Notes de lecture : Madame Hyde

Tribune libre
Publié le 16 avril 2018

La lecture, dans Libération, de la critique par Léda Villetard du film Madame Hyde (Serge Bozon) ne pouvait me laisser indifférent. Je ne résiste pas au plaisir d’en citer un extrait.

Par une mathématisation certaine d’images qui rappellent par moment le cinéma d’Éric Rohmer, le film exploite tout ce que la géométrie lui permet. Géométrie des cadres, des corps, des plans fixes dans lesquels s’opèrent de lents travellings succincts et précis. Cette construction de Madame Hyde est matérialisée de manière évidente par la présence d’objets : règles et équerres posées sur le rebord du tableau noir. Par deux fois, le spectateur est invité à résoudre théorèmes et problèmes de calcul en même temps que les comédiens. Cette mathématisation de l’ensemble du film va jusqu’à se transformer en acte réflexif qui, littéralement, se joue des frontières définies par l’écran rectangulaire du cinéma.

Je décidai donc d’aller voir ce film. Je laisse le soin aux lecteurs de se rendre compte par eux-mêmes du jeu remarquable d’Isabelle Huppert, de la beauté des images et des plans (souvent géométriques en effet), des allusions politiques (les lycées difficiles, les banlieues, la ségrégation intellectuelle, l’éclosion de petits chefs qui résulte inévitablement de l’autonomie des établissements). Je me contenterai de citer ici trois éléments du film :

  • d’abord le fait que la connaissance peut brûler – y compris au sens propre –,
  • ensuite le regard brillant d’Adda Senani (Malik) qui comprend soudain une démonstration qui l’illumine : qui n’a jamais ressenti cette sensation extraordinaire après une explication, soit comme celui qui illumine l’autre, soit comme celui qui est illuminé par l’autre ?
  • enfin les deux exercices de mathématiques dont Isabelle Huppert (madame Géquil) propose la démonstration.
    Le premier de ces exercices part d’un rectangle et d’un triangle ; la base du triangle est aussi celle du rectangle et son sommet se trouve sur le côté du rectangle parallèle à cette base ; quel est alors le pourcentage de l’aire du rectangle occupée par le triangle ?
    L’autre exercice demande quel est, entre deux points situés au-dessus d’une droite, le plus court chemin qui passe par ladite droite.
    Dans les deux cas une construction « simple » qui ravivera la nostalgie des amoureux de la géométrie « à l’ancienne » donne une réponse quasi-immédiate. L’éclair est justement l’évidence fulgurante que porte cette construction.

ÉCRIT PAR

Jean-Paul Allouche

Directeur de Recherche émérite - CNRS - Institut Mathématique de Jussieu-PRG

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