D’où viennent les voleurs de poules ?

Tribune libre

Délinquance et immigration

Écrit par Avner Bar-Hen
Version espagnole
Publié le 17 juin 2014

L’immigration et la sécurité sont deux questions sensibles dans le débat public. Leur association au sein du discours politique ne peut donc que provoquer des étincelles. Le but de ce billet est donc de rappeler quelques pièges de statistique bi-dimensionnelle.

L’absence de statistiques ethniques en France ne permet pas de quantifier la part des étrangers dans les statistiques policières et nous ne discuterons ni de la pertinence des statistiques ethniques, ni des statistiques policières comme outil de mesure de la sécurité et encore moins de la difficulté à dénombrer le nombre de clandestins en France. Afin d’éclairer le débat, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) a constitué un échantillon de 1 508 personnes ayant été mises en cause à de multiples reprises pour des infractions de type crimes et délits non routiers ayant eu lieu en 2009 ou 2010. La distinction entre Français et étrangers dans la délinquance, selon le type de vol, mais aussi selon la nationalité des mis en cause représente la principale originalité de ce rapport (ici). Ceci a donc donné lieu à un florilège de commentaires sur l’importance des étrangers parmi les délinquants.

Si l’on avait regardé la taille des chaussures on aurait sans nul doute trouvé une sur-représentation des grands pieds parmi les délinquants. En effet les hommes ont souvent des pieds plus grands et il y a plus de délinquants homme que femme. La sur-représentation des grands pieds parmi les délinquants n’a donc rien à voir avec la taille des pieds mais plutôt le sexe. Ca ne sert donc à rien d’interdire la vente des grandes tailles de chaussure ou de préconiser un fichage préventif des individus louches car ayant des tailles de chaussures suspectes. Pour les amateurs de corrélations stupides (fort à la mode en ces périodes fertiles en événements sportifs) nous renvoyons sur ce site (en anglais).

Notons qu’à peu près tous les pays connaissent une sur-représentation des étrangers parmi leur délinquance. Ca ne doit donc être que peu relié au passeport. Si par analogie à « l’homme moyen de Quetelet » nous essayons de parler de l’étranger moyen nous arriverons facilement à la conclusion qu’il s’agit d’un homme dans la catégorie 18-65 ans. On pourrait parler aussi du niveau de formation ou du milieu socio-culturel. Le phénomène criminel est donc lié à plusieurs facteurs et chacun obtient ses conclusions, non pas sur la base de connaissances scientifiques, mais bien en fonction de ses opinions.

En utilisant un modèle linéaire multivarié, André Kuhn (ici) a déterminé le poids des différentes variables socio-culturelles pour expliquer la délinquance en Suisse. Il observe que la variable la plus importante dans l’explication de la criminalité est le sexe. En deuxième position on trouve l’âge puis le niveau socio-économique et pour finir le niveau de formation.

Mais revenons à nos moutons : qu’en est-il de la nationalité ? L’analyse de Kuhn permet d’aller plus loin : si l’on compare le taux de criminalité des étrangers à celui des nationaux du même sexe, de la même classe d’âge, de la même catégorie socio-économique et du même niveau de formation, la différence entre les nationaux et les étrangers disparaît. On aurait donc envie de conclure que l’effet nationalité est non significatif. Ceci est vrai sauf dans le cas très particulier de migrants provenant d’un pays en guerre. Ce phénomène est connu en criminologie sous le nom de « brutalisation ». En effet, l’exemple violent fourni par un état en guerre a tendance à désinhiber les citoyens qui deviennent alors, eux aussi, plus violents et exportent ensuite cette caractéristique dans le pays d’accueil. Notons que le pouvoir explicatif de cette variable est bien plus faible que les variables déjà présentes.

Le phénomène de « brutalisation » est parfois utilisé pour expliquer l’augmentation de la criminalité dans les états qui ont réintroduit la peine de mort aux Etats-Unis (voir ici, en anglais). Nous n’étendrons pas le phénomène de brutalisation au débat sur la fessée ou sur les liens entre séquestration et interdiction de sortir de la chambre pour un enfant déclaré fautif.

L’ordre et l’importance des variables explicatives de la criminalité n’est pas anodin. En effet, il implique que la formation et l’élévation du milieu socio-culturel sont des politiques bien plus efficaces contre la délinquance que la limitation du nombre de migrants.

Article éditée par Paul Vigneaux

ÉCRIT PAR

Avner Bar-Hen

Professeur titulaire de la chaire "statistiques et données massives". - Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM)

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