Hier 29 octobre étaient vendus aux enchères chez Christie’s à Paris d’importants lots d’archives ayant appartenu à la marquise du Châtelet (1706-1749), la célèbre traductrice des Principia de Newton. Le clou de la collection était sans conteste un manuscrit presque complet de la première partie du « Commentaire » que la marquise avait adjoint à sa traduction. Valeur estimée de ces 357 feuillets : entre 400 000 et 600 000 euros. Valeur estimée de la totalité de la vente : entre 1 et 1.5 million d’euros 3Pour une histoire de ces archives, voyez l’article d’Andrew Brown, « ’Minerve dictait et j’écrivais’ : les archives Du Châtelet retrouvées », Cahiers Voltaire 11 (2012), 7-26 ; pour une description de le collection, voyez le catalogue de la vente..
La Société Voltaire, comme son nom l’indique, œuvre pour favoriser toute étude savante en rapport avec le grand compagnon de la marquise du Châtelet. Cette association loi 1901 avait appelé sur des listes de diffusion spécialisées (H-France, Theuth…) à signer une lettre aux pouvoirs publics les incitant à faire usage de leur droit de préemption. Dans le même temps et par les mêmes canaux, elle avait organisé une souscription pour soutenir financièrement lesdits pouvoirs.
Il pourrait paraître surprenant que la Société Voltaire n’ait pas fondamentalement cherché à porter l’affaire sur une place publique plus vaste. Elle avait pourtant tout à y gagner : nombre de signatures plus important, pression politique plus forte, souscription plus garnie, promotion de la marquise du Châtelet, auto-promotion…
Lors d’une préemption, les pouvoirs publics prennent le pas sur tout autre acheteur, mais pas à n’importe quel prix : à celui atteint par la dernière enchère.
Dans ces conditions, médiatiser l’affaire ne peut qu’accroître le nombre d’acheteurs potentiels, nourrir une possible spéculation et faire grimper les enchères… avec le risque qu’elles dépassent le budget dont disposent les pouvoirs publics, même quand celui-ci a été augmenté par des bonnes âmes.
La vente avait donc lieu hier.
Autant être clair, la stratégie du silence a totalement échoué.
En atteignant près de 3 millions d’euros, les prix ont largement dépassé les estimations les plus hautes. Le manuscrit du « Commentaire » a été adjugé à 800 000 euros, prix marteau, selon l’expression consacrée (c’est-à-dire avant les taxes). Comme une grande majorité des lots, il a été emporté par l’enchérisseur n° 813 qui opérait par téléphone 4À l’heure où j’écris, il paraît assuré que l’acquéreur est le Musée des Lettres et des Manuscrits de Paris, fondé par Gérard Lhéritier, par ailleurs créateur et président de la société Aristophil, spécialisée dans le commerce de manuscrits..
Autant voir les choses du bon côté : le franc succès de la vente témoigne de la reconnaissance aujourd’hui obtenue par la marquise du Châtelet. Il a aussi été annoncé juste avant les enchères que le manuscrit du « Commentaire » serait numérisé par la Bibliothèque nationale de France. C’est déjà quelque chose… Je présume qu’il n’est ou n’était pas envisageable de numériser le tout ?
Profitons en tout cas de ce billet pour annoncer la publication par le Centre international d’étude du XVIIIe siècle, la petite maison d’édition spécialisée à laquelle est adossée la Société Voltaire, de la correspondance de la marquise du Châtelet (éditée par un groupe dont j’ai l’honneur de faire partie) et de sa traduction des Principia (éditée par Michel Toulmonde).