A l’occasion de son 30ème anniversaire, la Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles (SMAI) organisait à l’IHP le 8 octobre une journée de témoignages et de débats sur deux thèmes : les Massive Online Open Courses le matin et l’avenir des publications scientifiques l’après-midi.
Depuis des décennies, on trouve des vidéos de cours sur le marché, télévision puis internet. Il semble que récemment, ces produits se soient mis à attirer un public considérable (parfois des dizaines de milliers d’internautes inscrits). Il y a clairement des enjeux de notoriété. Y a t’il un nouveau marché ? De nouvelles manières d’apprendre et d’enseigner ? Une menace pour les modes traditionnels d’enseignement ? Avec le chantier France Université Numérique (FUN), le ministère français de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche incite les établissements français à expérimenter, en mettant à leur disposition une plateforme technique commune. Pour faire quoi ?
La partie la plus visible du phénomène, ce sont des cours mis en ligne. Un tel produit est très différent d’un simple cours filmé : la durée étant réduite, cela nécessite un fort investissement de l’enseignant, des relecteurs, une équipe technique, une mise en scène, pour un produit fini qui restera figé et dont la durée de vie est incertaine. C’est très coûteux. Il n’est pas certain que cela soit la meilleure réponse à la demande. D’autres modalités d’enseignement à distance sont en cours d’expérimentation : les forums, où les auditeurs échangent entre eux ; les forums suivis, où ce sont des professionnels (pas nécessairement des enseignants) qui interagissent avec les auditeurs. Des outils d’analyse des comportements des auditeurs et de contrôle des connaissances sont expérimentés aussi.
Cet engouement questionne notre manière d’enseigner à l’université. Nous mettons déjà en ligne des documents à la pelle : notes de cours, exercices, annales corrigées, questionnaires, nous offrons des serveurs d’exercices interactifs… On aimerait que l’étudiant s’empare de ces outils en amont, et que les heures en présentiel soient davantage consacrées à l’échange : réponses aux questions, critique des documents, pourquoi ce contenu, à quoi ça conduit, à quoi ça sert dans le monde réel, développements plus culturels, démarche de recherche. On peut rêver.
Impossible de relater dans le détail la matinée, pourtant passionnante. On a l’impression d’un bouillonnement d’expériences, sans qu’on puisse voir encore quelles solutions vont durer. En tout cas, il y a une demande de contenus en français, sans doute surtout pour de la formation continue, ou de la part d’étudiants du tiers monde. A mon avis, c’est une raison suffisante pour que la communauté mathématique s’organise pour construire une offre cohérente, en dépassant les stratégies individuelles des établissements. Les sociétés savantes ont un rôle à jouer.
L’après-midi, brièvement interrompue par l’irruption d’un commando de La Barbe était consacrée à la mutation imminente du modèle économique des revues scientifiques.
Les organismes finançant le recherche exigent désormais que les résultats soient mis gratuitement à la disposition du public sur internet. Les éditeurs commerciaux ont réagi en se préparant à faire payer les auteurs au lieu des lecteurs de leurs revues, à des tarifs exorbitants. Des dérives ont immédiatement vu le jour : floraison de revues où on publie n’importe quoi à compte d’auteur. Indépendamment de ces excès, en cas de basculement global, la facture pour les organismes ou pays gros producteurs de recherche fondamentale augmenterait brutalement.
On sent la communauté mathématique française à la recherche d’un modèle alternatif partiel, où les bailleurs de fonds français (universités, organismes, agences de financement) financeraient des revues de la façon la plus centralisée possible. En minimisant les coûts : utilisation des outils de gestion développés par la cellule CEDRAM, pas de papier, pas de perfectionnisme dans la préparation matérielle des manuscrits. Ou même, à l’extrême, pas de préparation du tout : les articles restent dans l’état dans lequel ils ont été déposés sur une archive de prépublications, c’est le concept de l’épijournal. Le coût prohibitif de la publication dans des revues commerciales devrait augmenter l’activité des meilleures revues françaises existantes (les boycotts de 2012 ont déjà provoqué une augmentation des soumissions) et ouvrir un marché pour ces nouvelles revues institutionnelles. Toutefois, pour la Société Mathématique de France, qui a investi de longue date dans l’édition papier, puis, plus récemment, dans l’édition électronique, de très haute qualité, une échéance redoutable se profile.
Dans un monde académique mouvant, les sociétés savantes, lieux de débats et d’élaboration de solutions collectives, sont plus que jamais nécessaires. Longue vie à la Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles !
La journée a été filmée, la vidéo est disponible sur Canal U, la chaine de la SMAI.