J’ai honte

Tribune libre
Écrit par Charles Boubel
Publié le 19 décembre 2024
Panneau routier « halte péage »

J’aimerais ne pas avoir à écrire ce genre de billet. Malheureusement, ce qui suit fait partie de la vie universitaire.

Mon université applique désormais les droits d’inscription majorés (x16) pour étudiants et étudiantes « extra-communautaires » en Master. Dans la forme, l’histoire prend en outre une tournure d’une grande brutalité.

Mise à jour. Entre la rédaction de ce billet et sa mise en ligne a eu lieu le 17 décembre un Conseil d’Administration de l’université de Strasbourg. Celui-ci a lâché un tout petit peu de lest, suite à la mobilisation13J’ajoute une banalité : il faut comprendre ce que signifie « mobilisation » : nous avons autre chose à faire, c’est difficile, en outre dans l’urgence. Les étudiantes et étudiants ont à mener leurs études, et n’ont pas pas de longues heures miraculeusement pré-programmées dans leur emploi du temps pour agir sur ce sujet : récolter des témoignages, construire un dossier, rencontrer des membres du personnel également protestataire, essayer de rencontrer l’administration, être saisis de cas particuliers etc. Pour nous les personnels c’est pareil. Nous avons une université à faire fonctionner, et de la recherche à mener, le tout dans des conditions de plus en plus difficiles, et du manque d’effectifs. : l’échéance est fixée au 17 janvier au lieu du 20 décembre, et une promesse de principe d’« examen au cas par cas » a été donnée par l’administration. C’est peu, mais pas rien. Détails dans ce communiqué de presse du syndicat étudiant AES

*

Mon université, celle de Strasbourg, applique cette année les « droits différenciés » pour les étudiantes et étudiants « extra-communautaires » (i.e. de nationalité non UE+Norvège, Islande, Liechtenstein, Suisse, Monaco, Andorre), hors premier cycle —donc essentiellement en Master ou Grande École. Cette appellation pudique signifie des droits de 3879€ au lieu de 250€. Le nom et la chose viennent d’un arrêté, contesté sans succès devant le Conseil d’État, sur les prémices duquel j’avais déjà écrit en décembre 2018.

Ce 10 décembre le couperet tombe : des centaines de personnes qui avaient payé seulement les 250€ sont mises en demeure de payer le solde avant le 20 décembre faute de quoi elles seront désinscrites. Ceci crée des quantités de situations dramatiques. Une tribune d’universitaires et autres personnalités, comme la maire de Strasbourg, et une pétition liée ont été mises en ligne le 15 décembre.

Je donne ci-dessous a) l’histoire nationale de cette affaire b) l’histoire locale à Strasbourg c) des exemples de témoignages d) un commentaire personnel.

a) L’histoire nationale

Je me base sur une synthèse du syndicat étudiant Alternative Étudiante Strasbourg, AES14https://linkr.bio/ky5m4, une synthèse de ma collègue Elsa Rambaud que je remercie, et du travail personnel.

Le Gouvernement (2019) : Il faut attirer en France les étudiantes et étudiants étrangers. Je multiplie donc par 16 leurs droits d’inscription15Le 19 avril 2019 un arrêté et un décret mettent en place le plan « Bienvenue en France » (sans rire) dont une mesure clé est la multiplication par environ 16 des droits d’inscription universitaires pour les personnes extra-communautaires. (sauf pour l’UE ; de toute façon les traités m’interdisent de faire une différence avec les nationaux). Bienvenue en France16Le texte prévoyait l’application de la mesure aussi pour les étudiantes et étudiants en thèse. Un rapport commandé par la ministre Frédérique Vidal a déconseillé le 18 février 2019 la hausse pour ces personnes, indiquant que par leur travail, elles sont indispensables au fonctionnement de la recherche française, et que beaucoup seraient concernées. Sur ce point, la ministre a reculé. Est-ce un aveu de sa conscience du caractère en fait dissuasif et xénophobe de ces droits majorés, ce dont elle se défendait? !

