Les ondes gravitationnelles font régulièrement l’actualité depuis les observations inédites réalisées à partir de 2015 par les grands instruments LIGO et Virgo. Au cœur de l’actualité scientifique, ce domaine de recherche né au début du XXe siècle promet d’apporter un nouvel éclairage sur certains des secrets de l’Univers. À l’interface entre physique théorique, mathématiques, cosmologie, instrumentation et astrophysique, le programme de 6 semaines « Gravitational waves, a new messenger to explore the universe » organisé par l’Institut Henri Poincaré du 1er mars au 9 avril 2021 réunit actuellement la communauté scientifique s’intéressant aux ondes gravitationnelles. Entretien avec deux des organisateurs et organisatrices de ce programme : Chiara Caprini et Éric Chassande-Mottin du Laboratoire Astroparticule et Cosmologie (CNRS et Université de Paris).
Par Adrien Rossille, chargé de médiation scientifique à l’Institut Henri Poincaré
Adrien Rossille : Qu’y a-t-il de si particulier dans le phénomène des ondes gravitationnelles, qui puisse faire rêver autant les scientifiques que les curieuses et curieux ?
Chiara Caprini : À l’origine de cet intérêt, il y a un phénomène dont la compréhension nous a longtemps échappé, à la fois expérimentalement et théoriquement. L’origine de l’étude des ondes gravitationnelles remonte à Einstein, qui prédit théoriquement leur existence avec la théorie de la relativité générale. Ce phénomène est caractéristique de la physique moderne, et intéresse les scientifiques depuis un siècle.
Éric Chassande-Mottin : Les ondes gravitationnelles sont une prédiction théorique fascinante, mais aussi un défi d’observation colossal : Einstein lui-même doutait de la possibilité de les observer, tant les grandeurs à mesurer pour y parvenir sont petites. C’est pourquoi il a fallu plus d’un siècle pour arriver à détecter les ondes gravitationnelles ! De plus, elles sont un nouveau messager astrophysique qui nous apprend de nouvelles choses à propos de l’Univers, en particulier à propos des trous noirs.
Quelles sont les caractéristiques des ondes gravitationnelles ?
Éric Chassande-Mottin : Pour comprendre les ondes gravitationnelles, il faut partir de la vision que la théorie de la relativité générale donne de l’espace-temps, qui le décrit comme un objet dynamique et déformable. On utilise souvent l’analogie de la surface d’un trampoline, qui vibre en réaction au mouvement de boules de bowling qu’on aurait lancées à sa surface. De la même manière, le mouvement accéléré des objets massifs déforme l’espace-temps, engendrant des ondes dans la trame géométrique de l’espace-temps, les ondes gravitationnelles.
Chiara Caprini : Mais l’espace-temps, contrairement à la surface du trampoline, est très rigide : il faut une quantité très importante d’énergie pour ne créer qu’une infime distorsion de l’espace-temps. Tous les mouvements de nature quadrupôlaire de tous les objets génèrent en principe des ondes gravitationnelles, mais celles-ci ne sont pas mesurables pour des objets autres que des corps très massifs (trous noirs, étoiles à neutrons, …) ou des phénomènes très énergétiques.
Comment peut-on observer les ondes gravitationnelles ?
Éric Chassande-Mottin : Les grands détecteurs LIGO et Virgo sont des interféromètres qui mesurent la différence de longueur entre leurs deux bras perpendiculaires. Si une onde gravitationnelle traverse l’instrument, l’un des deux bras de l’appareil se rétrécit, tandis que l’autre s’allonge. Grâce à une métrologie de haute précision, le détecteur mesure la variation de longueur relative à la longueur totale des bras avec la précision extrême de 10−22, c’est-à-dire 0,0000000000000000000001.
Concrètement, cela signifie que, pour une longueur des bras de l’ordre de quelques kilomètres, LIGO et Virgo peuvent mesurer une variation de longueur de 10−19 mètres, comparable au dix-millième du rayon du proton ! À titre de comparaison, si la longueur des bras de LIGO et Virgo était la distance nous séparant de l’étoile la plus proche soit environ 4 années-lumière, la précision de mesure serait de l’ordre de l’épaisseur d’un cheveu, soit 10 micromètres.
