Premiers pas dans les arbres

Tribune libre
Version espagnole
Publié le 13 juin 2013

Nous découvrirons ici de quelle manière Vladimir Berkovich fit ses premiers pas dans les arbres.

J’écris ce billet pour accompagner l’article « Buissons et balais » de Daniele Turchetti. Ce dernier explique comment Berkovich a vu des structures arborescentes derrière les nombres p-adiques, et plus généralement dans toute situation « non-archimédienne ».

Ici je souhaite présenter quelques aspects plus humains, psychologiques, de la quête ayant mené Berkovich a sa vision. Il s’agit d’extraits de son article autobiographique « Géométrie analytique non-archimédienne : premiers pas » 3C’est moi qui traduis de « Non-Archimedean analytic geometry : first steps. » Dans « p-adic geometry », 1-7, Univ. Lecture Ser., 45, Amer. Math. Soc., Providence, RI, 2008..

[…] J’ai fini mes études en 1976, et j’ai obtenu mon doctorat l’année suivante. (Mon directeur de thèse a été le Professeur Yuri Manin). Cela aurait été trop demander que d’obtenir une position académique, et le mieux que je pouvais espérer était un travail de programmeur dans une usine de machines agricoles puis, plus tard, à l’institut d’information en agriculture. La conséquence fut que j’ai pratiquement arrêté de faire des maths, que je n’ai plus produit des articles, et que j’étais considéré par mes collègues comme un outsider. J’ai eu besoin de quelques années pour devenir un expert en ordinateurs & Co, et d’apprendre à contrôler mon temps. Petit à petit j’ai recommencé à faire des maths, et mon amour pour elles éclata avec force et devint indépendant des circonstances environnantes. Au moment où commence mon récit, j’étais plus affamé de maths que jamais.

Ainsi, mon histoire commença un après-midi de juillet 1985 dans un train […] Au lieu de parler avec les personnes à côté de moi – mon occupation habituelle pendant les longs voyages en train – j’ai ouvert un livre d’analyse fonctionnelle classique de Yuri Lyubich que mon frère ainé Yakov m’avait donné quelques jours plus tôt. Les sujets de base du livre m’étaient familiers. Pourtant, j’ai été enchanté de lire à nouveau sur ce sujet, et soudain je me suis demandé : quel est l’analogue de tout cela sur un corps non-archimédien k ? […]

[…] J’ai fini mes études en 1976, et j’ai obtenu mon doctorat l’année suivante. (Mon directeur de thèse a été le Professeur Yuri Manin). Cela aurait été trop demander que d’obtenir une position académique, et le mieux que je pouvais espérer était un travail de programmeur dans une usine de machines agricoles puis, plus tard, à l’institut d’information en agriculture. La conséquence fut que j’ai pratiquement arrêté de faire des maths, que je n’ai plus produit des articles, et que j’étais considéré par mes collègues comme un outsider. J’ai eu besoin de quelques années pour devenir un expert en ordinateurs & Co, et d’apprendre à contrôler mon temps. Petit à petit j’ai recommencé à faire des maths, et mon amour pour elles éclata avec force et devint indépendant des circonstances environnantes. Au moment où commence mon récit, j’étais plus affamé de maths que jamais.

Ainsi, mon histoire commença un après-midi de juillet 1985 dans un train […] Au lieu de parler avec les personnes à côté de moi – mon occupation habituelle pendant les longs voyages en train – j’ai ouvert un livre d’analyse fonctionnelle classique de Yuri Lyubich que mon frère ainé Yakov m’avait donné quelques jours plus tôt. Les sujets de base du livre m’étaient familiers. Pourtant, j’ai été enchanté de lire à nouveau sur ce sujet, et soudain je me suis demandé : quel est l’analogue de tout cela sur un corps non-archimédien k ? […]

À l’époque j’ai découvert que le processus de rédaction de ce que je commençais à percevoir était très agréable et même extrêmement utile pour mieux comprendre. Le besoin d’exprimer une idée me forçait à me concentrer sur chaque petit objet ou détail du raisonnement. Cette concentration m’a aidée à voir des nuances cachées et raffinées qui pouvaient changer la vision globale, ou bien à découvrir à plusieurs reprises des préjugés bien enracinés, des visions fausses ou simplement de la stupidité.

Cela ne ressemble-t-il pas à une fable ? Plusieurs morales peuvent s’en dégager, mais comme je ne veux influencer personne, je vous laisse formuler la vôtre ! Je ne peux néanmoins pas m’abstenir d’admirer l’infinie sagesse du Parti, qui a su affecter Vladimir Berkovich dans un service lié à l’agriculture, ce qui n’a pu que lui être bénéfique pour ses premiers pas dans les arbres 4Et quelle ingratitude que de conclure ainsi son article autobiographique : « Le grand jour de la libération pour moi et ma famille est venu en Août 1987, lorsque nous sommes sortis des bas-fonds de l’Union Soviétique et que nous sommes arrivés dans le merveilleux, ensoleillé et dingue État d’Israel. Même si je n’étais plus si jeune, on m’a offert la possibilité de reprendre ma carrière scientifique sans devoir faire vivre ma famille d’une autre manière. J’étais à nouveau plus affamé de maths que jamais, et prêt pour les prochaines étapes de mon voyage. » 

ÉCRIT PAR

Patrick Popescu-Pampu

Professeur - Université de Lille

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