Mathématiques et autisme

Tribune libre
Publié le 7 mai 2019

Peut-il y avoir un rapport entre troubles du spectre autistique et mathématiques ?

L’autisme et les troubles du spectre autistique sont des sujets douloureux. Il y a une vingtaine d’années, ayant rencontré plusieurs enfants autistes, je m’étais aperçu qu’ils avaient tous un parent mathématicien. Bien sûr, je croisais probablement plus de matheux que de non-matheux (?), et il pouvait y avoir un biais dans cette observation. Cependant, certains traits autistiques me parurent —sans malice— plus ou moins liés à certaines caractéristiques de matheux : faire un calcul très compliqué en quelques secondes et sans que personne ne comprenne comment (un peu comme Dustin Hoffman qui indique instantanément dans Rain Man le nombre d’allumettes d’une boîte qui vient de se répandre sur le sol), avoir du mal à (ou être dans l’incapacité de) communiquer (avouons —toujours sans malice— que nous avons parfois du mal à suivre ne serait-ce que quelques idées dans certains exposés de math.), être totalement démuni dans certaines situations de la vie courante, savoir par cœur tous les numéros de téléphone d’un annuaire ou les horaires de tous les bus d’une compagnie, etc. Pouvait-il donc y avoir un rapport entre troubles du spectre autistique et mathématiques ? Peut-être y aurait-il une sorte de prédisposition génétique qui faisait que certains individus pouvaient « basculer » soit du côté des troubles autistiques, soit du côté des mathématiques (soit les deux). On m’expliqua que d’une part il y avait plusieurs sortes d’autismes, d’autre part que je pensais peut-être uniquement au « syndrome d’Asperger ». Et surtout, ajouta-t-on, si ce que je disais était avéré, il y aurait quelque chose comme une « bosse des math. », et que l’on savait bien qu’il n’existait rien de tel. J’imaginai proposer une étude statistique, mais comment et avec qui ? Mes tentatives avortées, plus tard et dans un autre domaine, de collaborer avec le milieu médical sur des explorations de statistiques, me prouvèrent a posteriori que j’avais été sans doute sage de ne point essayer.

Et voilà que je tombe en ce début du mois de mai sur un article intitulé Mathematical Talent is Linked to Autism dont les quatre auteurs (S. Baron-Cohen, S. Wheelwright, A. Burtenshaw, E. Hobson) sont ou ont été au Département de Psychiatrie du Centre de Recherche sur l’Autisme à Cambridge. Le premier auteur, Simon Baron-Cohen, en particulier, est un spécialiste renommé de l’autisme (il se trouve être par ailleurs le cousin de Sacha Baron-Cohen qui a joué en particulier dans Borat). Je laisse les personnes intéressées lire l’article. Mais me demandera-t-on, comment diable suis-je tombé sur ce papier ? Comme souvent, par un concours de circonstances inattendues. Je reçois un courriel de Peerus à propos d’un article récent sans rapport dont je suis l’un des auteurs, me suggérant de suivre les « performances » de mon papier. Intrigué par ce message très bibliométrique, je cherche des informations, tombe sur un site du CNRS qui parle de Peerus ; puis je vais sur ledit site, je fais défiler une partie de la liste des « 159 unread papers » de différents auteurs —peu en math. d’ailleurs. Et je tombe sur un article dont l’un des auteurs est Baron-Cohen sur les liens entre oreille absolue et autisme. Puis, de fil en aiguille…

Inutile d’ajouter que je suis à la fois ravi d’avoir découvert cet article, et un peu troublé de voir qu’il pourrait y avoir un lien indirect (via les troubles du spectre autistique) entre mathématiques et musique, alors que j’essaie régulièrement d’expliquer qu’il n’y a bien sûr aucun rapport sérieux entre ces deux champs : mais ceci est un autre sujet.

ÉCRIT PAR

Jean-Paul Allouche

Directeur de Recherche émérite - CNRS - Institut Mathématique de Jussieu-PRG

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