Chiara Caprini : Pour aller plus loin que les observations permises par LIGO et Virgo, le projet LISA vise à installer un grand instrument de détection d’ondes gravitationnelles dans l’espace. Sur Terre, à cause des bruits sismiques qui compliquent les mesures de détection, la bande de fréquences d’ondes gravitationnelles détectables est très limitée, allant de 10 à 100 Hertz. Les ondes gravitationnelles de telles fréquences sont issues de fusions ou de collisions de trous noirs ou d’étoiles à neutrons de masses de l’ordre de 10 à 200 masses solaires.
Avec le projet LISA, dont les bras auront une longueur de quelques millions de kilomètres, une nouvelle bande de fréquences d’ondes gravitationnelles sera observable, ce qui permettra d’étudier des phénomènes inatteignables depuis la surface terrestre. En observant des ondes gravitationnelles de fréquences comprises entre 0,1 milliHertz et 0,1 Hertz, ce nouvel instrument permettra d’étudier les fusions ou collisions de trous noirs très massifs, de masses allant de dix mille à dix millions de masses solaires.
En quoi l’étude des ondes gravitationnelles est-elle connectée à de nombreuses disciplines scientifiques ?
Éric Chassande-Mottin : La provenance des participantes et des participants au programme que nous organisons en ce moment à l’IHP montre bien la grande richesse des disciplines conviées, des domaines plus théoriques à ceux plus expérimentaux. Historiquement, les ondes gravitationnelles sont reliées en premier lieu à la physique théorique. Ensuite, parce qu’elles permettent une meilleure compréhension de l’univers et du cosmos, elles se retrouvent en lien fort avec l’astrophysique et la cosmologie. De plus, les observations des ondes gravitationnelles sont étudiées en lien avec celles d’autres signaux issus des mêmes sources, comme le rayonnement électromagnétique, ce qui constitue une nouvelle discipline appelée astrophysique multi-messager. Enfin, les grands instruments de mesure nécessitent des recherches de pointe en instrumentation et détecteurs.
Chiara Caprini : On peut aussi expliciter un lien fort avec la physique des hautes énergies : les recherches sur les fonds stochastiques d’ondes gravitationnelles, des ondes gravitationnelles émises lors de la première seconde après le big bang, mènent à étudier l’univers primordial, à un moment où son énergie est très élevée.
Et sont-elles connectées à des disciplines issues des mathématiques ?
Chiara Caprini : Les mathématiques sont partout dans l’étude des ondes gravitationnelles, comme dans toute la physique théorique. Des exemples concrets sont la géométrie différentielle, la construction des formes d’onde au moyen des méthodes perturbatives, et dans certains cas même la théorie des cordes.
Éric Chassande-Mottin : Une part importante de la recherche des ondes gravitationnelles est l’analyse de données, domaine où les mathématiques jouent un rôle prépondérant. Le rôle joué par les ondelettes dans la détection du premier signal gravitationnel en est un exemple. Durant la dernière prise de données, les grands instruments LIGO et Virgo ont observé en moyenne un nouveau signal par semaine. Grâce aux améliorations de sensibilité de ces instruments prévues pour les prochaines années, nous allons probablement observer plusieurs événements par jour. La prochaine génération d’instruments, comme le projet européen Einstein Telescope qui est dans une phase initiale de développement, pourrait voir un signal toutes les 30 secondes ! Cet important flot de données ouvre de nouveaux défis d’analyse qui nécessiteront de nouvelles techniques mathématiques et statistiques.
En tant que chercheuse et chercheur, où vous situez-vous dans ce paysage de disciplines liées aux ondes gravitationnelles ?
Chiara Caprini : J’ai une formation initiale en physique théorique et cosmologie théorique. Je travaille sur les ondes gravitationnelles depuis ma thèse, même avant. Je m’intéresse aux aspects cosmologiques de la recherche sur les ondes gravitationnelles, notamment l’étude de l’univers primordial, mais aussi l’étude de l’évolution plus récente de l’Univers – par exemple, l’accélération de son expansion.
Éric Chassande-Mottin : Ingénieur électronicien de formation, j’ai effectué une thèse de mathématiques appliquées et traitement du signal. C’est par ce domaine que je me suis intéressé aux ondes gravitationnelles. Je travaille aujourd’hui à l’analyse des données collectées par les grands instruments et je m’intéresse également à des questions en astrophysique et en cosmologie associées aux observations de LIGO et Virgo.
Post-scriptum
Pour aller plus loin, un article « piste bleue » de François Béguin et Frédéric Le Roux : « La détection des ondes gravitationnelles, une conférence d’Yves Meyer », publié le 23 mai 2017 sur Images des Mathématiques
Crédits images
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Crédit photo de Chiara Caprini : Tristan Paviot