Les IUT (2018, lors des annonces avant l’arrêté de 2019) : Mme la ministre, nous nous opposons à cette mesure. (L’Association des Directeurs d’IUT, ADIUT, vote en décembre 2018 une motion d’opposition à la mesure et l’envoie à la ministre17Le Conseil de mon IUT, l’IUT Robert Schuman, a débattu et voté à l’unanimité moins deux voix (étudiantes !) une motion d’opposition à cette mesure le 10 décembre 2018. Le sujet a vivement fait réagir ; notamment les personnes représentant le monde des entreprises étaient très opposées. La motion :
« À la suite des annonces faites par le Premier ministre Édouard Philippe, les élus du conseil de l’IUT Robert Schuman se prononcent contre la hausse des frais d’inscription dans l’enseignement supérieur et ciblant les étrangers extra-communautaires.
Ils estiment que cette mesure sera contre-productive et nuira à l’attractivité et au rayonnement de ses formations, sans résoudre le problème récurrent de manque de moyens, en particulier humains, au sein de l’enseignement supérieur.
Par ailleurs ce dispositif est contraire aux valeurs et aux actions d’ascension sociale portées par l’institut. »

Cette motion a été transmise à l’ADIUT, qui se l’est appropriée et a envoyé un texte au ministère
.)

Des associations et syndicats : la Constitution prévoit la gratuité de l’enseignement public. Dis, Conseil d’État, peux-tu demander son avis au Conseil Constitutionnel et, s’il confirme que nous avons bien lu, annuler l’arrêté?

Le Conseil d’État (2019) : la question le mérite en effet. Qu’en penses-tu, Conseil Constitutionnel ?

Le Conseil Constitutionnel (2019) : oui, l’exigence de gratuité concerne tout aussi bien l’enseignement supérieur. Toutefois des frais « modiques » sont possibles, « tenant compte des capacités financières des étudiants ». La Constitution doit être lue ainsi, c’est ma décision.

Le Conseil d’État (2020) : OK. On va donc dire que les droits doivent être modiques « tenant compte du coût des formations », et que sont 3700€ face à des coûts moyens de 10 000€18Source : Estimation de 10 210 euros par la Cour des comptes, dans son rapport sur les droits d’inscription dans l’enseignement supérieur public de novembre 2018, et à 9 660 euros par le rapport d’information de l’Assemblée nationale sur l’accueil des étudiants étrangers en France du 13 mars 2019. ? En plus y’a des « aides [pour] garantir l’égal accès à l’instruction et des exonérations sont possibles19Fondement, dont on verra la solidité dans la suite de l’histoire : « L’article L. 111-1 du code de l’éducation, alinéa 5, dit que pour garantir l’égal accès à l’instruction, des aides sont attribuées aux étudiants. A cet égard, les étudiants en mobilité internationale peuvent être éligibles à certaines d’entre elles. En outre, ainsi que le mentionnent les articles R. 719-49-1, R. 719-50 et R. 719-51 du même code, [ils] peuvent bénéficier d’une exonération totale ou partielle des droits d’inscription, soit sur décision du ministre des affaires étrangères, en considération de la politique étrangère culturelle et scientifique de la France et de la situation personnelle des étudiants, soit sur décision du président de l’établissement, en considération, outre de leur situation personnelle, des orientations stratégiques de l’établissement, soit encore en application d’un accord conclu entre l’établissement concerné et un autre établissement conformément à l’article L. 123-7-1 du code de l’éducation ou d’un programme international d’accueil d’étudiants en mobilité. ». La mesure est donc légale. (Et de toute façon c’est pour des personnes venant directement de l’étranger donc sûrement « n’ayant pas vocation » à rester en France alors cépapareil.)

(Il est à noter que cette décision rend l’exigence de modicité ineffective pour tout le monde, même si le cas jugé concerne les seules personnes extra-communautaires )

Les universités (2019) : réagissent en ordre dispersé. Certains appliquent les droits majorés2013, selon AES. D’autres, partiellement, D’autres les neutralisent par exonération (un droit limité à 10% de leur effectif étudiant). Mais le temps passant, la limite des 10% des effectifs pouvait être atteinte21En effet, une disposition transitoire prévoit que seules les nouvelles inscriptions étaient concernées. C’est la voie choisie par l’université de Strasbourg, jusqu’à l’atteinte du seuil de 10% en 2024-25.

Ajout de précisions et citations si vous le désirez.

