente cette particularité remarquable d’avoir le même groupe que l’équation $X$ qui détermine les vingt-sept droites situées sur une surface du troisième ordre. [...] Mais cette proposition exigeant quelques développements, nous en réservons la démonstration pour le Traité des équations algébriques que nous nous occupons de publier.

Le théorème des 27 droites jouait en effet un rôle clé dans la troisième section du Traité, « Des irrationnelles ».

Les solides réguliers

Ce type de références témoigne de lectures du Traité en relation avec d’autres travaux de Jordan : polyèdres, cristallographie, cinématique, surfaces (y compris les surfaces de Riemann) ou équations différentielles. Bien que Jordan ait choisi de ne pas inclure de tels sujets dans son Traité de 1870, ces problèmes étaient fortement interconnectés à cette époque.

Ces sujets mettent notamment tous en jeu des groupes de substitutions. En effet la donnée d’un polyèdre régulier définit un groupe, le groupe de symétries du solide, pouvant être envisagé d’un point de vue cinématique (mouvements d’un solide autour d’un axe par exemple) et dont l’étude peut non seulement être appliquée à la cristallographie mais aussi à l’étude des symétries des surfaces (y compris des surfaces de Riemann) et, par là, des équations différentielles. Cette approche allait notamment être développée dans les années 1870 par les travaux de Felix Klein.

Comme pour le précédent, ce type de références s’avère transversal à de nombreuses rubriques de la classification mathématique : « surfaces », « cinématique », « physique moléculaire », « fonctions spéciales » etc.

Groupes linéaires et champs de Galois

Ce type de références se manifeste plus tardivement que les deux précédents et de manière plus locale : il implique essentiellement un groupe de mathématiciens français et américains sur la période 1893-1907.

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L’un des auteurs les plus importants de ce groupe, Leonard Dickson de Chicago, publiait en 1901 l’ouvrage : Linear groups with an exposition of the Galois field theory, présentant des généralisations systématiques de résultats du Traité.

Dans ce contexte, un type spécifique de lecture du Traité est à la base d’une véritable culture algébrique commune à des mathématiciens français et américains. Comme le manifeste l’expression « Jordan’s linear groups » utilisée par ces derniers, Jordan était cité principalement pour un théorème qui faisait déjà l’objet de sa première thèse en 1860 et qui jouait un rôle structurant pour le traité de 1870 : l’origine des groupes linéaires finis.

C’est aussi principalement dans ce contexte que les travaux de Jordan étaient cités en compagnie de ceux de Galois. Mais la référence à ce dernier ne portait pas sur ce que nous désignons aujourd’hui comme « théorie de Galois » mais sur ce qui était alors dénommé les « imaginaires de Galois », « corps de Galois », « champs de Galois » ou « Galois fields », c’est-à-dire les corps finis introduits par Galois dans sa note « Sur la théorie des nombres » publiée en 1830.

Les imaginaires de Galois permettent d’indexer les lettres permutées par des groupes finis et ainsi de représenter les substitutions par une forme analytique. Dans les travaux de Jordan, cette forme de notation s’accompagnait de procédures spécifiques de réductions de la représentation analytique des substitutions linéaires. Dans les années 1870-1880, ces procédures avaient circulé en profondeur dans des travaux de mathématiciens comme Henri Poincaré. Ces derniers ne faisaient pas pour autant toujours explicitement référence aux travaux de Jordan. Pour cette raison, ce type de référence n’avait émergé au grand jour que dans les années 1890. Il s’agit là de l’un des principaux héritages des travaux de jeunesse de Jordan.

Représentations simplifiées des répartitions des types de références à Jordan

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Annexe 2 : Indexation des racines de l’unité et représentation analytique des cycles

Il est bien connu que les racines cubiques de l’unité peuvent être exprimées par radicaux :
[
1, \frac-1+i\sqrt32, \frac-1-i\sqrt32
]

ou bien à l’aide de la fonction exponentielle :
[
1, e^\frac2i\pi3, e^\frac-2i\pi3
]

Cette seconde forme de représentation manifeste que toutes les racines peuvent être exprimées par la suite ($0$, $1$, $2$) des puissances de l’une d’entre elles, dite racine primitive : $\omega=e^{\frac{2i\pi}{3}}$ (Il s’agit là du nombre complexe que l’on note souvent $j$ ). En effet, $\omega^2=e^{\frac{-2i\pi}{3}}$, $\omega^3=1=\omega^0$ etc. Les trois racines cubiques de l’unité sont ainsi indexées par le groupe additif $\mathbb{Z}/3\mathbb{Z}$ : on peut passer d’une racine à la suivante par le cycle représenté analytiquement par $(x \ x+1)$.

Mais la suite des racines peut aussi être indexée d’une autre manière en utilisant cette fois un cycle représenté analytiquement par $(x \ gx)$. Par exemple, le cycle $(x \ 2x)$ est générateur du groupe multiplicatif $\mathbb{Z}/3\mathbb{Z}^*$. En effet, on obtient ainsi la liste : $\omega$, $\omega^2$, $\omega^4 = \omega$ etc.

