Voyage sur une balle de tennis
Balle de tennis, casse-tête à perle et autres objets sphériques
Piste bleue Le 5 avril 2013 Voir les commentairesLire l'article en


On observe une balle de tennis, on suit sa trace blanche sur le feutre jaune et en chemin on rencontre Euler, Peano ainsi que des contemporains. Ces derniers ont découvert quelle est la plus longue corde que l’on peut appliquer sur une sphère.
Une balle de tennis
Avez-vous déjà remarqué qu’il est en fait assez simple de décrire la trace qui est creusée sur une balle de tennis ? [1] Regardons :
La ligne est faite de 4 demi-cercles identiques ! Les voyez-vous ? On en aperçoit deux sur la première photographie, comme deux parallèles d’une planète : un au Nord et un au Sud. En tournant on découvre les deux demi-cercles de la face cachée (la partie de la balle que l’on voit sur la troisième photo, après deux quarts de tour). On peut en fait être plus précis en considérant la figure ci-dessous qui correspond à la première photo et où on a noté A, A’, B et B’ les points de jonction entre face visible et face cachée. Cela va nous permettre de décrire exactement comment les parallèles sont écartés.
On se rappelle tout d’abord que sur la face cachée le parallèle Nord rejoint le parallèle Sud. Comme il faut connecter A à A’ et B et B’ par des demi-cercles identiques à ceux de la face visible on peut déduire que les distances AA’, AB, BB’ et A’B’ sont égales, ainsi que les angles AOA’, AOB, BOB’ et A’OB’. En particulier AA’B’B est un carré. On en déduit également que les parallèles de la face visible sont situés aux latitudes 45°N et 45°S.
[2]
Un casse-tête sphérique
Voici un deuxième objet. Il s’agit d’un casse-tête qui était vendu sous le nom « Orb-it » dans les années 80. Le but de ce casse-tête est de trier les perles de couleur en faisant communiquer les circuits. À la fin il ne doit y avoir des perles que d’une couleur pour chacun des quatre cercles comme c’est le cas sur la première photo (voir cette vidéo où une méthode de résolution est proposée et le site de Jaap Scherphuis ou le nombre de positions est étudié). Les deux parallèles de la balle de tennis ont été remplacés par quatre parallèles disposés régulièrement tous les 45° (alors qu’ils l’étaient tous les 90° sur la balle de tennis) et les deux faces sont articulées.
Voyons plus en détail ce qui se passe. Partant de la disposition 1 : « parallèles », on obtient après un cran en disposition 2 un serpent analogue à celui de la balle de tennis. La ligne est seulement un peu plus mystérieuse. Encore un cran jusqu’à la position 3 où il se passe quelque chose de nouveau et qui va nous intéresser par la suite : ce n’est plus un circuit de perles que nous avons mais bien deux ! La position 4 qui n’est pas photographiée correspond directement à la seconde (avec toutefois une chiralité différente) alors qu’avec un cran de plus on retrouve la première position à cela près que le jaune est en face du bleu et le vert en face du rouge. On a fait un demi-tour !
Encore plus de circuits
De la même façon que la sphère avait deux parallèles et le casse-tête 4, on peut imaginer une sphère articulée avec N parallèles (par exemple 6 ou 7). On pourra l’appeler « la balle à N parallèles ». Les parallèles de cette dernière sont disposés régulièrement tous les 180/N° [3]. Pour une représentation en 3D de la balle à 6 parallèles, je vous incite à visionner l’animation vidéo du mathématicien Henryk Gerlach dont nous allons expliquer les recherches plus tard (ne pas hésiter à utiliser la touche pause) !
On peut aussi se contenter d’une vue schématique à partir du pôle Nord comme nous le faisons sur la figure ci-dessous pour la balle à 7 parallèles.
On part des cercles concentriques en position 1. Le cercle polaire Nord est en bleu et le cercle polaire Sud est le grand cercle vert. Après un cran les parallèles se décalent tous (de (180/N)°) et tout comme sur les autres balles on obtient un circuit fermé. Il n’y a bien qu’un circuit et il est fermé. On s’en convainc en partant du S bleu central que l’on borde d’arcs de cercle en allongeant le chemin simultanément par les deux bouts. On observe finalement que l’extrémité sur l’un des hémisphères (point A) correspond à l’autre extrémité sur l’autre hémisphère (point B). Ainsi il n’y a qu’un serpent sur le schéma et il se mord la queue !