– La consultation du Conseil Constitutionnel était une Question Prioritaire de Constitutionnalité. C’est une question transmise au Conseil Constitutionnel pour clarifier l’interprétation d’une disposition constitutionnelle, avant le jugement de l’affaire. Elle est adressée à la juridiction saisie (Conseil d’État ou Cour de Cassation) qui peut la transmettre au Conseil Constitutionnel si elle la suffisamment sérieuse. En L’occurrence, le Conseil d’État a transmis cette QPC. Son enjeu était de savoir si le principe constitutionnel de gratuité de l’enseignement public doit s’entendre comme concernant aussi l’enseignement supérieur. Article 26 du préambule de la Constitution, alinéa 13 :

« La Nation garantit l’égal accès … de l’adulte à l’instruction … L’organisation de l’enseignement public gratuit … à tous les degrés est un devoir de l’État. »

Le Conseil Constitutionnel répond alors : oui, l’enseignement supérieur est concerné. Toutefois

« cette exigence ne [fait] pas obstacle, pour ce degré d’enseignement, à ce que des droits d’inscription modiques soient perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants. »

https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2019/2019809QPC.htm

– Le Conseil d’État reçoit la réponse du Conseil Constitutionnel et… valide l’arrêté. En effet, il ajoute un élément étranger à la décision du CC, la modicité « tenant compte du coût de la formation », puis des éléments, discriminatoires en fonction de la provenance étrangère directe et absents de la décision du Conseil Constitutionnel, sur ce qui serait la « vocation » des personnes concernées22Ce dernier argument est une activation par le Conseil d’État d’une de ses jurisprudences, de janvier 2018, dans une affaire de tarification de musées. Ainsi que l’explique le professeur de droit Paul Cassia : « le critère de la « vocation à rester durablement sur le territoire » pour apprécier la conformité au principe d’égalité d’un acte administratif distinguant des personnes selon leur nationalité n’est pas nouveau. Ces termes ont déjà été employés par le Conseil d’Etat notamment dans une décision SOS Racisme du 18 janvier 2013, où était en cause une distinction tarifaire entre jeunes de 18-25 ans français/européens bénéficiant de la gratuité pour l’accès à ces services publics administratifs facultatifs que sont les musées nationaux et jeunes de 18-25 ans étrangers ne bénéficiant pas de cette gratuité. Le Conseil d’Etat a alors validé cette différence de traitement en considérant que, « afin d’ancrer des habitudes de fréquentation régulière des monuments et des musées, il était loisible aux établissements concernés de distinguer les personnes qui ont vocation à résider durablement sur le territoire national des autres, la gratuité concédée devant avoir pour résultat de rendre durable la fréquentation habituelle des institutions concernées et n’ayant donc nécessairement pas de justification pour les personnes qui ne sont pas appelées à séjourner durablement sur le territoire ».. Voici des extraits du communiqué de presse résumant la décision.

« Le caractère modique des droits d’inscription s’apprécie en tenant compte du coût des formations et de l’ensemble des dispositifs d’exonération et d’aides destinés aux étudiants, afin de garantir l’égal accès à l’instruction. S’agissant des étudiants « en mobilité internationale », les droits d’inscription fixés par l’arrêté attaqué, qui peuvent représenter 30 % voire 40 % du coût de la formation, ne font pas obstacle à l’égal accès à l’instruction, compte tenu des exonérations et aides susceptibles de bénéficier à ces étudiants. Ces droits d’inscription respectent donc l’exigence rappelée par le Conseil constitutionnel, à supposer que ces étudiants puissent s’en prévaloir. Enfin, des étudiants « en mobilité internationale », venus en France spécialement pour s’y former, ne sont pas dans la même situation que des étudiants ayant, quelle que soit leur origine géographique, vocation à être durablement établis sur le territoire national. Il valide donc la possibilité de prévoir pour ceux-ci des frais d’inscription différents.

https://www.conseil-etat.fr/actualites/le-conseil-d-etat-rejette-les-recours-contre-l-arrete-fixant-les-frais-d-inscription-dans-l-enseignement-superieur

J’invite à rapprocher ces considérations (« compte tenu des exonérations et aides susceptibles de bénéficier à ces étudiants ») écrites dans le confort du Conseil d’État et sur la base d’articles de loi indiquant l’existence d’aides, et sans instruction sur les situations réelles23Pardon je suis très en colère et je vois ici le choc des puissants contre les plus fragiles, dont ils peuvent se permettre d’ignorer la vie, aux témoignages du c). De toute façon, l’exigence constitutionnelle claire de modicité énoncée par le Conseil Constitutionnel est vidée de son sens.

L’arrêté créait les frais majorés. Le décret, lui, renforçait un peu les possibilités d’exonération totale ou partielle des droits d’inscription, sans toucher la limite légale : seuls 10% des effectifs d’une université peuvent être exonérés de droits, totalement ou partiellement. Des universités ont demandé une hausse du seuil ; le gouvernement a refusé.

