Le mystère du monde quantique

Recension
Publié le 15 mai 2016

Vous avez lu Les rêveurs lunaires ? Cette bande dessinée, née de la collaboration entre Cédric Villani et Edmond Baudoin, autour de Werner Heisenberg, Alan Turing, Leo Szilard et Hugh Dowding, quatre acteurs majeurs autant que discrets du XXe siècle.

Eh bien dans le même esprit, une nouvelle bande dessinée est parue ces dernières semaines, résultat de la collaboration cette fois-ci entre Thibault Damour et Mathieu Burniat. Le premier est physicien théoricien et spécialiste parmi les spécialistes des trous noirs, ondes gravitationnelles et autre cosmologie quantique. Le second est l’auteur de Shrimp ou encore du récit gastronomique La passion de Dodin-Bouffant. Il y a au moins un autre point commun entre les deux bandes dessinées, ou plutôt un personnage commun : Werner Heisenberg.

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Cette nouvelle bande dessinée, c’est d’abord l’histoire de deux héros : Bob et son chien Rick qui se retrouvent à faire un voyage à travers tout le XXe siècle dans l’espoir de percer le mystère du monde quantique, celui-ci même qui suggère qu’une particule puisse être à deux endroits en même temps ou qu’un chat puisse être à la fois mort et vivant. Tour à tour, Bob et Rick vont faire connaissance avec Max Planck, Albert Einstein, Louis de Broglie, Werner Heisenberg. Erwin Schrödinger, Max Born, Niels Bohr et Hugh Everett. Bref, tous les grands scientifiques qui ont permis à la théorique quantique de voir le jour et d’acquérir progressivement ses lettres de noblesse en tant que pilier de la physique moderne.

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Cette bande dessinée est écrite pour un public aussi large que possible et permet de se familiariser avec les idées de la mécanique quantique, cette théorie tellement déroutante pour l’intuition. Chaque personnage explique à Bob ses contributions principales au sujet et invite ensuite notre héros à partir à la rencontre d’un continuateur. Ainsi on découvre comment de Broglie et Heisenberg ont poursuivi les idées d’Einstein qui lui-même avait pris très au sérieux les découvertes de Plank, etc.

Dans une grande discussion (une de ces discussions qui n’a sûrement pas manqué d’avoir lieu lors du congrès Solvay de 1927) avec tous les protagonistes 5sauf Everett qui était encore en culottes courtes à cette date…, les idées et les expériences de pensée fusent de toute part. Mais pour autant, les points de vue des uns et des autres n’en demeurent pas moins difficiles à concilier entre déterminisme et hasard, onde et particule, localisation dans l’espace-temps ou pas… et ceux comme Bohr pour qui il n’y a pas de réalité quantique objective, autrement dit qu’il faut renoncer à décrire le monde atomique en termes d’espace, de temps et de causalité ! Dit simplement, il y a des questions qui ne sont plus fondées à l’échelle atomique et qu’il est donc illusoire d’essayer d’aborder.

Finalement notre héros Bob sera invité à aller discuter avec Everett qui lui parlera de la théorie des mondes multiples, aussi connue sous le nom d’interprétation d’Everett de la théorie quantique, ou comment le chat de Schrödinger peut s’échapper de son effrayante condition de mort-vivant…

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Du point de vue mathématique, on peut facilement mentionner deux thèmes qui ont directement émergé du formalisme de la mécanique quantique et qui sont très étudiés par les mathématiciens du XXIe siècle :

Sans en dévoiler davantage, la bande dessinée a le mérite d’apporter un autre éclairage sur la contribution personnelle d’Einstein à la théorie quantique. Dans de nombreux raccourcis, il est coutume de cantonner le rôle d’Einstein aux débuts de la théorie, en occultant complètement le fait qu’il s’est intéressé à la théorique quantique jusqu’à la fin de sa vie 6Encore une contribution majeure à la science : le fameux paradoxe EPR qui date de 1935 et qui fut éclairé par les expériences conduites sous la direction d’Alain Aspect au début des années 1980.. En effet, lors du dernier séminaire qu’il donna en avril 1954 à Princeton, il revenait une fois de plus sur son insatisfaction concernant la signification physique de la fonction d’onde 7celle que justement régit l’équation de Schrödinger et fit le commentaire imagé suivant :

« Il est difficile de croire que cette description est complète. Elle semble rendre le monde nébuleux à moins que quelqu’un, comme une souris, ne le regarde. Est-il croyable que le regard d’une souris puisse changer considérablement l’univers ? »

Parmi la soixantaine d’étudiants et de professeurs présents, l’un d’eux fut frappé par ce commentaire d’Einstein. Vous avez deviné qui ? 8Everett !

ÉCRIT PAR

Aurélien Alvarez

Professeur - Rédacteur en chef d'IdM - École normale supérieure de Lyon

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