Un système triple orthogonal

une figure classique de géométrie différentielle

Piste noire Le 25 novembre 2008  - Ecrit par  Étienne Ghys, Jos Leys Voir les commentaires (1)
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Parmi les surfaces les plus simples que l’on rencontre, les quadriques ont des équations du second degré. Considérons par exemple l’équation :

\[ Ax^2+By^2+Cz^2= 1. \]

Si $A,B,C$ sont tous les trois positifs, elle représente un ellipsoïde.

Si parmi $A,B,C$, deux sont positifs et le troisième négatif, il s’agit d’un hyperboloïde à une nappe.

Si deux sont négatifs et un positif, c’est un hyperboloïde à deux nappes.

S’ils sont tous les trois négatifs, l’équation n’a pas de solution : c’est la surface vide !

Si les coefficients $A,B,C$ varient peu à peu en dépendant d’un paramètre $t$, la quadrique se déforme doucement...

Voici un exemple. Considérons la quadrique $E_t$ dont l’équation est

\[ \frac{x^2}{t} +\frac{y^2}{t-3} + \frac{z^2}{t-8} = 1. \]

Lorsque $t<0$, tous les coefficients sont négatifs et il n’y a rien à voir...

Lorsque $t>8$, les trois coefficients sont positifs et on a un ellipsoïde.
D’ailleurs si $t$ tend vers l’infini, cet ellipsoïde $E_t$ grandit et tend à devenir une surface sphérique de rayon approximativement $\sqrt{t}$.

Lorsque $0, on a un hyperboloïde à deux nappes.

Pour $3, l’hyperboloïde à une nappe.

Nous allons regarder le film de la quadrique $E_t$ quand $t$ varie entre $0$ et l’infini.

Auparavant, que se passe-t-il quand $t$ passe par ces valeurs particulières $t=0, 3$ ou $8$ ? En principe, pour ces valeurs l’équation n’a plus grand sens puisqu’un zéro apparaît au dénominateur.

En fait, pour $t=0$, on peut convenir que la seule façon de concilier le zéro au dénominateur est que le $x$ au numérateur soit nul. Argument pas tout à fait étanche, il faut en convenir. Mais si on le suit, on voit que pour $t=0$ la quadrique $E_t$ dégénère, suivant l’expression consacrée, dans le plan d’équation $x=0$.

Lorsque $t$ tend vers $3$ la quadrique dégénère dans le plan $y=0$ qui contient l’hyperbole $\frac{x^2}{3} - \frac{z^2}{5} = 1$ : c’est une hyperbole.

Pour $t=8$, c’est presque la même chose : la quadrique dégénère dans le plan $z=0$ qui contient la courbe $\frac{x^2}{8} + \frac{y^2}{5} = 1$ : c’est une ellipse.

Maintenant, regardez le film dont le scénario est le suivant :

Trois familles orthogonales de quadriques

Pendant les 7 premières secondes, on voit l’hyperbole dont nous venons de parler, représentée par la courbe jaune dans un plan ($y=0$)
et la quadrique $E_t$ pour une valeur de $t<3$ fixe mais très proche de $3$. On voit deux morceaux de surfaces roses, presque plates, bordées par
l’hyperbole jaune.

De la seconde 7 à la seconde 15, on voit les hyperboloïdes à deux nappes pour diverses valeurs de $t$, variant en décroissant de $3$ à $0$.

De 14’’ à 23’’, on fait tourner l’ensemble, juste pour le plaisir !

De 23’’ à 31’’, la valeur de $t$ rebrousse son chemin et revient progressivement de $t=0$ à $t=3$.

De 31’’ à 39’’, c’est le royaume des hyperboloïdes à une nappe que l’on visite : $t$ varie de $3$ à $8$.

De 39’’ à 47’’, un petit tour pour voir.

de 47’’ à 55’’, on rebrousse chemin et $t$ revient de $8$ à $3$.

De 56’’ à 1’04’’, on met les deux mouvements en même temps et on constate que :

les hyperboloïdes à une nappe et les hyperboloïdes à deux nappes se coupent perpendiculairement !

Jusque 1’12’’, on fait tourner !

Et maintenant, on se pose la question suivante. Les hyperboloïdes sont des surfaces infinies. Pourquoi n’en avons nous montré
qu’un petit bout depuis une minute ? La réponse est qu’on n’a montré en fait que la partie intérieure à l’ellipsoïde $E_{11,25}$.