Devant les manifestations d’opposition de certains présidents ou présidentes d’université, la ministre Frédérique Vidal leur a rappelé leur « devoir d’obéissance et de loyauté », à l’occasion d’une réponse à question au Sénat. https://videos.senat.fr/video.986765_5c3f268dcaf40.seance-publique-du-16-janvier-2019-apres-midi?timecode=6900000. Si l’État veut appliquer des mesures racistes, vous devez en être les agents obéissants.

b) L’histoire locale

Le président de l’université de Strasbourg utilise le droit d’exonération pour neutraliser la mesure ; il fait voter cela en CA en 2019. Il le fait savoir. En 2023 il signe parmi 94 présidentes et présidents d’université une tribune sur la loi immigration, affirmant entre autres au sujet des « droits différenciés » :

« Par ailleurs, appliquer de façon généralisée et sans possibilité d’exonération la majoration des droits d’inscription pour les étudiantes et étudiants extra-communautaires aurait un effet particulièrement délétère sur le nombre, l’origine géographique et la situation sociale des étudiantes et étudiants pouvant venir étudier en France. Cela reviendrait également à mettre en cause l’autonomie des universités quant à leur stratégie d’accueil et de rayonnement international.

Ces mesures indignes de notre pays mettent gravement en danger la stratégie d’attractivité de l’enseignement supérieur et de la recherche française, et nuisent à l’ambition de faire de notre pays un acteur majeur de la diplomatie scientifique et culturelle internationale. »

Mais pour 2024-25 s’annonçait le dépassement du quota de 10% d’exonérations, dans l’effectif étudiant de l’université. Le 26 septembre 2023 le président a fait voter par le CA l’application des « frais différenciés » hors premier cycle (donc essentiellement master et grandes écoles) et hors personnes du Québec (présence de forts liens, qui ne doivent pas être mis à mal). Le premier syndicat étudiant, l’AFGES, a voté oui.

Pour différentes raisons, à Strasbourg, du flou avait entouré l’application de ces droits. Par exemple, l’université n’a rien fait figurer sur le site Campus France, dans les informations sur les inscriptions concernées. C’est sur le site de l’université de Strasbourg que l’information figurait, et d’une façon qui a échappé à beaucoup. Des quantités de personnes se sont inscrites en payant 250€. Elles se sont rendu compte de leur malheur en début d’année universitaire24Suite à malentendu qui m’a été signalé, je précise: les personnes ont bien été inscrites, accueillies et ont commencé leur année, mais avec un solde à payer de 3629€.. Cela a engendré des quantités de situations terribles.

En outre, l’annonce d’étude au cas par cas des situations a débouché sur une procédure d’exemption… essentiellement cul-de-sac. Je ne connais la situation exacte que dans une composante de l’université : toutes les demandes individuelles y ont été rejetées. Mais AES indique que ce cul-de-sac est général, sauf pour quelques situations standardisées, rares et prévues (alternants et alternantes, boursiers et boursières du gouvernement etc.)

Le 10 décembre, l’université a finalement envoyé un dernier rappel mettant en demeure les personnes concernées de régulariser leur paiement de droits au 20 décembre au plus tard, à peine de désinscription.

c) Quelques témoignages

Le syndicat AES a collecté des témoignages. Dans la journée de l’ouverture de l’appel, il dit en avoir immédiatement reçu plus de 50, puis encore d’autres. Vous en trouverez p. 13 à 19 dans son dossier.

Je n’arrive pas à lire ça sans éprouver physiquement de la honte, et de l’écœurement. Voilà qui notre pays écrase, censément parce qu’il faut bien trouver de l’argent.

Je ne peux reproduire que de courtes citations. Vous pouvez aller lire les textes complets.

« Je dors par terre chez une personne qui m’héberge contre un petit loyer, l’argent que je lui donne étant presque tout ce qui me reste.
La nuit, je révise dans les toilettes pour ne pas le déranger. C’est là, assis sur le sol froid, que je lutte pour me concentrer, pour ne pas sombrer, pour ne pas éclater en sanglots. Parfois, je m[‘y] cache  pour appeler mes parents. Je leur mens, je leur dis que tout va bien. […] Je me bats pour ne pas céder à la peur, mais elle est toujours là, oppressante, écrasante. J’ai sacrifié tant de choses pour venir ici. J’ai laissé derrière moi ma famille, mes repères, et maintenant, je suis seul, avec ce cauchemar de 3 800 euros au-dessus de ma tête. Chaque jour, je redoute le moment où je n’aurai plus rien. Où je me retrouverai dehors, sans domicile, sans manger.
Je pleure souvent, seul, dans le silence de la nuit. »