Mais comme pour l’ « Orb-it » il existe aussi des dispositions « mauvaises » pour lesquelles le grand circuit se fractionne en petits circuits. À la seconde 19 de l’animation de Gerlach, on a par exemple 3 circuits fermés. Entre la position 1 « parallèles » et la position numéro N on peut appeler φ(N) le nombre de « bonnes » positions rencontrées, c’est-à-dire de celles qui dessinent un circuit unique. On a déjà pu constater que φ(2)=1 et φ(4)=2 et que φ(N) vaut au moins 1 car on peut toujours compter le circuit « serpent ». Avec le film de Gerlach on observera que φ(6)=2 et en dessinant sur un papier des schémas analogues à celui présenté au-dessus on pourra assez rapidement trouver les valeurs de φ(3), φ(5) et peut-être même φ(7) !
La corde la plus longue que l’on peut appliquer sur une sphère
Les présentations étant faites avec la balle à N parallèles, nous pouvons maintenant évoquer l’article des deux mathématiciens contemporains [4]. Il n’est pas si courant de rencontrer des articles de recherche actuels que l’on peut expliquer avec des mots simples, alors ne nous privons pas ! Ces deux chercheurs se sont intéressés aux façons d’enrouler une corde autour d’une sphère. Plus précisément il s’agit de trouver la corde fermée [5] la plus longue que l’on puisse appliquer sur une sphère. Il faut imaginer que les cordes en question nous sont données avec une section circulaire d’épaisseur constante et qu’elles sont suffisamment souples pour pouvoir réaliser des demi-tours aussi serrés que l’on souhaite. La seule véritable contrainte est que la corde ne décolle jamais de la sphère. Elle ne repasse donc jamais sur elle-même.
Le premier constat des deux auteurs est qu’en suivant les lignes de la balle de tennis à N parallèles on arrive parfois à recouvrir complètement la sphère, c’est-à-dire sans qu’il y ait la place de voir la sphère derrière la corde. On obtient ce résultat en ajustant correctement l’épaisseur de la corde relativement à la taille de la sphère et en faisant en sorte que les points de contact entre corde et sphère suivent une des trajectoires fermées présentées au début. La longueur de la corde est alors à quelques précisions près [6] la surface de la sphère divisée par l’épaisseur de cette corde. Ce constat également valable pour n’importe quelle autre corde démontre qu’on ne peut pas appliquer sur la même sphère une corde qui soit à la fois de même largeur et plus longue.
La partie la plus intéressante du travail de von der Mosel et Gerlach vient maintenant : si une corde parvient à recouvrir complètement la sphère, celle-ci se déroule en fait exactement de la façon décrite précédemment :
- D’une part l’épaisseur de la corde correspond forcément à celle utilisée pour une des balles de tennis à multiples parallèles, (disons N parallèles).
- D’autre part le circuit suivi est exactement un de ceux (au nombre de φ(N)) envisagés pour la balle en question. On a bien sûr le droit de réorienter la balle comme on le désire !
On peut présenter cette partie du théorème un peu différemment avec des pelures de pomme de terre (ou d’orange) en lieu et place des cordes : si vous disposez d’une pomme de terre sphérique (!) de 24 cm de circonférence et que vous désirez la peler en un seul mouvement en finissant à l’endroit où vous avez entamé le travail, cela ne sera possible que pour des pelures dont la largeur est de 24/2=12cm, 24/4=6cm, 24/6=4cm, 24/8=3cm... La liste est infinie mais seules les épaisseurs de cette suite numérique fonctionnent. Inversement si la largeur de vos pelures fait 2cm et que vous désirez peler des pommes de terres (sphériques !), en un seul mouvement tout en finissant à l’endroit où vous avez entamé le légume, cela ne sera possible qu’avec des pommes de terres de circonférence 2x2=4cm, 2x4=8cm, 2x6=12cm, 2x8=16cm ou dont la circonférence figure dans cette suite infinie de nombres.
