Le 7 février 2013, c’était la soirée d’inauguration de la 17e édition de la période « La Science se livre », au pavillon de Bellevue, ancien hôtel, propriété du CNRS à Meudon. Tous les ans, le Conseil Général des Hauts de Seine incite ses 27 bibliothèques municipales à sortir les ouvrages scientifiques, et à accueillir des conférenciers, pendant 3 semaines en février. A cette occasion, deux prix littéraires sont décernés, pour distinguer des ouvrages de vulgarisation scientifique, catégories adultes et adolescents (jury présidé par C. Haigneré et P.-H. Gouyon). C’est la 17ème édition (il y a une succursale en Poitou-Charentes et une au Québec). 17000 personnes l’an dernier.
Cette année, le thème retenu est les Mathématiques. 130 animations, dont une douzaine de conférences, extraites du catalogue des Promenades Mathématiques(SMF–Animath). Et, pour la soirée d’inauguration, le 7 février 2013, une conférence préparée spécialement par Josselin Garnier, une sorte de super-Promenade. Elle est placée sous le signe de l’année des Mathématiques pour la Planète Terre.
Evidemment, ça commence par les inévitables allocutions. Le délégué régional nous rappelle qu’il héberge la cellule CNRS-Images, qui présentera son nouveau film sur Poincaré le 22 février, en clôture de la période La Science se Livre. Les élèves d’une classe de 3e échappent aux allocutions, ils sont en train de construire des polyèdres géants, sous la houlette de François Gaudel (Science Ouverte). La classe a visité le grand électro-aimant de Meudon-Bellevue.
Remise des prix. Les livres primés sont Catégorie adolescents : « Le travail secret de la nature », de Nathalie Tordjman et Yves Calarnou (Belin). Catégorie adultes : « Pourquoi je n’ai pas inventé la roue – Et autres surprises de la sélection naturelle », de Michel Raymond (Odile Jacob).
Enfin, la parole est donnée à Josselin Garnier.
Qu’est-ce que tu fais au juste ? J’écoute du bruit. On peut en faire des choses utiles : prévoir des éruptions volcaniques.
I. L’imagerie, c’est produire des images
La méthode consiste à utiliser des ondes (lumière, son,…). Emises par une source, les ondes traversent (ou sont réfléchies par) l’objet étudié, des capteurs enregistrent les signaux à la sortie.
- photographie : réflexion d’ondes lumineuses visibles,
- radiographie : traversée de rayons X,
- échographie : réflexion d’ondes ultrasonores,
- sismique : traversée (et aussi réflexion) d’ondes sismiques, c’est-à-dire, des vibrations élastiques (petits déplacements du sous-sol). Les sources sont les tremblements de terre, les capteurs s’appellent des sismomètres.
Difficulté en sismique : on ne contrôle pas les sources.
II. Analogie : le repérage par le son
Méthode inventée pendant la Première Guerre mondiale, pour localiser les canons géants, dont la portée était de plus cent kilomètres. On capte l’arrivée du son émis par le canon en plusieurs points. Combien de temps le son du canon met-il à parvenir au capteur ? Fernand Raynaud aurait répondu « il met un certain temps ». Garnier est plus précis : un temps proportionnel à la distance parcourue. Le facteur de proportionnalité est connu : c’est la vitesse du son dans l’air. Mesurés : des instants d’arrivée. Inconnues : l’instant d’émission du son, les distances entre le canon et les capteurs. Comme il y a 3 inconnues, il faut au moins 3 capteurs. En principe, cela suffit. En effet, en soustrayant deux instants d’arrivée, on élimine l’instant d’émission inconnu, le point de départ est caractérisé par la différence de ses distances à des paires de capteurs, i.e. il se trouve à l’intersection des 3 hyperboles (sauf que deux hyperboles peuvent avoir plus d’un point d’intersection, mais ce n’est pas très gênant).
Et si on ne connait pas la vitesse du son dans l’air ? Cela fait une quatrième inconnue, il faut donc un quatrième capteur. Une valeur erronée de la vitesse donne des hyperboles qui ne se coupent pas. Par essais et erreurs, on peut trouver la bonne valeur de la vitesse, celle qui fait se couper les hyperboles.
Moralité : Avec peu d’informations, on parvient tout de même à déterminer, outre la position de la source (le canon), une propriété du milieu ambiant (la vitesse).
III. Sismologie classique
Le même principe s’applique aux ondes sismiques. La différence, c’est que la vitesse de propagation des ondes sismiques n’est pas partout la même. D’ailleurs, cette vitesse est caractéristique des roches traversées. La connaître permet de déterminer la composition du sous-sol.
Un sismogramme, c’est une mesure du mouvement vertical du sol. Du bruit, puis, de temps en temps, une oscillation forte et de courte durée, trace du passage de l’onde émise par un évènement violent, en général un tremblement de terre.
La Californie s’est dotée d’un réseau de plusieurs centaines de capteurs. Au fil du temps, on a accumulé des années de mesures, dont quelques dizaines de tremblements de terre. Cela fait des dizaines de milliers de données. Les inconnues, ce sont les positions et instants des tremblements de terre, et la carte de la vitesse de propagation, soient quelques dizaines de milliers d’inconnues. La méthode a donné des résultats. On observe en particulier une lentille sismique (zone où la vitesse est grande, c’est un facteur de risque) précisément sous la ville de Los Angeles.
