Vibrations mathématiques
Le 18 septembre 2015 Voir les commentaires (2)
Les nombreux problèmes qui se posent dans l’enseignement des mathématiques ne laissent personne indifférent. Beaucoup de gens en parlent, mais peu les posent de façon concrète. C’est que le débat est déjà difficile à porter auprès de la communauté mathématique, et il l’est encore plus au niveau du public. C’est à cet effet que le site Images des Mathématiques souhaite offrir un espace de discussions ouvert à tous ceux qui se sentent touchés par ces questions. Ils pourront y échanger leurs idées, leurs points de vue et éventuellement apporter des éléments de réponse. Le débat sera « provoqué » chaque mois par la publication d’un billet portant sur un point précis, écrit par l’un des responsables de la rubrique ou par toute autre personne qui le souhaiterait.
A. El Kacimi, F. Recher, V. Vassallo
Depuis quelque temps on entend parler à la radio ou on lit dans les journaux beaucoup de choses au sujet de l’ennui à l’école. Des livres sont consacrés à ce sujet : des récits personnels d’anciens élèves [1] ou des propositions formulées par des spécialistes (souvent des sociologues [2], [3] et [4]) ; tout cela pour faire évoluer l’école.
Nous l’avons déjà signalé dans cette rubrique, le système est en crise, de la maternelle à l’université.
Au-delà des contenus des programmes, il a été écrit dans cette rubrique ou ailleurs sur ce site, et à plusieurs reprises, que d’autres aspects devraient être pris en compte dans l’évaluation de la réussite scolaire ou tout simplement de la réussite de nos propres vies.
En effet, un élève qui dit s’ennuyer à suivre un programme pourrait déjà faire l’effort de s’y intéresser afin de mieux le critiquer ensuite. Il pourrait tout au moins travailler ses leçons ou certaines parties du programme. Il pourrait aussi questionner ses professeurs sur tel ou tel autre sujet difficile.
Il est clair que le rôle du professeur demeure crucial, et éveiller la curiosité des plus jeunes a été et reste un levier fondamental dans l’enseignement.
Mais, encore une fois, il est plus facile de porter des critiques à un système que de composer avec celui-ci, aussi souffrant soit-il.
En ce qui concerne les mathématiques, il y a presque un an, Madame la Ministre a même annoncé une « stratégie mathématique » comme on lance une stratégie pour gagner une bataille. Il n’a pas été vraiment question de guerre mais tout de même d’un combat pour obtenir que les jeunes
Français soient meilleurs dans une discipline où le niveau continue sa chute (libre ?) et les résultats sont catastrophiques.
Dans cette soi-disant nouvelle approche de Madame la Ministre, il a été question de programmes en phase avec le temps, d’enseignants mieux formés, d’une image rénovée des mathématiques, d’une meilleure prise en compte des recherches et des innovations menées en France et à l’étranger...
Entre temps, il y a eu la réforme des collèges avec un slogan : « Mieux apprendre pour mieux réussir ».
Comment mieux apprendre sans effort et sans travail ? Un jour, quelqu’un devra expliquer haut et fort comment s’y prendre pour éviter ces deux bêtes-là ! Ou bien, il faudra tout simplement assumer que ces deux valeurs sont incontournables dans la vie et pas seulement à l’école.
Depuis presque un an, date de la sortie du projet « stratégie mathématique », la situation est encore plus préoccupante qu’à la rentrée 2014. Pourquoi ?
D’abord, nous n’entendons plus parler de cette stratégie qui avait fait alors couler beaucoup d’encre. Ensuite, d’autres signaux laissent présager que de grandes turbulences, bien plus inquiétantes, sont sur le point d’arriver.
La réforme des collèges a pratiquement effacé les bons projets de la « stratégie mathématique » même si certains disent qu’elle contient les propos de la « stratégie mathématique ».
À l’heure actuelle, le constat désolant qu’on peut faire est que dans beaucoup de rectorats les stages de formation continue disciplinaires destinés aux professeurs de mathématiques des collèges
ont été supprimés, impactant notamment fortement l’activité des Instituts de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques (les I.R.E.M.).
Pourtant, dans les projets de Madame la Ministre, il était question de faire appel au fleuron de la formation continue en France en mathématiques : les I.R.E.M. Eh bien non ! Que dire ? Nous laissons nos lecteurs réagir déjà sur ces points.
Notre impression est qu’aucun gouvernement n’arrive finalement à définir ce que signifie « mieux apprendre », « mieux réussir » .... et, en ce qui nous concerne de plus près, comment faire aimer les mathématiques et faire en sorte au moins que la majorité des jeunes y trouve du plaisir.
Finalement, la balle est comme souvent dans le camp des professeurs qui doivent imaginer à chaque réforme quelles pirouettes accomplir pour tenir la classe, comment traiter tel ou tel sujet, respecter les programmes, tenter de les faire assimiler par leurs élèves et, cerise sur le gâteau, éveiller la curiosité de quelques jeunes tout au moins parmi les plus motivés de la classe.
Nous repensons alors à nos cours universitaires, à ces moments que l’on pourrait définir comme magiques durant lesquels, transportés par la passion du sujet traité, nous vibrions et nous espérions avoir fait vibrer la salle avec nous.
Un de nous vibrait en expliquant en première année la bijection entre un segment et la droite ou, en troisième année, le demi-plan de Poincaré ou la formule de Laguerre, donnant la pente entre deux droites du plan en fonction du logarithme d’un birapport particulier. Un autre en présentant l’existence de nombres transcendants ou en démontrant la finitude du nombre de polyèdres réguliers en dimension 3. Et un troisième pour les fonctions discontinues mille fois dérivables !
Ce débat porte surtout sur une question : quels sont les sujets qui nous font vibrer et que nous avons plaisir à enseigner ?
Il serait intéressant de partager cette passion commune qui nous a amenés un jour, pour des raisons que parfois nous-mêmes ignorons, à nous inscrire à l’université en mathématiques et à devenir enseignants.
Car, en guise de conclusion, s’il y a un espoir auquel s’accrocher au-delà de tout ce tam-tam médiatique, c’est bien celui de sa propre passion ! En trouver une est vraiment une grande réussite !
Qu’en pensez-vous chers lecteurs ?
Notes
[1] Lola Vanier, Longtemps je me suis ennuyée à l’école, Max Milo (2015).
[2] François Dubet et Marie Duru-Bella, 10 Propositions pour changer l’école, Seuil (2015).
[3] Edgar Morin, Enseigner à vivre Manifeste pour changer l’éducation, Actes Sud (2014).
[4] Eloge des mathématiques
entretien avec Alain Badiou en dialogue avec Gilles Haéri,
chez Flammarion (sorti ce mardi 15 septembre 2015).
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Pour citer cet article :
Aziz El Kacimi, François Recher, Valerio Vassallo — «Vibrations mathématiques» — Images des Mathématiques, CNRS, 2015
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