Colorier une sphère avec une mine sans épaisseur, Peano l’a fait !
Nous ne résistons pas à l’envie d’évoquer un résultat fascinant et désormais classique qui est dû aux mathématiciens Peano et Hilbert [7]. Il s’agit cependant d’un théorème purement mathématique qui demande de la prudence si on souhaite le formuler avec des mots de la vie courante. Allons-y ! Avec une ficelle sans épaisseur (une courbe mathématique idéale !) de longueur infinie (ça n’existe pas !) il est possible de recouvrir toute la sphère (en s’autorisant toutefois de passer plusieurs fois au même endroit !). C’est un peu comme si on pouvait colorier en entier une sphère avec une mine de crayon sans épaisseur. Quand bien même un tel crayon sans épaisseur existerait le poignet n’arriverait pas à tracer cette ligne, tant elle fait de virages... mais l’esprit humain, lui, parvient à la décrire ! [8] En considérant les courbes sur la balle de tennis lorsque le nombre de parallèles devient très grand on obtient certes des courbes toujours plus longues et qui recouvrent quasiment la sphère, mais il n’y a pas de courbe limite à la suite de ces courbes.
La situation est différente dans la construction par Hilbert de la courbe de Peano car les courbes qui sont en jeu se déduisent les unes des autres par complication en effectuant des virages de plus en plus serrés et permettent ainsi de définir une courbe limite qui, elle, passera de partout. Sur la figure on a ainsi représenté les quatre premières approximations (en violet, vert, bleu puis rouge) d’une courbe coloriant un mouchoir ainsi que sur la partie droite de l’image illustré le fait que l’on peut « plaquer » la courbe sur la sphère à l’aide de ce mouchoir.
Je remercie vivement Roland Bacher, Pierre Monmarché et Serma de leurs relectures attentives et de leurs suggestions pertinentes.
Notes
[1] Ça n’est en fait pas aussi simple que ce qui est dit dans l’article. À ce sujet et plus généralement au sujet des lignes sur les balles et ballons sportifs, on pourra lire l’article de Serge Cantat sur le même site.
[2] Petite devinette : en partant du carré initial ABB’A’ et en faisant avancer à la même vitesse les quatre points, chacun sur un des chemins circulaires, on parvient à former un tétraèdre régulier. De quel angle faut-il avancer sur les arcs de cercle pour obtenir cette figure ? (Indices : (1) pour s’aider on peut se munir d’un dé à jouer et retrouver le circuit des balles de tennis sur le contour de quatre faces du dé. (2) Avec 4 des 8 « sommets » d’un dé à jouer on peut former un tétraèdre régulier. Réponse : arctan(sqrt(2/3)) soit environ 39°)
[3] Remarquez que la formule « marche » pour la balle de tennis et le casse-tête Orb-it !
[4] Heiko von der Mosel et Henryk Gerlach On sphere-filling ropes. Amer. Math. Monthly 118 (2011), no. 10, est un article de présentation et Heiko von der Mosel et Henryk Gerlach : What are the longest ropes on the unit sphere ? Arch. Ration. Mech. Anal. 201 (2011), no. 1, 303–342. l’article de recherche original.
[5] C’est-à-dire sans bouts, comme un collier.
[6] Une de ces précisions : la corde étant posée sur la sphère, les points de contact des morceaux de corde entre eux sont « au-dessus de la sphère », à une distance du centre inférieure à la somme des deux rayons, celui de la sphère et celui de la corde. Toutefois, notons que bien que la corde recouvre plus de surface à l’extérieur des virages qu’à l’intérieur de ceux-ci, ces effets contraires se compensent, si bien que l’aire recouverte est véritablement proportionnelle à la longueur.
[7] L’article de Peano, en français, utilise l’écriture d’un nombre en base 3. Il a été écrit en 1890 tandis que celui de Hilbert qui date de 1891 en propose une interprétation géométrique.
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Pour citer cet article :
Nicolas Juillet — «Voyage sur une balle de tennis» — Images des Mathématiques, CNRS, 2013
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