IV. Sismique exploratoire
C’est la demande de l’industrie, notamment pétrolière (80% des bénéfices dépendent de l’exploration, 2/3 des forages sont des succès de nos jours). Les sources sont de gros camions qui posent leur ventre sur les routes et remuent du popotin. Pour l’exploration off-shore, on utilise des canons à air. La zone à imager est plus petite (10km de côté en 3D), mais on récolte des quantités énormes de données, typiquement quelques dizaines de téraoctets. D’où le besoin d’ordinateurs, et surtout, de mathématiques : traitement de données massives, etc…
V. Le bruit
Le défaut de la méthode classique, c’est qu’il faut attendre le tremblement de terre. Pourquoi ne pas utiliser le bruit ? Son origine ? A basse fréquence (<1 Hz), nous avons montré qu’il résulte du couplage entre la houle marine et la terre. Nous avions fait cette hypothèse, car, en Californie, le bruit voyage d’ouest en est. Notre hypothèse a été confirmée un jour d’août 2005, lorsqu’on a observé l’inversion du sens de passage des ondes : c’était le bruit des vagues provoquées par l’ouragan Katrina.
Voici une simulation numérique. Deux capteurs A et B, noyés dans une nuée de sources aléatoires. On calcule la corrélation croisée : on multiplie le signal en A par le signal en B décalé dans le temps, et on fait une moyenne temporelle. Le résultat est un signal qui présente deux pics espacés du double du temps de parcours entre A et B.
Pour étalonner, on a utilisé un tremblement de terre qui s’est produit tout près d’un capteur A en Californie, et on a mesuré le temps de parcours jusqu’à B. Puis on a calculé la corrélation croisée du bruit sur 1 an, et on est arrivé au même temps de parcours. Cela a prouvé la validité de la méthode. On a calculé ainsi des temps de trajets entre toutes les paires de capteurs. Ensuite, on en a tiré une carte des vitesses de propagation (il y a encore des mathématiques dans cette opération), bien meilleure que toutes les cartes antérieures. La même méthode a été exploitée en Chine, dans la région qui jouxte le Sichuan et le Tibet. Elle aussi est fortement exposée aux tremblements de terre.
La méthode s’applique aussi à la localisation d’objets enfouis qui réfléchissent les ondes sismiques.
VI. Applications
Applications en sismologie : prédiction d’éruptions volcaniques. La méthode détecte des variations au cours du temps des vitesses de propagation, qui sont des signes avant-coureurs d’éruptions (on a pu les retrouver avant les éruptions passées). En septembre 2010, avec 15 sismomètres, on a pu annoncer une éruption qui a eu lieu 3 semaines plus tard, au Piton de la Fournaise (Réunion). En revanche, on n’est pas arrivé jusqu’à présent à annoncer des tremblements de terre. En Californie, on a observé une zone où il y a un tremblement de terre tous les ans. On voit la vitesse augmenter lentement, puis chuter après un tremblement de terre. On ne sait pas prédire quand ça va craquer. On n’a pas encore repéré de signes avant-coureurs.
Sélénosismologie : la NASA a posé 3 sismomètres sur la Lune lors d’une des dernières missions Apollo. Cela a permis de faire un petit bout de carte ! Héliosismologie : les battements de la surface du Soleil sont détectables à distance par effet Doppler. C’est plus simple que sur la Terre. En effet, la Terre comporte une alternance de phases liquides et solides. Les phases solides, où les ondes se décomposent en ondes de pression et ondes de cisaillement qui voyagent à des vitesses différentes, sont compliquées à traiter. En revanche, le Soleil est entièrement fluide, on peut imager jusqu’au coeur. Astérosismologie : imager des étoiles ? Cela semble possible.
Au-delà de la sismologie : imagerie micro-ondes utilisant les signaux émis par les téléphones portables. C’est ça les maths : une fois le principe établi, il s’applique dans des tas de situations différentes.
VII. Séances de questions
Il y en a eu beaucoup. A la question « qu’est ce qui a le plus fait progresser cette recherche, le pétrole ou la science pure ? », Garnier a donné cette réponse épatante. Ce sont les expériences de retournement temporel de Mathias Fink à l’ESPCI, motivées par la destruction des calculs rénaux. Un miroir pour ultrasons, c’est un réseau de transducteurs qui fonctionnent simultanément en capteurs et en émetteurs. Une source ponctuelle émet une onde, elle atteint le miroir, on l’enregistre. Dans l’ordinateur, on inverse le signal temporellement (c’est-à-dire, on le déroule à l’envers, comme si on appuyait sur la touche rembobiner d’un vieux magnétophone), on le réémet, ça focalise sur la position originale de la source. Fink l’a testé dans une baignoire remplie de tiges métalliques (pour faire désordre). Plus le milieu est hétérogène, mieux la refocalisation fonctionne (fin des années 90). Les matheux ont su expliquer le phénomène. Comment transposer la manip en sismologie ? Ça passe par les corrélations croisées. C’est le même opérateur qui intervient, du point de vue des mathématiques.
C’étaient vraiment des belles mathématiques, superbement expliquées.