En 1891 et 1892 parurent en plusieurs tomes les « Récréations mathématiques » d’Edouard Lucas 4Les trois premiers sont aussi accessibles
via le site Gallica : I, II, III. Ils sont tous accessibles via cette page du site consacré à l’œuvre de Lucas. Je remercie Etienne Ghys de me l’avoir fait découvrir..
Il s’agit d’une excellente source de jeux ouvrant de nombreuses perspectives d’exploration pour les petits et les grands. Il en a déjà été question sur ce site dans l’article de Michel Coste consacré au jeu de Taquin.
Afin de mieux faire percevoir le style du livre, je vais présenter un tour de magie que Lucas appelle l’Éventail mystérieux 5On le trouve présenté dans le chapitre « La numération binaire » du tome I..
Dans ce tour on demande à une personne de penser à un nombre compris entre \(1\) et \(3\). Puis on lui présente cinq cartons disposés en éventail, sur chacun desquels est écrite une liste de nombres et on lui demande sur lesquels d’entre eux se trouve écrit le nombre auquel elle a pensé. Au moment où elle a fini de nous les indiquer, on lui communique ce nombre sans aucune hésitation !
Comment est-ce possible ? Cela tient bien sûr au choix soigneux des listes de nombres à écrire sur les 5 cartons. Les voici :
\( – 1, 3, 5, 7, 9, 11, 13, 15, 17, 19, 21, 23, 25, 27, 29, 31 \)
\(- 2, 3, 6, 7, 10, 11, 14, 15, 18, 19, 22, 23, 26, 27, 30, 31\)
\(- 4, 5, 6, 7, 12, 13, 14, 15, 20, 21, 22, 23, 28, 29, 30, 31\)
\(- 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31\)
\(- 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31\)
Si un enfant a apprécié ce tour de magie et qu’il désire se glisser dans le rôle du magicien, il voudra savoir quel est le « truc ». Sa curiosité mathématique est éveillée, quelle formidable occasion de le faire apprendre de belles choses ! Au lieu de lui révéler le secret, on peut le lui faire découvrir. Voici quelques questions qui peuvent le mener à la solution et lui suggérer d’autres variantes :
1) Quelle est la règle suivie par la suite 1, 2, 4, 8, 16 des nombres situés en tête de chaque liste ?
2) Si on a pensé à l’un de ces nombres de tête, sur quelles listes se trouve-t-il ?
3) Si on a pensé à la somme de deux des nombres de tête, sur quelles listes se trouve-t-elle ?
4) Que devrait-il se passer pour la somme de trois d’entre eux ? Vérifiez-le dans quelques cas !
5) Arrivés à ce point, voyez-vous quel est le « truc » ?
6) Si on choisit de deux manières différentes des nombres parmi 1, 2, 4, 8, 16, leurs sommes peuvent-elles être égales ?
7) Combien de manières y a-t-il de choisir des nombres parmi cette suite de 5 nombres ?
8) Quelle est la somme de ces 5 nombres ?
9) Comment est fabriquée chaque liste 6Un élève peut découvrir la manière dont on saute d’un nombre à l’autre dans chaque liste. Mais avoir réfléchi aux bases de numération permet de décrire simplement la fabrication des listes de la manière suivante : la k-ème liste contient les nombres dont l’écriture en base 2 contient le chiffre 1 en k-ème position, si l’on compte à partir des unités. Indiquer les listes qui contiennent le nombre auquel on a pensé revient donc à indiquer ses chiffres en base 2 ! ?
10) Comment fabriquer un jeu analogue à 4 ou à 6 cartons ?
Ces questions sont difficiles pour un élève de CP, mais deviennent abordables bien avant le collège, pouvant être des prétextes à l’exploration de la numération binaire ou des notions basiques de combinatoire. Par contre, dévoiler directement le « truc » à un élève de CP a aussi ses avantages : cela l’encouragera a apprendre à faire très vite des additions mentalement. On peut aussi utiliser ce « mystérieux éventail » pour déboucher sur des maths plus sophistiquées, par exemple sur la problématique des codes correcteurs d’erreurs, en comparant ce tour de magie au jeu présenté par Xavier Caruso dans cet article sur le code de Hamming.
Je n’en dirai pas plus, j’espère seulement avoir donné envie aux personnes soucieuses de développer l’esprit d’exploration mathématique des enfants d’aller chercher des idées dans ce livre. Cela réjouirait sûrement Lucas, qui concluait ainsi sa préface :
Si ces pages plaisent à quelques savants, si elles intéressent quelques gens du monde, si elles inspirent à quelques jeunes intelligences le goût du raisonnement et le désir des jouissances abstraites, je serai satisfait.