Cette double indexation est cruciale car elle permet de décomposer simultanément l’ensemble des racines de l’unité en sous-ensembles et les groupes cycliques en sous-groupes. Elle a pour cette raison joué un rôle important dans les travaux sur la résolubilité par radicaux des équations algébriques de mathématiciens comme Gauss, Abel ou Galois.

Considérons par exemple le cas des racines septièmes de l’unité associées au groupe additif $\mathbb{Z}/7\mathbb{Z}$. Représentons ces racines par des points sur un cercle.

\includegraphics[scale=0.5]cyclotomie.jpg\*

Posons $g=3$. L’opération $(x \ 3x)$ permet d’obtenir à partir de la racine primitive $\omega= exp(\frac{2i\pi}{7})$, correspondant au point $B$, la suite des six racines distinctes de l’unité elle même (représentée par le point A) :

  • $\omega^3$, correspondant au point $D$
  • $\omega^{3^2}$, correspondant au point $C$ car $3^2 \equiv 2 \ mod(7)$
  • $\omega^{3^3}$, correspondant au point $G$ car $3^3 \equiv 6 \ mod(7)$
  • $\omega^{3^4}$, correspondant au point $E$ car $3^4 \equiv 4 \ mod(7)$
  • $\omega^{3^5}$, correspondant au point $F$ car $3^5 \equiv 5 \ mod(7)$
  • $\omega^{3^6}$, correspondant au point $B$ car $3^6 \equiv 1 \ mod(7)$

Le cycle $(x \ 3x)$ engendre donc le groupe cyclique $\mathbb{Z}/7\mathbb{Z}^*$.

Mais considérons à présent l’opération $(x \ g^2x)$, c’est à dire $(x \ 2x)$ car $3^2 \equiv 2 \ mod(7)$. On n’obtient plus alors à partir des puissances de $\omega$ que trois racines correspondant aux points ($B$, $C$ et $E$) :

  • $\omega^2$, correspondant au point $C$
  • $\omega^{2^2}$, correspondant au point $E$ car $2^2\equiv 4 \ mod(7)$
  • $\omega^{2^3}$, correspondant au point $B$ car $2^3 \equiv 1 \ mod(7)$

On a ainsi départagé l’ensemble des racines en deux blocs distincts correspondant aux points ($B$, $C$ et $E$) d’une part et ($D$, $F$ et $G$) d’autre part.

Ce procédé de décomposition permet de démontrer que les équations binômes sont résolubles par radicaux. Dans l’exemple considéré ci-dessus, exprimer par radicaux les racines septièmes de l’unité autres que l’unité elle-même nécessite en principe de résoudre une équation du sixième degré. Or le regroupement des racines en deux blocs permet de réduire le problème à celui de la résolution d’une équation du second degré et du troisième degré. En effet, si l’on somme les éléments de chacun de ces blocs, les deux expressions que l’on obtient,
[
\omega + \omega^2 + \omega^4
]
et
[
\omega^3 + \omega^5 + \omega^6
]

sont les deux racines d’une même équation du second degré.

Il est important d’observer que l’on peut passer d’un bloc de racines à l’autre en multipliant les indices par $g^3$, qui est congru à 6 modulo 7. En effet :
[
2 \times 6 = 12 \equiv 5 \ mod(7)
]
[
4 \times 6 = 24 \equiv 3 \ mod(7) \
]
[
1\times 6 = 6
]

Géométriquement, l’opération $(x \ 6x)$ peut s’interpréter comme une rotation du cercle sur lui même, d’angle $\frac{4\pi}{7}$, et qui envoie $B, C, E$ sur $D, F, G$.

La permutation $(x \ x+2)$ permet quant à elle de circuler entre les racines d’un même bloc : elle peut ainsi s’interpréter comme une translation pemettant de passer d’une racine à la suivante.

En conclusion, le cycle $(x \ gx)$ permet de décomposer les racines en différents blocs obtenus les uns à partir des autres à partir de rotations du cercle sur lui même tandis que l’opération $(x \ x+a)$ permet de translater une racine sur l’autre au sein d’un même bloc.

Références

[1] C. Jordan, Sur le nombre des valeurs des fonctions, Thèses présentées à la Faculté des sciences de Paris par Camille Jordan, 1re thèse, Paris : Mallet-Bachelier, 1860.

[2] C. Jordan, Sur la résolution algébrique des équations primitives de degré $p^2$, Journal de mathématiques pures et appliquées, 32 (2) (1868), p. 111-135.

[3] C. Jordan, Sur la trisection des fonctions abéliennes et sur les vingt-sept droites des surfaces du troisième ordre, Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, t.68 (1869), p. 865-869.

[4] C. Jordan, Traité des substitutions et des équations algébriques, Paris, 1870.