De 1’12’’ à 1’20’’, on montre la même chose mais seulement la partie qui est intérieure à l’ellipsoïde $E_t$ en faisant
varier $t$ de $11,25$ à $8$. On voit la position limite lorsque $t= 8$ : c’est l’ellipse dont nous avons déjà parlé.

Nous ne dessinons pas les ellipsoïdes puisqu’ils cacheraient ce qui est intérieur mais on les devine, alors qu’ils
se rétrécissent pour dégénérer sur l’ellipse.

Que voyons nous ? Que trois quadriques passent par chaque point de l’espace (à part quelques exceptions) : un
ellipsoïde, un hyperboloïde à une nappe et un autre à deux nappes, et que ces trois quadriques sont orthogonales
en chaque point !

On parle d’un système triple orthogonal.

Le démontrer ? Ce n’est pas très difficile si on maîtrise un peu de calcul différentiel... Partant d’un point de coordonnées
$(x,y,z)$, on cherche les quadriques $E_t$ qui passent par ce point. Autrement dit, on cherche à résoudre
l’équation

\[ \frac{x^2}{t} +\frac{y^2}{t-3} + \frac{z^2}{t-8} = 1. \]

dans laquelle $x,y,z$ sont connus et $t$ est inconnu. Si on réduit au même dénominateur, on verra qu’il s’agit
d’une équation du troisième degré, d’où les trois solutions... D’une certaine façon, on peut associer à chaque
point de l’espace trois nombres $t$ qui permettent de retrouver $x,y,z$ (au signe près). C’est une espèce
de système de coordonnées dans l’espace : les coordonnées ellipsoïdales.

De 1’20’’ à 1’27’’, on tourne autour de l’ellipse et de l’hyperbole, dans des plans perpendiculaires.

De 1’27’’ à 1’44’’, on fait gonfler à nouveau l’ellipsoïde $E_t$ avec $t$ variant de $8$ à $11,25$, mais cette fois on montre un
ellipsoïde opaque si bien qu’on ne voit plus l’intérieur. On voit par contre les lignes bleues et rouges qui sont les intersections
avec les hyperboloïdes.

La figure finale montre donc un ellipsoïde avec ces deux systèmes de courbes orthogonales. Les géomètres
disent que ces courbes sont les lignes de courbure de l’ellipsoïde. Les quatre points où l’hyperbole
transperce l’ellipsoïde sont appelés les ombilics.

Cette figure a une longue histoire. On la doit à Jacobi qui en a fait des usages très intéressants en particulier
dans son étude des figures d’équilibre d’une masse fluide en rotation et soumise seulement à sa propre
gravitation.

Si nous vivions sur une Terre qui n’était ni sphérique ni un ellipsoïde de révolution, mais un ellipsoïde à trois axes différents comme par exemple $E_{11,25}$, quels sont les méridiens
et les parallèles que les géographes auraient inventés ? Probablement ces courbes bleues et rouges ?
On peut penser en effet que les géographes auraient cherché de bonnes coordonnées orthogonales qui
en plus sont des lignes qui se referment et notre figure est parfaite pour cela.

Terre quadrique, par Jos Leys {JPEG}

Lamé a étudié ce qu’on appelle l’analyse harmonique sur les ellipsoïdes et les coordonnées que nous
venons de décrire se sont révélées importantes dans son travail.
Darboux a écrit un livre entier sur les systèmes triples orthogonaux :
trois familles de surfaces orthogonales deux à deux. L’exemple que nous venons de décrire
n’est que le plus simple.

Aujourd’hui, l’étude de ces systèmes triples orthogonaux intervient en physique théorique,
dans la contexte des systèmes qu’on appelle complètement intégrables, mais c’est une autre
histoire !

Pour en savoir beaucoup plus :

Gaston Darboux : Leçons sur les systèmes orthogonaux et les coordonnées curvilignes, Paris 1910.

Article édité par Étienne Ghys

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Pour citer cet article :

Étienne Ghys, Jos Leys — «Un système triple orthogonal» — Images des Mathématiques, CNRS, 2008

Commentaire sur l'article

  • Un système triple orthogonal

    le 30 juillet 2016 à 23:56, par Mauricio Garay

    Très bel article, merci à tous les deux. A partir de la ligne 13, il y a un $ qui apparaît et un problème de mise en forme. Est-il possible de corriger ?
    Mauricio

    Répondre à ce message

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