« J’essaie de minimiser mes dépenses […] même en enlevant les choses les plus nécessaires (qualité de nourriture et pas d’activités et loisirs). […] Je n’ai pas encore ma carte vitale donc j’ignore mes problèmes de santé […] et sur le côté mental ça me stresse énormément et je ne peux plus me concentrer sur mes cours et mes examens.
J’ai oublié de mentionner que je n’ai pris connaissance [des droits majorés] qu’après avoir validé mon choix sur le site et reçu un mail de la scolarité parce que ce n’était pas mentionné sur google quand j’ai fait ma recherche, et même quand j’ai parlé avec mes copains déjà inscrits. »

« Je viens d’apprendre il y a deux jours que je […] dois payer 3879 euros alors que mon inscription a été validée. Quand je me suis renseigné pour comprendre cette situation on m’a dit que la personne qui a validé mon dossier lors de mon paiement des 243 euros a fait une erreur que je dois payer les frais différenciés. […]
Cette nouvelle impacte énormément non seulement mon quotidien et ma santé mentale je suis d’arrivée à Strasbourg et j’ai rencontré d’énormes difficultés à trouver déjà un logement, je suis venue avec un mois de retard […] je souffre d’une maladie invalidante et […] cette mesure qui tombe dessus je suis carrément perdue, je suis stressée et très angoissée qu’est-ce que je vais faire ? »

Je connais aussi le cas d’une étudiante qui a appelé ses parents qui… se sont endettés pour emprunter la somme nécessaire. Ce n’était pas au programme pour eux.

La Constitution impose des frais « modiques » « tenant compte de la capacité financière des étudiants ». Conseil Constitutionnel, décision n° 2019-809 QPC du 11 octobre 2019.

d) Commentaires personnels

1. Certaines composantes (=facultés), qui ont un peu de réserve d’argent et pas trop d’étudiantes et étudiants concernés, s’orientent vers un soutien par des aides individuelles compensant le surcoût. C’est aussi la preuve que l’université dispose, si elle le voulait, de moyens de neutraliser la mesure (même, si sans mesure structurelle de l’université, cette action ne peut qu’éviter ponctuellement les drames cette année et n’est pas praticable à long terme).

2. C’est parce que des personnes suffisamment nombreuses et actives ont dénoncé la situation et demandé le changement que les choses ont bougé un peu. Si vous n’êtes pas d’accord, faites-le savoir. Relayez la pétition. Faites lire la tribune, le dossier d’AES, ou ce présent billet. La situation à Strasbourg n’est qu’une réalisation locale d’un problème qui se pose partout. Elle concerne tout le monde. Personnellement, il m’est insupportable de vivre et travailler dans une institution qui traite les gens comme documenté en c) plus haut. Une institution qui applique une préférence nationale : ce poison mortel qui se répand.
Et la facilité avec laquelle, finalement, un certain nombre d’entre nous, ou de nos institutions, acceptent passivement ou activement cela me terrifie.

3. Le racisme n’est pas une affaire de haine ou d’affect envers un ou des groupes vus comme « autres », même s’il est secondairement, pour une part ça aussi. C’est une mécanique, une arme politique. Ici, chacun et chacune a ses raisons. Raisons qui aboutissent à choisir d’écraser le groupe déjà précaire des « autres », et c’est ça qui compte, c’est là qu’est le racisme. Un écrivain en colère l’a formulé sans mâcher ses mots, et je crois qu’il est fort utile aujourd’hui d’écouter précisément ça.

« Et balaie-moi tous les obscurcisseurs, tous les inventeurs de subterfuges, tous les charlatans mystificateurs, tous les manieurs de charabia. Et n’essaie pas de savoir si ces messieurs sont personnellement de bonne ou de mauvaise foi, s’ils sont personnellement bien ou mal intentionnés, s’ils sont personnellement, c’est-à-dire dans leur conscience intime de Pierre ou Paul, colonialistes ou non, l’essentiel étant que leur très aléatoire bonne foi subjective est sans rapport aucun avec la portée objective et sociale de la mauvaise besogne qu’ils font de chiens de garde du colonialisme. »

Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme.

Crédits images

CC BY-SA Camille.bonnaïs

ÉCRIT PAR

Charles Boubel

Maître de conférences - Université de Strasbourg

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