[5] C. Jordan, Sur la résolution des équations différentielles linéaires, Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, 73, 787-791.

[6] C. Jordan, Notice sur les travaux de M. Camille Jordan à l’appui de sa candidature à l’Académie des sciences, Paris : Gauthier-Villars, 1881.

[7] C. Jordan, Œuvres de Camille Jordan. Publiées sous la direction de M. Gaston Julia, par M. Jean Dieudonné, Paris : Gauthier-Villars, 1961-1964.

Post-scriptum :

L’auteur tient à remercier Bertrand Rémy pour avoir encouragé l’écriture de cet article et pour son travail de relecture et de conseil ainsi que Carole Gaboriau pour son patient travail de mise en ligne. Tous mes remerciements également aux relecteurs et relectrices d’Image des maths pour leurs commentaires très constructifs : Michèle Audin, Etienne Ghys, Joël Merker,Thomas Sauvaget, Marielle Simon et Diego.

Article édité par Bertrand Rémy

Notes

[1Une substitution est ce que nous désignerions aujourd’hui comme une permutation d’un nombre fini de lettres ($a$, $b$, $c$, $d$, ...).

[2Pour une notice biographique sur Jordan, voir notamment ici : LEBESGUE (Henri), Notices d’histoire des mathématiques. Notice sur la vie et les travaux de Camille Jordan, L’enseignement mathématique (1923), p. 40-49.

[3Voir ici BRECHENMACHER (Frédéric), Le « journal de M. Liouville » sous la direction de Camille Jordan (1885-1922), Bulletin de la Sabix, 45 (2009), p. 65-71.

[4KLEIN (Felix), [1921-1923] Gesammelte mathematische Abhandlungen, Springer : Berlin, 1921, vol. 1, p. 51

[5[Voir ici PICARD (Émile), Résumé des travaux mathématiques de Jordan, Comptes rendus de l’Académie des sciences de Paris, t. 174 (1922), p. 210-211.

[6Voir ici : LEBESGUE (Henri), Notices d’histoire des mathématiques. Notice sur la vie et les travaux de Camille Jordan, L’enseignement mathématique (1923), p. 40-49.

[7EHRHARDT (Caroline), Evariste Galois. La fabrication d’une icône des mathématiques, Paris, Éditions de l’EHESS, 2011.

[8Voir ici LIE (Sophus), Influence de Galois sur le développement des mathématiques, in DUPUY (Paul) (ed.), Le Centenaire de l’École Normale 1795-1895, Paris, Hachette, 1895.
Voir également ici GALOIS (Évariste), Œuvres mathématiques d’Évariste Galois, publiées sous les auspices de la Société Mathématique de France, avec une introduction par M. Émile Picard, Paris : Gauthier-Villars, 1897.

[9Voir ici ADHEMARD (Robert d’), Nécrologie. Camille Jordan, Revue générale des sciences pures et appliquées, t. 3 (1922), p. 65-66.

[10Les contemporains de Jordan se concentrent notamment sur les cas $n=3, 5, 7, 11$ qui se présentent dans un grand domaine de recherche de l’époque : l’étude des fonctions elliptiques.

[11Il s"agit notamment un espace vectoriel de dimension $n$ sur le corps $\mathbb{Z}/p\mathbb{Z}$.

[12Nous le désignerions aujourd’hui comme un groupe affine sur un corps fini.

[13En termes actuels, on décompose l’espace vectoriel de dimension 2 en deux sous-espaces vectoriels de dimension 1..

[14Jenny Boucard a soutenu récemment une thèse de doctorat d’histoire des mathématiques consacrée à l’histoire des congruences, entre algèbre et arithmétique. On pourra consulter ici : BOUCARD (Jenny), Louis Poinsot et la théorie de l’ordre : un chaînon manquant entre Gauss et Galois ?, Revue d’histoire des mathématiques, 17, fasc. 1 (2011), p. 41-138.

[15Janni, Sardi, Netto, Klein, Pellet, Bolza, Hölder, Borel et Drach, Vogt, Weber, Picard, Echegaray, Bianchi, Pierpont etc.

[16Comme les travaux de Bochert et Maillet sur les théorèmes de finitude des groupes primitifs et transitifs ou les très nombreuses références aux travaux de Jordan de la fin des années 1870 sur la classification des groupes linéaires finis en lien avec les formes quadratiques.

[17Cette équation avait notamment été étudiée par Galois. Voir à ce sujet : GOLDSTEIN (Catherine), Charles Hermite’s strolls in Galois fields, Revue d’histoire des mathématiques, 17 (2011), p. 211-270.

[18Netto, Sylow, Marie, Kronecker, Krause, Nöther etc.

[19Cremona, Clebsch, Geiser, Brioschi.

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Pour citer cet article :

Frédéric Brechenmacher — «Un portrait kaléidoscopique du jeune Camille Jordan» — Images des Mathématiques, CNRS, 2012

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